La conquête de Canaan : un génocide ?

La conquête de Canaan :
un génocide ?

Ronald BERGEY*

Une lecture rapide du livre de Josué achoppe sur les récits de guerre aux chapitres 6 à 12. De cette narration de la conquête de Canaan ressortent souvent deux impressions inquiétantes, d’abord celle d’une vague de destruction de villes rasées et de terres désolées, puis celle d’habitants vaincus, massacrés dans un véritable bain de sang. Ces impressions semblent confirmées par le narrateur des récits de bataille. Il martèle son message: « Josué battit tout le pays (…) il ne laissa aucun survivant. Il frappa d’anathème tout ce qui respirait », et le clou est d’autant plus enfoncé par l’affirmation « comme l’avait ordonné le Seigneur, le Dieu d’Israël » (Jos 10:40).

Le Pentateuque dépeint en termes durs la manière dont Dieu va, ou Israël doit, traiter les nations en Canaan. Elles seront effacées (khd Ex 23:23), chassées (grs Ex 23:28-31; Dt 7:1), expulsées (nsl Dt 7:1), repoussées (hdp Dt 9:4), retranchées (krt Dt 12:29), détruites (smd Dt 12:29), ou dépossédées (yrs Dt 9:5, 12:29)1. Le verbe le plus dur est heherîm (hrm) d’où est dérivé le nom herem. Deux lois deutéronomiques prescrivent cette sanction pour les sept nations de Canaan: « Tu les voueras à l’interdit » ou, traduit autrement, « tu les frapperas d’anathème » (Dt 7:2, 20:17)2. C’est d’abord en Transjordanie, selon les récits de guerre en Deutéronome 2 et 3, et puis en Cisjordanie, d’après Josué 6 à 12, où l’anathème est appliqué3. La politique d’anathème, selon les sommaires des campagnes militaires majeures (Jos 10:40, 11:20), semble s’étendre sur la majorité sinon toutes les villes dont les Israélites ont pu s’emparer.

Dans les récapitulatifs de batailles individuelles où le herem a été appliqué se trouvent également les expressions dures comme « ils les passèrent au fil de l’épée », ou « il ne resta rien de ce qui respirait », rendues parfois plus poignantes par le rajout « hommes, femmes et enfants » (Dt 2:34, 3:6; Jos 6:21, 10:40, 11:11, 14, 12:40).

Comment donc ne pas tirer la conclusion qu’Israël était bénéficiaire d’un pays donné en héritage découlant de lait et de miel au prix du sang coulé des populations vaincues? Quel meilleur mot choisir pour qualifier ces impressions si ce n’est le génocide? Et ne peut-on pas, comme A. de Pury, sérieusement se demander: « Si le dieu d’Israël est vraiment… un dieu sanguinaire qui appelle son peuple au combat et qui ordonne des massacres, comment confesser que ce dieu est le même que le dieu du NT, le Père de Jésus-Christ? »4Croire en l’extermination des Cananéens sur l’ordre de Dieu pose un problème de taille d’ordre éthique et théologique.

Plusieurs données restant dans le dossier biblique perturbent, pourtant, cette lecture lapidaire et troublent les premières impressions. Elles nous obligent à rouvrir le dossier « génocide » et à mener une nouvelle enquête en deux temps. D’abord, quant au pays conquis, l’aspect matériel sera abordé, puis à l’égard du peuple vaincu, l’aspect moral sera sondé pour déterminer la nature de l’anathème des habitants de Canaan.

I. Le pays de Canaan: l’aspect matériel de la conquête

1. Une vague de destruction?

Contrairement à ce qu’on peut penser, seules trois villes, parmi la trentaine vaincues mentionnées (Jos 12), auraient été brûlées: Jéricho (6:24), Aï (8:19, 28) et Hatsor (11:10-11). A propos de la campagne militaire au nord, il est précisé: « Mais Israël ne brûla aucune des villes à l’exception seulement de Hatsor. » (11:13)5

Dans le Pentateuque, les passages relatifs à l’installation préconisent que les Israélites posséderaient les villes et les maisons qu’ils n’avaient pas bâties et les terres qu’ils n’avaient pas cultivées (Dt 6:10-11, 19:1-2; cf. Nb 35:1-5). Le massif central sous contrôle israélite demeurait couvert de forêts denses (Jos 17:14-18) et l’usage, même restreint, des arbres pour assiéger une ville fait l’objet d’une loi deutéronomique (20:19-20). Rien ne laisse penser qu’ils avaient comme objet la destruction des villes et de leurs terres.

En revanche, les Israélites devaient détruire les lieux de culte. La loi d’anathème de Deutéronome 7 stipule: « Vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs stèles, vous abattrez leurs poteaux d’Achéra et vous brûlerez au feu leurs statues. » (Dt 7:5; cf. Ex 23:10-30; Nb 33:51-56; Dt 6:14-19, 7:22-24, 12:2-3, 29-31) Comme le résume A. Millard: « Les récits bibliques de l’arrivée du peuple d’Israël en Canaan ne mentionnent la destruction que de quelques villes (…) il lui suffisait de détruire les rites païens des Cananéens et les accessoires de leur culte (…) [A] part ces trois villes [Jéricho, Aï, Hatsor], on ne doit guère retrouver de trace physique de la conquête, hors du domaine religieux. »6

2. Une conquête de la terre promise entière sous Josué?

En effet, le territoire conquis sous Josué ne comprenait que certaines régions. Le narrateur, dans ses bilans de la conquête en Josué 10 et 11, fait ressortir les territoires sous contrôle israélite. Ce sont des enclaves des coteaux occidentaux du massif central et de la haute Galilée, c’est-à-dire le pays des Amoréens. Puis, en introduisant les récits de l’installation en Josué 13 à 19, ce narrateur fait également remarquer « le pays qui reste ». C’est la majeure partie du pays, le territoire qui reste sous le contrôle des Cananéens.

Il constate aussi que les tribus individuelles, surtout en Cisjordanie, n’ont pas pu (ykl) déposséder les habitants (Jos 15:63, 16:10, 17:12; cf. 17:16-18; Jg 1:21, 27; Nb 13:29; Dt 7:22) ou encore les régions où les Cananéens et les Amoréens ont persisté (y’l) à rester (Jos 17:12; Jg 1:27, 35). Ce constat est renforcé par le refrain se référant à chacune des tribus mentionnées: tribu x « ne déposséda pas les habitants » de son héritage (Jos 13:13, 16:10; Jg 1:19, 21, 27, 29, 30, 31, 33). Par conséquent, ces peuples ont continué à habiter, dit le narrateur, « au sein d’Israël jusqu’à aujourd’hui » (Jos 13:13, 15:63, 16:10; Jg 1:21, 29, 32, 33; cf. 2 S 24:7).

Quelle que soit la datation de l’arrivée en Canaan des Israélites, fin du XVe ou milieu du XIIIe siècle, l’évidence archéologique montre la continuité générale de la culture cananéenne pendant l’âge du bronze récent (1550-1200) et l’âge du fer I (1200-1000), même si certaines villes ont été détruites et reconstruites plusieurs fois (par exemple Hatsor)7. Du côté israélite, les XIVe et XIIe siècles sont les périodes de nouvelles implantations et de reconstruction d’anciennes villes inhabitées parfois depuis plusieurs siècles. Ces sites sont précisément dans les régions mentionnées dans les récits bibliques, c’est-à-dire dans les coteaux du massif central pas ou peu habités par les Cananéens8.

Comment alors interpréter ces expressions « le pays qui reste » et les habitants pas dépossédés demeurant « au sein d’Israël jusqu’à aujourd’hui », juxtaposées aux résumés de la conquête disant que « Josué prit donc tout le pays exactement comme le Seigneur l’avait dit à Moïse », ou « le Seigneur livra tous leurs ennemis entre leurs mains » (Jos 11:23, 21:44; cf. 10:40, 42, 11:16, 23)?9Or, c’est dans ces mêmes versets que la réponse réside.

« Tout le pays » est précisé: « la montagne, le Néguev, le Bas-Pays (Shephéla), les coteaux » (10:40; cf. 11:16). Ce pays signifie, dans ce contexte, partout où les Israélites sont allés et toutes les enclaves stratégiques dont ils ont pris possession dans cette première phase de leur pénétration10. L’expression inverse, « le pays qui reste », est également qualifiée. Il s’agit des vastes plaines fertiles parsemées de grandes villes fortifiées cananéennes que traversait la route internationale reliant la Mésopotamie et l’Egypte: la plaine côtière, la plaine est-ouest d’Yizréel et la plaine au sud et au nord du lac de Galilée (Jos 13:1-6; Jg 3:3). Ces territoires restaient dans les mains des Cananéens (Jos 11:3; cf. Nb 13:29).

La longue durée de la prise de possession du pays donné en héritage est signalée dans le Pentateuque et dans les récits en Josué et en Juges. Par exemple: « Je ne les chasserai pas en une seule année loin de toi, de peur que le pays ne soit désolé et que les animaux sauvages ne se multiplient contre toi. Je les chasserai peu à peu loin de ta face, jusqu’à ce que tu puisses hériter du pays. » (Ex 23:29-30; Jos 23:12-13; Jg 2:21-23; cf. Ex 34:24; Dt 7:22, 12:20) Ce n’est qu’à partir du règne de David, et finalement à l’époque de Salomon, que l’étendue territoriale promise, « depuis le fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve, à savoir, l’Euphrate » (Gn 15:18), a été soumise à Israël (1 R 4:21-25; cf. Dt 12:20, 19:8).

II. Les peuples de Canaan: l’aspect moral de la conquête

Les Israélites, s’ils n’ont pas semé la destruction matérielle, devaient-ils, à l’ordre de Dieu, exterminer les habitants de la terre promise? D’abord, entremêlées avec les ordres de détruire ou de frapper d’anathème les sept nations, sont les choses interdites aux Israélites à l’égard de ces mêmes habitants: il ne faudra pas conclure d’alliances avec eux (Ex 23:32; Dt 7:2), ni se marier avec eux (Dt 7:3), ni imiter leurs mœurs ou leur culte (Dt 12:2-4, 29-31), ni se rallier à d’autres dieux, d’entre les dieux des peuples qui sont autour de vous (Dt 6:14). Au fond, ces lois stipulent, noir sur blanc, que les habitants autochtones, toujours culturellement intacts, vont se trouver au milieu d’Israël dans la terre promise.

Josué, lui-même, solennellement, avertit le peuple: « Si vous vous détournez et que vous vous attachiez à ces autres nations qui restent avec vous, si vous vous unissez avec elles par des mariages et si vous vous mêlez à elles, sachez bien que le Seigneur, votre Dieu, ne continuera pas à déposséder ces nations devant vous… » (Jos 23:12-13) Il est clair, selon cet avertissement, que les Cananéens ne seraient pas exterminés.

Ne pas avoir annihilé les Cananéens, s’agit-il d’un échec de la part d’Israël ou, pire encore, de la désobéissance à un ordre de Dieu? Comment alors interpréter les lois du herem en Deutéronome (7:1-2, 20:16-18)? Est-il réellement question d’une prescription du génocide de la population autochtone?

1. La réponse rabbinique

D’après des sources anciennes et médiévales rabbiniques, Josué a rédigé une lettre laissant le choix aux sept nations, soit de s’enfuir, soit de faire la paix avec Israël, soit de lui faire la guerre11. La possibilité de faire la paix avec Israël existait à condition de s’engager à respecter les sept lois morales des Noahides12. En effet, puisque l’objet de la loi du herem était de protéger les Israélites des pratiques religieuses païennes (Dt 20:18), si les Cananéens acceptaient de garder ces lois, il ne serait plus nécessaire de les exterminer. Maïmonide, le grand interprète halakhique du XIIe siècle, en commentant la loi d’anathème en Deutéronome 20, résume cette pensée: « On ne livre une guerre à quiconque sans l’avoir invité à la paix… Si les gens acceptent la paix et les sept lois des Noahides, on ne tue personne: ils deviennent tributaires et serviteurs des Juifs. »13

Quand il a proposé la paix au roi amoréen, Sihon (Dt 2:26), bien qu’il ait reçu l’ordre de Dieu de faire la guerre (2:24), Moïse s’est permis de prendre cette initiative. Cette pratique serait donc à l’origine de la loi du Deutéronome 20:10 relative à la proposition de paix et elle établit que la tradition orale basée sur la pratique est aussi valable que la Torah écrite. Même à l’égard des villes assiégées qui ont refusé la paix (Dt 20:12), le siège, une fois commencé, ne devait encercler que trois côtés d’une ville pour permettre à ceux qui voulaient s’échapper de se sauver par le quatrième côté14.

Il était également permis d’offrir aux habitants de Canaan la liberté d’émigrer. Les Guirgasiens figurent dans certaines listes de sept nations (cf. Dt 7:1) mais sont absents dans d’autres (cf. Dt 20:17). Pourquoi? Ils ont quitté Canaan par peur des Israélites pour s’enfuir en Afrique du Nord. Selon une autre version, tous les Cananéens ont volontairement donné le pays aux Israélites et en récompense Dieu leur a donné le pays d’Afrique15.

2. La réponse de la critique littéraire

Les récits de la conquête font partie intégrale, selon la critique de la rédaction, d’une grande histoire relatée dans l’ensemble littéraire, du Deutéronome à 2 Rois. Cette histoire, dite deutéronomiste, est amorcée en Deutéronome par la pénétration des Israélites en Transjordanie, poursuivie en Josué par l’installation en Cisjordanie et achevée par la chute du royaume du sud et l’exil des Judéens à Babylone en 2 Rois. En traçant l’histoire du peuple d’Israël dans la terre promise, à partir des anciens matériaux et ceux de son cru, le rédacteur de cette œuvre voulait démontrer les conséquences tragiques du péché de l’adoration des dieux des nations, d’où la déportation et l’exil d’abord en Assyrie, et puis en Babylonie16.

Pour ce rédacteur deutéronomiste, la conquête est un thème clef de son histoire et le herem est au cœur de la conquête17. Si l’exil a été la conséquence de l’idolâtrie, ceci était dû au fait que les Israélites n’ont pas agi conformément aux lois relatives aux nations idolâtres de Canaan. C’est lui, dans un sommaire de la chute du royaume du nord, qui interprète la cause de la ruine d’Israël: « Cela arriva parce que les Israélites avaient péché contre le Seigneur, leur Dieu (…) ils avaient suivi les prescriptions des nations que le Seigneur avait dépossédées devant les Israélites (…) Ils se sont ralliés aux nations qui les entouraient et que le Seigneur leur avait défendu d’imiter. » (2 R 17:7-8, 15) Ce bilan concerne également Juda (verset 19).

Or les lois d’anathème et les récits où cette pratique est mentionnée sont tous mis au compte du deutéronomiste18. R. de Vaux exprime ce qui demeure le consensus critique: « (…) l’extermination des Cananéens est l’un des thèmes dominants du deutéronomiste qui a été le premier à donner des prescriptions sur le hérèm, spécialement Dt 2:34-35, 7:2, 20:16-17. »19Ailleurs il dit: « Il est difficile de dire dans quelle mesure ces prescriptions ont été réellement appliquées. Il est remarquable qu’elles soient formulées dans le Deutéronome, édité à une époque où la guerre sainte n’était plus guère qu’un souvenir, et que les exemples concrets se trouvent dans le livre de Josué dont la rédaction finale est également tardive… »20Selon P. Buis, l’auteur de la loi du herem, en Dt 7:2, « sait parfaitement que cette prescription n’a jamais été exécutée et qu’elle ne le sera jamais: au verset suivant, il suppose que les Cananéens sont encore là, bien vivants, pas même assimilés »21.

Repousser la question au deutéronomiste n’enlève pourtant pas l’embarras de la doctrine de l’anathème dans la loi du Deutéronome et sa fidèle exécution par Josué en obéissance à Dieu. Certains de ces commentateurs et d’autres critiques cherchent donc à atténuer la connotation brutale du herem par les justifications théologiques.

J. Briend explique: « Pour comprendre une telle violence, on ne peut oublier qu’il s’agit d’une relecture de l’histoire passée et d’un désir d’expliquer ce qu’il aurait fallu faire pour qu’Israël ne tombe pas dans l’infidélité. »22D. Bach ajoute que l’anathème était « un thème spirituel dans la lutte pour le maintien de la pureté religieuse d’Israël, dans le cadre de la prédication deutéronomiste »23. P. Buis, avec J. Leclercq, commentant Deutéronome 7, concluent: « La loi du verset 2 est donc une loi idéale, qui ressuscite de façon artificielle une ancienne coutume (en définitive rarement pratiquée) pour faire mieux saisir avec quelle vigueur les compromis doivent être rejetés. »24

3. La réponse « rhétorique »

M. Weinfeld attire l’attention sur les parallèles linguistiques des expressions de guerre employées, d’un côté, en Deutéronome et dans les récits de bataille en Josué, et de l’autre, dans les annales de guerre assyriennes, où figurent les expressions « il ne laissa pas un rescapé » (cf. Dt 2:34; Jos 10:28, 30, 37, 39), « sans laisser de rescapé » (cf. Dt 3:3; Jos 10:33, 11:8), « il ne laissa aucun rescapé » (cf. Jos 10:40), ou « il ne resta rien de ce qui respirait » (cf. Dt 20:16; Jos 11:11, 14). Il est clair, à partir des sources bibliques et assyriennes, que ces expressions ne se traduisaient pas dans la pratique au sens strict. C’est du langage conventionnel de guerre d’intimidation du Proche-Orient ancien25.

Certains commentateurs détectent dans les lois sur la guerre un élément polémique ou ironique. Pour J.G. McConville, il s’agit, peut-être, d’une polémique contre les dieux de Canaan. L’ordre de détruire les Cananéens vise aussi à la destruction de leur religion. Quand Dieu placera son nom dans le lieu qu’il choisira, Israël doit faire disparaître les lieux de culte des nations, même les noms de leurs dieux (Dt 12:2-3). Du fait que, dans cette même loi, il existe le non-sequitur, il faut détruire les nations et il ne faut pas se mêler à elles, suggère l’ironie. Elle prévoit le manque de rigueur de la part d’Israël en implantant l’anathème26.

D’une certaine manière, on peut dire, selon Ch. Wright, que vouer en anathème est rhétorique, car la loi d’anathème du Deutéronome 7 prescrit la destruction des lieux de culte païens et proscrit l’adoration des dieux des nations et les mariages avec elles (versets 2-4)27. Même Israël, frappé d’anathème, n’a pas été exterminé (Dt 7:26; Es 43:2; Mal 3:24; cf. Dt 6:15, 7:4, 8:20; Jos 24:20).

4. La réponse des milieux conservateurs

Les commentateurs conservateurs affichent un souci apologétique. Comme Abraham confronté avec la destruction imminente des Cananéens de son époque interroge Dieu en demandant: « Le juge de toute la terre n’agirait-il pas selon l’équité? » (Gn 18:25; cf. Jb 8:3) Dans un paragraphe intitulé « La question de l’anéantissement des Cananéens », P. Hoff pose la question: « Comment peut-on justifier cet ordre de Dieu? »28G.L. Archer, en s’exprimant au sujet de « L’extermination des Cananéens », demande: « Comment justifier cette destruction totale? »29

Certains textes bibliques leur fournissent en grandes lignes les éléments de réponse: « Car c’est à cause de la méchanceté de ces nations que le Seigneur les dépossède devant toi. » (Dt 9:4; cf. Gn 15:16; Lv 18:25)30Ou encore: « Car tu les voueras à l’interdit… afin qu’ils ne vous apprennent pas à imiter toutes les horreurs qu’ils font pour leurs dieux et pécher contre le Seigneur, votre Dieu. » (Dt 20:17-18; cf. 7:4; Ex 34:16; Lv 20:23) De plus, l’application de l’anathème aux nations de Canaan est justifiée dans les récits de guerre par le renvoi aux lois deutéronomiques « comme l’avait ordonné le Seigneur » (Jos 10:40, 11:12, 15, 20). Ces interprètes insistent donc sur le rôle d’instrument que jouait Israël. C’est Dieu qui a ordonné l’extermination afin d’exécuter son jugement sur les nations perverses et, en même temps, de préserver son peuple du naufrage moral à cause de l’influence néfaste de ces populations.

Le coup dur de l’anathème est souvent amorcé par d’autres considérations. Si les Cananéens n’avaient pas été exterminés, le peuple élu aurait été corrompu par leur religion dépravée et leurs mœurs dégénérées. En l’occurrence, Israël aurait été détruit, entravant ainsi, voire empêchant totalement, le plan du salut dans le Messie qui viendrait de cette postérité sainte. Vu sous cet angle, on voit davantage la miséricorde de Dieu31. Ou encore, l’anathème des nations est la mise en œuvre du même principe de justice divine qui opérait lors du jugement du monde (sauf huit personnes) par le déluge, ou lors du jugement des habitants de Sodome, ou encore de celui des premiers-nés d’Egypte et de l’armée du Pharaon32. Pourtant, tous ces jugements précédents, ensemble, perdent toute importance comparés au jugement dernier universel et éternel.

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Comment résumer ces réponses divergentes? Pour diverses raisons, les rabbins juristes ont cru que l’ordre d’exterminer les sept nations était réel, mais en même temps abrogé par leur acceptation des conditions imposées par Israël. Selon la critique de la rédaction, l’anathème des nations était utopique, théorique et une fiction littéraire deutéronomiste. Pour d’autres, le herem faisait partie du langage conventionnel de guerre de l’époque, réel et inconditionnel seulement dans un sens polémique ou rhétorique. En revanche, la lecture conservatrice veut que l’extinction des Cananéens soit réelle, inconditionnelle et théologiquement correcte. Quelle lecture tient mieux compte des données à propos du herem?

5. Une lecture à partir des lois d’anathème deutéronomique

Pour démêler ce problème exégétique, il est nécessaire d’éviter l’amalgame des deux lois deutéronomiques d’anathème concernant les nations occupant la terre promise33. L’assise de chacune est différente. La loi en Deutéronome 7 légifère sur la séparation d’Israël des sept nations en son sein. La jurisprudence en Deutéronome 20 statue sur le comportement lors d’une guerre. On peut qualifier Deutéronome 7:1-5 de loi d’anathème « culturel », et Deutéronome 20:10-18 de loi d’anathème « de guerre ». Ces lois envisagent des situations radicalement différentes.

La loi d’anathème en Deutéronome 20:10-18 concerne les villes assiégées. La clause principale régissant les cas particuliers adressés dans cette loi stipule: « Quand tu t’approcheras d’une ville pour l’attaquer, tu lui proposeras la paix. » (Verset 10) Cette stipulation est ensuite circonstanciée (versets 11-15). Premièrement, que faire dans le cas où la paix est acceptée, puis que faire dans le cas où elle est refusée?

Si elle te répond par la paix et t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouvera te sera tributaire et te servira. Si elle n’accepte pas la paix avec toi et qu’elle te fasse la guerre, alors tu l’assiégeras. Le Seigneur, ton Dieu, la livrera entre tes mains et tu en feras passer tous les mâles au fil de l’épée. Mais les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui sera dans la ville, tout son butin, tu le pilleras et tu mangeras le butin pris sur tes ennemis que le Seigneur, ton Dieu, t’aura livré. C’est ainsi que tu agiras à l’égard de toutes les villes qui sont très éloignées de toi et qui ne font point partie des villes de ces nations-ci.

Le peuple d’une ville qui accepte la paix serait tributaire ou corvéable et servirait Israël (verset 11)34. La ville qui la refuse aurait des comptes à régler en termes de vie humaine, la mort pour les mâles et le pillage des autres (versets 12-14). Toute cette loi jusqu’ici, la clause générale et les cas particuliers, s’appliquerait, selon l’interprétation normalement admise, seulement aux villes en dehors de Canaan (cf. verset 15).

Deuxièmement, que faire dans le cas où la ville attaquée est en Canaan (verseets 16-17)? « Mais dans les villes de ces peuples que le Seigneur, ton Dieu, te donne en héritage, tu ne laisseras la vie à rien de ce qui respire. Car tu les voueras à l’interdit, les Hittites, les Amoréens, les Cananéens, les Perizzites, les Hivvites et les Jébusites, comme le Seigneur, ton Dieu, te l’a commandé. » La vaste majorité des commentateurs estime que l’anathème des nations prescrit dans cette clause s’applique systématiquement et sans exception à toutes les villes et leurs habitants dans la terre promise. Seules les autres villes, en dehors de ce territoire, auraient la possibilité de faire la paix.

Or, il y a une autre manière d’interpréter les versets 16-17. C’est que la clause concernant la proposition de paix (verset 10) n’est pas abrogée. L’anathème qui doit frapper les villes en Canaan s’applique uniquement aux villes hostiles, c’est-à-dire les villes qui ont refusé la proposition de paix prescrite dans la stipulation générale. A la différence de la stipulation relative aux villes éloignées où juste les mâles adultes sont tués, dans ce cas, tous les habitants des villes hostiles en Canaan subiraient de lourdes conséquences35. Vu de cette manière, la loi d’anathème de guerre éclaire certains comportements des Israélites lors de la conquête et certains commentaires au sujet des habitants de la terre promise.

D’abord, à l’occasion de la première bataille de la conquête, Moïse a envoyé une proposition de paix (shalôm) à Sihon, roi amoréen de Heshbôn. Lui, il a choisi la guerre (Dt 2:26, 32). Alors Israël a pris toutes ses villes et les a « vouées à l’interdit, hommes, femmes et enfants, sans en laisser échapper un seul » (verset 34). Og, roi de Bashân, lui aussi, a décidé de combattre Israël et le sort de ses villes et de leurs habitants a été le même (Dt 3:1, 6). Ces deux villes hostiles, faisant partie du pays donné en héritage, ont été vouées à l’interdit comme prescrit en Deutéronome 20:17 et ont subi de graves conséquences.

Quant à Jéricho, la première ville conquise en Cisjordanie, rien n’est dit au sujet d’une proposition de paix mais elle a eu au moins sept jours pour faire la paix (Jos 6:15-16). Pourtant, elle s’est avérée hostile, comme Josué le rappelle au peuple: « Les maîtres de Jéricho vous ont fait la guerre. » (24:11) Aï, la seconde ville, aurait pu, à deux reprises, faire la paix mais a choisi la guerre (8:21-25). En conséquence, ces deux villes ennemies ont été vouées en anathème et elles ont subi la perte de leurs habitants, hommes, femmes et enfants (6:21, 8:25-26), à l’exception de Rahab et de sa famille à Jéricho.

Après ces victoires, Israël se trouvait, d’abord, en face d’une coalition de cinq villes amoréennes du sud dirigée par le roi de Jérusalem (Jos 10), et puis d’une autre coalition avec, en tête de nombreuses villes au nord, la plus grande ville de Canaan, Hatsor (Jos 11)36. Israël à été attaqué successivement par ces coalisés et chaque fois a dû se battre pour se défendre. Les villes de ces coalitions, au sud et au nord, ont été vouées à l’interdit (11:40, 11:11, 20) et Israël, comme préconisé dans la loi d’anathème de guerre, n’a rien laissé qui respirait (10:28, 33, 37, 39, 40, 11:14)37.

On comprend, à la lumière de la loi deutéronomique d’anathème de guerre, la manière dont les Israélites se comportaient confrontés vis-à-vis de toutes ces villes hostiles. Bref, le herem de guerre n’était pas une pratique appliquée systématiquement ou automatiquement. Il s’appliquait uniquement soit aux villes qui ont refusé la paix, soit aux villes hostiles qui ont attaqué Israël (Nb 21:1-3, 23-26, 33-35; Dt 2:34-37, 3:4-7, 20:12; Jos 6:1, 17, 7:5, 8:5, 14, 9:1-2, 10:1-11, 34-39, 11:1-9)38.

En ce qui concerne les commentaires, on comprend mieux d’abord celui relatif à la trentaine de rois vaincus: « Car c’est du Seigneur que venait l’endurcissement de leur cœur à faire la guerre à Israël, afin que celui-ci puisse les vouer à l’interdit, sans leur faire grâce, et les détruire comme le Seigneur l’avait ordonné à Moïse. » (Jos 11:20; cf Dt 2:30)

Ensuite, dans un commentaire faisant partie du résumé global de la conquête, le narrateur dit: « Josué fit longtemps la guerre contre tous ces rois. Il n’y eut aucune ville à faire la paix avec les Israélites, excepté Gabaon… ils les prirent toutes en combattant. » (11:18-19) Les deux cas de figure mentionnés dans la loi d’anathème de guerre sont évoqués: une ville ayant fait la paix et les villes hostiles. En dépit du cas particulier de Gabaon – la ruse des habitants résultant en un traité de paix (Jos 9:10) -, Josué 11:18-19 laisse entendre qu’avant d’attaquer les villes de Canaan, les Israélites auraient préalablement, comme stipulé en Deutéronome 20:10, proposé la paix.

Enfin, selon Deutéronome 20:11, les habitants d’une ville en Canaan qui ont accepté la paix deviendraient tributaires ou corvéables (mas) et serviraient (‘bd ) Israël. Les Hivvites de Gabaon, avec les autres villes de la tétrapole gabaonite (Jos 9:17), y ont été ainsi astreints. Ils avaient donc, comme le narrateur le commente, à servir dans la « maison de Dieu » en « coupant le bois et en puisant l’eau pour la communauté et pour l’autel du Seigneur » (Jos 9:23, 27)39. Même si, à l’époque, Gabaon était la seule ville sous ce traité de vassalité (Jos 11:19), d’autres villes, lorsque Israël était devenu plus fort, ont été ultérieurement astreintes à la corvée (Jos 17:13; Jg 1:28; cf. Jos 9:23, 27, 16:10; Jg 1:30, 33b)40. Ceci implique qu’au fur et à mesure d’autres villes cananéennes ont aussi fait la paix avec Israël. Selon 1 Rois 9:20-21, à l’époque de Salomon, les habitants anciens, qui n’ont pas été frappés d’anathème lors de la conquête, ont été astreints à la corvée d’esclaves (mas-‘obed, verset 21)41.

Pour résumer, le comportement des Israélites rapporté dans les récits de guerre et les commentaires relatifs aux habitants de Canaan s’accordent très bien avec la loi d’anathème de guerre du Deutéronome 20. Les villes hostiles ont été sanctionnées très sévèrement. Les villes qui ont accepté la paix ont été graduellement astreintes à la corvée. A la lumière de cette situation, on saisit mieux la nécessité des restrictions relatives au culte et au mariage dans l’autre loi deutéronomique d’anathème. Tout au long de l’histoire du peuple d’Israël, il y aurait les Cananéens en son sein.

La loi du Deutéronome 7:1-5, après l’ordre « tu les frapperas d’anathème » (verset 2), proscrit le mariage des Israélites avec les nations et prescrit la destruction de leurs lieux de culte (versets 3-5). Cette loi envisage les rapports entre les Israélites et les Cananéens dans la terre promise et en établit les restrictions. Les interdictions relatives au mariage et au culte sont les éléments constitutifs de ce herem culturel. Selon P. Buis, il s’agit de l’obligation « d’éviter en particulier de conclure avec eux des alliances qui impliqueraient la reconnaissance de leurs dieux (cf. Ex 34:11ss) »42.

Ch. Wright pense que la meilleure interprétation de cette notion est le renoncement aux choses et aux peuples voués à l’interdit. On renonce à leur religion. On renonce aux mariages avec eux. Dans ce sens-là, on ne se mêle pas à eux. Ainsi, l’obéissance à cette loi d’anathème implique le renoncement aux choses et aux peuples démarqués par le herem et non leur anéantissement43. Vu de cette façon, l’anathème place les restrictions sur Israël plutôt que sur les Cananéens.

Que signifie donc l’anathème culturel concrètement si finalement cette loi, comme les autres, ne stipule que la séparation d’avec les Cananéens en matière de religion et de mariage?

Cette loi applique la notion générale de herem: la séparation. Dans le domaine du sacré, le herem signifie, selon R. de Vaux, le fait « de soustraire à l’usage profane et de réserver à un usage sacré ou bien il désigne ce qui est ainsi séparé, interdit à l’homme et consacré à Dieu »44. Ce qui est ainsi démarqué est irrévocablement très saint (herem qodesh-qadashîm, Lv 27:28; cf. Jos 6:19). Que ce soit un être humain, du bétail ou un champ, il ne peut pas être vendu ni racheté, car il devient consacré (sacralisé) de façon permanente au Seigneur (Lv 27:28-29) et, normalement, la propriété du prêtre (Lv 27:21; Nb 18:14; Ez 44:29).

En revanche, dans le cas où la chose ou la personne est vouée hors du domaine du sacré, elle est considérée comme une « abomination » (sheqets) ou une chose « horrible » (tô’evah). Pour les lois deutéronomiques du herem, rendre un culte à d’autres dieux est une abomination ou une horreur (Dt 7:25-26, 12:31, 20:18), tout comme les unions sexuelles illicites (Lv 18:26-30).

Vu sous cet angle, la loi d’anathème culturel place les nations hors de portée des Israélites. Elles sont mises à l’écart. Les rapports les plus profonds sont interdits. Entrer en union physique et spirituelle avec elles est interdit, car ceci constituerait le mélange du pur et de l’horrible ou de l’abominable. Cet amalgame souille irrémédiablement. Plus grave encore, le mélange du saint et du très impur désacralise irréversiblement. On ne peut que détruire ou isoler la chose ou la personne ainsi contaminée (Ex 22:19; Lv 18:25-30; Dt 13:13-19; Jos 7:12-15). En effet, éviter cet amalgame, c’est le motif de la loi d’anathème du Deutéronome 7: « Car tu es un peuple saint pour le Seigneur, ton Dieu… » (Verset 6)

A partir de cette lecture, on peut faire deux affirmations globales. Premièrement, même si les habitants des villes hostiles ont été tués, la conquête n’a pas été l’occasion d’un génocide. A cela, on peut ajouter que la notion de génocide est étrangère aux prescriptions du Pentateuque et aux récits relatifs à la prise de possession de la terre promise. Deuxièmement, l’échec d’Israël résultant dans l’exil ne réside pas dans un manquement quelconque à l’égard de l’extermination des nations, mais dans son refus de s’abstenir des rapports d’alliance, à savoir le mariage et le syncrétisme religieux, comme s’étonne l’ange du Seigneur en Juges 2:1-2: « J’ai dit (…) vous ne conclurez pas d’alliance avec les habitants de ce pays, vous renverserez leurs autels. Mais vous n’avez pas écouté ma voix. Pourquoi avez-vous fait cela? » (Cf. 2 R 17:7-8, 15; Ps 106:34-43) En revanche, ce qui est reproché aux Israélites entourés des nations sous l’anathème, c’est qu’« ils prirent leurs filles pour femmes, donnèrent à leurs fils leurs propres filles et rendirent un culte à leurs dieux » (Jg 3:5-6). C’est justement les deux choses qui ont été interdites (Ex 34:16; Dt 7:3; Jos 23:7, 11, 42). C’est pourquoi Israël, ayant violé la loi d’anathème culturel, lui aussi est devenu impur, « horrible » et anathème (Dt 7:26; Es 43:28; Mal 3:24; Ps 106:39).

Pour conclure, il y a des prolongements néotestamentaires et christologiques de l’anathème. Il semble clair que, pour l’apôtre Paul, la notion d’anathème est la toile de fond de son ministère de réconciliation des Juifs et des nations avec Dieu. Tous ceux qui sont en dehors de Christ sont hostiles, voire ennemis de Dieu (Rm 5:10; Col 1:21-22) et sous l’anathème (1 Co 16:22; cf. 12:3; Ga 1:8-9). Paul souhaiterait, à la place de ses frères israélites, qui ne sont pas soumis à la justice de Dieu, être lui-même anathème et séparé du Christ (Rm 9:3-4). Ils sont, en ce qui concerne l’Evangile, ennemis (Rm 11:28). Pourtant, c’est l’endurcissement partiel d’Israël qui permet aux nations d’entrer (Rm 11:25), tout comme celui des nations ouvrant la porte de Canaan aux Israélites (Dt 2:20; Jos 11:20).

Le seul remède à cette hostilité, c’est la paix en Christ. « Car il a plu (à Dieu) (…) de tout réconcilier avec lui-même (…) en faisant la paix par lui (Christ) par le sang de sa croix. Et vous qui étiez autrefois étrangers et ennemis (…) il vous a maintenant réconciliés par la mort dans le corps de sa chair. » (Col 1:19-22) Comme Moïse a envoyé les messagers à l’ennemi avec des paroles de paix (Dt 2:26), l’Eglise est envoyée auprès d’un peuple hostile à l’Evangile avec « la parole de réconciliation. Nous sommes donc ambassadeurs pour le Christ (…) nous vous en supplions au nom du Christ: Soyez réconciliés avec Dieu! » (2 Co 5:19-20) En effet, le Christ « est notre paix » et « est venu annoncer, comme une bonne nouvelle, la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient proches » (Ep 2:14, 17). Selon cette citation en Ephésiens 2:17 d’Esaïe 57:19, qui à son tour fait allusion, semble-t-il, aux nations des villes éloignées et proches de la loi d’anathème en Deutéronome 20, accepter cette paix résulte de la guérison opérée par le Seigneur. La guérison du salut en Christ est le remède à l’anathème. Dans la nouvelle Jérusalem se trouve l’arbre de vie dont les feuilles, dit l’apôtre Jean, « servent à la guérison des nations »; en conséquence, « il n’y aura plus d’anathème » (Ap 22:2-3).

* R. Bergey est professeur d’Ancien Testament à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 Déposséder est le verbe presque exclusivement employé dans les récits de l’installation des Israélites en Transjordanie (Nb 21:21-35; cf. 33:52, 55) et en Cisjordanie (Jos 14-19; Jg 1).

2 La traduction de ce mot dans la version grecque de l’Ancien Testament, anathema, a donné la transcription française « anathème », d’où les traductions du verbe « frapper d’anathème » (BRabbinat, NBS), « dévouer par l’anathème » (BJ) ou « vouer à l’anathème » (Osty). D’autres versions modernes traduisent « vouer à l’interdit » (TOB, BC), « vouer à l’extermination » (Semeur) ou « exterminer » (FC). Cf. l’arabe haram « ce qui est défendu, sacré » (appartement ou ensemble des femmes).

3 Heshbôn et Bashân, Dt 2:34; 3:6; Jéricho, Jos 6:17, 21; Aï, 8:26; 10:1; les villes des coalisés du sud, 10:28, 35, 37, 38, 39; celles de la coalition du nord, 11:11-12.

4 A. de Pury, « La guerre sainte israélite: réalité historique ou fiction littéraire? », ETR 56 (1981): 5-38(5).

5 Après la mort de Josué, Jérusalem a été prise et brûlée (Jg 1:8).

6 A.R. Millard, « Les villes de la conquête », La Bible déchiffrée (Guebwiller: LLB, 1983), 212-213.

7 A. Mazar, Archaeology and the Land of the Bible (New York, Londres: Doubleday, 1990), 239, 296-297.

8 Y. Aharoni, The Archeology of the Land of Israel (Philadelphie: Westminster, 1982), 158-180.

9 Dans le résumé global de l’installation, cette seconde expression reflète, sans soute, la période après le long processus de l’installation et l’époque où les ennemis d’Israël ont été assujettis à Salomon (1 R 5:1; 9:20-21).

10 Josué dit: « [le Seigneur] a chassé devant nous ‹tous les peuples », expression qualifiée immédiatement après « les Amoréens qui habitent ce pays… » (Jos 24:18).

11 Lv Rabba 17:6; Dt Rabba 5:13-14; Talmud de Jérusalem Shevit 6:5; 36c.

12 Sifrei 20; Tosefta Sot. 8:7; Sot 35b. Ce sont les lois pour toute l’humanité avant et après Noé. Les sept, considérées comme le minimum pour maintenir l’ordre social, concernent l’idolâtrie, le blasphème, le meurtre, l’inceste et l’adultère, le vol, l’établissement des cours de justice et la consommation de la chair d’un animal vivant (Tosefta Av Zar 9(8):4; Sanh 56a; Hul 92a).

13 Maïmonide (Rab Moïse ben Maïmôn = Rambam, 1135-1202), Yad Hazakah (= Misneh Torah), Hilkhot Melakhîm 6:1. Nahmanide (Rab Moïse ben Nahman = Ramban, 1194-1270) suit cette interprétation.

14 Maïmonide, Hilkhot Melakhîm 6:7.

15 Mekilta de R. Ishmaël, Pisha 18:1-10. Cf. 1 Ch 4:40, où les « fils de Cham » désignent les Cananéens.

16 M. Noth, The Deuteronomic History, JSOTS 15, (Sheffield: Sheffield University, 1981), 36-41.

17 Pour A.D.H. Mayes, ce qui fait de Josué un livre deutéronomiste, ce sont les quatre notions clefs: 1) Israël une seule nation; 2) Israël un seul peuple en rapport d’alliance avec un seul Dieu; 3) Israël sous un seul chef; 4) le herem comme moyen de prendre possession de la terre promise. The Story of Israel from Settlement to Exile (Londres: SCM, 1983), 41-43.

18 Cf. N. Lohfink, « haram », TDOT V, 195-198; M. Fishbane, Biblical Interpretation in Ancient Israel (Oxford: Oxford University, 1989), 200-208; J. Tigay, Deuteronomy (Philadelphia: JPS, 1996), 470-472; M. Weinfeld, Deuteronomy 1-11, AB 5 (New York, Londres: Doubleday, 1991), 50-51. D. Noël, Les Originies d’Israël, CahEv 99 (Paris: Cerf, 1997), 50-51. Selon R. de Vaux: « Les préoccupations religieuses [du herem] ne paraissent que dans des textes de rédaction plus tardive, dans les prescriptions du Deutéronome sur le herem, Dt 7:2-5, 25, 20:17-18, dans le cadre deutéronomiste du livre des Juges, Jg 2:2-3, dans la rédaction plus tardive encore de la guerre de Moïse contre Madian, Nb 25:17-18, 31:15-16. » Les institutions de l’Ancien Testament II, 5e éd. (Paris: Cerf, 1991), 79.

19 R. de Vaux, Histoire ancienne d’Israël, des origines à l’installation en Canaan (Paris: Gabalda, 1971), 548.

20 R. de Vaux, Les Institutions II, 76-77.

21 P. Buis, Le Deutéronome (Paris: Beauchesne, 1969), 140.

22 J. Briend, « Les sources de l’historiographie deutéronomiste », Israël construit son histoire, A. de Pury, T. Romër, D. Macchi, éds (Genève: Labor & Fides, 1996), 344-366 (363).

23 D. Bach, « Anathème », DEB, 56-57.

24 P. Buis et J. Leclercq, Le Deutéronome (Paris: Gabalda, 1963), 81.

25 M. Weinfeld, Deuteronomy and the Deuteronomic School, (Oxford: Clarendon, 1972), 50-51; 343-344. D Bach opine: « A partir de 2 R 19:11; 2 Ch 20:23, 32:14, on a souvent conclu que les Assyriens et d’autres peuples connaissent l’a.[nathème], mais il est préférable de comprendre heherîm dans le sens atténué, d’autant plus que les textes assyriens et autres ne fournissent pas d’appui pour défendre ce sens fort. » « Anathème », DEB, 56-57. Les Assyriens ont pratiqué la déportation (2 R 17:6, 18:11), normalement des élites comme l’ont également fait les Babyloniens (2 R 24; Dn 11:1-3).

26 J.G. McConville, Grace in the End, A Study in Deuteronomic Theology (Grand Rapids: Zondervan, 1993), 139-140. Dans l’introduction au livre de Josué de la NBS, au sujet de l’anathème, on lit: « Le ton se fait ici polémique », 281.

27 C.J.H. Wright, Deuteronomy, NIBC (Peabody: Hendrickson, Pasternoster, 1996), 120.

28 P. Hoff, Livres historiques de l’Ancien Testament (Miami: Vida, 1987), 170.

29 G.L. Archer, Introduction à l’Ancien Testament (Saint-Légier: Emmaüs, 1984), 307-308.

30 Calvin, dans son commentaire sur la phrase « Car l’iniquité des Amoréens n’est pas encore accomplie » (Gn 15:16), dit: « Ce passage est excellent pour montrer que les habitations sont départies aux hommes par toute la terre de telle manière que le Seigneur conserve les peuples en repos, chacun en sa demeurance, sinon qu’eux-mêmes s’en chassent par leur propre méchanceté; car en polluant le lieu où ils habitent, ils arrachent, par manière de dire, les bornes que Dieu avait plantées de sa main, lesquelles fussent autrement demeurées immuables. » Le Livre de la Genèse (Aix-en-Provence/Fontenay-sous-Bois: Kerygma/Farel, 1978), 240-241.

31 W.B. Greene, « The Ethics of the Old Testament », Classical Evangelical Essays (Grand Rapids: Baker), 207-235 (221).

32 W.C. Kaiser, Toward Old Testament Ethics (Grand Rapids, Zondervan, 1983), 266-269; J.G. McConville, Grace in the End, 139-144.

33 La loi d’anathème en Dt 13:13-19 concerne l’apostasie des habitants d’une ville israélite (cf. Ex 22:19).

34 Accepter la paix (shalôm) proposée de la part des Israélites voulait dire, pour l’ennemi, se soumettre aux conditions d’un traité de vassalité. Cette pratique est connue des textes anciens de Mari (vers 1800 av. J.-C.). Cf. 2 S 10:19 = 1 Ch 19:19, où « faire la paix » (hishlîm) veut dire être assujetti (‘abad). Le verbe « faire la paix » se trouve aussi en Jos 10:1, 4, 11:19; 2 R 18:31.

35 C’est également l’interprétation de Maïmonide (Hilkot Melakhîm 6:1), qui est suivi par Ramban. N. Lohfink l’interprète de cette façon, « haram », TDOT V, 197. J. Tigay admet que cette interprétation est compatible avec le commentaire en Jos 11:19, « aucune ville ne fit la paix avec les Israélites, excepté…Gabaon » (voir notre discussion plus loin), Deuteronomy, 472.

36 Hazor avait une superficie de 200 acres (81 hectares). A. Mazar, Archeology of the Land of the Bible, 240. Elle était la capitale de tous les royaumes du nord (Jos 11:10).

37 Certains versets dans les récapitulatifs semblent laisser entendre que l’anathème s’appliquait uniquement aux rois (Jos 10:40-42, 11:12; cf. Dt 7:24).

38 La défaite des ennemis d’Israël est l’accomplissement des anciennes prophéties du Pentateuque (Gn 49:8; Nb 24:8; Dt 32:27, 31, 41-42).

39 Les Hivvites de Gabaon et des autres villes coalisées n’ont été assujettis qu’à partir de l’époque de David (2 S 21:1-9). Son recensement d’Israël comprenait les Cananéens et Hivvites (2 S 24:7). Il se peut que les Hivvites soient parmi les Néthiniens et les serviteurs de Salomon qui faisaient partie des exilés retournés en Judée (Esd 2:43-58; Né 7:46-62; Talmud de Babylone, Yeb 78b-79). Selon la Mishnah, les Gabaonites ont survécu à la destruction du second temple. Y. Kauffmann, The Religion of Israel (New York: Schocken), 250-251.

40 La corvée relève d’une période lointaine de la conquête, comme le suggèrent plusieurs textes narrant les séquelles de la conquête: « Lorsque les Israélites furent assez forts, ils soumirent les Cananéens à la corvée. » (Jos 17:13; Jg 1:28) Il paraît clair que ces commentaires reflètent la période du roi David (2 S 20:24) ou de Salomon. Ce dernier se servait des hommes de corvée non-Israélites pour la réalisation de ses vastes projets de construction (1 R 9:15- 20; cf. 5:27 au nombre de 30 000; 2 Ch 2:16-1, 8:7-9). D’après J.A. Soggin, « corvée » (mas) est mieux traduit « soumis au tribut ». Il l’interprète comme une forme de vassalité et non pas un asservissement. Le livre des Juges, CAT Vb (Genève: Labor & Fides, 1987), 28. En revanche, M.J. Lagrange opine que mas ne signifie pas le tribut, mais la corvée, l’instrument indispensable de tous les grands travaux de l’Orient. Il mentionne l’exemple de Salomon car « [c’]est sous son règne que les Cananéens furent le plus universellement soumis à la corvée (1 R 9:20ss) à cause de ses entreprises considérables. » Le livre des Juges (Paris: Lecoffre, 1903), 17. Cf. E. Lipinski, « Corvée », DEB, 306-307. R. North, « mas », TDOT VIII, 427-430.

41 Ce travail, au cours de l’histoire d’Israël, était effectué, à tour de rôle (1 R 5:28), dans des projets de construction royale, dans un service rendu au temple ou même dans le service militaire (1 R 9:15-22; Né 3:7; 1 Ch 12:4). Ceux qui y étaient ainsi astreints étaient les serviteurs à perpétuité des Israélites, non comme esclaves privés, mais en tant qu’esclaves royaux et serviteurs des prêtres. Cette servitude fait l’objet d’une ancienne prophétie au sujet des Cananéens qui seraient, au sein des descendants de Sem, ses esclaves (Gn 9:25-27).

42 P. Buis, Le Deutéronome, 140. Il ajoute: « Concrètement, la loi de séparation [Dt 7:1-6] consistera à éviter les mariages (alliances familiales) avec les non-Israélites et à détruire les sanctuaires païens avec tout leur mobilier. » Idem. Cf. P. Buis et J. Leclercq, Le Deutéronome, 81.

43 Ch. J.H. Wright, Deuteronomy, 109.

44 R. de Vaux, Institutions II, 76.

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