L’image de Dieu
et l’altérité homme-femme
Henri Blocher
Professeur émérite de théologie systématique
Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine
« Dieu créa l’homme en son image / En l’image de Dieu il le créa / Mâle et femelle il les créa » : la dernière clause explicite-t-elle cela même qu’affirment les deux premières ? Faut-il interpréter l’une par l’autre les deux affirmations de Genèse 1.27, thèse fondamentale de l’anthropologie biblique : la création en image de Dieu et la bisexualité humaine ? Les scolastiques dénonçaient sous la formule post hoc, propter hoc (après cela, donc à cause de cela) un court-circuit méthodologique qui sur-estime la portée des juxtapositions. La contiguïté n’a pas toujours la même portée et peut n’être que fortuite. Qu’en est-il ici, dans l’ouverture grandiose de l’ensemble scripturaire ?
On ne pose pas la question dans le vide. Une proposition que j’appellerai « nouvelle lecture » circule dans le public chrétien : qui conjugue étroitement, au point de les identifier, les deux déterminations mentionnées par le texte. Cette proposition exerce un double attrait. D’une part, elle aide à résoudre un problème délicat d’interprétation : le privilège signalé par l’expression… imagée « en image de Dieu » est diversement compris, un indice sur son sens serait apprécié. D’autre part, elle vient à la rencontre des préoccupations contemporaines : l’altérité de l’homme (au sens masculin) et de la femme est un des sujets les plus controversés du temps présent.
J’invite le lecteur à suivre un chemin plus ou moins parabolique : d’abord (I), se rappeler ce qu’il en est de la « nouvelle lecture » ; à peser (II) le pour et le contre du point de vue de l’exégèse et de la théologie ; à chercher enfin (III), puisqu’il nous faudra prendre nos distances, si on ne peut pas en retenir, sous une forme plus subtile et moins directe, le discernement d’un lien. Un lien, dans l’harmonie de l’œuvre créatrice, entre l’image divine et la différenciation des sexes.
1. La « nouvelle » lecture
Je mets des guillemets pour qualifier de « nouvelle » la lecture de Genèse 1.27 qui trouve dans la troisième clause la clé qui ouvre à l’intelligence de la première partie du verset : car elle n’est pas de la dernière pluie ! Elle aura même, je le soupçonne, quelque chose d’antédiluvien aux yeux de plusieurs ! Mais qu’est-ce qu’un siècle, un peu moins, à l’échelle de l’histoire de l’Eglise ? Si quelqu’un y a pensé avant le xxe siècle, il n’a pas réussi à laisser son nom dans les annales. La proposition est une nouveauté de la modernité tardive.
Pour ceux qui révèrent la tradition, c’est une raison de se tenir sur ses gardes. L’énorme changement d’attitude à l’égard de la sexualité au xxe siècle semble bien avoir joué, sinon dans la conception de la « nouvelle » interprétation, du moins dans l’accueil favorable qu’elle a reçu. Ce qu’on appelle la « libération » de la sexualité, en tout cas sa valorisation extrême (qui comporte, en sa doublure, une charge d’angoisse) a permis d’associer le sexe et l’image de Dieu comme il était impensable auparavant. La proposition est bien de son temps. Sa « nouveauté » n’est pas condamnée pour autant. La tradition, si vénérable qu’elle soit, n’est pas infaillible. L’attitude qui a prédominé si longtemps dans le christianisme a été marquée par l’efficace d’une contre-sexualité réellement très peu biblique (on peut assez « objectivement » en convenir) ; du coup le renversement de cette attitude peut avoir libéré la compréhension de Genèse 1.27.
C’est à Karl Barth, le géant théologique de son époque, assez puissant pour échapper à l’oubli, qu’elle doit le crédit qu’elle possède. Il indique lui-même les précurseurs qu’il a eus. Wilhelm Vischer, qui enseignait l’Ancien Testament à la Faculté libre de théologie protestante de Montpellier (je l’ai entendu une fois y donner cours), l’a insinuée dans son traitement audacieusement allégorique du Pentateuque. Le jeune Dietrich Bonhoeffer, privat-dozent1 à l’Université de Berlin, a poussé plus loin dans son cours du trimestre d’hiver 1932-1933 sur « la Création et la chute ». Karl Barth reprend l’idée, la déploie, la systématise. C’est un élément du prodigieux commentaire théologique du début de la Genèse qu’il offre, sur des centaines de pages, en première partie de sa « doctrine de la création »2. Il pose comme une évidence que Genèse 1.27c livre la clé de 1.27ab : « “Il les créa homme et femme”, telle est l’interprétation donnée aussitôt ici de la phrase : “Dieu créa l’homme”. C’est en ce sens […] que l’homme est créé aussi et lui seul “à l’image” et “selon la ressemblance” de Dieu. »3 Pourquoi la tradition est-elle passée à côté ? « [P]eut-être a-t-on jugé par trop mesquine, banale, superficielle ou même moralement scabreuse, une ressemblance avec Dieu s’exprimant simplement et précisément par l’existence de l’être humain en tant qu’homme et femme. »4 Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ? « D’après Gen. 1, sans aucun doute, ceci seulement : la différenciation sexuelle est justement la seule dans laquelle l’homme soit créé […] comme Dieu est un et qu’il est seul Dieu, l’être humain en tant que tel est lui aussi et seul de son espèce ; il n’est deux que dans la dualité de son semblable, que dans le couple homme-femme. C’est ainsi qu’il est l’image et le reflet de Dieu. »5 Le commentaire sur Genèse 2.18-25, un peu plus loin, illustre avec magnificence (à couper le souffle) la compréhension barthienne du sujet6.
Sur la genèse de cette interprétation de la Genèse deux précisions, qu’on peut estimer des « détails » mais non dénués d’importance, méritent mention. Barth nomme encore un autre précurseur, antérieur aux deux autres : le théologien réformé original, Hollandais de naissance mais connu surtout comme pasteur à Elberfeld, Herman[n] Kohlbrügge (1803-1875)7. Celui-ci a réagi contre le subjectivisme piétiste. On peut penser qu’il a influencé Karl Barth dans l’attribution d’une sorte de sur-objectivité aux événements clés du salut (Geschichte au-dessus du plan de l’Historie). Or, par le truchement de sa mère, l’influence de Kohlbrügge a aussi touché le « néo-calviniste » Herman Dooyeweerd8. Cette influence a-t-elle joué dans la thèse dooyeweerdienne, discutée, d’une sphère supra-temporelle d’événementialité (occurrence) où se livre le combat des deux Cités ?9 La comparaison avec Barth pourrait valoir le détour.
On sait, d’autre part, que la Dogmatique n’est pas l’œuvre du seul grand Karl : mais, dans une fusion des esprits qui rend indissociables l’apport de l’un et l’apport de l’autre, elle l’est aussi bien de la brillante théologienne Charlotte von Kirschbaum. S’il est une section de la Dogmatique qui doit beaucoup à cet auteur caché, c’est, en toute probabilité, celle que nous considérons. Malgré le malaise que suscite ce rappel, je salue l’honnêteté du traitement : je ne vois rien qui gauchisse l’interprétation dans le sens d’une justification ou seulement d’une excuse de l’adultère.
Il ne faudrait pas simplifier à l’excès ou aplatir la pensée de Barth sur l’image de Dieu et la bisexualité humaine (si c’est trop facile à comprendre, est-ce encore barthien ?)10. « L’image de Dieu n’est pas une qualité de l’homme »11, comme on ne peut guère le nier de la sexualité. Et Barth de continuer : « Il est donc vain de chercher dans quel attributs ou comportements particuliers de l’homme elle pourrait consister. Elle ne consiste en rien de ce que l’homme est ou fait. »12 « C’est parce que l’être humain est créé, et non parce qu’il est à l’image de Dieu, que cette différence et cette relation ont cette forme précise, qui correspond à la bisexualité animale. »13 On est plus près d’une vocation que la situation de co-existence adresserait à l’homme et à la femme. Les autres créatures, mâles et femelles, sont bien placées à côté les unes des autres et capables, jusqu’à un certain point, de s’associer, l’homme et la femme seuls sont appelés au vis-à-vis, et à être l’un pour l’autre14. Surtout, cette relation ne se réalise vraiment qu’en Christ. C’est lui qui est l’homme « image et gloire de Dieu » dont parle Paul (1Co 11.7), et il l’est avec l’Eglise, la Femme15. Cette compréhension concorde avec la thèse anthropologique centrale de Karl Barth, qu’il développe plus loin, sur Jésus-Christ seul homme réel, et avec la thèse de même portée selon laquelle Jésus-Christ est le véritable premier Adam : « Le dernier homme, qui a marqué l’accomplissement de cette espérance, était déjà le premier. »16
En quoi le vis-à-vis de l’homme et de la femme, premièrement et finalement du Christ et de l’Eglise, s’associe-t-il avec la pensée de l’image et ressemblance divine ? Karl Barth s’explique sans équivoque : le tertium comparationis, le terme qui permet de parler d’analogie, « est très simplement l’existence comprise comme une relation entre un “je” et un “tu” qui se font face »17. Il développe ainsi sa thèse :
Il y a dans l’être et le domaine propres à Dieu un vis-à-vis : une façon réelle, mais harmonieuse de se rencontrer […]. L’homme est précisément une répétition de cette forme divine de vie, son image et sa copie. Il l’est en étant le vis-à-vis de Dieu, en sorte que la rencontre qui a lieu en Dieu lui-même se reproduit et se reflète dans la relation de Dieu avec l’homme. Et il l’est aussi en étant lui-même le vis-à-vis de son semblable, et en trouvant dans son semblable son propre vis-à-vis, de sorte que la communion d’être et d’action qui se trouve en Dieu lui-même se répète dans les relations d’homme à homme [d’abord d’homme à femme et de femme à homme]18.
Le vis-à-vis intra-divin suppose la Trinité. Karl Barth n’hésite pas à en tirer la révélation, à la manière des Pères de l’Eglise, du pluriel faisons en Genèse 1.2619. Il ose parler d’« une délibération entre plusieurs conseillers divins »20. Il discerne dans la « non-solitude » [Nicht-Einsamkeit] de Dieu le fondement même de la capacité créatrice : « Il est un, et non simplement une unité : c’est pourquoi il peut devenir Créateur, et donc avoir un vis-à-vis en dehors de lui-même, sans entrer en contradiction avec son essence intime, mais au contraire en la confirmant et en la glorifiant. »21 La même structure s’observe trois fois : en Dieu, dans le rapport du Père et du Fils (Barth évite cependant ces noms dans les pages considérées) ; dans le rapport de Dieu et de l’être humain ; entre l’homme et la femme. Cette troisième fois est requise pour que l’humain soit tout à fait lui-même dans la relation avec Dieu (l’alliance) : « Pour être le partenaire de Dieu dans cette alliance, l’homme a lui-même besoin d’un partenaire. »22 La pensée se confirme dans cette proposition quelque peu étonnante sous la signature de l’auteur du Nein ! à Brunner : « L’homme doit être formellement préparé à la grâce par sa nature. »23
La théologie trinitaire de Karl Barth marque ici davantage la distinction des « Personnes » que l’interprétation bien connue du premier tome de la Dogmatique (I/1* dans l’édition française)24. Elle s’accorde ainsi avec le dogme reçu, comme aussi dans ces précisions : « La différence et la relation entre le “je” et le “tu” au sein de l’essence divine, dans le cadre des Elohims, ne sont pas identiques à la différence et la relation existant entre l’homme et la femme », car, au plan humain, elles « caractérisent deux individus différents, alors qu’en Dieu un seul et même individu inclut ce rapport »25. Le rapport établi entre la génération du Fils et la possibilité de la création est lui aussi traditionnel. Thomas d’Aquin enseignait déjà : « affirmer que Dieu a tout fait par son Verbe, c’est rejeter l’erreur selon laquelle Dieu a produit les choses par nécessité de nature »26 ; « les divines Personnes, en raison de leur procession même, ont une causalité touchant à la création des choses […] les processions des Personnes sont les raisons de la production des créatures »27. Le trait par lequel la Trinité selon Barth s’éloigne le plus de la doctrine traditionnelle, en particulier réformée, demeure voilé dans la section sur la création à l’image : Barth ne fait pas ressortir son refus, si énergique en d’autres endroits, de toute pensée du Logos simplement Dieu, sans la chair (asarkos). Et ce trait modifie sensiblement la confession de la Trinité ! Le vis-à-vis intra-divin doit distinguer de Dieu, pour lui, le Dieu-Fils de l’Incarnation, le Dieu-homme (peut-être incarnandus plutôt qu’incarnatus, mais cela revient théologiquement au même, car c’est alors l’Incarnation qui définit le rapport trinitaire). Les barthiens américains s’opposent les uns aux autres sur les implications ontologiques de cet élément central et capital de la pensée, mais son importance ne saurait être mise en doute28.
2. Par le filtre de l’exégèse théologique
L’interprétation barthienne de la création à l’image de de Dieu, auréolée du prestige de son auteur, portée par son éloquence seigneuriale, a conquis quelques théologiens renommés. Hans Urs von Balthasar l’a retenue de ses échanges bâlois avec le dogmaticien réformé : il souligne que Dieu crée le genre humain mâle et femelle pour qu’il soit « un dans la dualité des sexes », et il joue lui aussi du Je et du Tu29. Globalement, toutefois, les exégètes n’ont pas suivi. Le tableau que brosse Paul-E. Dion selon le genre récapitulatif et panoramique de son article le montre de façon convaincante30. Barth laisse trop libre cours à son inventivité pour qu’une science responsable valide sa proposition. Les traitements plus élaborés en direction de la systématique, nombreux au cours des dernières décennies, ne reconnaissent plus guère de crédit à son option trop originale31.
La force de la lecture barthienne réside dans l’exploitation, à travers l’Ecriture entière, de la métaphore conjugale pour l’alliance entre Dieu et l’humanité : c’est un filon de théologie biblique, dont Barth fait briller la richesse. Mais faire de la dernière clause de Genèse 1.27 la clé du sens de l’expression d’abord répétée « Dieu créa l’homme à (ou en, comme on va voir) son image » est un coup de force. Barth ne tente même pas de justifier la relation qu’il pose. Il l’assène comme une évidence. Or elle ne vient pas naturellement à l’esprit du lecteur. Le contexte suggère une préparation de la bénédiction-commandement qui va suivre : Multipliez32. Plusieurs auteurs ont vu l’intention de marquer la participation de la femme au privilège relatif à l’image, ce qui est à la fois attrayant et significatif33. Sans autre explication, le rapprochement entre l’image de Dieu et la bisexualité aurait été perçu par les « yahvistes » fidèles comme un danger capital, alors qu’ils luttaient contre les dieux païens souvent représentés en couples, le dieu mâle et sa parèdre : les fameuses inscriptions de Kuntillet ՙAjrud et de Khirbet el-Qom qui associent YHWH et une ʼašérâ, même si les experts divergent sur le sens exact, montrent sans doute que la tentation était présente34. Décidément, le tir de Karl Barth est loin d’atteindre la cible ! Quant à l’identification de l’homme de 1 Corinthiens 11.7 avec Jésus-Christ, elle est l’exemple de l’insertion forcée d’un sens préconçu, dans un texte violenté. Le renversement de l’ordre des Adam (Jésus-Christ le véritable Premier) appartient, lui, au cœur de la pensée barthienne, il est solidaire de la « concentration christologique » – que j’ai suffisamment commentée ailleurs.
Sur le « faisons » de Genèse 1.26, Karl Barth mérite, cependant, d’être entendu. Certes, nous devons nous garder du court-circuit anachronique : le mystère de la Trinité n’est pas encore enseigné, le dogme n’est pas encore thématisé. Mais il n’y a pas lieu non plus de couper l’exégèse de la dogmatique : celle-ci appartient au « cercle herméneutique ». Les compléments selon que la révélation est progressive et la réflexion systématique ultérieure permettent de discerner la vérité au stade germinal, embryonnaire, là où elle n’était pas « obvie ». L’interprétation du passage particulier n’a pas à se priver de l’assistance du tout canonique quand celle-ci repère la suggestion d’une vérité qui sera révélée plus tard. Ainsi pour le « faisons » divin relatif à la création de l’humanité. C’est un exégète très respecté, Paul Beauchamp, qui osait percevoir dans le pluriel qui étonne « l’aurore lointaine d’une révélation trinitaire »35. L’autre option, qui est celle de beaucoup, imagine que Dieu s’adresse aux anges (le raffinement parfaitement maîtrisé de la rédaction exclut, bien entendu, l’idée d’un résidu polythéiste mal éliminé). On peut trouver Calvin trop brutal, selon l’usage de son temps, quand il écrit : « Les Juifs sont vraiment ridicules quand ils imaginent que Dieu a adressé la parole à la terre et aux anges » (Commentaire sur la Genèse, ad loc.), mais de toute la Bible ressort que Dieu seul crée (cf. Es 44.24). On est déçu de voir un Gordon J. Wenham basculer du côté de l’interprétation « angélique » (il parle de la « cour céleste »), alors même qu’il note le singulier au verset 27, suggérant « que Dieu a œuvré seul à la création de l’humanité »36. L’idée de David J. Clines selon laquelle Dieu s’adresse à son Esprit, introduit au verset 2, n’a guère été reprise37, mais on aboutit à un résultat fort proche quand, avec un bon nombre d’auteurs, on comprend le « faisons » comme un cohortatif de la délibération avec soi-même – attesté en hébreu38. En effet, la réflexion théologique permet d’entrevoir que la délibération avec soi-même n’est possible pour l’Absolu, donc absolument un, que s’il connaît en lui-même une différenciation absolue – dont seul rend compte le modèle de la Trinité. Si les processions trinitaires fondent bien, comme la tradition l’admet, la production ad extra qu’on appelle création, le vis-à-vis intra-divin se reflète dans le vis-à-vis de Dieu et de l’humanité. Sur cette analogie, on peut suivre Barth.
Un point particulier, et quelque peu technique, d’exégèse mérite aussi qu’on s’y arrête. Karl Barth ne veut situer qu’en Dieu l’image (Bild), et traduit, en insistant, « à son image, selon sa ressemblance » pour éloigner de l’homme toute pensée de possession. Mais les prépositions-préfixes de l’original, be et ke, susceptibles d’emplois variés, peuvent, au contraire, signifier que l’homme est l’image, la ressemblance vivante et concrétisée. On peut comprendre « Dieu créa l’homme en son image, pour qu’il soit son image, comme sa ressemblance » avec les prépositions françaises en et comme au service de l’identification. Les grammairiens de l’hébreu biblique parlent de beth [be] essentiae et de kaf [ke] veritatis. Des autorités de poids les reconnaissent ici (Gn 1.26s.)39. Ils sont, toutefois, une minorité parmi les exégètes contemporains : à cause de l’influence d’un article qui plaide en sens contraire et qu’a publié ׅJames Barr40. Celui-ci a découvert le parallèle grammatical le plus proche dans le livre de l’Exode, dans la recommandation faite à Moïse de faire les objets du culte selon (be) le modèle qu’il a vu sur la montagne (Ex 25.40). La préposition y a certainement le sens que lui attribue Karl Barth dans la Genèse.
L’argument de J. Barr n’est nullement négligeable. Est-il, cependant, décisif ? Son appui est fort restreint (aucun exemple en dehors de la section de l’Exode). Le texte qu’il invoque ne porte pas les mêmes mots (que Gn 1.26s.) : si « faire » équivaut à « créer », le terme conjoint (tavnît), littéralement « structure », n’a pas le même usage et les mêmes connotations que ṣèlèm, « image »41. Ce qu’ajoute Wenham est étrange : « Que les prépositions ב [be] etכ [ke] soient interchangeables en Genèse 5.1.3, spécialement avec les mots “image” et “ressemblance”, rend l’option [de Clines] intenable »42 ; il semble, au contraire, que les deux prépositions soient interchangeables quand elles sont essentiae et veritatis43, comme les prend Clines. Trois considérations contrebalancent, et au-delà, ce qui reste de force à l’argument de Barr. Le mot ṣèlèm, tout d’abord, ne désigne nulle part le modèle dont copie serait faite : deux fois, c’est une simple forme, une ombre (Ps 39.7 ; Ps 73.20), et toutes les autres fois, en dehors de la Genèse, c’est une effigie, une statue, l’image qui représente. On le trouve, ensuite, et souvent associé à « ressemblance », dans de nombreux textes de Mésopotamie (mêmes racines) et d’Egypte (équivalents) à la gloire des rois et autres pharaons : ils sont célébrés comme étant les images des divinités, qu’ils représentent. De nombreux auteurs ont perçu l’importance de cette donnée, et quelques-uns ont parlé de démocratisation : la Genèse étend à tout être humain comme tel ce que s’attribuaient les potentats païens44. Enfin, on relève que l’apôtre Paul, qui a le droit d’intervenir dans le débat à plus d’un titre, laisse tomber la préposition : l’homme est l’image de Dieu (1Co 11.7)45.
Les textes royaux que nous venons d’évoquer associent un autre titre à celui d’image : le roi, le pharaon, est dit fils du dieu. Cette pensée aurait-elle sa place dans l’interprétation de la Genèse ? Le chapitre 5 (v. 1) rappelle la grande déclaration du chapitre 1, et il enchaîne (v. 3) avec l’engendrement par Adam de son fils « en sa ressemblance et comme son image » ! La reprise des deux mots clés, avec les deux mêmes prépositions permutées (car interchangeables dans le sens préconisé), rend évidente la volonté de référence. Si le texte livre un indice sur le sens de la formule, ce doit être ici ! Quoi de plus simple que de comprendre la production par Dieu de son image selon l’analogie de la génération ? Où l’homme trouve-t-il son image et ressemblance vivante sinon en son fils ? Dieu crée l’être humain comme un quasi-fils terrestre. Quasi : pour tenir compte de la retenue du texte, qui ne prononce pas le mot « fils » – sans doute pour prévenir tout glissement panthéistique46.
La proximité des titres d’Image et de Fils se confirme quand on les considère dans leur attribution suréminente : à Dieu le Fils qui est l’Image de Dieu dans la Trinité, la parfaite expression du Père47. Le Fils est éternellement l’Image du Père, dans l’unité et l’égalité divine. Dieu crée l’être humain comme son quasi-fils en Adam. Le Fils devient fils d’Adam pour notre salut, image à la fois dans sa divinité et dans son humanité ; notre union avec lui, avec naissance d’En Haut, nous restaure comme images (Col 3.10) et fait plus encore : elle nous fait fils dans le Fils (le quasi n’est plus nécessaire).
Les recoupements bibliques donnent une pleine assurance – en laquelle on peut et on doit laisser de côté l’interprétation barthienne.
3. Raisons de chercher plus loin
Et pourtant… Si l’on ne peut pas tenir la différenciation des sexes comme explicative de la création de l’humanité en image de Dieu, n’y a-t-il pas un lien entre les deux dispositions ? Certaines raisons invitent à sa recherche. Les deux sont affirmées conjointement dans « la thèse fondamentale de l’anthropologie biblique » (comme nous l’avons appelée). C’est le signe de l’importance aux yeux de Dieu de l’altérité homme-femme. La sexualité, création de Dieu, est une vérité de portée existentielle majeure : contre la sacralisation idolâtrique comme contre l’exécration du sexe ; pour sa réception avec action de grâces (cf. 1Tm 4.3s.) et sa subordination bienfaisante à l’ordre de la sagesse de Dieu, à ses lois et institutions. Mais au-delà ? L’homogénéité de l’œuvre de Dieu, qui reflète son unité même, laisse présumer une relation entre la première vérité anthropologique de Genèse 1.27 et la seconde.
La seconde « tablette » de la Genèse, qui décrit à nouveau, comme « en gros plan », la création de l’humanité, encourage, elle aussi, à chercher – en conjoignant les deux dispositions. A la création en image de Dieu, qui distingue l’humanité des autres créatures terrestres, correspond la procédure spéciale de Dieu : façonné à partir de la terre comme les animaux, l’homme reçoit de Dieu un souffle, une « inspiration » (nešàmâ), comme il n’est pas donné aux animaux (2.7, 19). Au vis-à-vis de Dieu et de son quasi-fils correspondent le soin généreux, paternel, que Dieu prend de sa créature (Eden) et l’établissement en responsabilité, assorti d’une sorte de charte d’alliance (2.16s.). La délibération spéciale de Dieu introduit maintenant la création de la femme. Le jugement négatif, « Il n’est pas bon » (2.18) montre alors que la création de la bisexualité est nécessaire à celle de l’humanité : ce qui lie étroitement nos deux thèmes. Ce jugement s’abattrait sur Adam s’il prétendait à la complétude, et de cette façon on peut estimer que la différence de la femme lui rappelle sa limite, et lui signifie son statut de créature. Bonhoeffer a discerné dans la femme la limite de l’homme qui a pris forme, limite qui est bonne et que l’homme ne peut porter qu’en l’aimant48. Jean-François Collange pousse encore plus loin : « Manger du fruit défendu serait alors, d’une certaine manière, manger Eve elle-même, la dévorer, la détruire ou du moins la blesser dans son identité propre, porter atteinte à son altérité. »49 Si la différence homme-femme implique à ce point la condition créaturelle des humains, il doit y avoir un lien avec la création en image de Dieu.
La structure même de Genèse 1 appelle un examen supplémentaire. A l’énoncé fondamental sur l’humanité succède la séquence de bénédiction-commandement. Or celle-ci est double, comme la vérité de 1.27 : multipliez, assujettissez. Le pouvoir de se reproduire et de croître numériquement ne se dissocie pas (on l’a mentionné) de la dualité des sexes. La tâche culturelle et la domination (chantée par le Ps 8) convient à l’image vivante du Seigneur. C’est gauchir les perspectives que de faire de la domination le contenu même de l’être en image, mais son corollaire, elle l’est en effet : en bonne grammaire hébraïque, on a le droit de donner une nuance finale à la conjonction, « Faisons l’homme en notre image, comme notre ressemblance, pour qu’ils dominent… ». Or selon ces deux lignes la vocation de l’humanité revient à imiter le Créateur, opérer comme son image. On le dira en français : il s’agit d’une part de pro-créer, d’autre part de para-créer. L’assujettissement de la terre, pour sa mise en valeur, son épanouissement à la gloire de Dieu, se fonde sur l’œuvre de Dieu, fait jouer les lois qu’il a instituées, et fait advenir des floraisons de relative nouveauté : ce n’est pas une création au sens strict (rien ne surgit ex nihilo), mais une para-création imageante. L’activité humaine propose une image de celle de Dieu – et c’est pourquoi l’œuvre créatrice nous est présentée comme une semaine de travail (Gn 1). Et la procréation ? Ce mystère qui émerveille l’Eve de Genèse 4.1 imite bien Dieu qui, en créant, met au monde de quasi-fils et filles ! Ces liens suggèrent qu’on ne peut pas séparer les deux dispositions de Genèse 1.27. Admirons, au passage, les équilibres bibliques : les deux vocations s’adressent à l’homme et à la femme ensemble, et les deux sexes collaborent pour y répondre ; mais le rôle de l’homme ressort davantage pour la para-création (qui devient pénible après la désobéissance, 3.17-19), et le rôle de la femme dans la procréation (qui devient pénible après la désobéissance, 3.16)…
La richesse de la présentation métaphorique, voire allégorique, de l’alliance comme mariage, avec ramifications, cette richesse si bien déployée par Karl Barth, incite pareillement à chercher le rapport entre la création en image de Dieu et l’altérité homme-femme.
4. Propositions en « pointillés »
Les « faits » bibliques repérés, il est permis de former des hypothèses sur les connexions qu’ils ont entre eux. C’est la tâche « spéculative » de la théologie : le mot vient de speculum, « miroir », et désigne la tentative de « voir » dans le miroir scripturaire les relations qui réjouissent l’intelligence et permettent la louange de la sagesse de Dieu. Mais les hypothèses n’ont pas la certitude des données elles-mêmes (objet de l’exégèse). Leur probabilité est variable. Si les contours des faits sont tracés d’un trait ferme et continu, c’est en « pointillé » qu’on dessine les lignes « spéculatives » qui les relient.
Comment déplier la signification du fait premier, la création en image de Dieu ? Nous la voyons rayonner dans trois directions principales. La notion d’image, d’abord, pose une relation. L’image est dépendance et dérivation d’un original. Elle est forcément seconde. Elle s’abolit si elle se veut définie par elle-même, à partir d’elle-même (per se, a se). Il en est bien ainsi de l’humanité. Si le culte du « relationnel » qui est à la mode de nos jours nous agace (et tient parfois plus du slogan que de la pensée), il ne faut pas qu’une réaction épidermique nous détourne de cette vérité anthropologique indéniable : l’humain se définit par la relation à Dieu. On a pu parler d’une excentricité caractéristique. L’humain n’a pas en lui-même le centre de sa vie, mais en l’Autre. On a paraphrasé de multiples manières. C’est le cœur inquiet (sans repos) d’Augustin qui ne s’apaise qu’en Dieu. C’est le sensus divinitatis présent en tout homme selon Calvin50, même chez ceux qui font tous leurs efforts pour le supprimer (j’évoque volontiers le mécanisme du refoulement, ici spirituel). C’est l’abîme infini en l’homme selon Pascal, que Dieu seul comble. Je suggère que l’efficacité de l’argument ontologique (d’Anselme et de son Proslogium) consiste à faire venir à la surface cette disposition constitutive. On pourrait représenter l’être de la créature et suprêmement de la créature-image comme fléché, et non pas comme un cercle refermé sur lui-même – dans les mots de Dooyeweerd, il est « sens » (zin) et non pas « être » (zijn)51.
La relation avec la Transcendance a pour corollaire, seconde implication, une transcendance de l’homme par rapport à son environnement. Emmanuel Mounier, le fondateur du mouvement « personnaliste », proposait « transproscendance »52. L’humain dépasse (ce qui est le sens de « transcender », dépasser en montant). Il a la capacité toujours de s’interroger au-delà, de poser la question « et après ? », de s’affranchir des limites de sa situation particulière, de dire son insatisfaction du terrestre. Il ne peut pas ne pas se rapporter aux « transcendantaux », comme on les appelait, le Vrai, le Bien, le Beau, dont l’ici-bas n’offre que des reflets inférieurs. Il a dans le cœur l’éternité, bien qu’à son rang de créature, comme l’énonce l’Ecclésiaste (Qo 3.11). La fonction symbolique déjà, essentielle au langage, mobilise le pouvoir de décoller des choses, de s’élever au-dessus du moment présent. Comme image d’un Dieu distinct du monde, l’homme dans le monde se distingue du monde.
Mais l’homme reste dans le monde, troisième observation qui donne à penser. L’image implique aussi la distance. Si on développe la métaphore, il lui faut un miroir pour se former (et qui ne colle pas à l’objet). C’est comme le « terrien », ʼàdàm tiré de la ʼadàmâ, que l’homme est créé (en) image de Dieu. Si nettement que son privilège l’ouvre à la Transcendance et la communication divine, il reste une créature terrestre. L’écart du ciel et de la terre n’est pas aboli (Qo 5.1b), mais intégré. Comme Dieu règne au ciel, l’humain régnera sur la terre. Peut-être même l’entourage des animaux correspond-il à celui des anges pour le Seigneur : l’entourage double de Jésus au désert suggérerait alors la dualité de ses natures (Mc 1.13) ! Cette structure, qui confirme le vis-à-vis de l’alliance, exige que l’ensemble dont fait partie la créature-image ait une forte consistance, son propre fonctionnement (une certaine « autonomie » au sens faible de ce mot). Elle empêche que la dualité caractéristique de l’humanité (transcendance, appartenance « charnelle » au terrestre) se durcisse en dualisme. Elle explique aussi pourquoi les anges ne sont jamais dits « en image de Dieu » dans toute l’Ecriture53 : ils sont trop près, voltigeant dans le rayonnement immédiat de la Gloire.
L’accent sur la consistance de la créature-image au plan où Dieu l’a placée permet de faire un pas de plus, décisif. Ce pas, Karl Barth n’est pas loin de le faire – il faut lui rendre cette justice. L’humain est « excentricité », son « centre » étant en Dieu. Il n’est vraiment lui-même que lorsqu’il reçoit tout de Dieu et se donne lui-même à Dieu en hommage reconnaissant, dans le vis-à-vis de l’alliance. Mais pour qu’alors il soit aussi lui-même dans sa consistance propre, terrestre, ne faut-il pas qu’il vive selon une semblable structure, « excentricité », sa vie terrestre ? Les indications sont suffisantes pour que nous disions : c’est ainsi que Dieu en a décidé. Chaque être humain est placé dans une relation constitutive avec l’autre personne, qui sert comme de parabole ou de projection (au sens géométrique) de la relation constitutive avec Dieu. Il apprend déjà dans ses relations humaines ce qui est vrai de son rapport à Dieu. Parce qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul dans l’être, « sans Dieu dans le monde », Dieu a dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » dans ses relations terrestres.
Ce discernement s’accorde avec la logique de Jésus quand il ajoute le second commandement au premier, et comme lui étant semblable (Mt 22.39) : l’amour du prochain est comme la projection géométrique de l’amour pour Dieu. Ne serait-ce pas, d’ailleurs, une intention de la thèse de Genèse 1.27 ? Que nous voyions dans l’être humain qui nous fait face l’image de Dieu ! Les hommes en général fabriquent des images de leurs dieux pour les servir et déposer leurs offrandes – et le Seigneur déclare : mon image, c’est moi qui l’ai faite, et tu lui rendras le service que tu veux me rendre : c’est le prochain sur ta route ! On rejoint le thème du Je et du Tu auquel Barth donne tant de place54.
Le vis-à-vis de chacun avec le prochain n’est pas encore celui de l’homme et de la femme. Pour relier les objets de notre réflexion, il faut prolonger un peu le pointillé.
Un premier commentaire souligne que les deux structures relationnelles ne s’opposent pas, ni ne se font concurrence. Celle de l’homme et de la femme vaut comme « cas particulier » de celle qui englobe tous les sujets. Le point mérite d’autant plus le rappel que l’Ecriture met l’accent sur la communauté de nature, « os de mes os, chair de ma chair », avec la participation conjointe au statut d’image de Dieu. La chose n’allait pas de soi pour les cultures de l’époque ! Dans ce sens, Christiana De Groot a raison de qualifier de secondaire la différenciation des sexes55. L’homme et la femme se font d’abord face comme deux sujets, à la fois terriens et doués de « transproscendance » : leur rencontre est affrontement de libertés, sous l’horizon du Vrai, du Bien et du Beau, avec vocation d’alliance.
La formule « mâle et femelle », à la place qui lui échoit, attire l’attention sur la différence. On irait violemment contre le texte si on tentait de minimiser son importance. On peut plaider que le vis-à-vis ainsi marqué n’est pas seulement le cas particulier mais l’exemple excellent du rapport au prochain : celui qui en établit la nécessité, en épanouit la richesse, en montre la correspondance avec l’excentricité de l’humain dans le rapport à Dieu.
Qu’un individu soit ou bien XX, ou bien XY, atteste la nécessité du rapport à l’autre. La division des sexes fait qu’aucun individu ne peut s’imaginer représenter tout l’humain : son sexe tel qu’il fonctionne (sauf pathologie) l’envoie à l’autre sexe. L’homme et la femme ont besoin l’un de l’autre, besoin de collaborer : au moins pour procréer, enjeu vital s’il en est pour la survie de l’humanité même !
Que cette nécessité implique différence perfectionne le vis-à-vis. On peut imaginer deux individus identiques qui auraient radicalement besoin l’un de l’autre, mais leur rencontre risquerait fort, soit de dégénérer en conflit (crise mimétique des doubles), soit d’aboutir en fusion trop peu différenciée, comme il arrive avec des jumeaux. La différence, anatomique, psychologique, culturelle, du masculin et du féminin (sur fond de nature commune) fait advenir une réalité nouvelle, qui a sa structure vivante propre. Ici s’insère la pensée de la complémentarité – la notion est d’un maniement assez délicat, car elle peut faire oublier la vérité de la nature commune, mais elle a sa pertinence. Même en Genèse 2, si la seule similitude avait été en cause, la formule aurait été « une aide comme lui », ce qu’il était facile de dire en hébreu56 ; « comme son vis-à-vis » suggère une différence de complémentarité, renforcée par l’idée d’aide. « Mâle et femelle » suscite probablement la même pensée57. Une étude plus détaillée des caractères sexuels différenciateurs, primaires et secondaires, montrerait comment ils contribuent à l’union différenciée la plus riche (cf. Gn 2.24).
Grâce à la différence entre eux, le vis-à-vis de l’homme et de la femme est dissymétrique – comme celui de Dieu et de son image. Si l’on pose que l’homme, pour être pleinement lui-même dans son rapport à Dieu, doit inscrire dans sa chair, au plan terrestre, la structure de ce rapport, la dissymétrie est requise. La spécification bisexuelle de la relation avec le prochain, qui serait sans cela symétrique, joue donc un rôle essentiel. L’usage de la métaphore conjugale, avec ses ramifications, pour l’alliance de YHWH avec Israël, du Seigneur Christ avec son Eglise, élabore et confirme ce lien de l’altérité homme-femme avec la création de l’humain en image de Dieu.
Du coup, ressort aussi le sens des multiples refus et déformations de cette altérité – comme créée par Dieu et voulue de lui. L’apôtre, dans le premier chapitre aux Romains, met en lumière la connivence spirituelle profonde entre l’idolâtrie et l’union homosexuelle (Rm 1.22, 25-27 surtout) : en celle-là, l’union bafoue l’altérité du Créateur et de la créature ; en celle-ci, l’altérité du masculin et du féminin. On pourrait dire à peu près la même chose de la zoophilie, et, au-delà, de toutes les « aberrations » (Abirrungen) sexuelles et « déviations » (Abweichungen) d’objet et de but, comme Sigmund Freud les appelle58. On doit y ajouter le mythe de l’androgyne. On le rencontre fréquemment dans les représentations religieuses (l’Aristophane du Banquet de Platon le commente à sa manière59). Son intention se dévoile : juste opposée à celle de la Genèse60. L’androgyne signifie le vœu d’auto-suffisance, la centration en soi-même : être comme des dieux. C’est le sens qu’il a expressément dans un roman utopique de 1676, La Terre australe connue : les habitants du pays, tout imaginaire, de la perfection sont hermaphrodites, réalisant chacun en soi-même l’humanité complète61. Les folles et désastreuses prétentions de quelques-uns aujourd’hui à choisir leur sexe (dénommé « genre »), avec l’assistance de la chirurgie, relève de la même révolte contre l’ordonnance bienfaisante du Créateur. On discerne, finalement, dans toutes les formes de fornication une attaque contre l’association étroite de l’être-en-image de Dieu et de la différenciation sexuelle : la pornéia, comme la nomme le Nouveau Testament, traite la sexualité comme une part détachable du reste de la personne ; la réduction à « l’échange de deux fantaisies et [au] contact de deux épidermes »62 la disjoint de la relation au Vrai, au Bien et au Beau, à la Transcendance ; quand la fornication se pare d’atours plus spirituels, elle se caractérise toujours par un déficit quant à la responsabilité, ce qu’implique être image de Dieu.
La combinaison relationnelle qu’opère Genèse 1.27 éclaire deux phénomènes remarquables de l’humain. Le premier est la force prodigieuse de la tentation et la nocivité de la faute en matière sexuelle. Le luthérien américain Ted Peters – qui n’a rien de collet-monté – observe que la plupart des sociétés ont cherché à conjurer la menace de chaos dont l’énergie sexuelle est chargée : « Incontrôlée, elle peut engendrer des douleurs inouïes sous la forme de la honte, de la jalousie, de la rivalité, de la violence. »63 Ce n’est pas, semble-t-il, que l’analyse éthique et psychologique y décèle une malignité plus virulente. Au contraire !64 C’est la place de la sexualité dans l’économie de la nature humaine qui rend le péché sexuel si destructeur, quantitativement et qualitativement (qu’on pense aux sévices, à l’horreur de la « pédophilie » comme on la nomme faussement). Elle est le nœud de la transcendance et de la biologie – et c’est bien ce que Paul enseigne quand il distingue ce péché de tous les autres : Celui qui se livre à la fornication pèche envers son propre corps (1Co 6.18).
Ce « privilège » permet aussi d’interpréter l’extraordinaire de la passion amoureuse. Il y a peu d’expériences humaines plus marquantes. Que serait l’histoire, individuelle et collective, sans le rôle qu’elle y a joué ? Céline a lâché un commentaire cynique (c’est le cas de le dire) : « L’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches. »65 Il n’est pas faux, sur la base de la synthèse de chair et d’esprit, de relation constitutive à Dieu et de bisexualité, qui caractérise l’humain selon Genèse 1.27 ! L’amour, et le plus pur, celui du Cantique des cantiques, est à la fois affaire d’hormones et de communion transcendante, aux prises avec l’Infini. L’homme et la femme y éprouvent et réalisent leur double « excentricité ».
Si la « nouvelle » lecture, barthienne, de la Genèse ne peut pas être simplement adoptée, elle met sur la voie d’un aperçu précieux. Le regard s’émerveille. Il entrevoit quelque chose du mystère de l’humanité, créée par Dieu en son image, et, pour vivre comme telle, faite d’hommes et femmes semblables et différents, appelés à l’amour.
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A peu près « maître de conférences » autorisé (après soutenance d’habilitation) mais libre et non rémunéré.↩︎
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Die Kirchliche Dogmatik III/1, Zollikon (Zurich), Evangelischer Verlag, 1945, trad. fr. de Fernand Ryser, Dogmatique III/1, Genève, Labor et Fides, 1960. Nous référerons à ces deux ouvrages par les abréviations KD et D, sans répéter III/1.↩︎
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D, p. 197, cf. p. 208 : l’exégèse a éludé « cette explication du texte par lui-même », au lieu de partir de « l’indication, clairement donnée ici, selon laquelle la ressemblance avec Dieu de la créature humaine réside dans ce vis-à-vis existentiel, dans le fait d’exister l’un en face de l’autre et l’un pour l’autre, qui apparaît précisément dans la relation de l’homme et de la femme ».↩︎
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Ibid., p. 208.↩︎
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Ibid.↩︎
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Ibid., p. 309-356.↩︎
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Ibid., p. 208.↩︎
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William Young, “Herman Dooyeweerd”, dans Creative Minds in Contemporary Theology, sous dir. Philip E. Hughes, Grand Rapids, Eerdmans, 1966, p. 270. W. Young a été le traducteur de Dooyeweerd dans son magnum opus.↩︎
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A New Critique of Theoretical Thought I, trad. (pour cette partie) William S. Young, s. l., Presbyterian & Reformed, 1969, p. 32.↩︎
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Il paraît trop simple de résumer comme W. Sibley Towner, “Clones of God. Genesis 1:26-28 and the Image of God in the Hebrew Bible”, Interpretation 59/4, octobre 2005, p. 343 : « L’image de Dieu dans l’être humain consiste précisément dans la division de l’humanité en deux parts féminine et masculine. »↩︎
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D, p. 197.↩︎
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Ibid.↩︎
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Ibid., p. 209.↩︎
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Ibid., p. 196s. L’original, KD, p. 206, accorde le Nebeneinander et le Miteinander aux autres créatures, mais aux êtres humains le Gegeneinander et le Füreinander.↩︎
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Ibid., p. 216-218.↩︎
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Ibid., p. 216.↩︎
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Ibid., p. 197.↩︎
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Ibid. Notre addition entre crochets se justifie par la logique de tout le développement et une phrase comme celle-ci : « La créature humaine ne peut être véritablement humaine devant Dieu et parmi ses semblables qu’en étant homme par rapport à la femme, et femme par rapport à l’homme. » (P. 199)↩︎
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Ibid., p. 205, 209.↩︎
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Ibid., p. 194s.↩︎
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Ibid., p. 195. « Un, et non seulement une unité » traduit « Einer … nicht nur Eines », KD, p. 205, « un » au masculin et non pas seulement au neutre.↩︎
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Ibid., p. 311.↩︎
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Ibid., p. 312.↩︎
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On sait que la désignation « modes d’être » (tropoi huparxéôs), qui est orthodoxe mais peut trahir une tendance, est alors préférée. La tendance réapparaît (ce qu’on a moins remarqué) dans une critique de la notion réformée classique de « l’alliance de rédemption » (entre le Père, le Fils et l’Esprit), dans la Dogmatique IV/1*, trad. Fernand Ryser, Genève, Labor et Fides, 1966, p. 67 : « C’est de la pure mythologie », et il s’exclame : « Comme s’il convenait de voir dans la première et la deuxième “personne” du Dieu trinitaire deux sujets divins… » La « délibération entre plusieurs conseillers divins » semblerait devoir attirer la même réaction !↩︎
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Ibid., p. 209. L’original, KD, p. 220, évite le barbarisme d’un « s » ajouté à Elohim, mais il traite bien ce mot comme un pluriel avec jener, génitif pluriel. Dieu un seul individu, Individuum, est strictement orthodoxe (si on le nie on tombe dans le trithéisme).↩︎
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Somme théologique Ia, qu.32, art. 1, ad 3m (trad. H.-F. Dondaine, éd. de La Revue des Jeunes).↩︎
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Ibid., qu.45, art. 6, Respondeo.↩︎
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Je donne mon avis sur la controverse dans ma contribution, “Karl Barth’s Christocentric Method”, Engaging with Barth : Contemporary Evangelical Critiques, sous dir. David Gibson & Daniel Strange, Nottingham, Apollos (IVP), 2008, p. 37-39 et surtout n. 172, p. 46s.↩︎
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Cité par Michèle M. Schumacher, « Des amours de différentes sortes. Féminisme, nature et anthropologie », Revue d’Ethique et de Théologie morale, n° 290, septembre 2016, 15 n. 24, et 25, avec référence à Christlicher Stand, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1977, p. 183, et Retour au centre, trad. Robert Givord, Paris, Desclée De Brouwer, 1971, p. 125.↩︎
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« Ressemblance et image de Dieu, I : Egypte et Mésopotamie ; II : Ancien Testament. Les textes sacerdotaux », dans le Supplément au Dictionnaire de la Bible, sous dir. Henri Cazelles et André Feuillet, X (fasc. 55), Paris, Letouzey & Ané, 1981, p. 366-403.↩︎
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Pour un survol, on peut recourir à Ryan S. Peterson, “The Imago Dei as Human Identity : A Theological Interpretation”, thèse de doctorat (Ph.D.), Wheaton (IL), Wheaton College Graduate School in Biblical and Theological Studies, 2010 (j’ai eu le plaisir d’être le « mentor », comme disent les Américains, de ce travail).↩︎
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Dion, p. 391. Marguerite Harl dans les notes qu’elle apporte à La Bible d’Alexandrie. La Genèse, Paris, Cerf, 20103, p. 97, cite dans ce sens déjà Origène, Homélies sur la Genèse, I,14, et Grégoire de Nysse, Sur la création de l’homme XVI, 177D.↩︎
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Déjà Basile de Césarée, Sur l’origine de l’homme I,18, d’après M. Harl, ibid.↩︎
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Sur ces inscriptions (des graffiti dans le premier site), voir Richard S. Hess, “Yahweh and His Asherah ? Epigraphic Evidence for Religious Pluralism in Old Testament Times”, dans One God, One Lord, in a World of Religious Pluralism, sous dir. Andrew D. Clarke et Bruce W. Winter, Cambridge, Tyndale House, 1991, p. 11-26 (chapitre 5-33). Hess pense que ʼašérâ désigne une divinité plutôt qu’un simple symbole (poteau ou arbre sacré), et qu’il ne faut pas lire à la fin du mot le suffixe possessif (son ʼašérâ, impliquant une déesse parèdre) : la terminaison du mot est plutôt une marque de double féminisation, ce qui convient mieux à l’usage avec les noms divins.↩︎
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Création et séparation : étude exégétique du premier chapitre de la Genèse, Paris/Neuchâtel, Aubier-Montaigne, Cerf, Desclée De Brouwer/Delachaux & Niestlé, 1969, p. 341.↩︎
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Genesis 1-15, Word Biblical Commentary 1, Waco (TX), Word Books, 1987, p. 28 ; il ne se soucie pas de la contradiction. Gérald Bray, malheureusement, le suit, “The Significance of God’s Image in Man”, Tyndale Bulletin 42.2, novembre 1991, p. 198s. Victor P. Hamilton, The Book of Genesis, chapters 1-17, New International Commentary on the Old Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1991, 133s., est beaucoup plus satisfaisant.↩︎
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“The Image of God in Man”, Tyndale Bulletin 19, 1968, p. 68.↩︎
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Dion, p. 384.↩︎
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Clines, p. 75-80, plaide vigoureusement dans ce sens. Le philologue Ceslas Spicq approuve J. Jervell à cet égard, Dieu et l’homme selon le Nouveau Testament, Lectio divina 29, Paris, Cerf, 1961, p. 181, n. 2 (contre son texte). Plus récemment, penchent de ce côté Christiana De Groot, “Genesis”, The IVP Women’s Bible Commentary, Downers Grove (IL), InterVarsity Press, 2002, p. 3, et C. John Collins, Genesis 1-4 : A Linguistic, Literay, and Theological Commentary, Phillipsburg (NJ), Presbyterian & Reformed, 2006, p. 66.↩︎
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“The Image of God in the Book of Genesis. A Study in Terminology”, Bulletin of the John Rylands Library 51, 1968-1969, p. 11-26.↩︎
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Ce que fait bien valoir Dion, p. 389.↩︎
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Genesis 1-15, p. 29.↩︎
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Dion, 388, peut dire du ke en Za 14.10, voire Es 40.23, qu’il « équivaut probablement à un beth essentiae ».↩︎
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Par exemple Nahum M. Sarna, Genesis, The JPS Commentary, Philadelphie/New York/Jérusalem, Jewish Publication Society, 1989, p. 12.↩︎
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Calvin, dans son Commentaire sur la Genèse (éd. Labor et Fides, p. 37) fait face au problème que certains se posent : alors que Moïse inclut la femme dans le privilège de l’image de Dieu, Paul paraît l’en exclure ! « La solution est brève : S. Paul ne touche là que l’état économique. » G. Bray, p. 221, observe très justement que la différence entre l’homme et la femme concerne la doxa (gloire) en 1Co 11, et non pas l’image.↩︎
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Dion, 392 (avec Roland de Vaux), écarte ce sens, pour ne garder que l’idée d’une transmission de la ressemblance avec Dieu par la génération humaine. Pour servir cette pensée, le texte aurait dû s’écrire : « Adam engendra un fils en la ressemblance et comme l’image de Dieu (ainsi qu’il était lui-même). »↩︎
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Nous croyons pouvoir montrer que le titre d’Image convient à Jésus-Christ en Col 1.15 selon sa divinité éternelle. C’est ce qu’implique la structure du passage, et la teneur sapientiale de sa première partie – reconnue, entre autres, par Horst Kuhli, “Eikôn”, Exegetical Dictionary of the New Testament, sous dir. Horst Balz et Gerhard Schneider, trad. James W. Thompson, Grand Rapids, Eerdmans, 1990, I, 390b. « Sagesse » et « Logos » se recouvrent, et la notion d’expression est commode pour en rendre compte.↩︎
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Schöpfung und Fall, Munich, Chr. Kaiser Verlag, 1968, p. 70.↩︎
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« L’Arbre du bien et du mal : le couple et l’éthique théologique aujourd’hui (Gn 2.15-23) », Revue d’Ethique et de Théologie morale n° 291 (hors série), septembre 2016, p. 190.↩︎
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J’ose l’hypothèse que le réformateur a forgé la formule. J’ai cherché en vain un prédécesseur (en utilisant, par exemple, l’index de la Patrologie latine de Migne). La formule ne se trouve pas chez Cicéron, ni chez Tertullien, auxquels recourt Calvin pour la pensée en cause. C’est peut-être Zwingli qui en serait le plus proche !↩︎
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La dénégation vaut, à mon sens, si « être » connote une sorte d’indépendance. Dooyeweerd a-t-il fait suffisamment de place à la donation d’être, toujours dans la dépendance, doctrine que je crois biblique ? Dans son zèle contre la scolastique, il a trop vite expulsé la notion de substance.↩︎
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Introduction aux existentialismes, Idées 14, Paris, NRF Gallimard, 1962, p. 46, 180 (discussion éclairante de l’idée de transcendance chez les existentialistes et Heidegger, p. 179-182).↩︎
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A cause de la réduction de l’image à la spiritualité, Calvin dit le contraire, mais je ne peux pas le suivre sur ce point. Il est vrai que les anges sont appelés bené ʼèlôhîm, « fils du divin », mais cet usage bien repéré du mot bèn efface l’idée de filiation : il ne s’agit plus que de la possession d’une propriété (ici le mode d’existence céleste).↩︎
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Wolfhart Pannenberg, Problemgeschichte der neueren evangelischen Theologie in Deutschland, Goettingue, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, p. 197, 251, reproche à Barth de partir de l’anthropologie Je-Tu de Martin Buber pour la projeter sur Dieu, comme cité par F. Leron Shults, Reforming Theological Anthropology : After the Philosophical Turn to Relationality, Grand Rapids/Cambridge, Eerdmans, p. 118 avec n. 3. J’attire l’attention sur le caractère déviant de la référence la plus courante à Buber – à croire que ceux qui parlent ne connaissent que son titre. On suppose qu’il plaide pour la différenciation « personnaliste » de la chose et de la personne ; or ce n’est pas réellement sa thèse. Martin Buber, Je et Tu, trad. Geneviève Bianquis, La Philosophie en Poche, Paris, Aubier-Montaigne, 1969, trouve fort positif que la lune soit un Tu pour le primitif et célèbre le mana (p. 40s.), et pose (p. 58) : « Chaque Tu, une fois le phénomène de la relation écoulé, devient forcément un Cela. / Chaque Cela, s’il entre dans la relation, peut devenir un Tu. »↩︎
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“Genesis”, Women’s Bible Commentary, 6. J’opposerais ce rang second à l’absolutisation de la dualité, qui devient la clé métaphysique de tout le réel, comme avec le yin et le yang. C’est le « dérapage » malheureux des livres de Suzanne Lilar, qui a si bien répondu à Simone de Beauvoir : Le Couple, Livre de Poche 3308, Paris, Bernard Grasset, 1963, et Le Malentendu du Deuxième Sexe, Paris, Presses Universitaires de France, 1970.↩︎
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Comme le relève G. Wenham, Genesis 1-15, p. 68.↩︎
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« Femelle », neqévâ, évoque indubitablement les conditions physiques de l’accouplement, pour lequel les organes sont complémentaires : le mot vient de la racine nqv, « trouer, perforer ». Pour zàkàr, « mâle », les choses sont moins nettes ; le mot dans sa version arabe désigne le phallus, mais le lien avec le sens « pointu », que certains croient pouvoir affirmer, n’est pas établi.↩︎
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Trois Essais sur la théorie de la sexualité, trad. Blanche Reverchon-Jouve, Idées, Paris, NRF Gallimard, 1962, p. 15, 18 (l’ouvrage est l’un des ouvrages fondateurs de la psychanalyse). Le Dr Angelo Hesnard, La Sexologie, Petite Bibliothèque Payot 31, Paris, Payot, 1962, p. 335ss, emploie le mot « perversions » ; de même Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, sous dir. Daniel Lagache, Paris, Presses Universitaires de France, 19817, p. 306-309. Ces choix lexicaux sont peut-être d’autant plus significatifs que les auteurs prétendent s’abstenir de tout jugement moral.↩︎
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Le Banquet, 189d-192e. Aristophane veut expliquer l’attraction sexuelle : elle équivaudrait à la nostalgie d’une unité perdue. Il faut noter qu’Aristophane évite soigneusement de limiter l’attraction à la différence des sexes. Pour lui les humains primitifs, ronds et doubles, étaient de trois sortes, définis respectivement comme mâle-mâle, femelle-femelle, et mâle-femelle. La division des deux premières explique l’attraction homo-érotique.↩︎
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D’après M. Harl, La Bible d’Alexandrie, 96s., « Les traditions rabbiniques signalent que les traducteurs [de la LXX] avaient ici [Gn 1.27] employé un pronom singulier, “il le créa mâle et femelle” (…) Il existe d’ailleurs des spéculations de ces mêmes traditions rabbiniques sur l’homme primitif androgyne, ainsi que chez Philon (par allusion (…) Mais nous n’avons aucune attestation de ce pronom singulier dans les témoins de la LXX. »↩︎
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Ecrit par le moine (cordelier) défroqué Gabriel de Foigny, réédité en 1692 sous le titre Les Aventures de Jacques Sadeur dans la découverte et le voïage de la terre australe (information par internet). Quant à l’hermaphroditisme comme pathologie qui se produit, hélas ! bien qu’elle soit rare, cf. l’avis sobrement exprimé d’Helmut Burkhardt, Ethik II : Das gute Handeln (Allgemeine Materialethik) /2, TVG, Giessen/Bâle, Brunnen, 2008, p. 24s.↩︎
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Nicolas-Sébastien Roch, dit de Chamfort, Maximes et pensées, selon le Dictionnaire des citations françaises Larousse, 1977, p. 115 (c’est un constat plutôt critique).↩︎
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Sin : Radical Evil in Soul and Society, Grand Rapids, Eerdmans, 1994, p. 140.↩︎
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Les versions anciennes, grecque, latine et syriaque, et la plupart des versions récentes (B. de Jérusalem, TOB, NBS et en anglais RSV, NEB et NIV) comprennent et traduisent Proverbes 6.26 : « Pour une femme prostituée, (le prix va) jusqu’à un pain rond, mais la femme d’un mari chasse une vie précieuse. » Si c’est bien le sens, la condamnation de la pornéia ne semble pas des plus sévères.↩︎
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Louis-Ferdinand Destouches dit Céline, Semmelweiss, selon Dict. des citations Larousse, p. 112.↩︎