La royauté de Dieu, de l’Agneau et des siens dans l’Apocalypse de Jean
« Le vainqueur, je lui donnerai de s’asseoir avec moi sur mon trône… » (Ap 3.21)
W. Gordon CAMPBELL*
Introduction
Pour bien comprendre comment la narration parfois déroutante de l’Apocalypse, à caractère prophétique et visionnaire, représente le Dieu-Roi, l’Agneau qui partage son trône et la participation des croyants à leur règne conjoint, il faut tenir compte de l’usage fait de la royauté, du règne et du royaume de Dieu dans trois autres contextes littéraires. Dans celui des évangiles tout d’abord, où le lecteur trouve un récit du royaume de Dieu à la fois plus sobre et plus familier. Nous supposons lu l’article qui précède celui-ci, consacré au déploiement de la thématique du royaume de Dieu par l’évangéliste Luc; récit-témoin évangélique si l’on veut, la présentation lucanienne oriente utilement le regard de qui veut comprendre les transpositions subies par la notion de règne de Dieu dans l’Apocalypse johannique et en apprécier les accents particuliers. Quant aux deux autres contextes – celui de l’Ancien Testament, d’une part, et des écrits émanant du judaïsme ancien, d’autre part, nous renvoyons aux notes à caractère bibliographique dans le même article comme, par ailleurs, à la contribution du professeur Pierre Berthoud dans ce même numéro.
I. L’Apocalypse et les enjeux de la royauté divine
Qu’en est-il alors du royaume et du Roi dans l’Apocalypse johannique?1 L’Apocalypse, tout en étant une narration, n’est pas un évangile; toutefois, dans ce livre, l’Evangile du royaume, dans un habillement apocalyptique, vient à occuper une grande place. Le conditionnement de la royauté de Dieu et de Jésus, opéré par l’Apocalypse, transforme, pourrait-on dire, l’esquisse évangélique en une magnifique fresque. De ce fait, les destinataires de cette révélation ne sont pas moins concernés que les lecteurs des évangiles par les projets du Dieu-Roi en leur faveur, aperçus dans l’œuvre de son Messie Jésus. L’intérêt considérable que manifeste l’Apocalypse pour la royauté de Dieu et pour son règne ou royaume, réalisés en et par Jésus, se vérifie, nous le verrons, dès la première page2.
Nous régnerons…
Par la doxologie d’ouverture de l’Apocalypse, que d’autres moments liturgiques ne manqueront pas de reprendre, les premiers destinataires – et par extension, les lecteurs que nous sommes – sont constitués adorateurs de Jésus-Christ et de Dieu, à qui sont attribuées gloire et suprématie pour l’éternité (1.6)3. Pour ce service cultuel, les fidèles ont été faits « peuple de rois et prêtres » par le sacrifice expiatoire du Messie Jésus, accompli en leur faveur. Cette précision se fera à nouveau souligner en 5.10 – avec, pour rajout, le détail que ces rois-prêtres sont destinés à régner sur la terre -, dans une scène qui se déroule devant le trône où siège Dieu et où se tient l’Agneau, et au moment où est entonné par les quatre êtres vivants et les vingt-quatre vieillards un cantique nouveau. Mais, dès avant l’ouverture du ciel en 4.1, le message central du septénaire des oracles aux Eglises, adressé à Thyatire, promet au vainqueur une autorité sur les nations (2.26), tandis que la perspective d’un règne avec le Christ sur son trône est ouverte par la dernière promesse de la série, faite à la septième Eglise et, donc, à toutes les sept (3.21).
Dieu va venir régner instamment…
En 1.4, il est fait mention pour la première fois de « celui qui est, était et vient » (cf. 1.8; 4.8). Cette formule triple qui, de toute évidence, paraphrase le nom de Dieu, sa royauté et son éternité verra bientôt disparaître son troisième membre, « celui qui vient », car plus loin, dès lors qu’il s’agira d’accueillir, précisément, l’avènement du règne de Dieu (11.17; cf. 16.15), il n’y aura plus lieu de souligner l’aspect d’un royaume encore à venir. L’imminence de sa venue, accentuation que partagent les paraboles de Jésus, caractérise le début comme la fin de l’Apocalypse et cadre toute sa révélation: à la déclaration liturgique d’ouverture de l’Eglise, « il va venir » (1.7), succède la parole de son Seigneur qui dira, à Pergame ou encore à Philadelphie, « je vais venir instamment » (2.16; 3.11); et dans l’ultime dialogue liturgique, son « je vais venir instamment », scandé trois fois encore (22.7, 12, 20), obtiendra de l’Eglise la réponse « qu’il en soit ainsi, viens Seigneur Jésus » (22.20).
En Jésus-Roi, Dieu règne déjà…
Se situant toujours par rapport au seuil du livre, on s’aperçoit que Jésus-Christ ressuscité y est lui-même présenté comme « le Souverain des rois de la terre » (en 1.5). Qui plus est, cette appellation complète une première caractérisation triple du Messie désigné, tout d’abord, comme « Témoin fidèle » et comme « Premier-né d’entre les morts ». Ainsi le lecteur est-il invité, dès le début, à reconnaître en Jésus-Christ, qui donne sa vie jusqu’à la mort et qui triomphe de la mort par sa résurrection et son exaltation, celui qui, préalablement, règne comme souverain. On s’en souviendra lorsque par deux fois, au cours des derniers épisodes du livre, la narration en viendra à baptiser « Roi des rois et Seigneur des seigneurs » deux personnages équivalents, d’une part, l’Agneau-Vainqueur (17.14) et, d’autre part, le Cavalier messianique couronné de multiples diadèmes (19.12) et figure dans laquelle se métamorphosera, pour l’ultime épreuve de force (19.16), l’Agneau. Avec cette désignation répétée du Messie vont se chevaucher deux autres: la première, enchâssée dans une louange présente sur les lèvres des vainqueurs du monstre, nommera le Dieu tout-puissant « Roi des nations » (15.3), tandis que la seconde, intégrée à l’ultime cantique de l’Apocalypse, affirmera qu’il est entré dans son règne (19.6).
Mais en amont de toutes ces déclarations, au moment où retentit de manière décisive la septième trompette, des voix célestes frappent déjà l’ouïe du voyant, et donc du lecteur, pour insister sur le fait que le royaume du monde est désormais « aux mains de notre Seigneur et de son Christ », qui régnera éternellement (11.15; cf. Ps 2.8; 22.28-29; 145.13). Cette déclaration provoque, à son tour, dans la bouche des vingt-quatre vieillards, une acclamation saluant l’établissement de ce règne (11.17), puis l’accueil, par une autre voix émanant du ciel, de l’instauration du royaume par un Messie investi de toute autorité (12.10).
Dieu trône au cœur du monde…
C’est d’emblée, aussi, que notre texte attribue au Dieu qui vient régner un trône (1.4). Ce trône divin que seuls quatre chapitres du livre n’évoqueront pas, constituera, dès le chapitre 4, le véritable chef-lieu de l’Apocalypse4. Devant ce trône se déroulera, au travers d’une série de sept scènes successives, l’essentiel de l’action du récit entier5. Ce n’est toutefois pas le trône en soi qui intéresse l’auteur de l’Apocalypse, mais celui qui, selon la syntaxe de 4.2 (cf. 5.7 et 20.11), y vient s’asseoir et s’installer dans sa majesté et sa toute-puissance. Un trône central est de ce fait une manière de placer Dieu au centre, une façon de symboliser par un langage indirect celui qui vit et agit en tant qu’il règne. Jésus n’avait-il pas dit, pensant peut-être à Esaïe 66.1-2, que le ciel sert de trône à Dieu (Mt 5.34)? Ce trône si incontournable ne signifie donc rien d’autre que la royauté du Dieu-Souverain, matérialisée en quelque sorte sous forme de siège de l’absolue souveraineté, et il se déploiera, dans la suite de l’intrigue, comme une quasi-personnification du Dieu qui règne.
Dieu est le Père tout-puissant…
En 1.8, « le Seigneur Dieu » parle pour s’autodésigner non seulement comme celui qui est, était et vient, mais aussi comme « l’Alpha et l’Oméga » et comme le « Tout-Puissant ». La dernière appellation est souvent lue comme un geste de défiance politique, voulant restituer au seul Seigneur un titre que pouvait s’arroger, dans le monde d’alors, l’empereur romain. Quoi qu’il en soit, l’Apocalypse réserve ce terme à celui qui tient tout et détient tout pouvoir et, à l’exception de 21.22, ce titre lui est toujours attribué dans un contexte de prière et de louange: ainsi va-t-il, par exemple, de la reprise de cette toute-puissance en 4.8 et, en 4:11, de l’acclamation du Créateur de toutes choses comme souverain Seigneur de tout. Le dragon et ses suppôts convoiteront plus loin cette toute-puissance (13.2-8, 11-17), mais même le pouvoir limité dont ils jouiront à ce moment-là leur aura été donné (13.7): le Dieu de l’alliance n’octroie sa souveraineté incontestable qu’à son Messie qui a le sceptre de fer dans sa droite (2.27) et à qui, selon 1.6, appartient depuis toujours « la suprématie (ou le triomphe, le règne) pour les siècles des siècles ».
II. L’Apocalypse et le règne de Dieu contesté
Cependant, pour les fidèles des Eglises d’Asie romaine comme, de nos jours, pour l’adepte de Jésus, confesser que Dieu règne n’est pas chose évidente. Un anti-trône se trouve même niché au cœur du septénaire inaugural, à Pergame (2.13) – il s’agit de rien de moins que du trône et de l’habitation du satan – et avec cette réalité se cristallise immanquablement une question préoccupante que doit se poser, tôt ou tard, tout croyant secoué par les épreuves de la vie: qui règne? La réponse ultime que donnera l’Apocalypse à cette question, c’est que les fidèles vassaux du Seigneur Dieu offriront à celui-ci leur culte et régneront à tout jamais (22.3-5); et c’est dès la fin de ce même septénaire inaugural que se formule une première ébauche de cette réponse, car dans l’oracle adressé à Laodicée est exprimée la promesse selon laquelle le vainqueur s’assoira avec Jésus sur son trône comme celui-ci s’est déjà assis sur le trône de son Père (3.21).
Si seul Dieu est Roi, la victoire est assurée…
Selon la perspective fondamentale de l’Apocalypse, Dieu seul est Roi et toute autre seigneurie n’est qu’une illusion. Mais puisque la royauté de Dieu sera contestée au cours de l’intrigue qui se développe, la série de promesses prononcées par le Messie-Vainqueur dont sont munis, depuis le septénaire inaugural, les chrétiens-vainqueurs des sept Eglises (2.7, 10-11, 17, 28; 3.3-5, 12, 21), arme préalablement ceux-ci pour un combat qui consistera à rester fidèle jusqu’à ce que sonne l’heure du jugement. Et, étant donné que remporter la victoire dans ce combat signifie vaincre comme Jésus a déjà vaincu, il ne faut pas réduire l’aspect paradoxal d’une victoire qui aura permis à l’Intronisé lui-même d’entrer dans son règne en passant par la défaite apparente de la mort et par la résurrection6. En prévenant une opposition cosmique qui se rangera contre Dieu et son Messie, ces promesses permettent donc d’affronter le règne d’un satan qui, dans son acharnement de dragon (12.17), ne se donnera pas encore pour battu. Orientant ainsi le regard, elles permettent également de dégager des victoires apparentes des monstres, assistants du dragon (13.7, 15), le caractère finalement éphémère: les prétendus succès du triumvirat infernal dérangeront, certes, pour un temps, mais ils n’empêcheront pas l’établissement du règne incontesté de Dieu et de l’Agneau dont le progrès, sur la terre, est inéluctable. Par conséquent, la substance des promesses aux Eglises ne manquera pas d’être reprise, c’est-à-dire rappelée, au cours du dénouement triomphal (21.1-22.5), qui verra Dieu s’établir définitivement et sans opposition auprès de l’homme dans un rapport de paternité-filialité (21.3) caractéristique de l’alliance, c’est-à-dire du royaume.
Dieu règne incontestablement!
Mais dans cette perspective, pour que les fidèles soumis du Fils puissent régner avec lui, il faut s’assurer préalablement que le Père, lui, règne incontestablement au ciel comme sur la terre: ne prie-t-on pas le Père, justement, par la pétition « que ton règne vienne (Mt 6.10/Lc 11.3), que ta volonté soit faite, comme au ciel de même sur terre » (Mt 6.10)? Que tel est le cas, que l’Agneau-Messie partage pleinement la royauté divine et que ses partisans régneront en effet avec lui, ressort clairement du beau diptyque des chapitres 4 et 5, où ses deux-tableaux-en-un clament haut et fort: Dieu règne! Dans ces deux chapitres, on ne trouve pas moins de dix-neuf références au trône divin ou à des trônes permettant aux fidèles de corégner (4.2 deux fois, 4.3, 4.4 trois fois, 4.5 deux fois, 4.6 trois fois, 4.9, 4.10 deux fois; 5.1, 6-7, 11, 13). C’est essentiellement un scénario où le trône divin se fait entourer de vingt-quatre autres trônes, dont les intronisés se prosternent en jetant leurs couronnes d’or devant le Grand Roi, Dieu Créateur vivant pour toujours (4.4, 10): ainsi voit-on se dédoubler les douze trônes que Jésus prévoyait pour que ses disciples président au jugement des douze tribus d’Israël (Mt 19.28).
Avec Dieu, l’Agneau règne!
Ensuite, au chapitre 5, c’est du milieu de l’espace « trône » qu’émerge un Agneau égorgé mais debout, doté d’une puissance et d’une sagesse au septuple, dont la haute dignité lui permet d’ouvrir le livre de la volonté divine (5.6-7). Sa dignité, c’est précisément son œuvre de rédemption en faveur d’un peuple racheté pour Dieu parmi tous les peuples et établi en un « royaume » de prêtres qui « régneront sur la terre » (5.9-10; cf. 1.6). La multitude qui avait adoré le Créateur (4.11) chante maintenant son Messie (5.9-10, 12), à qui reviennent les pleins pouvoirs depuis le sacrifice de la croix7. Désormais, le règne de l’Agneau est identique à celui de Dieu, ce qui fait bénéficier l’intrigue d’une certaine tension entre partage et transfert du pouvoir, jusqu’à ce qu’à la fin du livre, en accomplissement de la louange anticipative de 5.13, Dieu et l’Agneau soient ensemble tout en tout.
Un règne peut cacher un autre…
La délégation de sa seigneurie, par l’Assis sur le trône, à son plénipotentiaire l’Agneau est d’autant plus importante qu’elle provoquera une imitation, à savoir l’octroi par le dragon de son pouvoir au monstre marin (13.2) puis, par extension, au monstre terrestre (13.12). A l’anti-trône correspond donc un véritable anti-royaume dirigé par un dragon, qui délègue ses pouvoirs à deux monstres dans une parodie de l’octroi de la seigneurie effectué par l’Intronisé en faveur de l’Agneau. Une description du mal comme ce qui n’est pas Dieu, ou qui contredit et contrefait Dieu, ne surprend pas le lecteur qui connaît son Ancien Testament. Mais le scénario s’inspire également d’une parole de l’évangile: le tentateur ne disait-il pas pouvoir donner à qui il voulait l’autorité qu’on lui avait confiée (Lc 4.6)? Le dragon est le singe de Dieu8: tout comme Dieu, invisible, ne se donne pas à voir, mais envoie son Fils, en contrepartie le dragon s’éclipse derrière ses ministres, les deux monstres, auxquels il donne une autorisation correspondante. Ainsi le premier de ces agents rivaux voudra-t-il s’arroger la souveraineté que Dieu partage avec son Messie, en essayant de détourner de Dieu la soumission humaine qui lui est due. Et pour asseoir sa relation au dragon, il cherchera, par ses cicatrices imitatives (13.3), à être lui aussi un seigneur qui règne par le sacrifice de lui-même.
Le compte à rebours d’un anti-règne…
Malgré tout, cet anti-royaume restera la sphère d’un faux règne sans autonomie aucune. Car malgré l’apparent silence de Dieu devant les pirouettes des monstres – 13.12-16 souligne huit fois l’impressionnant « faire » du monstre de la terre -, un signal discret mais insistant trahit, pour le lecteur, le creux de cette activité effrénée, en réitérant « il lui fut donné », passif divin qui indique que Dieu reste maître des choses9. Le trône du satan (2.13) trouve, certes, son extension dans le trône usurpateur que le dragon octroie au monstre marin (13.2); mais, lors du versement de la cinquième coupe de rétribution (16.10), cet anti-trône se verra plongé dans l’obscurité et, de ce fait, neutralisé. C’est la confirmation que toute l’histoire du dragon et des autres monstres n’aura été que le récit d’un échec: « pour terribles qu’ils soient, c’est leur défaite qui est annoncée »10.
Cela vaut, aussi, pour la réapparition en 17.3 de l’un des monstres, seul et dans un nouveau rôle. Car le lecteur intelligent (17.9) est en mesure de comprendre: sa prétendue « résurrection » avait beau réussir quelque chose, son retour ne conduira qu’à la destruction, puisque la victoire publique est désormais au Christ comme aux supposées victimes de la bête (17.14). L’itinéraire de ce monstre résurgent veut, mais ne peut, rivaliser avec la venue de Dieu en son Messie; dans son impuissance, il bute continuellement contre la seigneurie de l’Agneau et c’est sa perdition irrémédiable qui est soulignée (17.8, 11). Le préalable, selon lequel seuls l’Agneau et ses associés sont vainqueurs, se confirme: l’Agneau est Seigneur et Roi, et ses adhérents sont à leur tour intouchables parce que « appelés et choisis… [et] fidèles » (17.14). Tout ce qu’aura voulu faire le dragon aidé par ses partisans, y compris à travers sa réincarnation, le monstre écarlate, n’est donc qu’une imitation diabolique de la souveraineté et de la majesté transcendantes de Dieu et de l’Agneau11, qu’une vaine tentative de rivaliser avec le vrai Seigneur du monde12.
L’intervention des sept ou des dix rois (17.10, 12ss) ne fera pas avancer d’un pouce les « prétentions royales de la bête »13. L’exégèse s’est souvent préoccupée de l’identité qu’on suppose déchiffrable de ces rois, mais force est de constater que le récit lui-même s’intéresse à leur condition en faisant surtout valoir la précarité de ces soi-disant rois et rois pour une heure (17.12): sous l’égide du monstre bis ils se rassemblent, comme c’est attendu depuis 16.14, pour combattre contre celui qui est « Roi des rois et Seigneur des seigneurs » (17.14)14. Mais personne ne doit douter de l’issue des combats: on sait que seul l’Agneau-Messie est Roi; cet attroupement de roitelets fait donc sourire, car il ne servira en fin de compte qu’à exécuter malgré lui la volonté divine (17.17).
Entre le Roi véritable…
Bien sûr, la logique de l’histoire exige qu’ait lieu, tôt ou tard, un affrontement décisif entre le héros, l’Agneau, et ses ennemis. C’est ainsi que sous l’aspect d’un cavalier messianique monté sur un cheval blanc (19.11-16), le détenteur de la vraie seigneurie affronte les forces usurpatrices du mal qui veulent désespérément la lui arracher. Pour raconter comment le Messie triomphe du mal, le Nouveau Testament recourt plusieurs fois à un scénario de ce type, sous une forme ou sous une autre15. Ici, ses « nombreux diadèmes » témoignent de sa supériorité à la fois sur le dragon, dont les sept diadèmes revendiquent un pouvoir universel (12.3), comme par rapport au monstre marin aux dix diadèmes (13.1).
Maintenant, à l’entrée en scène du cavalier, il se révèle la royauté véritable que les monstres avaient tenté en vain d’imiter. L’énumération impressionnante de noms et de traits divers qualifiant ce personnage a pour effet d’accorder à cette apparition du Messie un caractère encore plus décisif que les précédentes, comme s’il s’agissait d’une révélation vraiment plénière. En même temps, ces épithètes ne sont pas plus exhaustives que les divers traits énumérés, car ce personnage possède un nom inconnaissable (19.12, reprenant à 2.17 « un nom nouveau [omis ici] que personne ne connaît »): serait-ce le nom au-dessus de tout nom de Philippiens 2.9? L’entassement de noms pour identifier le dragon, à l’heure de sa précipitation (en 12.9) comme au moment de son liement (en 20.2), dit au contraire tout et ne laisse planer aucun doute sur l’irrévocabilité de la défaite du satan. Les noms du cavalier s’opposent donc à tout ce qui désigne le faire du dragon et de ses sbires, rétorquant aux revendications blasphématoires de ceux-ci. La troisième et dernière acception du titre « Roi des rois et Seigneur des seigneurs » réplique à tout ce qui avait porté atteinte à la souveraineté universelle de Jésus. L’Agneau devait vaincre (17.14) et, par conséquent, le Messie est ici le vrai gagnant.
Pour confirmer que la parenthèse de l’éclosion du mal, racontée au cours des chapitres 13 à 18, est désormais close et le royaume de Dieu maintenant parachevé en la personne et à travers le faire du Messie victorieux (19.11-16), l’Apocalypse poursuit avec un récit de l’élimination des deux monstres (19.19-21), suivi d’une narration consacrée aux derniers exploits, à la défaite et à la destruction du dragon (20.1-10). Le lecteur constate que la dernière heure pour toute anti-royauté est venue; bientôt, seul subsistera le trône du Dieu-Juge (20.11), Maître de l’histoire des hommes (22.1, 3).
III. L’Apocalypse et le règne de mille ans
Le morceau 20.1-10 tout en instruisant encore le thème du règne de Dieu dans l’Apocalypse, comme cela devient clair en 20.4, relate la fin du dragon. De ce fait, le millénium apparaît, tout d’abord, sous l’aspect d’une période où est enchaîné le satan (20.2). A son terme (20.3, 7), il se produit un relâchement pour un court laps de temps, suivi d’un ultime attroupement des nations qui se solde par une cuisante défaite finale (20.8, 9). Et, surtout, on aboutit à la fin dernière du satan consigné, comme ses lieutenants, au lac ardent de feu et de soufre (20.10). C’est sur toutes ces choses finissantes qu’il convient d’articuler le co-règne des non-adorateurs du monstre avec le Messie, mille ans durant (20.4), après que ceux-ci – à la différence des autres morts (20.5) – aient repris vie lors de la « première résurrection » pour vivre ce même millénium en rois-prêtres avec le Messie (20.6).
Mais ce passage est plus complexe encore. Car, avec pour arrière-plan tout ce que nous avons vu jusque-là, à savoir le déploiement, dans tout l’Apocalypse, du thème de la royauté divine à laquelle participe l’Agneau16, le défi que doit relever le lecteur face à 20.1-10 consiste à interpréter convenablement un texte qui témoigne de l’interpénétration unique de trois idées17: i) le règne déjà inauguré sur la terre par le ministère du Messie Jésus crucifié et ressuscité, Vainqueur du mal et de la mort; ii) la fin correspondante du règne des puissances maléfiques qui se solde par leur liement et destruction; et iii) la durée millénaire de la royauté du Christ, partagée par les siens, qui est aussi celle de l’emprisonnement de l’adversaire.
Le Messie couronné et le satan renversé…
Le récit du chapitre 20 a tout de la fin d’un royaume voué à la disparition et du triomphe d’un autre, éternel. La fin du faux règne s’explique par la venue du royaume véritable: l’enchaînement du satan décrit ici coïncide avec l’entrée dans son règne du Messie, tout comme le bannissement du dragon au chapitre12 avait correspondu à la « naissance » du Messie ou, comme au chapitre13, la blessure guérie du monstre était conditionnée par la mort et la résurrection de l’Agneau immolé mais debout, qu’elle voulait singer. Dans cette optique, l’histoire qui est racontée ici concerne la mort du prétendant au trône, faux roi usurpateur qui s’appelle aussi le satan ou le dragon. Premier membre de l’équipe infernale à être entré en scène, au chapitre 12, il est maintenant le dernier à la quitter, car la peine éternelle de ses lieutenants introduits au chapitre 13 vient d’être racontée (en 19.19-21)18. Dans son opposition diamétrale au Créateur de toutes choses, le dragon aura beau essayer de créer, il n’aura su que détruire, conformément à sa nature que les noms Abaddon et Apollyon trahissent (9.11), car ils signifient « destruction » en hébreu et grec; 11:18 en apporte la confirmation, par la prophétie de l’anéantissement des forces destructrices.
C’est tout un anti-règne qui s’effondre comme se ferme une parenthèse, à travers trois moments successifs: un emprisonnement mettant fin à l’activité caractéristique du malin, qui est d’égarer les hommes (20.3); un bref relâchement et relèvement, où le satan peut encore tromper l’humanité pour un temps (20.7-8); et à l’épuisement de son compte à rebours, sa neutralisation par l’ultime passif divin (« fut jeté », 20.10) d’une longue et mystérieuse patience, désormais à bout. Le lecteur de l’évangile de Luc connaît, déjà, ce scénario triple: le diable est d’abord défait au désert, au seuil du ministère public de Jésus; pendant ce même ministère, il reste impuissant devant la marche du règne de Dieu en Galilée et jusqu’à Jérusalem; là, il rebondit, enfin, pour entrer dans le cœur de Judas et provoquer l’arrestation de Jésus et les événements qui se solderont à la croix – mais cette « revanche » n’en est même pas une, étant donné que le Messie devait souffrir et, aussi, ressusciter (24.46)!
Que son règne cesse, sur la terre maintenant comme déjà au ciel…
La fin racontée par le chapitre 20 n’est, par conséquent, que du déjà vu19. L’épisode de 9.1-12 avait déjà conditionné le regard du lecteur, en identifiant des limites divinement imposées par Dieu à l’étoile précipitée. Et, surtout, l’épisode de 12.7-11 avait déjà narré un scénario sensiblement parallèle à celui du chapitre 20 avec, entre autres: la précipitation (12.9/20.3) d’un antagoniste qui est dragon et un spécialiste de l’égarement (12.9/20.2-3, 7-8), dont la marge de manœuvre devient courte (12.12b/20.3) et, suite à cette chute, l’établissement du royaume du Messie et des siens (12.10-11/20.4). L’abolition dans le premier texte du rôle, tant redouté, d’accusateur (12.10) fait que, ici, on n’en parle même plus; celui qui avait accusé les saints, nuit et jour, devant Dieu devra, maintenant, vivre nuit et jour, et cela à perpétuité, sa propre condamnation (20.10)20. Au chapitre 20, nous nous trouvons en présence de l’ultime récit d’une déroute dont la version de 12.7-11, déjà, a raconté l’essentiel. S’il y a une différence entre les deux représentations d’une même histoire, elle paraît résider dans le fait que la perspective céleste sur l’événement dévoilé par le chapitre 12 trouve, au chapitre 20, sa contrepartie: l’accusateur banni de la cour céleste (12.10) essuie maintenant une défaite terrestre correspondante, qui passe par les trois phases d’une incarcération (20.2), d’un relâchement (20.7) et d’une capture définitive (20.10).
L’épisode de 20.2-3 décrit l’action irrésistible de l’ange pour venir à bout du dragon/serpent/diable/satan au moyen de cinq verbes sans appel à l’aoriste (que nous traduisons au passé simple): s’empara de, lia, jeta, ferma et scella. Cette mise au cachot de l’ennemi premier n’est autre que sa précipitation, que la défaite déjà enregistrée face à Michel (12.7-8), que la conséquence d’une victoire scellée par le sang de l’Agneau et partagée avec les siens (12.10-11) – autant de manières de manifester la mort victorieuse de la seule croix, qui précède tout (1.5). L’acclamation joyeuse de l’instauration du royaume, en 20.6, s’ajoute donc tout naturellement aux exclamations célestes déjà poussées en 12.12. Quant à l’étrange remise en liberté temporaire de l’adversaire en 20.7, il n’y a pas lieu de s’inquiéter: au contraire, c’est une invitation à prendre à nouveau en considération la narration du chapitre 12, décisive pour la compréhension du présent récit.
Car les deux attaques montées par le satan, successivement en 12.1-6 puis en 12.13-17, avaient été habilement séparées et, par conséquent, totalement relativisées par sa défaite céleste (12.7-12). De même, maintenant, et par une adroite inversion des choses, c’est la victoire correspondante du Messie et de ses fidèles (20.4-6) qui s’intercale entre une première défaite du satan (20.1-3) et un sursis qui n’aura pour débouché que sa capitulation totale (20.7-10), mettant ainsi en perspective ces deux épisodes. En plus, deux verbes au passif en 20.7 (« seront écoulées » et « sera relâché ») aident le lecteur à ne voir dans ces choses qu’une résurgence du mal très passagère, à l’image sans doute d’Ezéchiel 38 et 39. L’intervention d’un feu céleste (20.9) assortie à une deuxième série de verbes au passif (« fut jeté » et « seront tourmentés ») – l’exact pendant de celle de 20.7 – confirme que, pour le triumvirat infernal, tout est désormais fini. Le dragon et ses deux suppôts sont réunis dans le lac ardent (20.10), car le diable n’a plus qu’à « rejoindre ses valets dans la perdition »21. Leur collaboration maléfique (16.13) avait été rendue nécessaire par l’incapacité du dragon, précipité et contré (12.13-18), à agir seul (13.2, 12); maintenant, une punition sans fin et sans le soulagement d’une vraie mort rétribue toutes les injustices dont ils ont été les instigateurs.
Ce dragon pris, puis temporairement relâché, enfin définitivement neutralisé, offre au lecteur du chapitre 20 la troisième version d’une seule et même carrière triple, celle de ses deux serviteurs les monstres, dont la mort, la guérison et le retour voué à l’échec ont déjà été soulignés à deux reprises au cours de l’intrigue (13.3, 12, 14; 17.8-11). Ces trois versions d’une vraie défaite, quand bien même elle serait enrobée de petites victoires illusoires, narrent par trois fois la chute spectaculaire de l’empire du mal et dessinent une spirale descendante inversement parallèle à la montée de l’Agneau victorieux. Toutes, elles se calquent de façon antithétique sur son histoire, l’histoire d’une victoire véritable dissimulée en défaite apparente par sa mort mais révélée par sa résurrection: et cette consommation de l’alliance nouvelle permet au Dieu-Roi de venir régner au cœur même de son peuple.
IV. L’Apocalypse et le règne éternel
« Le royaume de Dieu a pour condition finale un ciel nouveau et une terre nouvelle (21.1ss)… La terre nouvelle d’Apocalypse 21 est le terme final de la révélation du processus de rédemption. »22 Le dernier acte de l’Apocalypse ouvre, en effet, sur la grandiose vision finale d’un « Royaume cosmique »23, avec un ciel nouveau et une terre nouvelle (21.1) et donne à voir la descente d’une ville de facture divine, la nouvelle Jérusalem, qui n’est rien de moins que le peuple de l’alliance parachevé (21.2)24. C’est là sans doute l’image la plus spectaculaire que l’Apocalypse déploie pour exprimer la souveraine victoire de Dieu sur le dragon et ses alliés, sur le péché et sur la mort. Au cœur de ce renouvellement de toutes choses dont parle l’Assis sur le trône (21.5) est sa propre venue auprès des hommes pour accomplir toutes les promesses de l’alliance – véritable « guérison » de leur condition déchue, 22.2 – et pour abolir toute malédiction que la rupture de la relation par le partenaire humain aura entraînée.
L’étonnante réconciliation du Créateur avec sa création, l’homme en particulier, est le point de mire de l’ultime vision. Et dans cette ville-cadeau où se trouve désormais « le trône de Dieu et de l’Agneau » (22.3), il est dit que les vassaux ou les adorateurs de Dieu et de l’Agneau « régneront éternellement » (22.5). Jésus n’avait-il pas promis, comme une bénédiction de son règne, qu’on verrait Dieu en face-à-face (Mt 5.8)? Or, dans la promesse de 22.4, voir sa face et porter son nom (c’est-à-dire le connaître et lui appartenir) veut dire jouir d’une communion parfaite, conformément au dessein originel de la création25, et partager le triomphe de Dieu obtenu à la croix de son Messie. Comme le disait Paul à une autre Eglise d’Asie née de sa mission, voisine de Laodicée, cette réconciliation de l’univers entier avec son Souverain s’effectue à travers le versement du sang du Messie à la croix (Col 1.20). Sept références à l’Agneau ici (21.9, 14, 22, 23, 27; 22.1, 3), sans qu’il soit répété textuellement que celui-ci est « immolé mais debout », font valoir l’orientation donnée, dès le départ, en 1.5-6: ils règnent en rois-prêtres ceux-là qui, héritant des promesses dans l’ère nouvelle inaugurée par le sacrifice de Jésus, ont été délivrés de leurs péchés par le sang du Messie.
Conclusion
Au « que ton règne vienne » du Notre Père évangélique correspond le « viens, Seigneur Jésus » de l’Apocalypse qui suit la discussion conclusive entre ange et voyant (22.6-11) et clôt le dialogue liturgique réunissant Jésus et son Eglise (22.12-21). Si, d’une certaine manière, le royaume venant du futur de Dieu et attendant d’être parachevé un jour dépasse et échappe à toutes les réalisations temporelles de ce règne, toujours est-il que par la prière et par le culte, les rois-prêtres que l’Agneau a rachetés par son sang font régner à travers leur louange et leur adoration celui qui a mis fin au règne du satan et qui est Souverain de tous les « rois » de la terre sans exception. L’importance accordée par l’Apocalypse à l’acclamation cultuelle de celui qui, par sa mort et résurrection, règne aux siècles des siècles est en large partie responsable de son accentuation récurrente d’une royauté que l’Agneau intronisé partage, depuis son trône, avec les fidèles qui, tout en se prosternant, règnent avec lui. Et l’aspect central que revêt son sacrifice, geste royal paradoxal par lequel sont vaincus les pouvoirs du mal et de la mort, explique et justifie la dramatisation singulière dont font l’objet l’anti-trône et l’anti-règne diaboliques: malgré leur acharnement et un certain succès éphémère escompté auprès des hommes qu’ils s’assujettissent, ces adversaires n’ont aucune chance d’éviter la défaite totale que leur inflige l’Agneau immolé-mais-debout ou d’empêcher qu’il entre dans son règne.
En faisant en sorte que son intrigue aboutisse à un scénario où Dieu et l’Agneau règnent, l’Apocalypse narre l’accomplissement de toutes les promesses de YHWH envers son peuple et la réalisation de toutes les bénédictions de l’alliance renouvelée tant attendue et, maintenant, inaugurée par le Messie Jésus dans sa victoire sur le péché, la mort et le mal dans toutes leurs manifestations. Pour le lecteur contemporain qui partage la foi des premiers destinataires, la vision du règne de Dieu en Jésus le Messie qu’offre ce livre n’a rien perdu de sa puissance. Parole véridique et solide promesse, elle l’invite à une relation de confiance avec Dieu, en lui précisant son ultime allégeance. Elle l’appelle à un fidèle témoignage au cœur d’un monde souvent hostile. Elle lui inspire une louange qui porte à l’expression, de concert avec tous les croyants de tous les temps, la célébration d’une victoire déjà obtenue à la croix. Enfin, elle lui permet de faire reposer son espérance, pour la vie comme dans la mort, sur l’avenir de Dieu et de l’Agneau qui règnent à jamais.
* W.G. Campbell est professeur de Nouveau Testament à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
1 Pour ce qui est du royaume de Dieu dans l’Apocalypse de Jean, trois indications bibliographiques peuvent suffire: un petit chapitre du cahier Evangile 84, Evangile et règne de Dieu (Paris: Cerf, 1993), sur « Règne de Dieu et Règne du Christ dans l’Apocalypse » (57-60), par E. Cothenet; la section sur l’Apocalypse de l’article « Règne (ou Royaume) de Dieu » dans le Dictionnaire de la Bible. Supplément X (Paris: Letouzay & Ané, 1981), colonnes 191-199, par P. Prigent; enfin, le dernier chapitre du livre de R. Schnackenburg, Règne et royaume de Dieu (trad. de l’allemand, L’Orante: Paris, 1965), « Le thème de la basileia dans l’Apocalypse de Jean », 276-291.
Pour un bon aperçu, en langue anglaise, du thème du royaume de Dieu et du Christ chez Paul ainsi que du royaume de Dieu dans le reste du Nouveau Testament, voir respectivement L.J. Kreitzer, « Kingdom of God/Christ », Dictionary of Paul and His Letters (Downer’s Grove/Leicester: IVP, 1993), 524-526, et S. Kim, « Kingdom of God », Dictionary of the Later New Testament and its Developments (Downer’s Grove/Leicester: IVP, 1997), 629-638. Remarquable est, également, la contribution « Apocalypticism » de D.E. Aune, T.J. Geddert et C.A. Evans dans le Dictionary of New Testament Background (Downer’s Grove/Leicester: IVP, 2000), 45-58.
2 Ainsi R. Schnackenburg, op. cit., 276: « Presque dès le début, nous entendons parler du Règne actuel du Christ et de notre participation à sa royauté. »
3 Sauf indication contraire, toutes les références bibliques de cet article se rapportent à l’Apocalypse de Jean. Dans le but de rendre le lecteur attentif au vocabulaire du royaume dans le texte grec de ce livre, nous ne citons pas comme à l’habitude la version dite La Colombe, mais nous proposons systématiquement, au lieu de cela, notre propre traduction.
4 Pour une interprétation du trône comme espace central dans l’Apocalypse, voir par exemple S.J. Friesen, Imperial Cults and the Apocalypse of John. Reading Revelation in the Ruins (New York: OUP, 2001), 163.
5 Un trône à dimensions cosmiques connaît une riche antécédence dans l’Ancien Testament et les écrits intertestamentaires. Pour la spécificité du trône de l’Apocalypse par rapport à ses antécédents vétérotestamentaires, on consultera l’étude récente de H.D. Neef, Gottes himmlischer Thronrat. Hintergrund und Bedeutung von sôd JHWH im Alten Testament, « Neutestamentlicher Ausblick: Gottes himmlischer Thronrat in Apk 4,1-11 » (Stuttgart, 1994), 62-67. Quant à la littérature juive ancienne, un petit article récent de M. Philonenko, « Une voix sortit du trône qui disait… (Apocalypse 19.5a) », Revue d’histoire et de théologie religieuses 79 (1999), 83-89, fait le point sur le « contexte nouveau » (p. 85) offert à l’exégèse de l’Apocalypse par la mystique juive de la Merkaba avec ses formules pour parler du trône de Dieu et sa caractérisation de la voix sortant du trône. Curieusement, Philonenko, tout en recensant les principaux passages où l’Apocalypse s’intéresserait au thème du trône, omet celui – pourtant capital – où apparaissent le grand trône blanc et son occupant (20.11-14).
6 4 Esdras 7.127-129, un écrit qui partage plusieurs des caractéristiques de l’Apocalypse, connaît un emploi similaire de l’idée de « vaincre ».
7 Tous les moments liturgiques de l’Apocalypse présupposent la royauté de Dieu et de l’Agneau. Pour un examen de l’adoration rendue à Dieu et à l’Agneau comme à leurs adversaires dans l’Apocalypse, voir notre article « Pour lire l’Apocalypse de Jean: l’intérêt d’une approche thématique », La Revue réformée 224 (2003:4), 43-65.
8 On peut comparer L. Lafont, L’Apocalypse de Saint Jean (Paris: Téqui, 1975), 54: « Satan, singe de Dieu, suscite la bête de la mer comme Dieu a suscité son Messie ».
9 Nous ne nous attardons pas longtemps, ici, sur l’histoire des deux monstres et de l’Agneau qu’ils singent; la question de leur caractérisation a retenu toute notre attention dans l’article « Un procédé de composition négligé de l’Apocalypse de Jean: repérage, caractéristiques et cas témoin d’une approche parodique », Etudes théologiques et religieuses 77 (2002:4), 491-516.
10 M. Carrez, « Le déploiement de la christologie de l’Agneau dans l’Apocalypse », Recherches d’histoire et de philosophie religieuses 79 (1999), 13.
11 E. Stauffer, Die Theologie des Neuen Testaments (Stuttgart/Berlin, 1948), 51, disait que le Nouveau Testament n’a pas de théologie sans démonologie, mais que celle-là et non pas celle-ci a toujours le dernier mot: le satan n’échappe pas aux limites qui lui ont été imposées.
12 Pour J.L. Resseguie, Revelation Unsealed: A Narrative-Critical Approach to John’s Apocalypse (Leyde/ Boston/Cologne: Brill, 1998), 103ss, les personnages du livre, qu’ils soient de première importance ou secondaires, et avec eux divers images et symboles qui surgissent au cours de l’intrigue, se rangent selon une logique de l’antithèse dans deux catégories antagonistes, opposant des personnages ou images qu’il dénomme « apocalyptiques » (on pourrait dire aussi « idéalisés ») à d’autres qu’il appelle « contrefaits » ou « démoniaques »; voir sa table (104) et les commentaires qui l’accompagnent (103-105).
13 L’expression est de J.P. Prévost, L’Apocalypse (Paris/Outrement: Bayard-Centurion/Novalis, 1995), 125.
14 Faisons remarquer que c’est là un titre, distribué à l’Agneau par l’Apocalypse, qui s’applique à Dieu dans les deux Testaments (Dt 10.17; Ps 136.3; Dn 2.47; 11.36; 1Tm 6.15) comme dans les écrits juifs (2 Maccabées 13.4 et 3 Maccabées 5.35; 1 Hénoch 9.4). Pour certains exégètes, il s’agit d’une titulature ayant une résonance polémique, qui vise à disputer les revendications d’autres seigneurs: en effet, les souverains d’Egypte s’étaient arrogé ces titres, comme aussi le dieu mésopotamien Marduk dans sa victoire sur le monstre du chaos Tiamat; toujours dans cet ordre d’idée, appeler princeps regum, rex regum et dominus dominorum le Christ, ce serait contester implicitement les titres impériaux romains.
15 On pensera à la fois aux Synoptiques et à l’évangile de Jean. Comme le dit G. Stemberger, Le symbolisme du bien et du mal selon St Jean (Paris: Seuil, 1970), 191, « le Nouveau Testament montre le Christ en lutte contre les forces du mal dont l’anéantissement, la destruction du péché, s’accomplit dans la mort de Jésus: le Christ remporte la victoire précisément lorsqu’il semble vaincu. Déjà le début de la vie publique de Jésus est placé sous le signe du combat, lorsque Jésus affronte Satan dans la tentation. »
16 Comme le dit R. Schnackenburg, op. cit., 290, d’un bout à l’autre « il y a seulement un Royaume de Dieu et du Christ ».
17 Vaste est la littérature consacrée aux antécédents ou aux variantes de ces trois idées, qui se font rencontrer dans différents livres de l’Ancien Testament et dans les traditions juives anciennes. Très nombreuses, également, sont les discussions traitant de l’une d’entre elles – du millénium – et, par extension, du millénarisme (ou du chiliasme). Deux facteurs néanmoins réduisent, nous semble-t-il, la pertinence pour l’interprétation de notre texte que peuvent avoir ces études de l’histoire des idées: d’abord, le fait que ces trois idées combinées s’interprètent mutuellement dans Ap 20, phénomène qui est sans parallèle et qui demande toute notre attention; et, secondement, l’écho que fait le reste du Nouveau Testament à l’association de deux idées sur trois, à savoir en combinaison la royauté du Messie Jésus déjà établie et sa conséquence, l’anti-règne du satan déjà vaincu: à ce sujet, voir l’article précédent sur le royaume de Dieu dans l’évangile selon saint Luc.
18 La carrière entière de ces forces du mal prend la forme d’un habile chiasme qu’on peut représenter de la manière suivante: A = Dragon (12.3); B = Monstre marin (13.1); C = Monstre terrestre ou faux prophète (13.11); D = Babylone (14.8); E = les adorateurs du monstre; E’ = les adorateurs du monstre (16.2); D’ = Babylone (16.19); C’ = Monstre terrestre ou faux prophète (19.20); B’ = Monstre marin (19.20); A’ = Dragon (20.2). A ce propos, voir W. Shea, « The Parallel Literary Structure of Revelation 12 and 20 », Andrews University Seminary Studies 23 (1985), 37-54, notamment 54, The Evil Hierarchy Introduced and Judged. Voir aussi K.A. Strand, « Chiasmic Structure and Some Motifs in the Book of Revelation », Andrews University Seminary Studies 16 (1978), 403.
19 R. Schnackenburg l’avait bien repéré, op. cit., 289: « Au chapitre 20 se ferme le cercle dans lequel nous entrons aux chapitres 12-13. »
20 Dans le commentaire de D.E. Aune, Revelation (Dallas/Nashville: Nelson Word, 1997-1998), vol. 3, 1078, on trouve une mise en parallèle générale entre 12.7-9 et 20.1-3. Mais pour une étude plus exhaustive des nombreux parallèles reliant ces deux chapitres 12 et 20, on consultera avec profit E. Cuvillier, « Apocalypse 20: Prédiction ou prédication? », Etudes théologiques et religieuses 59 (1984), 345-354, et l’article, déjà cité, de W. Shea. Signalons, enfin, la discussion indépendante très fouillée et, semble-t-il, sans connaissance du travail de Cuvillier, de G.K. Beale, The Book of Revelation (Grand Rapids/Cambridge: Eerdmans/Paternoster, 1998), 992-1038.
21 Comme le dit C. Brütsch, Clarté de l’Apocalypse (Genève: Labor & Fides, 1955), 338.
22 G.E. Ladd, Théologie du Nouveau Testament (Cléon d’Andran/Genève: Presses Bibliques Universitaires/ Excelsis, 1999), 687-688.
23 Selon l’heureuse expression de Schnackenburg, op. cit., 290.
24 Es 65.17-18 constitue le texte-source pour cette combinaison du perfectionnement des cieux nouveaux et de la terre nouvelle avec la création de la Jérusalem nouvelle.
25 Pour J. Jeremias, Théologie du Nouveau Testament. 1. La prédication de Jésus (trad. Paris: Cerf, 1973), 132, basileia (royaume/royauté/règne) sur les lèvres de Jésus « désigne le temps du salut, l’achèvement du monde, la restauration de la communauté perdue entre Dieu et l’homme ».