Quand Dieu se sert des mauvais esprits pour accomplir ses desseins – Etude sur 1 Rois 22

Quand Dieu se sert des mauvais esprits pour accomplir ses desseins
Etude sur 1 Rois 22


Rodrigo Franklin de Sousa
Professeur d’hébreu et d’Ancien Testament
Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence


Introduction

Lorsque nous pensons à 1 Rois 22, deux questions nous viennent normalement à l’esprit. D’abord, la question de l’identité de l’esprit mauvais envoyé pour tromper Achab et ses prophètes. La seconde est celle de la moralité de l’action de Dieu en envoyant cet esprit avec un tel objectif. Cet article ne se limitera pourtant pas à ces questions. Dans le cadre de la discussion plus large sur le sujet du combat spirituel, je voudrais mettre l’accent sur la compréhension de l’action divine telle qu’elle se manifeste dans les livres des Rois.

Les contextes du récit

Pour apprécier pleinement le message de ce texte, nous devons le comprendre dans son contexte. Ou peut-être devrais-je dire dans ses contextes (au pluriel), parce qu’il y a différents contextes auxquels nous pouvons nous rapporter. D’abord, lorsqu’il s’agit d’un récit historique, il y a le contexte historique dans lequel la situation a eu lieu. Mais il y a aussi le contexte littéraire du passage. Et ceci est d’une importance fondamentale1.

Le livre de 1 Rois présente le règne d’Achab dans les chapitres 16.29 à 22.40. Dans cette section, le chapitre 20 raconte deux conflits militaires entre Achab et Ben-Hadad, roi de Syrie, qui se sont terminés par un traité de paix (1R 20.34). Le récit du chapitre 22 est lié à un troisième conflit, qui eut lieu trois ans après ce traité. Notre passage, tandis qu’il nous relate la mort d’Achab2, n’est pas seulement le récit de cette troisième guerre, il joue également un autre rôle important.

Les prophètes de cour prédisent la victoire (v. 1-14)

Le premier verset situe les événements à une époque précise. Trois ans se sont écoulés depuis la dernière bataille entre Aram et Israël (22.1). Nous n’allons pas traiter en détail la question des raisons pour lesquelles Achab voulait conquérir Ramoth-Galaad3. Relevons simplement que cette initiative s’inscrit dans le programme expansionniste d’Achab. C’est donc un projet dédié à nourrir son orgueil.

C’est plutôt à partir du verset 5, lorsque le roi de Juda demande à Achab de consulter l’Eternel, que le récit devient intéressant pour notre étude4. « Chercher » la parole de Yahvé avant une entreprise militaire était une activité importante5. La pratique consistant à consulter un dieu (ou les dieux) lors d’un projet de guerre était répandue dans le Proche-Orient ancien. Ici, il faut aussi considérer qui sont ceux qui parleront au nom de la divinité. Les commentateurs soulignent souvent le nombre de prophètes appelés pour cette séance : quatre cents. Beaucoup suggèrent un lien intéressant entre ce récit et l’histoire d’Elie et des prophètes de Baal en 1 Rois 186. Selon ce récit, Elie avait mis à mort quatre cent cinquante prophètes de Baal, mais il restait encore quatre cents prophètes d’Ashéra qui n’avaient pas été retrouvés. Certains lecteurs suggèrent que la mention des quatre cents prophètes en 1 Rois 22.6 fait précisément référence à ces individus7.

Un autre point remarquable est leur réponse unanimement favorable. Ici nous avons des prophètes « professionnels », et ils agissent selon un plan défini. Ils donnent la réponse que le roi veut entendre (v. 6)8. Au verset 7 cependant, Josaphat insiste pour demander un prophète de Yahvé, probablement parce qu’il n’était pas satisfait de ce qu’il avait entendu. A contrecœur, Achab mentionne alors le prophète Michée. Cette réponse, au verset 8, révèle sa perception déformée de la réalité. Il a une perspective complètement immanente, sans conscience d’une dimension transcendante. Il perçoit les paroles négatives de Michée comme un simple conflit personnel entre le prophète et lui-même. Il ne considère pas la possibilité qu’il s’agisse d’une vraie parole de Yahvé contre lui.

Les versets 10-14 fonctionnent comme une parenthèse dans le récit. Walsh met en évidence cette caractéristique stylistique. Il la qualifie de « délai intelligent » parce que le narrateur diffère la conclusion de la tension entre les rois et le prophète. Le narrateur insère ici deux épisodes séparés, à savoir le récit des oracles prononcés par les prophètes, particulièrement celui de Sédécias, et le récit du messager envoyé chercher Michée9.

La première scène, dans les versets 11-12, est le récit de la séance au cours de laquelle les prophètes annoncent la victoire aux deux rois. Ceux-ci sont assis sur leurs trônes, revêtus de leurs habits royaux. Cette mise en scène solennelle indique déjà que le moment constitue une affaire d’Etat10. L’endroit est un espace ouvert au public, approprié pour une occasion importante et convenant pour accueillir une foule11.

Devant ces rois, les prophètes rendent leurs oracles d’une manière exubérante. Le texte raconte non seulement le comportement extatique des prophètes, mais fait aussi mention de signes visuels, telles les cornes de fer dont s’était muni le prophète Sédécias ben Kenaana (v. 11). Ces mimes rappellent Jérémie 27, où le prophète utilise aussi des moyens visuels pour communiquer son message. Le verset 12, quant à lui, renforce l’affirmation de l’accord parmi les prophètes.

Au verset 13, la scène change à nouveau et nous voyons l’interaction entre le messager envoyé par le roi et le prophète Michée. A en juger par la démarche royale au verset 9, ainsi que la syntaxe de ce verset, ce dialogue se déroule en même temps que le spectacle des prophètes devant le roi12. Cela signifie que le messager connaissait le contenu exact du message des prophètes, ainsi que leur unanimité, sans même les avoir entendus. Le texte dit littéralement : « les paroles des prophètes [sont] d’une bouche le bien du roi »13.

Lorsque le messager demande ensuite à Michée de faire pareil, il semble clair qu’il ne menace pas le prophète, mais lui parle de façon amicale, lui donnant un « bon conseil ». Il lui semble évident que Michée doit aussi adapter son message pour faire plaisir au roi. Ceci est tout à fait révélateur de la perception qu’on avait du rôle des prophètes à la cour d’Achab14. Le messager et certainement les prophètes « connaissaient » déjà quel message était commode et opportun. Ainsi, tout se passe dans ce cadre mental « immanent », sans considération de la possibilité que la « parole de Yahvé » ait un rapport réel avec les affaires humaines. Ils se refusent tous à prendre en compte la dimension spirituelle de la communication prophétique.

La réponse de Michée apparaît au verset 14. Michée affirme sa prérogative prophétique de ne dire que ce que le Seigneur commande. Ici, l’expression traditionnelle « l’Eternel est vivant » est significative. Dans le cas de Michée, ce n’est pas une simple formule coutumière, mais une véritable conviction d’un Dieu qui est là, avec autorité et pouvoir pour interférer dans les affaires humaines, et pas seulement comme une amulette à brandir selon les caprices politiques des rois15. Cette réponse prépare le terrain pour la scène suivante.

Michée face à Achab (v. 15-18)

Un nouveau tournant du récit apparaît aux versets 15-18. Ici nous avons la rencontre attendue entre le prophète et le roi, à laquelle nous ont préparés les deux scènes précédentes (v. 5-9, 10-14). Et ici le lecteur est surpris : le prophète répète presque mot pour mot les paroles des prophètes rapportées au verset 6. Sa réponse peut être traduite littéralement ainsi : « Monte et triomphe ! Et l’Eternel livrera entre les mains du roi. » C’est une attitude gênante pour le lecteur, car Michée semble capituler, suivre la suggestion du messager et se comporter comme un des prophètes de cour. C’est tellement surprenant de la part de Michée que même Achab n’est pas satisfait et insiste pour obtenir la vérité.

C’est ici un point intéressant à relever. Pourquoi Achab n’a-t-il pas exigé cela des autres prophètes ? Une explication possible est que le roi était méfiant, compte tenu de ses expériences précédentes avec Michée. Il est également possible qu’il ait détecté un certain sarcasme dans la voix du prophète. Une autre possibilité est qu’il voulait entraîner Michée dans un piège.

Walsh discute longuement de l’étrangeté de cet échange. Bien que je ne suive pas son analyse, il saisit bien la double tension momentanée posée par le verset 16, où, d’une part, le prophète qui vient de déclarer sa fidélité absolue aux paroles de Yahvé semble prophétiser faussement et, d’autre part, le roi qui s’est montré plus intéressé par l’approbation de son projet que par la vérité exige tout à coup une parole de vérité plutôt que d’approbation16.

Moberly soutient qu’il s’agit d’un jeu où Michée utilise le sarcasme pour provoquer une réaction chez le roi. Cet échange implique un renversement temporaire des rôles : celui qui jusqu’ici n’a rien voulu d’autre que la confirmation de sa propre volonté revendique maintenant la hauteur morale et affirme qu’il ne veut rien de moins que la vérité de Dieu, alors que Michée apparaît comme celui qui s’est écarté de la vérité. Ainsi, Michée crée une situation où Achab lui-même confesse l’importance d’entendre les paroles réelles du Seigneur, ce qui jette un premier doute sur le message de ses propres prophètes17.

Au verset 17, à la demande du roi, Michée donne une réponse différente. Mais au lieu de livrer un oracle direct de malheur, il décrit une vision. Il est intéressant de noter qu’il n’utilise aucune formule d’introduction. Le langage est cependant tellement significatif qu’il serait très difficile au roi de ne pas voir ce que veut dire cette vision d’Israël « dispersé dans les montagnes comme un troupeau sans berger ». La région montagneuse de Ramoth-Galaad n’est plus le lieu d’une victoire militaire, mais de la dispersion de l’armée d’Israël. De plus, l’image implique non seulement la défaite, mais surtout la mort d’Achab, puisque le berger était souvent une image du roi. Les paroles que le roi Achab adresse aussitôt à Josaphat au verset 18 indiquent que c’est bien ainsi qu’il a compris l’image.

Cette image du troupeau dispersé est complétée par un commentaire de Yahvé. Il dit à propos de son peuple que « ceux-ci n’ont pas de Seigneur » (v. 17). C’est ici un acte d’accusation à plusieurs niveaux. Il fait d’abord et surtout allusion à la mort d’Achab. Mais cela renvoie aussi au discours purement convenu des prophètes. Les brebis d’Israël n’ont aucun chef, qu’il soit temporel ou spirituel. C’est la conséquence des actes irresponsables du roi. Pourtant, Yahvé fait preuve de miséricorde envers le peuple en disant « que chacun retourne en paix dans sa maison ». L’expression beshalom (« en paix ») est très importante dans le contexte de ce récit. Cela ne signifie pas simplement « être dans un état paisible », mais « sain et sauf » après une bataille.

Avec cette annonce, Yahvé indique que, cette fois, le jugement doit tomber uniquement sur le roi et non sur le peuple dans son ensemble. La vision établit ainsi un contraste entre l’imprudence d’un roi qui n’a aucun égard pour la sécurité de son peuple à cause de sa vanité personnelle, et un Dieu soucieux du bien-être de son peuple.

La réponse du roi, au verset 18, montre bien que c’est seulement sa propre sécurité et son succès qui l’intéressent. Il délaisse sa prérogative royale de chef, responsable de son peuple18. Plus significativement, cela révèle l’absence totale de perception spirituelle d’Achab. Il ne fait pas de pause, il ne rentre pas en lui-même pour considérer qu’il puisse bel et bien s’agir d’avertissement divin. Tout ce qu’il voit, c’est son conflit personnel avec le prophète.

Vision de la cour céleste (v. 19-23)

Nous atteignons ici la partie qui nous intéresse plus particulièrement. Au verset 19, Michée intervient à nouveau et rapporte une autre vision. Celle-ci nous fait entrer au cœur des délibérations célestes. Elle rappelle Amos 3.7, où nous lisons : « Ainsi le Seigneur Dieu ne fait rien sans avoir révélé son secret à ses serviteurs, les prophètes. » (NBS) Le secret qui est révélé dans ce cas est le plan divin pour amener Achab à la destruction.

La description de la scène céleste mérite notre attention. Le domaine spirituel est décrit ici comme une salle du trône. Dans cette cour, le roi divin est assis et entouré de l’« armée des cieux » (v. 19). Cela peut indiquer une diversité d’êtres célestes, comme on peut le voir en Esaïe 6.2, Psaume 103.21 et Job 1.619. Alors que la nature exacte de ces êtres peut attirer notre curiosité, l’aspect le plus important à noter ici est le parallèle entre cette scène céleste et la cour terrestre des rois d’Israël et de Juda décrite aux versets 10-12.

Il est important de garder à l’esprit que Michée prononce ces paroles en présence des rois revêtus de leurs habits royaux et de leurs courtisans. C’est donc dans la cour terrestre que Michée décrit la cour céleste. Walsh souligne avec raison que le parallélisme des scènes rappelle au lecteur la distinction ultime qui existe entre les monarques d’Israël et de Juda, qui règnent sous l’autorité supérieure de Yahvé, et la cour céleste où se trouve le vrai pouvoir20.

La cour de Yahvé apparaît comme la contrepartie spirituelle de la cour d’Achab. Elle est présentée comme l’envers d’une même pièce. La scène de la cour de Yahvé ne peut que rappeler à Achab la réalité de sa propre cour21. Poursuivant la comparaison entre la cour céleste et la cour terrestre, nous voyons au verset 20 que Yahvé demande conseil, comme un sage monarque doit le faire22.Un bon roi, selon la conception du Proche-Orient ancien, demande conseil à sa cour. Ici Yahvé demande un volontaire parmi ses courtisans pour tromper Achab et l’inciter à attaquer Ramoth-Galaad. Les courtisans discutent de la demande, comme dans un vrai conseil royal.

L’identité de « l’esprit »

Finalement, au verset 21, on lit qu’un membre de ce groupe se présente devant Yahvé. Qui peut-il bien être ? On trouve dans les commentaires de nombreuses suggestions concernant l’identité de ce personnage, dont les principales sont les trois suivantes :

  1. un esprit malin non identifié ;
  2. Satan lui-même ;
  3. l’esprit de prophétie personnifié.

La discussion porte souvent sur l’usage de l’article en hébreu. Dans le texte original, cette figure est simplement décrite comme « l’esprit » (avec l’article). Les versions françaises traduisent normalement cette construction par « un esprit » (indéfini). Une exception notable est la Bible de Jérusalem, qui présente la traduction littérale « l’esprit ».

Ceux qui défendent la première option soulignent que le texte ne précise pas qui il est. L’utilisation de l’article indique donc simplement que celui-ci est l’esprit qui s’est porté volontaire. La seule fonction de l’article est de donner cohésion au récit en hébreu23.

Pour ceux qui voient l’esprit comme Satan lui-même, l’article sert à identifier ce personnage comme un être particulier, connu des lecteurs. Cette position est largement tributaire des arguments issus de la tradition d’interprétation, parfois au détriment de la rigueur exégétique24. Il y a aussi des variantes de cet argument qui peuvent mener dans de nouvelles directions. Certains affirment que le texte témoigne d’une conception historique des esprits mauvais qui sera finalement résumée dans le concept de « Satan »25, tandis que d’autres, à l’opposé, disent que c’est un concept primitif qui se développera plus tard dans la notion de « Saint-Esprit »26.

Mais beaucoup de commentateurs soutiennent qu’il s’agit d’une personnification de l’esprit de prophétie27. Cette interprétation apparaît, par exemple, dans la Bible en français courant, qui traduit la construction littérale « l’esprit » par « l’esprit qui inspire les prophètes ». Cette personnification de l’esprit de prophétie serait « amorale » dans le sens où le personnage n’est pas en lui-même un mauvais esprit, mais uniquement le pouvoir dynamique qui fait parler les prophètes. Le discours qui en résulte peut être véridique (comme dans le cas des annonces « normales » de Yahvé) ou trompeur, comme dans ce cas particulier.

Le rôle de « l’esprit »

Personnellement, j’opte pour une variante de la première option. Il ne s’agit pas d’une simple personnification de l’esprit de prophétie, mais d’un esprit réel, et pas forcément Satan. Cependant, je voudrais me concentrer non sur l’identité précise de cet être, mais sur la façon dont ce personnage figure dans le récit. Il est intéressant de considérer brièvement d’autres exemples bibliques où Dieu se sert de mauvais esprits pour accomplir ses desseins. Je m’inspire de l’approche d’Esther Hamori, qui note qu’il y a des mentions d’un « esprit (mauvais) » en rapport avec le mensonge dans plusieurs textes (1R 22.19-23 ; 1S 16.14-23 ; 18.10-12 ; 19.9-10 ; Jg 9.23-24 ; 2R 19.7 ; Es 19.13-14 ; Es 29.9-10 ; Jb 4.12-21 ; Os 4.12–5.4). Dans la plupart de ces passages, l’esprit de mensonge agit sous l’autorité de Dieu. Dans chacun de ces cas, on voit aussi que ces esprits sont envoyés dans des situations de jugement28.

Les mauvais esprits agissent sur ordre de Yahvé, sous son autorité, en tant qu’agents de jugement, alors que le mal prédomine déjà dans les actions des êtres humains. Autrement dit, Dieu se sert des mauvais esprits pour accomplir ses desseins de jugement, dans des situations où la méchanceté et les péchés humains sont déjà au premier plan. Une exception notable est l’histoire de Job où Dieu permet l’action diabolique dans un but didactique.

Le dessein divin

Un des angles possibles que l’on peut mettre en avant à propos de ce passage, c’est le grave manque de discernement spirituel de la cour d’Achab, qui conçoit l’activité prophétique comme un expédient politique, sans même considérer ses implications surnaturelles. Sur ce point, il faut entendre la remarque de Keil, qui affirme que, selon le point de vue du texte, les faux prophètes, aussi bien que les vrais, étaient gouvernés par un principe spirituel surnaturel. Les uns étaient sous l’influence du mauvais esprit au service du mensonge, tandis que les vrais prophètes sont touchés par le Saint-Esprit au service du Seigneur29.

Mais, dans ce récit particulier, nous pouvons identifier une autre fonction de l’action du mauvais esprit. Pour comprendre cette fonction, il faut noter que Dieu révèle son plan et son activité par l’esprit avant qu’Achab ne parte pour la guerre et souffre la conséquence de ses actes. Selon Walsh, la révélation donnée par Michée a pour but d’ébranler Achab dans sa prédisposition à suivre l’oracle des quatre cents prophètes. En expliquant comment ceux-ci ont été trompés, Michée dévoile le « piège » divin et propose une autre voie au roi30. Selon Moberly, cette seconde révélation a essentiellement le même but que la première : en révélant son plan de jugement, Dieu veut donner à Achab l’opportunité de se repentir et d’abandonner sa mauvaise voie31.

Cette constatation éclaire bien la suite et le message global du récit. A première vue, il semble qu’Achab ait pleinement confiance dans son succès. Pourtant, de nombreux commentateurs soulignent la possibilité que Michée ait été emprisonné (v. 27) jusqu’à ce que la véracité de son oracle puisse être vérifiée32. Si tel est bien le cas, cela implique qu’Achab admettait la possibilité que la prophétie soit vraie et que Yahvé ait décrété sa mort. Malgré cela, il pensait pouvoir sauver sa vie par un stratagème et échapper au jugement divin, comme on le voit dans la conclusion du récit. Cela révèle sa mentalité païenne, son mépris pour Yahvé et sa Parole33. C’est précisément ce mépris qui est la cause ultime de sa chute.

Achab est tué au combat (v. 29-38)

Dans les versets 29-38, nous lisons la conclusion de l’histoire, où Achab se déguise pour essayer d’échapper à la mort mais est finalement tué « au hasard » (v. 34). Le verset 38 souligne la dimension de jugement que revêt cette mort. C’est la sanction annoncée lors de l’épisode de la vigne de Naboth (1R 21.19). Lors de cet épisode déplorable, Dieu avait pris en compte la repentance d’Achab et lui avait montré de la miséricorde (21.27-29). Malheureusement, Achab a persévéré dans sa méchanceté, sans prendre vraiment au sérieux la réalité de Dieu et de sa Parole. En définitive, la rencontre avec le prophète Michée constitue la dernière occasion que Dieu lui donne de se repentir. Mais Achab rejette cette offre et essaie d’échapper au jugement divin par sa propre « sagesse ».

Conclusion

Dieu peut se servir des mauvais esprits dans des situations particulières. Essayer d’identifier l’identité précise de ces esprits a une importance secondaire. Le plus important est de voir que Dieu a jugé avec sévérité un roi qui a échoué dans ses responsabilités auprès de son peuple. Toutefois, en révélant à ce roi impie son plan de jugement, il lui offre une dernière occasion de se repentir.

Malgré tout, Achab choisit de se maintenir dans un état d’esprit fort éloigné des préoccupations spirituelles ou transcendantes. Il se sert du discours religieux pour accomplir ses propres desseins, sans prendre au sérieux le Dieu auquel ce discours fait référence. Le message final de ce texte est qu’il y a un vrai roi, un trône céleste qui est maître des destinées humaines. Le vrai combat spirituel commence donc par une reconnaissance de cette réalité. Il implique une soumission inconditionnelle à la Parole et à la volonté de ce Dieu.


  1.  J.W. Olley, The Message of Kings–God is Present, Nottingham, InterVarsity Press, 2011, p. 200.↩︎

  2.  V. Fritz, 1 & 2 Kings : A Continental Commentary, trans. A. Hagedorn, Minneapolis, Fortress, 2003, p. 218.↩︎

  3.  Les commentaires offrent des études détaillées sur la signification de Ramoth-Galaad, et les raisons pour lesquelles Achab voulait la conquérir.↩︎

  4.  Toutes les citations bibliques sont ma propre traduction, sauf indication contraire.↩︎

  5.  Darash (« chercher »), est un terme technique. Voir Nb 27.21 ; Jg 1.1 ; 1S 23.2 ; 30.8 ; 1R 14.5. Voir aussi M. Cogan, 1 Kings : A New Translation with Introduction and Commentary, New York, Doubleday, 2001, p. 489.↩︎

  6.  M. Cogan, 1 Kings, p. 490, propose une fonction typologique pour le chiffre 400.↩︎

  7.  Voir, p. ex., I.W. Provan, 1 and 2 Kings, Peabody, Hendrickson, 1995, p. 162 ; J.T. Walsh, 1 Kings, Collegeville, The Liturgical Press, 1996, p. 345.↩︎

  8.  R.W.L. Moberly, “Does God lie to his Prophets ? The Story of Micaiah ben Imlah as a Test Case”, Harvard Theological Review 96, no 1 (2003), p. 1-23.↩︎

  9.  J.T. Walsh, 1 Kings, p. 346-348.↩︎

  10.  M.A. Sweeney, I & II Kings–A Commentary, Louisville, Westminster John Knox Press, 2007, p. 259.↩︎

  11.  Voir M. Cogan, 1 Kings, p. 490.↩︎

  12.  M. Cogan, 1 Kings, p. 491.↩︎

  13.  Le problème textuel du ketib/qere qui pose une alternative entre le pluriel et le singulier de dbr « parole » n’affecte pas l’interprétation générale du texte.↩︎

  14.  J.T. Walsh, 1 Kings, p. 345.↩︎

  15.  M. Cogan, 1 Kings, p. 491, voit une relation entre la réponse de Michée au v. 14 et le récit de Balaam en Nb 22.38 ; 23.12, 26 et 24.13.↩︎

  16.  J.T. Walsh, 1 Kings, p. 349.↩︎

  17.  R.W.L. Moberly, “Does God lie to his Prophets ?”, p. 7.↩︎

  18.  Voir R.W.L. Moberly, “Does God lie to his Prophets ?”, p. 8.↩︎

  19.  Voir aussi M. Cogan, 1 Kings, p. 492.↩︎

  20.  J.T. Walsh, 1 Kings, p. 350-351.↩︎

  21.  R.W.L. Moberly, “Does God lie to his Prophets ?”, p. 9.↩︎

  22.  J.T. Walsh, 1 Kings, p. 351.↩︎

  23.  M. Cogan, 1 Kings, p. 492.↩︎

  24.  Un cas représentatif de ce problème est la proposition de R.L. Mayhue, “False Prophets and the Deceiving Spirit”, The Master’s Seminary Journal 4, no 2 (1993), p. 135-163.↩︎

  25.  P. ex. J.A. Montgomery, A Critical and Exegetical Commentary on the Books of Kings, Edinburgh, T&T Clark, 1951, p. 339.↩︎

  26.  C’est la position, p. ex., de J. Gray, I & II Kings : A Commentary, London, SCM Press, 1970, p. 452-453.↩︎

  27.  C’est la position de C.F. Keil, Biblical Commentary on the Old Testament–The Books of the Kings, trans. J. Martin, Grand Rapids, Eerdmans, 1970, p. 276 ; J.A. Montgomery, Kings, p. 339 ; J. Gray, I & II Kings, p. 452-453 ; D.J. Wiseman, 1 and 2 Kings–An Introduction and Commentary, Leicester, InterVarsity Press, 1993, p. 187.↩︎

  28.  E.J. Hamori, “The Spirit of Falsehood”, Catholic Biblical Quarterly 72, no 1 (2010), p. 15-30, 28.↩︎

  29.  C.F. Keil, Kings, p. 277.↩︎

  30.  J.T. Walsh, 1 Kings, p. 350.↩︎

  31.  R.W.L. Moberly, “Does God lie to his Prophets ?”, p. 9.↩︎

  32.  M. Cogan, 1 Kings, p. 493.↩︎

  33.  J.T. Walsh, 1 Kings, p. 352.↩︎

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