Observer le sabbat ?
Pierre COURTHIAL*
Comment concilier, d’une part, le devoir de proclamer la Loi de Dieu dans toute son ampleur, d’autre part, la non obligation pour le chrétien de garder le samedi ou sabbat? Si la Loi de Dieu (Loi morale ou Décalogue) reste toujours valable, comment comprendre et appliquer le 4ème commandement?
I.
Il est erroné d’identifier le sabbat avec le jour de la semaine que nous appelons samedi.
1. Au départ (c’est le cas de le dire: à leur départ d’Egypte), les Hébreux ont calqué leur calendrier solaire de 365 jours sur le calendrier égyptien: 12 mois de 30 jours; mais, à la différence des Egyptiens qui ajoutaient les 5 jours supplémentaires à la fin de l’année, les Hébreux ajoutaient 3 jours à la fin du 6ème mois et 2 jours à la fin du 12ème.
Chez les Egyptiens: 30 x 12 = 360; 360 + 5 = | 365 |
Chez les Hébreux: 30 x 6 = 180; 180 + 3 = | 183 |
puis 30 x 6 = 180; 180 + 2 = | 182 |
365 |
Or, selon Lévitique 23.4-16, le 15ème jour du premier mois de l’année (le 15 Abib) devait toujours, chaque année, être un jour de sabbat. Etaient aussi jours de sabbat, le 1er et le 8 Abib; puis, après le 15 Abib, les 7 sabbats suivants (les 22 et 29 Abib, les 6, 13, 20 et 27 Iyar et le 4 Sivan).
Conséquence: puisque les dates mensuelles de ces 10 sabbats étaient fixes (fixées), les jours de la semaine où tombaient ces sabbats variaient inévitablement (comme, par exemple, la date mensuelle de Noël: le 25 décembre ne tombe pas toujours le même jour de la semaine).
2. Selon Exode 12.1-28 et Lévitique 23.15, les 10, 14 et 16 Abib ne pouvaient jamais être des sabbats, puisque des travaux, telles la mise à mort d’agneau et la préparation de repas, y étaient ordonnés. Or, ces dates tombaient forcément, une année sur sept, des samedis. Ce point confirme le point 1.
3. L’année comptant 365 jours, il y avait donc 52 semaines dans l’année et il restait 1 jour (52 x 7 = 364). Or, ce jour qui restait était absorbé dans un sabbat de 48 heures, les 4 et 5 Sivan, comme le montre Lévitique 23.15-16,21. Cela changeait aussi le jour de la semaine où tombait le sabbat. Ce point confirme les 2 et 1.
Ainsi il est erroné, selon la Sainte Ecriture, d’affirmer que le « jour de la semaine » du sabbat biblique était le samedi. Notre samedi « moderne » ne date que de 359, lorsque le calendrier solaire d’Israël a été remplacé par le calendrier solaire-lunaire adopté par les Juifs comme par les chrétiens.
II.
Si le modèle de notre semaine humaine est la divine semaine de la création (en six jours, le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve; et il s’est reposé le septième jour, Ex 20.11), et si donc le repos (le sabbat) humain correspond au repos divin, au sabbat divin, le but du sabbat est le repos de l’homme fidèle dans le salut apporté par Dieu.
Or, le salut (typique) apporté par Dieu à Israël a été la délivrance de l’Egypte; et Israël, Eglise de l’ancienne disposition de l’Alliance de grâce, devait célébrer, au jour du sabbat, cette délivrance-là (Ex 20.2 et surtout Dt 5.12-15).
Tandis que le salut (antitypique) apporté par Dieu à l’Eglise, Israël dans la nouvelle disposition de l’Alliance de grâce, culmine, après la crucifixion, avec la résurrection du Seigneur-Sauveur, Jésus-Christ, qui délivre les siens du péché et de la mort.
Aussi voyons-nous, dans le Nouveau Testament, que l’Eglise fait passer, tout naturellement (et surnaturellement) le « jour du Seigneur » du sabbat juif, qui célébrait la délivrance d’Egypte, au sabbat chrétien qui célèbre la victorieuse résurrection du Fils de Dieu incarné pour nous et pour notre salut. Par rapport au Juifs, c’était passer d’un jour au jour suivant. Mais si l’Eglise avait retenu le même jour que le jour où les Juifs célébraient la délivrance de l’Egypte, cela aurait obscurci le changement incomparable survenu avec le fait novateur du triomphe du Christ.
Israël, l’Eglise de la nouvelle et dernière disposition, partait du sabbat enfin apporté, du repos donné par Jésus-Christ (Mt 11.22-29; Hé 4.1-12). Par rapport au 7ème jour des Juifs, il y a le 1er jour des chrétiens.
Le 1er jour a déjà son importance dans l’Ancien Testament.
La Pentecôte, la fête des moissons (Lv 23.9-21). La dédicace de la gerbe a lieu le lendemain du sabbat juif (11 et 14). Les sept semaines sont comptées à partir du lendemain du sabbat (15-16). Ce lendemain (1er jour de la semaine) est le jour de la « sainte convocation », sans aucun ouvrage comme au jour du sabbat. Ainsi, même sous l’ancienne disposition, le peuple de Dieu a observé des repos, des sabbats, du 1er jour, anticipant la venue de la grande Moisson, l’accomplissement de la rédemption.
La fête des Tabernacles (Lv 23.33-44), avec ses sabbats des 1er et 8ème jours (35,39) annonçant que Jésus-Christ, Parole de Dieu incarnée, « tabernaclerait » chez son peuple (Jn 1.14).
Le Jubilé (Lv 25.8-17). Le Jubilé était la cinquantième année (suivant l’année sabbatique) annonçant la consommation fidèle, l’achèvement de toutes choses en Christ.
Les trompettes. Elles annonçaient, le 1er jour du 7ème mois, l’approche de la présence divine (Lv 23.24).
III.
L’essence du sabbat est la « rencontre avec Dieu ». Christ est notre sabbat, notre repos. Il a appelé ses disciples à quitter leurs propres œuvres et à le suivre. Marie, en opposition à Marthe, a reconnu en Jésus la présence du sabbat (Lc 10.38-42). Elle a saisi qu’elle devait se reposer et profiter (jouir) de la présence de Jésus.
Aussi pouvons-nous comprendre en profondeur le lien qu’il y a entre la résurrection du Sauveur-Seigneur, le premier jour, le lendemain du sabbat juif (Lc 24.13-51; Jn 20.1,19,26) et les assemblées de l’Eglise apostolique, le premier jour, le lendemain du sabbat juif (Ac 2.1, 20.6s; 1 Co 16.1s). Ainsi, si nous ne retenons plus le sens « typique » du sabbat (sens « typique », propre à l’ancienne disposition), son sens accompli en Jésus-Christ, nous retenons le sens moral et le sens spirituel du sabbat.
• Le sens moral: chaque semaine est « mis à part » (sanctifié) un jour de repos (Ex 20.10; Dt 5.14; Mt 12.12; Lc 13.16; Jn 9.14), de cessation de nos labeurs quotidiens des autres jours (seules, les œuvres nécessaires sont permises; Mt 12.1; Lc 13.15, 14.1).
Eu égard aux prochains, et même aux animaux, nous devons veiller à leur repos (Ex 20.10; Dt 5.14; Mt 12.12; Lc 13.16; Jn 9.14), nous souvenant que le sabbat (le repos) est ordonné pour l’homme, pour sa bénédiction, son profit.
Comme le sabbat était un mémorial du salut pour les fidèles de l’ancienne disposition (Dt 5.15; Jr 17.21-22), il est un mémorial du salut pour ceux de la nouvelle (Ap 1.10; Mt 28.1; Mc 16.9; Lc 14.1-3; Jn 20.1-2; Ac 20.7; 1 Co 11.18,26, 16.2). Parce qu’il est un jour saint, il est pour les fidèles de la nouvelle disposition un jour de rassemblement cultuel public: la sainte Ecriture doit y être lue (Ac 13.27, 15.21), la Parole et le sacrement doivent y être communiqués (Ac 2.42, 13.14-15,44, 17.2, 18.4) et l’enseignement donné (Mc 6.2; Lc 4.16,31, 6.6, 13.10; Ac 13.14,42,44, 15.21, 17.2, 18.4); les œuvres accomplies (Nb 28.9; Mt 12.5; Jn 7.23).
Le Magnificat de la bienheureuse vierge Marie, mère du Seigneur, est le cantique du sabbat par excellence (Lc 1.46-55).
Les règles cérémonielles du sabbat, règles établies pour les fidèles de l’Ancien Testament n’ont plus à être observées puisque le Christ est venu (Col 2.16-17).
• Le sens spirituel du sabbat: Christ notre sabbat est à être vécu chaque jour. Chaque jour, nous avons à nous reposer de nos œuvres propres de justice pour ne trouver notre justification et notre repos qu’en Jésus-Christ, le Créateur-Sauveur. Nous reposer en Christ comporte aussi le respect de son autorité et de ses lois sur tous les aspects divers de notre existence.
Ainsi, nous attendons la plénitude à venir du grand Sabbat final.
* P . Courthial est pasteur de l’Eglise Réformée de France et doyen honoraire de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.