Calvin et le baptême
La réponse de Calvin à la protestation anabaptiste
Léopold SCHÜMMER*
Calvin ne s’est pas nettement démarqué de la pratique pédobaptiste latine1. La mise en cause du baptême des nourrissons vient des anabaptistes, qui consacrèrent à ce sujet le premier article de la confession de foi qu’ils rédigèrent à Schleitheim, près de Schaffhouse, en février 1527, sous le titre « Entente fraternelle »2. Calvin a analysé cet article et y a répondu.
J’exposerai le pédobaptisme du Réformateur en examinant d’abord ses remarques sur l’article 1 de Schleitheim et sur les textes bibliques cités, et en présentant ensuite les textes fondant sa lecture.
Une remarque initiale s’impose: le fondement du pédobaptisme de Calvin ne doit pas être cherché dans un conservatisme ni dans la difficulté à surmonter un courant puissant – le pédobaptisme généralisé depuis le Ve siècle – mais dans une ferme conviction. En prônant avec assurance et vigueur le baptême des nouveau-nés des fidèles, Calvin est persuadé d’exprimer la volonté de Dieu, révélée dans les Saintes Ecritures.
I. La protestation anabaptiste et les remarques de Calvin
1. L’article 1 de l’Entente fraternelle
Il réserve le baptême « à tous ceux qui ont appris la repentance… croient… que leurs péchés ont été ôtés par le Christ… veulent marcher dans la résurrection de Jésus-Christ… ». Conception qui entraîne la conclusion: « Par là se trouve exclu tout baptême d’enfants, la pire et la première abomination du pape. »3 Ce fut pourtant la pratique de toutes les Eglises issues de la Réforme du XVIe siècle. L’article se termine par six textes néotestamentaires présentés comme « le fondement et le témoignage de l’Ecriture et de l’usage des apôtres ». Il convient d’examiner d’abord ces textes fondateurs de l’anabaptisme.
i) Matthieu 28:19
Au sujet de ce verset, Calvin remarque:
Puisqu’ils se fondent si étroitement sur l’ordre et la disposition des mots, prétendant qu’il faut instruire avant de baptiser, et croire avant de recevoir le baptême… parce qu’il est dit: Instruisez et baptisez…; par la même raison il nous serait loisible de répliquer qu’il faut baptiser avant d’enseigner…, vu qu’il est dit: Baptisez, les enseignant de garder…4
Mais jouer sur l’ordre des mots ne présente aucun intérêt. Le sens du verset est clair: « On doit prêcher l’Evangile à ceux qui sont capables d’ouïr, avant de les baptiser. » C’est de ceux-là qu’il s’agit: « C’est donc bien pervertir les paroles du Seigneur que d’exclure sous ombre de cela les petits enfants du baptême. »5
ii) Marc 16:16
« Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé… » Cette parole du Ressuscité aux onze concerne « ceux qui sont capables d’être enseignés et qui auparavant n’ont été de l’Eglise chrétienne ». Pour Calvin, il est impératif de tenir compte des destinataires des paroles de l’Ecriture. Pour bien se faire comprendre, il illustre son propos: « Il est dit que celui qui ne travaille point, ne doit pas manger6. Nul n’est si cruel pourtant, de condamner les petits enfants à mourir de faim. »7 Ce texte ne s’applique pas aux petits enfants. L’article cite ensuite quatre passages des Actes des Apôtres.
iii) Actes 2:38
La réponse de Pierre à la question de ses auditeurs montre que la repentance précède le baptême.
iv) Actes 8:36-37
L’eunuque éthiopien qui vient de confesser sa foi est baptisé par Philippe.
v) Actes 16:31
Paul et Silas, après leur libération miraculeuse, déclarent au geôlier de Philippes: « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta famille. » Après une catéchèse de quelques minutes ou de quelques heures, dans la même nuit, « il fut baptisé, lui et tous les siens ». La foi d’un homme, le chef de famille, a suffi à le sauver lui et sa famille et à permettre le baptême de tous.
vi) Actes 19:4-5
Une douzaine d’hommes qui avaient été atteints par la prédication du Baptiste sont enseignés par Paul, puis baptisés.
Concernant la conversion du geôlier de Philippes, Calvin note:
… En un homme qui avait été étranger de l’Eglise, la doctrine doit bien précéder le Sacrement, mais depuis que Dieu l’a reçu en communion de ses fidèles… la promesse de vie lui est faite pour ses enfants, comme pour lui8.
Au sujet de ce passage et d’Actes 16, présentant le baptême de Lydie et de sa famille, Calvin remarque, avec raison, que bien qu’il ne soit « pas expressément montré » que les enfants de ces deux familles aient été baptisés, « toutefois ce n’est pas à dire qu’ils (les apôtres) ne les aient baptisés vu que jamais ils n’en sont exclus quand il est fait mention que quelque famille a été baptisée »9.
2. Deux autres arguments revenaient régulièrement dans la polémique du XVIe siècle
On ne peut baptiser les petits enfants, affirmait-on, car le Nouveau Testament ne contient aucun passage rapportant un tel baptême administré par le Christ ou par les apôtres. Avec esprit, le Réformateur rétorque:
Par un tel argument nous pourrions prétendre que les femmes ne doivent pas être admises à la cène de notre Seigneur, puisqu’il n’est jamais parlé en l’Ecriture qu’elles y aient communié du temps des apôtres.
Il propose ensuite une méthode pour pallier les conséquences dommageables des silences du Nouveau Testament, en l’occurrence la communion des femmes et le baptême des nouveau-nés:
… Nous suivons, comme il appartient, la règle de la foi, regardant seulement si l’institution de la Cène leur convient, et si selon l’intention de notre Seigneur, elle doit leur être baillée, comme aussi nous faisons en ce baptême. Car en considérant pour qui il a été ordonné, nous trouvons qu’il n’appartient pas moins aux enfants qu’aux grands d’âge10.
L’autre argument affirmait que Matthieu 19:13-14, cité par les pédobaptistes, ne concernait pas des nourrissons, mais des enfants capables de marcher et de répondre à l’appel du Maître qui ordonnait: « Laissez venir à moi les petits enfants… » Les anabaptistes excluaient donc de cette scène biblique les nouveau-nés. Calvin s’oppose à ces subtilités en rappelant le texte parallèle de Luc 18:15 qui parle des nourrissons (ta bréphè) qu’il faut porter pour les présenter à Jésus (prosphéron)11. Par ces remarques aux objections des anabaptistes, Calvin entend seulement montrer que l’Ecriture ne renferme aucun texte interdisant le baptême des enfants ni limitant ce sacrement chrétien aux adultes. Pour le Réformateur, la catéchèse précède obligatoirement le baptême d’un adulte. On lit dans la Brève Instruction:
Quand… il y a un homme étranger de l’Eglise chrétienne, comme serait un Turc, ou un Juif, ou quelque Payen que ce soit, pour le faire Chrétien, il n’est pas question de commencer par le Baptême: mais devant que le baptiser, il doit être instruit. Et tel a été l’usage de l’Eglise ancienne. Car ceux qui se convertissent à la Chrétienté avaient pour quelque espace de temps leur prédication à part, qu’on appelait Catéchisme. Puis après avoir eu témoignage de leur foi et repentance, on les baptisait. La raison le veut ainsi12.
II. La lecture réformée de l’Ecriture concernant le baptême des nourrissons
Calvin, comme ses prédécesseurs, a été fortement marqué par la lecture paulinienne des Saintes Ecritures, directement ou par l’intermédiaire de saint Augustin. Il ne pouvait négliger le lien très fort qui noue, chez saint Paul, la circoncision et le baptême, signes de l’Alliance de grâce.
1. Il convient donc d’examiner les textes où saint Paul établit ce lien et les commentaires qu’en donne Calvin
i) Colossiens 2:11-12
Saint Paul écrit aux chrétiens de Colosses: « vous avez été circoncis… de la circoncision en Christ » et en précise aussitôt le comment: « ayant été ensevelis avec lui par le baptême ».
Qu’est-ce que veut dire ce passage sinon que l’accomplissement du baptême est l’accomplissement de la circoncision, d’autant que les deux figurent une même chose? Car il veut montrer que le baptême est aux Chrétiens ce qu’avait été auparavant la circoncision aux Juifs.13
ii) 1 Corinthiens 10:1-4
Dans la théologie paulinienne, ces deux sacrements sont quasi interchangeables. L’apôtre parle du baptême de ses pères du désert administré en présence du Christ. 1 Corinthiens 10:1-4: « nos pères… ont été baptisés (ébaptisanto) en Moïse dans la nuée et dans la mer… et buvaient à un rocher spirituel qui les suivait et ce rocher était le Christ. »
iii) Romains 4:11-12
Une autre manière d’exprimer que le baptême est la circoncision des incirconcis se lit en Romains 4:11-12 dans l’affirmation qu’Abraham est « père de tous ceux qui ont la foi bien qu’étant incirconcis… et aussi le père des circoncis ». Le signe que reçut Abraham à 99 ans a été donné et ordonné dans un but bien précis: qu’il soit le père des circoncis et des baptisés. Voici le commentaire de l’Institution:
… les Gentils sont enfants d’Abraham comme les Juifs… il (saint Paul) les fait pareils et d’égale dignité… Abraham a été le père des fidèles circoncis; quand la muraille a été rompue… pour donner entrée au royaume de Dieu à ceux qui en étaient forclos (Ephésiens 2:14), il a été fait aussi bien leur père, bien qu’ils ne fussent circoncis, car le baptême leur est pour circoncision14.
iv) Ephésiens 2: 11-12
Le commentaire que Calvin donne d’Ephésiens 2:11-12 met en évidence le lien des deux signes de la même alliance:
Saint Paul… met la circoncision donnée aux enfants petits d’âge, pour témoigner de la communion spirituelle avec Christ… Et de fait, que pourrait-on autrement répondre à la promesse que fait le Seigneur à ses fidèles par sa Loi, annonçant qu’il fera miséricorde à leurs enfants, pour l’amour d’eux, en mille générations?… Que ce nous soit donc un point résolu, que le Seigneur reçoit en son peuple les enfants de ceux auxquels il s’est montré Sauveur et qu’en faveur des premiers il accepte les successeurs15.
Le commentaire du verset 19 de ce chapitre décrit les conséquences de l’unité des deux sacrements:
… Combourgeois des saints, puis domestiques de Dieu… Voilà un grand honneur, que ceux qui étaient profanes auparavant, et indignes de toute communication avec les fidèles, aient maintenant un même droit de bourgeoisie avec Abraham, avec tous les Saints Patriarches, Prophètes, et Rois, voire avec les Anges même! Toutefois, l’autre honneur n’est pas moindre, à savoir que Dieu les a reçus dans sa famille car, l’Eglise est la maison de Dieu. (1 Timothée 3:15)16
v) Romains 9:8
Saint Paul use encore d’une autre forme pour établir le lien circoncision-baptême. Il distingue en Romains 9:8 les enfants de la chair des enfants de la promesse, en nommant ces derniers « postérité » (sperma) d’Abraham. Texte qui inspire au Réformateur ce commentaire:
C’est pourquoi, bien que seule l’élection du Seigneur domine en cet endroit pour distinguer les héritiers du royaume céleste d’avec ceux qui n’y ont nulle part, ce bon Dieu a voulu mettre spécialement sa miséricorde sur la lignée d’Abraham et l’attester et sceller par la circoncision. Or il y a maintenant une même raison pour les chrétiens17.
2. Ce lien si fort que saint Paul tisse entre la circoncision et le baptême contraint à considérer l’origine et le fondement de ces deux sacrements
i) Genèse 18:7-14
On les trouve en Genèse 18:7 à 14. Ce texte contient six expressions d’éternité. En suivant la version Synodale, digne héritière de la version de Genève, on découvre: d’âge en âge (versets 7 et 10); alliance perpétuelle (verset 7); à perpétuité (verset 8); de génération en génération (verset 12); alliance éternelle (verset 13). Ce que le Père a si clairement voulu, le Fils ne peut que le vouloir et l’accomplir. Au sujet de ce texte, Calvin remarque qu’« avant l’institution du baptême le peuple de Dieu avait à la place la circoncision » et relève que
comme le Seigneur en recevant la lignée d’Adam pour son peuple, ordonne qu’il soit circoncis… Nous savons… que la circoncision a eu une promesse spirituelle envers les Pères, et qu’elle est la même que celle du baptême, en leur signifiant la rémission de leur péchés, et la mortification de leur chair, pour vivre à justice.
Il conclut ainsi cette analyse « … Christ, en tant qu’il est l’accomplissement de ces choses, est le fondement du baptême, il l’est aussi de la circoncision. »18
Il faut remarquer que ce texte de la Genèse figure dans la première explication du baptême. La leçon sur le baptême du Catéchisme de 1537 se termine de cette façon:
Comme ainsi soit donc que principalement par le baptême l’alliance du Seigneur soit conférée avec nous, à bon droit nous baptisons nos enfants, étant participants de l’alliance éternelle par laquelle le Seigneur promet qu’il sera Dieu, non pas seulement de nous mais de notre semence. (Genèse 17:1-14)19
La similitude des deux signes s’explique par leur fondement unique: le Christ. La circoncision a été administrée à Abraham à l’âge de 99 ans et à l’âge adulte à tous les hommes qui l’accompagnaient. Et le même signe a aussi marqué les nourrissons mâles de huit jours. Un même signe et une même promesse donnés à des âges différents. De pareilles particularités accompagneront l’autre signe de la même alliance.
ii) Romains 4:11
En nous rappelant Romains 4:11, « Abraham reçut la signe de la circoncision, comme sceau de la justice qu’il avait obtenue par la foi… », l’on peut dessiner ainsi le cheminement spirituel du patriarche: la foi et la repentance précédant le signe. Mais le parcours des enfants d’Abraham et de tous les héritiers de la promesse est différent. Il s’ouvre par le signe, est suivi de la catéchèse, ordonnée en Deutéronome 4:6, devant déclencher la repentance et la foi.
iii) Deutéronome 10:16
La circoncision à huit jours est autant le signe de la pénitence que celle administrée à 99 ans. Dans le premier cas, elle est le signe de la pénitence qui fera entendre ses exigences tout au long de la vie du circoncis. C’est la raison pour laquelle Moïse enseigne aux circoncis en Deutéronome 10:16: « Il faut circoncire votre cœur… » et le prophète Jérémie 4:4 après lui… « circoncisez vos cœurs, hommes de Juda, habitants de Jérusalem ». La réalité du signe, gravé à huit jours en la chair, concerne toute l’existence. Sur cet aspect du signe, Calvin écrivait:
Puisque notre Seigneur a voulu que la circoncision, bien qu’elle fût sacrement de foi et pénitence, fût communiquée aux enfants, il n’y a nul inconvénient que le baptême leur soit communiqué… Car bien que les enfants ne comprissent point… ils ne laissaient point d’être circoncis en leur chair, pour la mortification intérieure de leur nature corrompue, pour la méditer et s’y étudier quand l’âge le porterait, y étant instruits dès leurs premières années20.
Dans cette conception des deux signes de l’Alliance de grâce, la place de l’initiation et de l’instruction par les parents et par l’Eglise est considérable, mais plus déterminante encore celle du Saint-Esprit: « … ils sont baptisés en foi et pénitence pour l’avenir, desquelles, bien qu’on ne voit point d’apparence, toutefois la semence y est plantée par l’opération secrète du Saint Esprit. »21 C’est l’invisible, si présent et agissant, qui légitime la circoncision à huit jours et le baptême des nourrissons. Qui ne saisit pas la place essentielle du Saint-Esprit dans la doctrine calvinienne des sacrements reste au dehors de cette synthèse et n’y peut pénétrer.
iv) Ezéchiel 16:20 et 23:27
Dans la circoncision, comme dans le baptême, Dieu s’engage. Il se déclare le Dieu des descendants de ceux que le signe a marqués. Cette participation du Seigneur apparaît nettement dans la prophétie d’Ezéchiel, où des héritiers de la promesse sont accusés de célébrer l’infâme culte de Moloch. Ezéchiel 16:20: « Tu as pris tes fils et tes filles que tu avais enfantés pour moi, et tu les as sacrifiés à ces dieux qui en ont fait leur pâture. » Ezéchiel 23:37: « … les enfants qu’elles m’ont enfantés, elles les ont fait passer par le feu pour y être consumés. »
v) Deutéronome 30:6
Dieu, qui se reconnaît le Seigneur des enfants de ceux auxquels il avait promis d’être leur Dieu et celui de leur postérité, réalise lui-même ce que le signe administré à huit jours contient. Deutéronome 30:6: « L’Eternel, ton Dieu, circoncira ton cœur et le cœur de ta postérité pour que tu aimes l’Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et que tu vives. » Le Seigneur, qui ordonne que le bébé de huit jours soit circoncis, promet de lui circoncire le cœur afin que devenu grand, il aime son Maître d’un amour sans partage. Cette alliance et son signe constituent la cheville de la loi d’Israël, au sujet de laquelle le Christ a pris nettement position en Matthieu 5:17: « Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir. » La circoncision n’est pas abolie, elle trouve son accomplissement et son épanouissement dans le signe non sanglant du baptême. Le sang de ce nouveau signe de l’Alliance de grâce étant celui du Médiateur et non plus celui du circoncis ni du sacrifice qui accompagnait l’ancien sacrement.
3. A la suite de Zwingli, la vertu de l’Alliance de grâce
A la suite de Zwingli22, Calvin a beaucoup insisté, d’une part, sur la vertu de l’Alliance de grâce dont les effets perdureront jusqu’à la Parousie et, d’autre part, sur le fait que Jésus-Christ « est descendu en terre, non pour amoindrir la grâce de Dieu son Père, mais pour épandre l’alliance de salut par tout le monde »23.
i) 1 Corinthiens 7:14
Nos enfants sont héritiers de la vie promise dès leur conception. Dieu les sanctifie dès le ventre de leur mère. 1 Corinthiens 7:14 le prouve clairement: « Car le mari non croyant est sanctifié par sa femme, et la femme non croyante est sanctifiée par le mari croyant, autrement vos enfants seraient impurs, tandis qu’ils sont saints. » Cette sainteté signifie que ces enfants font partie du Corps du Christ, dans lequel l’Esprit saint donne la sainteté. Calvin a réuni Genèse 17 et 1 Corinthiens 7 de cette façon:
… Comme les enfants des Juifs ont été appelés lignée sainte, à cause qu’ils étaient héritiers de cette alliance, et étaient ségrégés des enfants des infidèles et idolâtres: aussi les enfants des chrétiens sont dits par même raison saints, encore qu’ils ne soient engendrés que de père fidèle ou de mère, et ils sont discernés des autres par le témoignage de l’Ecriture (1 Corinthiens 7:14).
Or le Seigneur, après avoir promis à Abraham cette alliance, veut qu’elle soit attestée et scellée aux petits enfants par le sacrement extérieur (Genèse 17:12)24.
ii) Mystère intérieur des deux signes
Comparant les deux signes successifs de l’alliance, Calvin constate « qu’il n’y a pas de différence quant au mystère intérieur » et exprime ainsi l’identité:
… Comme la circoncision a été une marque aux Juifs, en reconnaissant que Dieu les recevait pour son peuple, et qu’ils l’avaient pour leur Dieu, et ainsi leur était comme la première entrée extérieure en l’Eglise de Dieu: ainsi par le baptême nous sommes premièrement reçus en l’Eglise de notre Seigneur, pour être reconnus son peuple, et faisons protestation de le vouloir avouer pour notre Dieu25.
La circoncision et donc aussi le baptême ne constituent que « la première entrée extérieure », le mystère intérieur étant réalisé dès la conception de l’enfant d’un fidèle ou de deux. Le Catéchisme de 1545, tirant une conclusion de cette distinction note: « … puisque les petits enfants sont au bénéfice de la grâce, qui constitue la réalité profonde du Baptême, il serait manifestement injuste de leur en refuser le signe extérieur qui n’est, au fond, qu’un élément secondaire. »26 Avant lui, la confession de foi de 1537 avait été aussi claire: « Or puisque nos enfants appartiennent à une telle alliance de notre Seigneur, nous sommes certains que à bon droit le signe extérieur leur est communiqué. »27
4. Unité des deux Testaments et des trois formes de l’Eglise
Cette compréhension des deux signes de l’Alliance de grâce découle d’une conception de l’unité des deux Testaments et des trois formes28 de l’Eglise en Christ, l’unique Médiateur.
Pour les anabaptistes, Dieu n’avait proposé aux Juifs, hommes mondains, que délices charnels, richesses terrestres, honneur et grande lignée. Une telle conception interdit le lien entre Israël et l’Eglise du Christ, entre la circoncision et le baptême. Au livre II de l’Institution, tenant compte de la critique anabaptiste, Calvin pose la question qu’elle suscite: « Qui osera donc priver de Christ les Juifs, auxquels nous entendons que l’alliance de l’Evangile a été faite, de laquelle le fondement unique est Christ?… » L’Ecriture lui semble rejeter catégoriquement la conception qu’il combat:
Afin de ne faire long débat d’une chose trop claire, nous avons pour cela une sentence notable du Seigneur Jésus: Abraham, dit-il, a été ému d’un grand désir de voir mon jour, il l’a vu, et s’en est réjoui (Jean 8:56). Ce qui est là, dit d’Abraham, l’apôtre le montre avoir été universel en tout le peuple fidèle, quand il dit que Christ a été hier et aujourd’hui, et sera éternellement (Hébreux 8:8). Car il ne parle pas seulement de la divinité éternelle du Christ, mais de la connaissance de sa vertu, laquelle a été toujours manifestée aux fidèles. C’est pourquoi la Vierge Marie et Zacharie, en leurs cantiques, appellent le salut qui est révélé en Christ un accomplissement des promesses, que Dieu avait faites à Abraham et aux Patriarches (Luc 1:54-55, 72-73). Si Dieu en manifestant son Christ s’est acquitté de son serment ancien, on ne peut dire que la fin de l’Ancien Testament n’ait été en Christ, et en la vie éternelle29.
5. Conception du péché originel
Elle tient une place non négligeable dans la question du baptême des nourrissons. Les luthériens comme les réformés ont dû répondre aux critiques des anabaptistes. C’est la Formule de Concorde, de la tradition sœur, qui a le mieux résumé la position rejetée des anabaptistes:
Que, devant Dieu, les enfants non baptisés ne sont pas pécheurs, mais justes et innocents, et que, dans leur état d’innocence, ils sont sauvés par le baptême dont ils n’ont nul besoin. Par conséquent, les Anabaptistes contestent et rejettent toute la doctrine du péché originel et tout ce qui en dépend30.
Calvin combat de la même façon ce pélagianisme:
… S’il est question de les laisser enfants d’Adam, on les laisse dans la mort, vu qu’il est dit qu’en Adam… nous sommes tous mortset n’avons espérance de la vie que par Christ (1 Corinthiens 15:22). Il nous faut donc avoir part en lui, pour être faits héritiers de la vie… de nature nous sommes tous sous la colère de Dieu, conçus dans le péché (Ephésiens 2:3; Psaume 41:7) lequel porte toujours la damnation avec soi… En somme, il faut que la parole de Jésus-Christ demeure véritable, où il affirme qu’il est la vie (Jean 11:25; 14:6): il nous faut donc être en lui, pour échapper à la servitude de la mort31.
6. Le baptême des nourrissons est administré dans la perspective du catéchisme et de la profession de foi
C’est ce qu’entend le Catéchisme de Genève de 1545, quand il répond à la question: « A quelle condition les enfants peuvent-ils donc être baptisés? » « Pour qu’il soit bien attesté que les enfants des fidèles sont héritiers de la bénédiction que Dieu leur a promise de génération en génération, jusqu’au jour où, devenus adultes, ils découvriront le sens profond de leur Baptême et en porteront les fruits. »32 Les Articles de 1537 exprimaient cette obligation en utilisant le verbe « devoir »: « … l’instruction des enfants, lesquels sans doute (= certainement) doivent à l’Eglise une confession de leur foi… » Pour leur permettre d’honorer cette dette, Calvin propose de remettre en vigueur l’usage de l’ancienne Eglise où « les enfants étaient enseignés de ce Catéchisme pour venir testifier à l’Eglise leur foi dont ils n’avaient pu rendre témoignage à leur baptême »33.
7. Importance des parents
Ce baptême confère une grande importance aux parents, responsables de la transmission de la foi à leur descendance. Ils sont les intermédiaires irremplaçables, les premiers et principaux catéchètes des jeunes vies que Dieu leur a confiées. La prière de la Forme d’administrer le Baptême résume bien la théologie de ce pédobaptisme:
Seigneur Dieu… puisqu’il t’a plu… nous promettre que tu seras Dieu de nous et de nos enfants… qu’il te plaise de confirmer cette grâce en l’enfant présent, engendré de père et de mère, lesquels tu as appelés en ton Eglise: et comme il t’est offert et consacré de par nous, que tu le veuilles recevoir en ta sainte protection, te déclarant être son Dieu et Sauveur, en lui remettant le péché originel, duquel est coupable toute la lignée d’Adam; puis après le sanctifiant par ton Esprit, afin que quand il viendra en âge de connaissance, il te reconnaisse et adore, comme son seul Dieu, te glorifiant en toute sa vie, pour obtenir de toi rémission de ses péchés. Et afin qu’il puisse obtenir de telles grâces, qu’il te plaise l’incorporer en la communion de notre Seigneur Jésus pour être participant de tous ses biens, comme l’un des membres de son corps…34
Ce baptême exige que les parents demandant de baptiser leur enfant soient chrétiens, ou, au moins, l’un des deux. La promesse de Dieu qui fonde le baptême des nouveau-nés ne s’adresse pas à tous les humains. C’est uniquement à ceux qui ont accepté l’Alliance de grâce que Dieu promet: je serai ton Dieu et celui de ta postérité après toi. Il convient donc, pour maintenir le sens et la valeur de ce baptême, de refuser les baptêmes « sociologiques ». A ceux qui n’ont pas accepté l’alliance, il faut refuser de baptiser leur enfant et leur proposer de le présenter à la bénédiction de Dieu lors d’un culte. Ce refus suscite la délicate question: comment savoir si les parents qui demandent un baptême ont accepté ou non l’Alliance de grâce? La tradition réformée vient en aide aux ministres en leur proposant le « jugement de charité ». Calvin le présente ainsi:
… parce que le Seigneur voyait être expédient de savoir quels sont ceux que nous devons tenir pour ses enfants… Et d’autant qu’il n’était pas besoin en cela de certitude de foi, il a mis à la place un jugement de charité, selon lequel nous devons reconnaître pour membres de l’Eglise tous ceux qui par confession de foi, par bons exemples de vie et participation aux sacrements confessent un même Dieu et un même Christ avec nous35.
Calvin enseigne le baptême d’adultes pour ceux qui n’ont pas eu le privilège de descendre d’héritiers de la promesse et celui des nourrissons pour la descendance des fidèles. Il a défendu cette vision avec certitude, comme découlant de la volonté de Dieu, contenue dans l’Ecriture, sans exprimer la moindre réserve. Il a donc combattu la conception anabaptiste, ne la tenant pas pour fidèle au dépôt des apôtres. Calvin savait que le baptême des nourrissons constitue un privilège que Dieu accorde à ses enfants. Ma femme et moi avons fait baptiser nos quatre enfants alors qu’ils étaient nouveau-nés, sans scrupules ni réserves. Nous ne sommes pas des pédobaptistes honteux. Nous ne méprisons pas les insignes dons de Dieu. Nous gardons, reconnaissants et fiers, la promesse déjà citée de Deutéronome 30:6: « L’Eternel, ton Dieu, circoncira ton cœur et le cœur de ta postérité, pour que tu aimes l’Eternel ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et que tu vives. » La promesse du Père, réalisée par le Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, est actualisée par l’Esprit saint.
Je ne puis oublier ces phrases d’un fidèle prédécesseur, le pasteur T. Fallot. Elles m’ont marqué:
J’attache la plus grande importance au baptême des petits enfants. Le baptême est le sacrement de la famille selon Dieu. Il marque l’alliance conclue entre Christ et les parents. Il fait de Christ le collaborateur des parents dans l’éducation des enfants. Il est aussi le sacrement de l’éducation chrétienne. Il est le sacrement de la solidarité. Il place les générations nouvelles au bénéfice des expériences accumulées par les générations précédentes, il fait profiter l’enfant de la foi de ses parents36.
* L. Schümmer est professeur honoraire à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles et maître de conférences à l’Université de Liège. Etude présentée le 11 février 1993 à l’Eglise protestante du Champ de Mars, à Bruxelles, et le 10 juin 1993 aux « Midis de la Bible » de l’Eglise protestante de Bruxelles-Botanique.
1L’Institution de la religion chrétienne (Marne-la-Vallée/Aix-en-Provence: Farel/Kerygma, 1978.Dans la suite, IC). Voici la liturgie proposée en IC, IV.xv.19: « … quand il y a quelqu’un à baptiser, qu’il fût présenté devant l’Eglise pour être offert à Dieu par tous avec prières; que là fût récitée la confession de foi, et ce qui est de l’usage du baptême…, que les promesses qui sont au baptême fussent là proposées et déclarées; qu’il fût après baptisé au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit; que finalement avec prières et action de grâce il fût renvoyé. » Je modernise l’orthographe du XVIe siècle et place entre parenthèses les mots obscurs.
2 Brüderliche Vereinigung in Heinold Fast, Quellen zur Geschichte des Taüfe in der Schweiz. Band II. (Zurich: Osschweiz, 1973), 26-35. Traduction française de J. Yoder et P. Widmer, Documents anabaptistes, no 4 (Bienenberg Liestal: Ecole biblique mennonite européenne).
3 Texte français, op. cit., 4. Texte allemand, op. cit., 28: « … allé kindertouff, des bapst höchsten und essten gruwel. »
4 IC, IV.xvi.27.
5 IC, IV.xvi.28.
6 2 Th 3:10.
7 Brieve Instruction… Joannis Calvin opera quae supersunt omnia (Brunswick et Berlin: ediderunt Guilelmus Baum, Eduardus Cunitz, Eduardus Reus, coll. Corpus Reformatorum, 59 vol., 1863-1900. Dans la suite, CO) CO, VII. 59.
8 CO, VII.63.
9 IC, IV.xvi.8.
10 IC, IV.xvi.8.
11 IC, IV.xvi.7. Cf. dictionnaire Bailly: to bréphos ou 1) petit d’homme ou d’animal dans le sein de sa mère; 2) enfant ou petit d’animal nouveau-né.
12 CO, VII.58.
13 IC, IV.xvi.11.
14 IC, IV.xvi.13.
15 IC, IV.xvi.15.
16 Commentaire Ephésiens, 2:19.
17 IC, IV.xvi.14.
18 IC, IV.xvi.3.
19 Joannis Calvini opera selecta (Munich: ediderunt Petrus Barth, Guilelmus Niesel, 5 vol., 1926-1952. Dans la suite, OS). OS, I. 412.
20 IC, IV.xvi.20.
21 IC, IV.xvi.20.
22 Fidei Ratio, art. 7 (1530). Traduction française de J.-F. Gounelle, « Exposé de la foi », Etudes théologiques et religieuses, 1981-3, 391: « … l’enfant est baptisé; en ce cas a précédé la promesse de Dieu, selon laquelle il considère pas moins d’Eglise nos enfants que ceux des Hébreux. En effet, quand des personnes de l’Eglise présentent un enfant, celui-ci est baptisé au nom de ce pacte selon lequel, puisqu’il est né de chrétiens, il est considéré par la promesse divine du nombre des membres de l’Eglise. »
23 La forme d’administrer le Baptême 1542. 0S, II.33.
24 IC, IV.xvi.6.
25 IC, IV.xvi.4.
26 Ed. P. Marcel, Th. Randegger (Aix-en-Provence: 1991). Q. 335, 128.
27 OS, I. 423.
28 Il s’agit des Eglises a) des Patriarches, b) de la Loi de Moïse, c) du Christ incarné.
29 IC, II.x.4.
30 Solida Declaratio. XII. 2. La Formule de Concorde, 1580 (Paris: éd. A. Jundt, 1948), 319.
31 IC, IV.xvi.17.
32 Q. 336, op. cit., 128.
33 OS, I. 375.
34 CO, VI. 188-189.
35 IC, IV.i.8. Le paragraphe se termine ainsi: « Or d’autant qu’il nous était métier de connaître le corps de l’Eglise, pour nous adjoindre à icelui, il nous l’a marqué de certaines enseignes, auxquelles l’Eglise nous apparaît évidemment comme à l’œil. »
36 Le livre de l’action bonne (Paris, 1906), 200.