RECENSION

RECENSION

William Edgar, Created and Creating. A Biblical Theology of Culture, Downers Grove, IVP, 2016.

Comment les chrétiens, qui reconnaissent la souveraineté du Dieu de la Bible et la royauté de Christ, doivent-ils vivre dans le monde ? Si cette question n’est pas nouvelle, elle n’a pas nécessairement reçu toutes les réponses utiles. L’observation d’Edgar est simple : le thème de la culture est toujours d’actualité, comme en témoignent de nombreux ouvrages publiés récemment, notamment du point de vue théologique. Dans cet ouvrage, William Edgar, professeur d’apologétique à Westminster Theological Seminary, nous propose d’aborder cette question sous un angle théologique et biblique, et non pratique. Certains le regretteront. Cependant, développer une théologie de la culture et présenter des applications exigerait plusieurs volumes et le choix de l’auteur demeure probablement le choix le plus pertinent. Peut-être dans l’avenir nous donnera-t-il le fruit, dans la pratique, de toute son expérience culturelle. L’argument central d’Edgar dans Created and Creating (« Créés et créatifs ») est que « la Bible enseigne que l’engagement culturel devant le Dieu vivant est, avec le culte, la vocation fondamentale du genre humain » (p. 87).

Afin de clarifier les apports d’une saine théologie biblique de la culture, le livre d’Edgar est organisé en trois parties. Dans un premier temps, l’auteur nous engage à réfléchir aux définitions possibles de la culture. Mais il ne se contente pas ici de citer et commenter des définitions aussi diverses que différentes. Il nous invite à explorer avec lui la manière dont certains grands théologiens et penseurs chrétiens ont réfléchi à la question. À travers leurs questions, leurs perspectives sur la culture, les éléments positifs et problématiques de leur constructions théologiques, ils deviennent à la fois des exemples et des avertissements. C’est ici qu’Edgar manifeste le fondement profondément biblique dans lequel il souhaite ancrer le reste de l’ouvrage. Il aurait en effet été facile pour l’auteur d’accepter sans critique l’apport néocalviniste des théologiens sur lesquels il s’appuie, comme par exemple Abraham Kuyper. Ce n’est cependant pas le cas. La richesse philosophique et théologique que le lecteur découvre dans cette première partie témoigne à la fois de la profondeur de la réflexion engagée et de la volonté de l’auteur de constamment évaluer notre théologie de la culture à la lumière de l’Écriture. Cette première partie se termine avec un bref résumé des « paramètres de la culture » soulignant son importance et ses dimensions caractéristiques.

La deuxième partie est sans aucun doute celle qui sera immédiatement la plus bénéfique pour ceux qui souhaitent aborder la question de la relation à la culture sous un angle directement biblique. Cela ne signifie certes pas que la première partie de l’ouvrage n’est pas pertinente, bien au contraire. D’un autre côté, pour de nombreux lecteurs le problème de la relation à la culture est particulièrement nourri par la lecture de la Bible. Fortement conscient de cela, et fidèle à l’apologétique qu’il s’est toujours efforcé d’articuler, l’auteur commence par s’intéresser à la position qui argumenterait à l’encontre de sa propre position. Il commence ainsi cette partie par les textes, particulièrement néotestamentaires, nourrissant à première lecture une opposition entre Dieu et le monde, entre les chrétiens et la culture. Sensible à cette tendance à opposer Dieu et la culture, Edgar nous conduit à travers les chapitres suivants à relire ces textes à la lumière d’une lecture biblique de la Bible entière, et non pas seulement du Nouveau Testament. Dans son articulation de l’équilibre théologique entre engagement dans le monde et résistance culturelle aux idoles, Edgar nourrit notre réflexion avec le motif biblique « création, chute, rédemption », à partir duquel se déploiera sa conclusion première. La création, œuvre du Dieu souverain, n’est pas, par la chute, devenue l’œuvre de Satan et du mal. Elle demeure l’œuvre de Dieu au sein de laquelle ses créatures, images de Dieu, peuvent représenter la présence du Créateur.

L’argument d’Edgar ne s’arrête cependant pas à affirmer la valeur et la dignité de la création. Plus encore, nous avons un devoir biblique d’œuvre au sein du monde créé par Dieu, et de sa culture. Cette vocation, souligne Edgar, doit nous engager à démontrer l’espérance de la restauration que Dieu promet envers toute sa création, et non seulement l’humanité. Il écrit ainsi : « Le devoir de nous opposer au mal culturel n’est pas une lutte contre la création mais contre la malignité du péché. » (P. 100) Ici, Edgar démontre une compréhension de la doctrine de la création à la fois riche et profonde, puisant dans la tradition réformée. La création et la rédemption ne sont pas des domaines séparés et isolés : « La rédemption ne s’écarte pas radicalement de l’ordre créé, mais le construit et l’étend… les distinctions bibliques de base ne sont pas entre le terrestre et le céleste, ni entre le séculier et le sacré, mais plutôt entre l’ordre créé, le monde déchu et le monde racheté par Jésus-Christ. » (P. 155)

Enfin, la troisième partie s’intéresse explicitement au mandat culturel, parfois appelé mandat créationnel. Toujours ancré dans une tradition biblique, exégétique et théologique réformée, Edgar présente une fascinante définition du mandat créationnel qui se déploie, voire même structure, l’engagement culturel dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Trois éléments sont répétés à travers l’histoire de la rédemption : la bénédiction (en particulier la présence de Dieu), la fertilité et la croissance, la souveraineté. Ceci est visible dans le mandat créationnel dans lequel Dieu appelle l’humanité à la communion avec lui, à « remplir la terre » et à représenter sa souveraineté sur le monde. Cette structure du mandat créationnel trouvera même un écho dans le mandat missionnaire dans lequel nous trouvons la même promesse de la présence de Christ, la croissance du peuple de Dieu et la reconnaissance de la souveraineté absolue de Dieu sur toutes forces d’opposition. Quelle devrait être notre réponse à la vocation créationnelle ? Pour Edgar, « la réponse humaine à l’appel divin est de profiter et de développer le monde que Dieu a généreusement donné à ceux qui portent son image » (p. 176). Cette simple conclusion suffit à encourager la relecture de l’ouvrage, et notre application personnelle de ses conclusions théologiques.

Le livre de William Edgar est l’un des nombreux ouvrages écrits sur la culture. Mais ce n’est pas qu’un livre parmi d’autres. Sa simplicité de lecture cache une profonde exégèse, une attention à la cohérence de l’enseignement biblique, une approche globale de notre identité en tant qu’images de Dieu. Les lecteurs apprécieront notamment le grand équilibre biblique qu’Edgar s’efforce constamment de démontrer. Bien sûr cet équilibre pourra frustrer ceux qui aborderont le problème de la culture sous un angle trop positif ou négatif. Mais cela nous encourage tous à revenir constamment à l’histoire de Dieu dévoilée dans le motif « création, chute, rédemption » et à nous rappeler que :

La culture comprend les symboles, les outils, les conventions, les liens sociaux et tout ce qui contribue à cet appel [culturel]. L’activité culturelle se déroule dans un cadre historique et vise à améliorer la condition humaine. En raison de la chute, la culture peut devenir et est devenue sinistre. La grâce rédemptrice de Christ transforme la culture dans la bonne direction, l’ennoblit et lui permet d’étendre le royaume de Dieu, son shalom, sa bonté, sa justice et son amour. (P. 233-234)

Vivre, et faire tout ce que nous faisons à la gloire de Dieu (suivant en cela 1Co 10.31), voilà l’exhortation finale de l’auteur. La référence à « quoi que vous fassiez », dans le texte biblique, est une référence culturelle et l’ensemble de notre activité culturelle devrait démontrer l’amour, la paix et la justice du Créateur. En rappelant cela, l’auteur rend service à l’Église de Christ et à tous les disciples de Christ.

Yannick Imbert


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