Jésus le Messie et l’Église : Verus Israël?

Jésus le Messie et l’Église : Verus Israël?

Donald COBB*

Depuis la Seconde Guerre mondiale surtout, la question des rapports entre Israël et l’Eglise se pose d’une manière renouvelée et suscite de multiples réponses. On peut songer au dispensationalisme, que rejoint une partie non négligeable des évangéliques, et pour lequel on aurait à distinguer entre l’Eglise, une « parenthèse » dans l’histoire, et Israël, le vrai peuple de Dieu. Pour d’autres, il s’agirait de reconnaître l’existence de deux peuples de Dieu, bénéficiaires l’un et l’autre des promesses et de l’alliance1. Dans une perspective qui se veut conciliante, on parle même, depuis quelques années, de deux voies parallèles du salut, l’une pour les nations, en Christ, l’autre pour les juifs, dans la fidélité à la Tôra.

Posons une question qui peut orienter notre réflexion: est-ce donner dans l’antisémitisme que d’affirmer, comme l’Eglise l’a toujours fait, qu’elle est verus Israel, l’« Israël véritable »? C’est là, par exemple, ce qu’insinuent les réalisateurs de la série documentaire récente, L’origine du christianisme2.

Avouons, tout de suite, que l’emploi du titre, au cours de l’histoire, a pu fournir un alibi aux sentiments antijuifs, voire à l’antisémitisme. Cependant, on ne peut pas répondre à cette question avant d’en avoir réglé une autre: l’Eglise est-elle fondée, bibliquement, à se décrire ainsi? Vu le spectre de l’antisémitisme et les conséquen­ces que cela peut entraîner dans le domaine du témoignage – à commencer par le témoignage auprès des juifs -, il ne peut qu’être bénéfique de revisiter ce sujet épineux et de nous demander: si l’Eglise peut prétendre, aujourd’hui encore, au statut du véri­table Israël, dans quelle mesure – et surtout dans quelle attitude – doit-elle le faire?

I. Jésus et Israël

Deux épisodes dans la vie de Jésus offrent des pistes importantes pour notre réflexion: le baptême dans les eaux du Jourdain et la tentation dans le désert. Ces événements sont significatifs car, situés au début du ministère de Jésus, ils tiennent une place déterminante pour la suite.

A) Le baptême de Jésus, une confirmation de l’identité du Fils

a) La déclaration du Père

D’après les évangiles synoptiques, un des éléments les plus marquants du baptême de Jésus est la voix du Père qui s’y fait entendre et qui donne au baptême tout son sens: « Tu es mon Fils bien-aimé, objet de mon affection. » (Mc 1.11) Comme l’ont remarqué plusieurs commentateurs, cette décla­ration situe Jésus très fermement sur le sol de l’histoire d’Israël, puisque l’on n’y discerne pas moins de trois allusions claires à l’Ancien Testament.

Il y a, tout d’abord, la référence au Psaume 2.7-8: « Je publierai le décret de l’Eternel; il m’a dit: Tu es mon fils! C’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et pour possession les extrémités de la terre. » Dans ce Psaume d’intronisation, YHWH lui-même appelle le roi son « Fils » et lui ouvre des perspectives d’une domination universelle. D’après le verset 2, ce descendant de David n’est autre que le Messie (« son oint », meshîchô de mashîach), et si le titre n’avait pas toujours, à l’époque de l’Ancien Testament, une connotation proprement messianique, c’est en tout cas ainsi que ce Psaume était compris au Ier siècle de notre ère3. Pour Jésus, de tels mots ne pouvaient guère être entendus autrement que comme une confirmation forte de son identité et de sa vocation royales4.

On peut relever une deuxième allusion, relative au sacrifice d’Isaac (appelé dans la tradition juive ‘Aqéda, « ligature »). En Genèse 22.1-2, Dieu s’adresse à Abraham: « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac; va-t’en dans le pays de Moriya et là, offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je t’indiquerai. » (V. 2) Le judaïsme de l’époque considérait Isaac comme l’« archétype » du fils obéissant qui se sacrifie par soumission à son père5. On peut noter que la version grecque de l’Ancien Testament (la LXX) a traduit l’expression « ton fils, ton unique » par « ton fils bien-aimé »6 – ce qui nous met dans une très grande proximité du baptême de Jésus7. Si celui-ci s’est trouvé confirmé, lors de son baptême, comme le véritable descendant de David, il a dû s’y voir aussi comme le vrai fils d’Abraham… destiné, par conséquent, à se livrer en sacrifice par obéissance au Père céleste.

Mais le baptême de Jésus renferme une troisième allusion, pointant vers Esaïe 42.1: « Voici mon serviteur, auquel je tiens fermement, mon élu, en qui mon âme prend plaisir. J’ai mis mon Esprit sur lui; il révélera le droit aux nations. » Relevons, dans ce passage, non seulement la présentation du Serviteur, objet du bon plaisir de Dieu, mais encore le don de l’Esprit qui assure la réussite de sa mission. Or, Jésus, en entendant ces paroles et en voyant l’Esprit descendre sur lui (Mc 1.10), n’a pu manquer de faire le lien avec le Serviteur promis: sa mission devait le conduire dans la voie de la souffrance, pour porter le péché de beaucoup (Es 53.12)8.

Dans cette phrase concise, Jésus a donc reçu la confirmation de son identité de « Fils », c’est-à-dire de Messie, de vrai descendant d’Abraham et de Serviteur de YHWH, celui qui devait instaurer le règne du Père. En réalité, toute l’histoire du peuple de Dieu – les patriarches, la royauté et l’exil – est contenue dans ces paroles! Jésus a dû se savoir appelé, par conséquent, à reprendre dans son ministère l’histoire et la vocation d’Israël. Mais la voix divine a également révélé ce qu’il ressentait sans doute déjà, mais qu’il n’avait peut-être pas vu de façon claire jusque-là: le chemin qu’il devait emprunter pour que ce règne devienne réalité était celui du sacrifice, des souffrances et de la mort.

b) Israël et le Serviteur de YHWH

En désignant Jésus comme « Fils de Dieu », la déclaration du baptême le révèle comme celui qui récapitule et porte à son accomplissement l’histoire du peuple de Dieu. Mais il est possible d’aller plus loin, en faisant un « gros plan » sur la dernière de ces trois allusions, au ‘èbèd YHWH, le « Serviteur du Seigneur ». Ce n’est pas là un choix arbitraire, car Jésus a compris sa messianité avant tout dans la perspective du Serviteur souffrant. Ce dernier, plus que tout autre personnage de l’Ancien Testament, a fourni le « prototype » de son ministère9.

Esaïe 40-55 met en avant plusieurs personnages au service de YHWH. Ainsi, Cyrus, le conquérant perse, est présenté comme le « Messie », l’oint du Seigneur (45:1), choisi pour ramener Israël dans son pays10. Dieu suscite ce « Messie », qui accomplit sa volonté sans même le connaître; mais il le fait en faveur d’un autre « personnage », son Serviteur (45.4), désigné à plusieurs reprises comme Israël:

« Mais toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j’ai choisi, descendance d’Abraham, mon ami! Toi, que j’ai saisi des extrémités de la terre et que j’ai appelé de ses confins, à qui j’ai dit: Tu es mon serviteur, je te choisis et ne te rejette pas! Sois sans crainte, car je suis avec toi; n’ouvre pas des yeux inquiets, car je suis ton Dieu; je te fortifie, je viens à ton secours, je te soutiens de ma droite victorieuse. » (41.8-10)

Clairement, le Serviteur, c’est Israël. Cependant, une ambiguïté croissante se devine au fil des chapitres: si YHWH insiste sur l’aveuglement et l’infidélité d’Israël, l’annonce d’un Serviteur obéissant et triomphant se fait aussi entendre, d’un Serviteur qui ne sera pas moins que « l’alliance du peuple et la lumière des nations » (41.6)11; il imposera la justice (vv. 1, 2, 6) et opérera la libération des exilés (v. 7). Cette ambiguïté se fait ressentir de façon quasi palpable au chapitre 49, où le Serviteur, désigné explicitement comme Israël (49.3), affirme que Dieu l’a formé « (…) dès le sein maternel pour ramener à lui Jacob, pour qu’Israël soit assemblé auprès de lui » (v. 5). Si le Serviteur est Israël, Dieu l’a pourtant suscité pour ramener Israël à sa mission originelle! Au verset suivant, ce « dédoublement » surprenant s’inscrit même dans la perspective d’un salut universel: « Il dit: C’est peu de chose que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et pour ramener les restes d’Israël: je t’établis pour être la lumière des nations, pour que mon salut soit manifesté jusqu’aux extrémités de la terre. » (V. 6) De la sorte, cet « Israël » se voit chargé de rétablir les restes dispersés du peuple et d’instaurer la délivrance de YHWH parmi les païens.

La manière dont ce salut se concrétisera s’éclaire aux chapitres 52-53: ce sera par le rejet et les souffrances du Serviteur (53.3-4). C’est par « ses meurtrissures » que s’opérera la guérison (v. 5). Comme dit le verset 8, il sera « retranché de la terre des vivants (…) à cause des crimes de mon peuple ». Cette mort, décrite comme « un sacrifice de culpabilité » (v. 10) pour « porter le péché des nombreux » (v. 12)12, aura un prolongement glorieux: « Il verra une descendance et prolongera ses jours (…) » C’est pourquoi « il partagera le butin avec les puissants » (vv. 10, 12).

Qui est ce Serviteur? Si la description fait penser, par moments, à certains personnages clefs de l’Ancien Testament (une sorte de Moïse ou de David redivivus), rien dans le texte lui-même ne nous permet de répondre précisément. Une chose pourtant paraît claire: le ‘èbèd YHWH reprend la vocation d’Israël et la conduit à son achèvement. Il est Israël en ce sens où, en lui et par lui, ce que le peuple de Dieu aurait dû toujours être devient réalité. Par ses souffrances et sa mort, le Serviteur obéissant prend la place d’un Israël infidèle et en réalise la destinée.

B) La tentation de Jésus: Israël dans le désert

Si Jésus, dans les eaux du Jourdain, s’est vu comme le Serviteur d’Esaïe, il a dû se comprendre, subitement, comme celui que Dieu désignait pour reprendre l’histoire et la vocation d’Israël… ainsi que le châtiment qui pesait sur ce dernier, afin d’opérer un « retour », une conversion au Dieu de l’alliance.

Il est donc des plus significatifs qu’après la « traversée de l’eau », Jésus soit allé « dans le désert pour être tenté par le diable » (Mt 4.1). Les récits de tentation révèlent entre eux une certaine diversité dans la présentation. Deux éléments sont pourtant constants: premièrement, c’est en réponse à son baptême que Jésus est parti dans le désert et, deuxièmement, il y a séjourné quarante jours. Ce chiffre fait penser d’emblée aux quarante années qu’Israël a passées dans le désert après avoir traversé la mer, et le dialogue entre Jésus et Satan confirme le rapprochement.

La tentation du désert consiste pour Jésus en l’incitation à vivre son statut de Fils sans les souffrances inhérentes à sa tâche messianique. Ainsi, dans la troisième parole du tentateur, il lui est proposé « tous les royaumes du monde et leur gloire » (Mt 4.8) – c’est-à-dire l’héritage promis au « Fils » du Psaume 2 – contre une allégeance « facile », qui contournerait l’épreuve13. A chaque reprise, Jésus répond en citant le livre du Deutéronome. Cela n’a rien d’un hasard, car le Deutéronome est le livre de l’alliance renouvelée entre Dieu et son peuple, au bout des quarante ans dans le désert. La première réponse/citation – « l’homme ne vivra pas de pain seulement » – est particulièrement instructive en raison de son contexte originel:

« Tu te souviendras de tout le chemin que le Seigneur, ton Dieu, t’a fait parcourir pendant ces quarante années dans le désert14, afin de t’affliger et de te mettre à l’épreuve15, pour savoir ce qu’il y avait dans ton cœur, pour voir si tu observerais ou non ses commandements. Il t’a donc affligé, il t’a fait souffrir de la faim et il t’a nourri de la manne16que tu ne connaissais pas et que tes pères n’avaient pas connue, afin de t’apprendre que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais que l’homme vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur (…). Sache donc bien que le Seigneur, ton Dieu, t’instruit comme un homme instruit son fils. » (Dt 8.2-5, NBS)

Face à une messianité qui ne passerait pas par l’humiliation, Jésus affiche sa résolution d’aller au bout de l’obéissance de fils qui lui est proposée. Or, cette obéissance est celle à laquelle Israël avait été appelé dès le début de son existence, mais qu’il n’avait jamais réellement produite. La tentation dans le désert met donc en relief deux sortes de messianité: la première, une messianité « de gloire », impliquant sans doute des moyens militaires17 et ne détonnant en rien avec les attentes de l’époque; la deuxième, une messianité d’humilité, où le Fils reprend la vocation dévoyée d’Israël, le « Fils premier-né de YHWH » (Ex 4.22) et, comme le Serviteur souffrant, l’accomplit dans sa propre personne, endosse le jugement suspendu au-dessus de la nation et ouvre ainsi un nouvel avenir au peuple de Dieu.

C’est cette deuxième conception que Jésus de Nazareth a choisie. La vie et, tout autant, la mort de Jésus s’inscrivent dans la conscience d’être le nouvel Israël, l’Israël véritable. Jésus est celui qui, par tout son être, récapitule et accomplit l’histoire et la mission du peuple de Dieu. Pour le dire autrement, Jésus – à la différence de l’Israël de l’époque – est le partenaire fidèle de l’alliance avec Dieu, celui qui vit dans la soumission parfaite au Père18.

C) Quelques confirmations bibliques

Les passages que nous venons de regarder sont, à mon sens, explicites. Il en existe pourtant d’autres, plus discrets, mais qui prennent une connotation particulière lorsqu’on les replace dans la perspective de la vocation d’Israël, que Jésus reprend et conduit à sa plénitude. Nous pouvons laisser de côté les nombreuses allusions au Serviteur dans les évangiles, tant elles sont claires et reconnues19. Deux affirmations, en revanche, retiendront notre attention.

a) La résurrection « au troisième jour »

La confession de Pierre – « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16.16) – marque un tournant dans les évangiles, car, à partir de ce moment-là, Jésus définit la suite de son ministère messianique en termes de souffrance. L’annonce de la passion, ainsi que d’une résurrection « trois jours après », reviendra comme un refrain dans la suite: « Il commença alors à leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après. » (Mc 8.31)20 On voit encore cette mention des « trois jours » dans l’évangile de Jean, où Jésus lance comme un défi aux autorités juives: « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2.19) Ce même défi, déformé pour l’occasion, sera rappelé lors du procès de Jésus21.

D’où vient-il? Nombreux sont les commentateurs pour qui cette annonce, trop explicite pour être une prédiction authentique, ne peut qu’être le produit de l’Eglise primitive, inventée après les événements de Pâques. Il faut souligner toutefois qu’il s’agit là, non d’une précision chronologique précise, mais d’une allusion à l’Ancien Testament. En effet, dans le livre d’Osée, le prophète, après avoir proclamé le péché du peuple et le jugement qui devait en résulter – la déportation (5.14) – dit pourtant son espérance en l’intervention de Dieu, en un relèvement se situant au-delà du châtiment:

« Venez, retournons à l’Eternel! Car il a déchiré, mais il nous guérira; il a frappé, mais il pansera nos plaies. Il nous rendra la vie dans deux jours; le troisième jour il nous relèvera, et nous vivrons devant lui. Connaissons, cherchons à connaître l’Eternel; sa venue est aussi certaine que celle de l’aurore. Il viendra pour nous comme une ondée, comme la pluie du printemps qui arrose la terre. » (Os 6.1-3)

Les « trois jours », le parallélisme le montre bien, sont une image poétique pour dire que si le jugement vient, la promesse d’un rétablissement ne saurait tarder. Dieu punira, certes, mais il interviendra pour relever Israël et le combler, malgré tout, des bienfaits de son alliance (cf. Os 2.16-25)22. Notons que ce passage d’Osée occupait une place particulière aux abords du Ier siècle de notre ère, puisque sa lecture préparait le « grand jour des expiations » dans la synagogue23. Or, en y faisant allusion, Jésus montre qu’il comprend l’ensemble de sa vie et, en particulier, les événements autour de sa mort, à la lumière de l’expérience d’Israël; il refait l’expérience du peuple de Dieu – exil, mais aussi relèvement définitif – dans sa propre existence:

« En Jésus, la destinée d’Israël trouve sa consommation et, dans sa résurrection, l’espérance du rétablissement d’Israël s’accomplira. ‹La résurrection du Christ est la résurrection d’Israël dont les prophètes avaient parlé.› Ce n’est pas tant qu’Israël préfigure Jésus que Jésus est Israël (…); dans sa résurrection s’accomplit le destin de celui-ci. »24

b) Jésus, la vraie vigne

L’évangile de Jean rejoint cette perspective. Pour le quatrième évangéliste, le dernier repas n’est pas seulement le moment des adieux de Jésus, mais encore la préparation de la mission future des disciples. C’est dans ce cadre que l’on trouve une des métaphores les mieux connues de l’évangile:

« Je suis le vrai cep (hê ampelos hê alêthinê), et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit (mê karpon pheron), il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit (pan to karpon pheron), il l’émonde, afin qu’il porte encore plus de fruit. Déjà vous êtes émondés, à cause de la parole que je vous ai annoncée. Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s’il ne demeure sur le cep, de même vous non plus, si vous ne demeurez en moi. » (Jn 15.1-4)

Remarquons que le terme « cep » est avantageusement remplacé ici par celui de « vigne »: « Je suis la vraie vigne. »25 La précision n’est pas anodine, car, en s’identifiant ainsi, Jésus fait référence, une fois de plus, au peuple d’Israël, souvent représenté dans l’Ancien Testament sous cette image26. On peut penser en particulier à Jérémie 2.21, où Dieu se lamente de l’infidélité du peuple, qui n’a pas produit les fruits escomptés: « Je t’avais plantée comme une vigne excellente, d’un plant d’une qualité tout à fait sûre; comment as-tu changé à mon égard? Vous n’êtes que les boutures d’une vigne étrangère. »27La correspondance, tant au niveau du vocabulaire que des idées, est frappante: si Israël devait être la vigne véritable, portant du fruit pour Dieu – mais qui s’est révélé être une « vigne étrangère » -, Jésus, lui, l’est réellement; et tous ceux qui lui appartiennent porteront le fruit voulu du Père (v. 8)28.

II. Israël et l’Eglise

Jésus de Nazareth, venu pour annoncer le royaume de Dieu, se voyait donc au carrefour de ce royaume et de l’histoire d’Israël, à qui l’annonce était destinée en premier. Face à un peuple qui s’obstinait dans son incrédulité, il a pris sur lui la tâche – mais aussi le jugement – de ce dernier, afin que s’ouvre désormais un autre avenir29. Le Nouveau Testament nous invite pourtant à faire un pas de plus, car cette perspective de Jésus comme l’Israël fidèle se trouve, non pas contredite, mais complétée par l’affirmation que ceux qui lui appartiennent constituent, eux aussi, le vrai Israël. La notion remonte aux évangiles et elle a des prolongements dans pratiquement tous les écrits du Nouveau Testament.

A)Les premiers disciples et le peuple de Dieu

Jésus, au début de son ministère, a choisi douze disciples. Les commentateurs s’accordent pour y voir un acte symbolique dont le sens est évident: le Messie rassemble autour de lui les représentants du peuple de Dieu renouvelé. Comme le souligne J. Jeremias, le choix de douze hommes, correspondant aux douze tribus, « a la valeur d’un pro­gram­me; les douze envoyés symbolisent la communauté de salut eschatologique »30.

Ce rapport entre Israël et les apôtres est confirmé par Matthieu 19.28 où Jésus, approuvant les sacrifices auxquels consentent ses disciples, dit ceci: « En vérité je vous le dis, quand le Fils de l’homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur son trône de gloire, vous de même qui m’avez suivi, vous serez assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël. » La référence est à Daniel 7, où le prophète voit « comme un fils d’homme » s’approcher de l’Ancien des jours et, au milieu des trônes dressés pour le jugement, recevoir la domination (7.9-14). Au terme de cette vision, Dieu rend justice aux « saints du Très-Haut » et leur accorde le royaume (vv. 22 et 27). Or, par « un transfert remarquable des images »31, ce n’est plus Israël, mais les disciples qui jugeront les nations. Associés au Fils de l’homme, les douze accèdent au statut réservé au peuple de Dieu (cf. Mt 19.29-30).

Cette perspective s’élargit ailleurs jusqu’à inclure tous ceux qui reconnaissent l’autorité messianique de Jésus. En effet, si les membres du peuple d’Israël constitue « les fils du royaume », les héritiers « de droit », ils s’en trouveront exclus, tandis que « plusieurs (polloi) viendront de l’Orient et de l’Occident, et se mettront à table avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux » (Mt 8.11-12). A cause de l’incrédulité, l’héritage d’Israël passera à d’autres.

La parabole des vignerons ne laisse planer aucune ambiguïté à ce sujet: ceux à qui « le maître de maison » a confié « sa vigne » (Mt 21.33) ont rejeté le « fils du maître », l’« héritier » (vv. 37-39); le statut et les privilèges des « vignerons » seront donc transférés à un autre peuple: « C’est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé, et sera donné à une nation qui en produira les fruits. » (v. 43)

Tout cela se confirme au regard des titres par lesquels Jésus désigne les siens. Ceux-ci constituent le troupeau à qui est confié le royaume (Lc 12.32). L’image vient, une fois de plus, de l’Ancien Testament, où Israël – et plus précisément l’Israël du temps de la fin – est comparé à un troupeau dont Dieu lui-même, dans la personne du Messie, sera le Berger: « J’établirai sur eux un seul berger, qui les fera paître, mon serviteur David; il les fera paître, il sera leur berger (…). Je conclurai avec eux une alliance de paix (…). » (Ez 34.23-25)32 Or, dit Jésus, ce statut de troupeau et, par conséquent, cette alliance aussi échoiront désormais en partage à ceux qui se rassemblent autour de lui. Ce sont eux « les pauvres » (Lc 4.18; Mt 5.3-6, 11.5), ceux qui se distinguent par leur fidélité comme les vrais membres du peuple de Dieu, bénéficiaires des promesses du salut33.

Cette profonde continuité avec le peuple de l’Ancien Testament, mais qui passe désormais par Jésus de Nazareth, trouve son expression la plus claire dans la chambre haute. En effet, c’est en Christ – en son corps livré et son sang versé – que l’alliance sera enfin renouvelée. L’évangile de Luc précise qu’il s’agit bien de la « nouvelle alliance », annoncée par le prophète Jérémie34, et la description qu’en fait Jésus le confirme: cette alliance procurera, de façon définitive, « le pardon des péchés » (Mt 26.28), elle s’associe intimement avec l’établissement du royaume35. Or, cette alliance « en faveur des nombreux » (peri pollôn), alliance qui était destinée à « la maison d’Israël et la maison de Juda » (Jr 31.31), sera pour tous ceux qui s’approprient – comme l’on s’approprie le pain et le vin offerts dans le repas – les bienfaits de la croix. Elle est pour ceux à qui Jésus dit: « Prenez, mangez, ceci est mon corps, prenez, buvez, ceci est mon sang. »

Pour Jésus, ses disciples héritent donc des privilèges réservés au peuple de Dieu. Ils constituent l’Israël eschatologique, « l’Israël selon la promesse », pourrait-on dire. Si lui-même est le véritable partenaire de l’alliance, ses disciples, dans leur attachement à lui, jouissent désormais de ce statut et de la tâche qui en découle.

B) L’Eglise et Israël chez l’apôtre Paul

Qu’en est-il de cette perspective ailleurs dans le Nouveau Testament? En fait, les textes et allusions abondent où la communauté du Christ ressuscité est considérée comme le peuple de Dieu. Arrêtons-nous sur quelques-uns parmi les plus explicites, dans les écrits de Paul.

a) Abraham et sa descendance

En Galates 3, l’apôtre se trouve aux prises avec un enseignement prétendant que seuls les croyants qui se font circoncire et suivent les règles les plus typiques de la Tôra peuvent se considérer comme « descendants d’Abraham » ou « Fils de Dieu »36. Face à cet enseignement, Paul retrace l’histoire de la promesse. Les versets 15-29 sont particulièrement pertinents: la promesse et l’alliance37 étant antérieures à la Loi (3, 15), celle-ci ne peut être le moyen d’y accéder (vv. 17-18). Or, si ce n’est pas par la Tôra que l’on parvient à l’héritage promis au patriarche, comment le fait-on? Paul précise que la promesse de l’alliance (ou le « testament ») vise l’héritier, le descendant d’Abraham, que l’on doit comprendre comme le Messie: « Les promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance. Il n’est pas dit: et aux descendances, comme s’il s’agissait de plusieurs; mais comme à un seul: et à ta descendance, c’est-à-dire, à Christ. » (v. 16) Ce verset a fait couler beaucoup d’encre, mais l’essentiel est clair: dans la perspective de Paul, c’est le Messie qui est le vrai descendant d’Abraham. Il est l’héritier à qui est destiné le testament… ou l’alliance.

La Tôra, par conséquent, a joué un rôle secondaire dans l’histoire de la promesse, « jusqu’à ce que vienne la descendance à qui la promesse avait été faite » (v. 19). Une fois ce descendant venu, la Loi, que Paul qualifie de « précepteur »38, n’a plus – dans sa forme première du moins – sa raison d’être (v. 25).

Les conséquences de cela deviennent manifestes à la fin du chapitre; puisque nous sommes « en Christ », ce qui est vrai pour lui le devient pour nous aussi: « Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Christ-Jésus. » (v. 26) En vertu de notre union avec le vrai descendant, nous devenons, à notre tour, enfants d’Abraham: « Et si vous êtes à Christ, vous êtes la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse. » (v. 29) Comme dans les évangiles, c’est le statut du Christ, le véritable descendant d’Abraham, qui nous permet d’accéder au statut de fils et d’héritiers. En lui, « le Fils premier-né de Dieu », nous recevons l’adoption promise (4.5-6)39. Le plein héritage réservé à Abraham et à sa descendance – à Israël – revient, par conséquent, à nous qui appartenons au Messie: l’adoption, la justification et le don de l’Esprit (cf. 3.6-9.14).

Ceux qui sont en Christ sont le peuple qui descend d’Abraham, le verus Israel. C’est pourquoi Paul peut prononcer, à la fin de cette épître, « paix et miséricorde » sur tous ceux qui savent périmée en Christ la stricte observation de la Loi mosaïque, c’est-à-dire « sur l’Israël de Dieu » (6.14-16)!

b) Quelques confirmations

Cette identification entre Israël et Jésus-Christ et, en lui, l’Eglise, explique un certain nombre d’allusions dans d’autres épîtres, faites plus ou moins en passant; en Philippiens 3, l’apôtre affirme: « Car les vrais circoncis, c’est nous, qui rendons à Dieu notre culte par l’Esprit de Dieu, qui nous glorifions en Christ-Jésus. » (3.3) De même, si le peuple de Dieu dans l’Ancien Testament était « saint », se distinguant ainsi des nations – ou des « païens »40 -, la désignation des membres de l’Eglise comme « saints » est, sous la plume de Paul, absolument habituelle41. Ce statut de saints s’oppose à celui de païens qu’avaient auparavant les chrétiens non juifs, mais qui ne les caractérise plus en raison de leur appartenance au Christ42.

C’est l’épître aux Romains qui contient l’enseignement le plus explicite sur le rapport entre juifs, païens et peuple de Dieu. Bornons-nous à un passage de cette épître, riche et dense; en 2.28-29, l’apôtre souligne que l’appartenance au véritable peuple de Dieu ne tient pas à des questions d’ethnicité ou de conformité extérieure à la Tôra. Au contraire, « cest ce qui est caché qui fait le Juif, et la circoncision est celle du cœur, celle qui relève de lEsprit et non de la lettre » (v. 29, TOB). Plusieurs commentateurs ont discerné dans cette mention de la circoncision et de l’Esprit une référence à la promesse de l’alliance renouvelée. L’espérance de l’Ancien Testament s’attachait, en effet, au jour où Dieu changerait le cœur du peuple, afin que le signe extérieur de l’alliance devienne une réalité vécue: « Le Seigneur ton Dieu te circoncira le cœur, à toi et à ta descendance, pour que tu aimes le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, afin que tu vives. »43 Ce changement ne serait pas l’effet d’une vigilance redoublée vis-à-vis de la Loi, mais de l’Esprit, répandu sur le peuple: « Je vous donnerai un cœur nouveau (…). Je mettrai mon Esprit en vous et je ferai que vous suiviez mes prescriptions, et que vous observiez et pratiquiez mes ordonnances. » (Ez 36.26-27)

Or, suggère Paul ici, le vrai Israël, c’est celui envers qui les promesses de l’alliance sont devenues une réalité: celle de l’intériorisation de la Loi dans ses aspects les plus fondamentaux, grâce à l’œuvre de l’Esprit. Comme il le montrera dans la suite des Romains, ceux qui peuvent prétendre à ce statut, ce sont celles et ceux en qui, grâce au Christ, les justes exigences de la Loi sont accomplies par l’Esprit du Christ44. Le verus Israel, la vraie circoncision, c’est l’Eglise: « (…) l’Eglise est le prolongement et l’accomplissement du peuple historique de Dieu, que celui-ci, en Abraham, s’est choisi parmi tous les peuples et auquel il s’est lié par son alliance et ses promesses. »45

Conclusion: comment parler d’un verus Israel aujourd’hui?

Que dire en conclusion? Les données du Nouveau Testament paraissent incontournables: Jésus de Nazareth voyait en lui-même – et non en l’Israël ethnique de l’époque – l’accomplissement du peuple de Dieu. C’est lui qui allait refaire l’expérience d’Israël et assumer le jugement qui lui était destiné. Ses disciples, de même, devaient hériter de son statut de peuple de Dieu authentique, les douze comme prémices, mais aussi tous ceux qui se rassembleraient autour de lui.

Cela entraîne, bien sûr, des conséquences importantes pour l’interprétation des Ecritures. Dire que le Christ accomplit en sa propre personne la vocation et le destin du peuple de Dieu, c’est dire que tout ce qui, dans l’Ancien Testament, est dit au sujet d’Israël – et, plus particulièrement, de l’Israël eschatologique – trouve son accomplissement en lui; les promesses concernant le peuple de Dieu s’adressent donc, en tout premier lieu, au Christ et, à partir de là, à ceux qui lui appartiennent. Comme le dit Paul: « Toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur OUI dans sa personne. » (2Co 1.20, TOB) Pour autant que nous soyons en Christ, les promesses faites à l’égard d’Israël nous sont adressées, à nous qui formons l’Eglise, son corps.

Ayant dit cela, ce titre de verus Israel est-il encore de mise aujourd’hui, étant donné sa récupération à maintes reprises au profit d’un antisémitisme des plus honteux? Plusieurs choses sont à prendre en considération.

D’abord, Jésus et ses disciples étaient profondément conscients d’inscrire leur proclamation en profonde continuité avec l’Ancien Testament, dont un des leitmotive est bien l’annonce du jugement d’un peuple incrédule et rebelle. Les propos de Jésus ou de Paul, disons-le franchement, ne sont pas plus virulent que ceux d’un Jérémie ou d’un Ezéchiel! De plus, Jésus et sa communauté, pour ce qui est de l’annonce du jugement et de la prétention de former l’Israël véritable, ne se distinguaient pas radicalement d’autres communautés de l’époque, comme les esséniens ou les pharisiens, convaincus les uns et les autres de la déchéance de la plus grande partie d’Israël et soucieux d’assister à une purification nationale. Sur ce plan-là, les recherches renouvelées depuis quelques années au sujet du « Jésus de l’histoire » nous ont rendu d’inestimables services, car elles nous ont permis de voir à quel point Jésus de Nazareth et ses disciples étaient d’abord des Juifs46.

Mais cela pose une question plus profonde: qu’est-ce qui fait d’un homme un juif? Est-ce simplement l’origine ethnique ou la circoncision? L’Ancien Testament, pas moins que le Nouveau, s’élève contre une telle idée. Pour les deux parties de l’Ecriture, Israël est une réalité avant tout spirituelle… ou il n’est pas47.

Pour savoir ce qui, du point de vue de la Bible, fait l’essentiel du peuple de Dieu, revenons à l’élection d’Abraham. Dans le contexte de la Genèse, l’annonce de cette élection retentit pour que la communion entre Dieu et l’homme, rompue par le péché, soit rétablie, et que les hommes puissent vivre à nouveau en partenaires fidèles de l’alliance, telle que Dieu l’avait établie au commencement. Abraham et ses descendants font, en réalité, office de « nouvel Adam », d’une humanité renouvelée, appelés à vivre en conformité avec le Dieu saint. Et sur ce plan, le Nouveau Testament se fonde entièrement sur l’Ancien lorsqu’il dit que c’est seulement grâce à l’intervention de Dieu, au temps messianique, que le peuple de Dieu pourra vivre sa vocation d’humanité authentique. La fidélité et l’obéissance du Fils de David, Serviteur de YHWH, seront nécessaires pour qu’Israël soit et devienne réellement Israël, le partenaire véridique de l’alliance. Comme le dit K. Barth:

« Jésus-Christ est (…) la défense, le triomphe et l’accomplissement assuré par Dieu lui-même de l’alliance avec l’homme, la réalisation, à la fin des temps, de la volonté divine à l’égard d’Israël et donc de toute l’humanité. Et, comme tel, il est aussi la révélation de cette volonté, et, par conséquent, de l’alliance. »48

Si nous pouvons dire aujourd’hui que l’Eglise est verus Israel, c’est donc uniquement parce que le Christ l’a été avant elle et parce qu’elle l’est en lui. Parler ainsi, c’est d’abord parler du Christ, et après seulement, comme par effet de ricochet, de nous-mêmes! Il n’y a là, par conséquent, aucun sujet de fierté, mais seulement d’humilité et de reconnaissance, car – quelle que soit notre origine ethnique – nous ne pouvons tirer de notre propre fonds ce qu’il faut pour vivre de manière fidèle à l’alliance49. L’échec d’Israël, que l’on voit à toutes les pages de l’Ecriture, ne nous permet aucune attitude de supériorité, car il n’est, en réalité, que le miroir de notre échec à tous, en tant qu’hommes et femmes pécheurs. Aussi le titre de verus Israel ne saurait se dire ou s’approprier autrement que comme une action de grâce, envers Dieu qui nous l’a accordé, dans son Fils… et comme une invitation à être, en lui, ce partenaire fidèle, cette « lumière des nations », pour que son salut « parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Es 49.6).

1* D. Cobb est professeur de Nouveau testament et de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

G.E. Ladd (se référant à la reprise d’Os 1.10 et 2.25 en Rm 9.24) écrit: « Israël n’est pas dépouillé du titre laos [peuple], mais cela signifie qu’un autre peuple voit le jour, parallèlement à Israël, sur une base différente. Israël reste en un certain sens le peuple de Dieu (…) » Théologie du Nouveau Testament (coll. Théologie, Cléon d’Andran/Genève, Excelsis/PBU: 1999), 588.

2 Les réalisateurs, G. Mordillat et J. Prieur, prolongent leurs vues dans un livre récemment sorti de presse, Jésus après Jésus (Paris: Seuil, 2004).

3 Cf., par exemple, Psaumes de Salomon, 17.21-26 et 4Q174 (« Florilèges »), 1.18ss.

4 Une variante textuelle (D) propose, pour le texte de Luc, la leçon suivante: « Une voix advint du ciel: Tu es mon fils, c’est moi, aujourd’hui, qui t’ai engendré. » Si cette variante a peu de chances d’être la bonne, elle montre néanmoins que d’autres ont vu dans cette déclaration du Père une référence au Ps 2.

5 Cf. W.L. Lane, The Gospel of Mark (coll. NICNT, Grand Rapids: Eerdmans), 57.

6 Ho huios sou ho agapêtos.

7 Ho huios mou ho agapêtos (Mc 1.11). C. Grappe remarque que Gn 22 est le seul passage dans la LXX où nous rencontrons l’expression: Le Royaume de Dieu, avant, avec et après Jésus (Genève: Labor & Fides, 2001), 228.

8 Cf. J. Jeremias, Théologie du Nouveau Testament, t. I (Paris: Cerf, 1996), 72ss (cf. 80s).

9 Cf. R.T. France, Jesus and the Old Testament (Grand Rapids: Baker, 1982), 131. J. Schlosser reconnaît que cette partie d’Esaïe a constitué « (…) une des principales sources d’inspiration de Jésus »; Jésus de Nazareth (Paris: Agnès Viénot Editions, 2002), 151.

10 Il est intéressant de noter que Cyrus est décrit à l’aide de termes employés ailleurs pour décrire le Serviteur – dont il semble d’ailleurs prendre le titre en 44.26 (comparer 45.3-4 et 43.1; 45.13 et 42.6-7; 45.2 et 41.15-16).

11 L’expression de l’« alliance du peuple » est controversée. A mon sens, le parallélisme aide à saisir l’idée générale: comme ce Serviteur éclairera les nations en apportant la lumière de YHWH, il sera lui-même le moyen par lequel Dieu renouvellera l’alliance avec Israël. Incarnation de la lumière de Dieu, le Serviteur incarnera aussi la réalité de l’alliance.

12 Wehou’ chét’ rabbîm nasah. Cf. aussi v. 11 (litt.): « Mon Serviteur juste justifiera les nombreux » (larabbîm). L’expression « les nombreux » (rabbîm) dans ces versets désigne la communauté qui bénéficie de la mort du Serviteur. Elle est reflétée dans de nombreux passages du Nouveau Testament, en rapport avec le sacrifice du Christ et l’Eglise (polloi ou hoi polloi). Cf. Mt 26.28; Mc 10.45 et par.; Rm 5.15, 19; 12.5; 1Co 10.17.

13 On peut noter que les deuxième et troisième tentations sont inversées en Matthieu et Luc. Matthieu a peut-être placé en troisième lieu celle de l’adoration de Satan contre les royaumes de la terre afin d’en faire le point culminant du récit, et de mieux mettre en évidence le lien avec la déclaration du Père lors du baptême.

14 Le verbe halakh (ici: « faire parcourir ») est rendu par agô dans la LXX (« conduire »), le même qu’en Lc 4.1.

15 La LXX traduit ekpeirasê, littéralement « afin qu’il te tente ».

16 Cf. Mt 4.11 et Mc 1.13.

17 Cf. J. Jeremias, op. cit., 91 ss.

18 Cf. R.T. France, op. cit., 53, et J. Dupont, NTS 3 (1956-1957), 295-298.

19 L’ensemble de ces textes est abordé en profondeur in R.T. France, op. cit., 110-135, et J. Jeremias, op. cit., 357-373. Pour un premier aperçu, on peut se reporter aux passages indiqués dans la NBS, 908.

20 Cf. aussi Mc 9.31, 10.33-34 et parallèles. On peut signaler tout particulièrement Mc 8.31 et Lc 24.46, qui mettent en avant les trois jours comme une nécessité divine (dei) ou un accomplissement des Ecritures par rapport au Christ.

21 Mc 14.57-59, 15.29 et parallèles.

22 On ne peut exclure, de même, une référence au livre de Jonas, où le prophète infidèle « demeura dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits » (Jon 2.2; cf. Mt 12.39-40). Nous sommes même invités à faire le rapprochement, dans la mesure où Jonas semble représenter le peuple d’Israël, envoyé en exil pour n’avoir pas été fidèle à sa vocation, mais préservé et rétabli afin d’annoncer la justice et la compassion de YHWH. Dire cela n’implique pas que l’on nie ou relativise l’expérience historique du prophète (cf. 1R 14.25), mais plutôt que le livre de Jonas cherche à faire passer, par le biais du ministère de celui-ci, un message qui concerne et clarifie la raison d’être du peuple de Dieu.

23 W.L. Lane, op. cit., 302.

24 R.T. France, op. cit., 55 (souligné dans le texte).

25 Cf. TOB, NBS, etc.

26 Cf., par exemple, Ps 80.8-11; Es 5.1-7; Ez 5.1-5; Os 10.1-2; comparer Mc 12.1-9.

27 La LXX traduit: « Et moi, je t’ai planté [comme] une vigne portant du fruit, entièrement véritable (ampelon karpophoron pasan alêthinên) ». Les termes sont pratiquement identiques à ceux de Jn 15.

28 Un troisième passage complète le tableau; le premier évangile voit dans la fuite de la famille de Jésus en Egypte un accomplissement de l’Ancien Testament: « (…) afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait déclaré par le prophète: J’ai appelé mon fils hors d’Egypte. » (Mt 2.15) Dans le contexte originel, Osée rappelle la fidélité passée de YHWH envers son peuple (Os 11.1); si Matthieu reprend ce passage, c’est qu’il considère la trajectoire d’Israël comme le « modèle » de vie de Jésus, et ce dès son enfance. Jésus-Christ refait l’expérience du peuple de YHWH. Comme le dit France, « l’emploi d’Os 11.1 en [Mt] 2.15 n’a de sens que si Jésus, Fils de Dieu, est identifié à l’autre fils, Israël »; Matthew (Grand Rapids: Eerdmans, 1985), 53.

29 Cette thèse est longuement développée dans le livre récent de N.T. Wright, Jesus and the Victory of God (Minneapolis: Fortress Press, 1996).

30 Op. cit., 291 s. Voir, plus récemment (et dans une perspective nettement plus critique), J. Schlosser, op. cit., 113.

31 R.T. France, L’évangile de Matthieu, t. II (Vaux-sur-Seine: Editions Edifac, 2000), 96.

32 Cf. Es 40.11; Jr 23.1-8; Jn 10.1-16. Mi 4.6-8 mêle explicitement les thèmes de troupeau et de règne de YHWH.

33 Cf. Ps 22.27, 25.9, 34.3, 37.1, etc. J. Jeremias dresse une liste détaillée des expressions que Jésus applique à ses disciples et en conclut: « L’unique raison d’être de toute l’activité de Jésus est le rassemblement du peuple de Dieu de la fin des temps. » Op. cit., 215 (souligné dans le texte).

34 Lc 22.20; cf. Jr 31.31-34.

35 Cf. Lc 22.16, 18.28-30.

36 Dans le sens d’Os 2.1: « les fils de Dieu » c’est, dans ce passage, le peuple de Dieu. Cf. Rm 9.24-26; 8.14-16.

37 Le terme que Paul emploie ici est diathêkê, habituellement traduit par « alliance ». La traduction unilatérale de « testament », adoptée par la plupart des versions, obscurcit malheureusement l’argument de Paul, qui joue sur les deux idées (cf. cependant la version du Semeur, qui alterne entre « alliance » et « testament »).

38 Ga 3.24. Le précepteur, dans la culture grecque de l’époque, était un esclave chargé de conduire l’enfant de son propriétaire à l’école et de le surveiller, afin qu’il ne se perde pas en route.

39 Cf. Mt 3.9, mais aussi Rm 9.4, où l’adoption fait partie des privilèges d’Israël.

40 Cf. Ex 19.5-6; Lv 11.44-45; Nb 16.3; Dt 33.3; Ps 16.3; 34.10; 89.6, etc.

41 Cf. Rm 1.7; 12.13; 15.25-26; 1Co 1.2; 6.1-2; 14.33, etc.

42 Cf. 1Co 5.1; 12.2; Ep 2.11; 4.17. A noter que « païens » et « nations » traduisent l’un et l’autre ethnê, le terme employé dans la LXX pour gôyim, « nations », tous ceux qui ne font pas partie du peuple de Dieu.

43 Dt 30.6 (TOB). Cf. Jr 31.33: « Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai sur leur cœur. »

44 Cf. Rm 8.4, 9-17.

45 H.N. Ridderbos, Paul (Grand Rapids: Eerdmans, 1975), 327. On pourrait également mentionner Ep 2.11-22, où Paul établit un contraste des plus saisissants entre la situation passée de ceux qui étaient « autrefois païens », incirconcis et donc « étrangers aux alliances de la promesse » (vv. 11-12) et leur situation présente de « concitoyens des saints, membres de la famille de Dieu » (v. 19). Cette intégration à l’alliance et au peuple de Dieu a eu lieu en Christ, qui a pris juifs et païens et qui « des deux n’en a fait qu’un » (v. 14). Par son sacrifice, Jésus-Christ a créé « en sa personne, avec les deux, un seul homme nouveau » (v. 15). Le Christ est donc le « lieu » où les promesses et l’alliance de l’Ancien Testament deviennent disponibles aux païens comme aux juifs (cf. 3.6).

46 Le mouvement essénien, que les manuscrits de la Mer Morte font connaître, est un exemple particulièrement frappant, en raison des nombreux points communs avec l’Eglise primitive. Les esséniens, groupés autour d’un chef spirituel, le « Maître de Justice » aux allures du Serviteur d’Esaïe (1QH 5.11-12.15; 6.4; 7.10-16; 8.35-36; 9.30; 14.25; 18.9-15 et passim), se voyaient effectivement comme la communauté de la nouvelle alliance (CD 6.11, 19; 8, 21; CD [B], 1.33), le vrai Israël (1QS 2.22; CD 15.5-6; CD [B] 1.30-31; 1QM 3.13; 10.9-11), « les nombreux » (CD 13.7; 14.12; 15.8; 1QH 15.11 et passim) dotés de l’Esprit de Dieu (1QS 3.6-8; 4.2-6; 1QH 16.7-9); ils s’appropriaient tout naturellement les titres les plus typiques du peuple de Dieu dans l’Ancien Testament – « les élus » (1QS 11.7; 1QM 12.1; 1QpHab 5.4), « la communauté des saints » (1QSa 2.9), « les humbles » ou « les pauvres du troupeau » (CD [B] 1.9-10; 1QM 11.9-10; 1QpHab 7.3-5). Les Israélites qui refusaient de s’y joindre se détournaient donc de l’alliance et allaient au-devant du jugement final (1QH 4.19; 1QpHab 2.1-8). Pour dire les choses très schématiquement, la plus grande différence entre les esséniens et l’Eglise primitive n’était pas tant cette question de statut (= le peuple de Dieu véritable), que la manière d’y accéder. Pour l’essénisme, une pratique plus vigoureuse de la Tôra, réinterprétée et intensifiée par le Maître de Justice et ses successeurs, était la condition sine qua non de l’adhésion à la communauté. Pour l’Eglise primitive, ce qui est premier est le rapport avec le Christ, mort et ressuscité. De la sorte, l’appartenance au peuple de Dieu s’ouvre même, dans le Nouveau Testament, à ceux qui ne sont pas d’origine juive, et ce au même titre qu’aux juifs attachés au Messie.

47 Cf., par exemple, Jr 9.24-25; 4.4; 6.10; Am 9.7-10.

48 Dogmatique, IV, 1* (Genève: Labor & Fides, 1966), 35.

49 Cf. Rm 11.19-21, 25a.

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