L’alliance et la famille au travers de l’Ancien Testament

L’alliance et la famille au travers de l’Ancien Testament

Ronald BERGEY*

I. Alliance et famille

La « famille », dans l’Ancien Testament, est une « maison » (bayit) et « fonder une famille » se dit « construire une maison » (banâh bayit; Dt 25:9; Né 7:4)1. Une maison est aussi solide que ses fondations. La famille n’échappe pas à cette règle. La famille vétérotestamentaire est fondée solidement sur l’alliance établie par Dieu entre lui et son peuple. Dans la relation d’alliance, la famille est revêtue de son caractère particulier, ce qui permet de dégager son rôle primordial au sein d’Israël.

Dans la liste habituelle des mandats législatifs créationnels en Genèse 1 et 2, les première et septième ordonnances vont de pair2. Les deux se rapportent à la famille. La position de ces ordonnances, au début du canon des Ecritures, indique la prééminence de la famille au sein de la société3. Elle en est la pierre angulaire.

La première ordonnance, le premier des 613 commandements, a trait à la procréation: « …Soyez féconds, multipliez-vous… » (Gn 1:28) Cet ordre est donné à l’humanité (‘adam), créée bisexuée, « mâle et femelle » (zakar ûneqébâh 1:27)4. Ceci montre que la vie humaine doit normalement se transformer en vie de famille. La bénédiction divine, qui précède ce mandat (« Dieu les bénit et Dieu leur dit… »), dote ce couple de la capacité de la réaliser. Le reste de la Genèse en est la preuve. Ce livre, depuis les récits de la création jusqu’à la fin des histoires des Pères fondateurs du peuple de Dieu, est divisé en dix tôlédôt, à savoir dix sections introduites par « voici des engendrements… » ou, plus couramment, « voici la postérité de… ». Il s’agit de la métamorphose continue de l’humanité, mâle et femelle, en parents d’enfants.

La septième et dernière ordonnance créationnelle postule que: « …l’homme (‘îsh) quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme (‘ishâh), et ils deviendront une seule chair. » (2:24) En réalité, cette septième ordonnance aurait pu être la première puisqu’elle suit l’exclamation d’Adam à l’instant même où la femme se trouve à ses côtés: « C’est l’os de mes os, la chair de ma chair… » (2:23)5 Ce mandat reflète une société déjà bien développée et organisée en famille. Il stipule sa permanence et son évolution à partir de la vie conjugale, de l’union de l’homme et de la femme, voire l’union physique par laquelle les deux deviennent une seule chair (basar ‘ehad)6. Les première et septième ordonnances font un ensemble puisque c’est par cette union que la bénédiction divine de fécondité se concrétise.

Ces deux mandats posent les fondements de la famille et la revêtent de son caractère allianciel. Ces prescriptions elles-mêmes ainsi que la bénédiction qui précède l’une d’elles sont des éléments constitutifs, entre autres en Genèse 1 et 2, d’une alliance7. Puis, dans tous les codes légaux de l’alliance mosaïque, elles font l’objet de législation régissant la vie conjugale et familiale8. La mise en pratique de ces lois amène sur la famille et sur la terre les bénédictions divines rattachées à l’alliance; la famille croît et les récoltes abondantes la font vivre (Lv 26:4-5, 9-13; Dt 28:4-5, 9-10). La bénédiction la plus tangible et désirée, mis à part une longue vie sur la terre, est celle d’une famille nombreuse (Lv 26:9; Dt 28:4; Ps 127:3; 128).

Ce caractère allianciel de la famille est appuyé par ailleurs: le mariage, le début de la vie familiale, est qualifié « alliance ». Malachie, qui commente la « seule [chair] » de Genèse 2:24, parle de « la femme de ton alliance »9. En Ezéchiel 16:8, le Seigneur dépeint les débuts de son rapport d’alliance avec son peuple en langage de mariage: « J’étendis sur toi le pan de mon manteau, je couvris ta nudité, je te fis un serment, je contractais une alliance avec toi… et tu fus à moi. »10 Les expressions « étendre le pan d’un manteau sur » et « couvrir la nudité » évoquent les coutumes du mariage. L’expression « être à » quelqu’un signifie « être l’épouse de » ou « se marier avec » (Dt 21:13). Ce mariage est scellé par un serment, une alliance faite par l’époux, le Seigneur, avec son épouse, le peuple11. En Proverbes 2:17, l’infidélité aux liens conjugaux constitue la rupture d’une alliance divine: « La femme qui abandonne l’ami de sa jeunesse oublie l’alliance de son Dieu. »

Enfin, deux mots clefs de la septième ordonnance s’appliquent aux rapports d’alliance. Il s’agit des deux termes aux sens opposés dans l’expression « l’homme quittera (‘azab) son père et sa mère et s’attachera (dabaq) à sa femme ». « Quitter » signifie rompre le rapport d’alliance (Jr 1:16; Os 4:10; Pr 2:17; cf. Es 62:4) tandis que « s’attacher » se réfère à la fidélité à l’union d’alliance du peuple avec le Seigneur12.

II. Alliance, famille et paternité

Si le portrait familial se trouve dans le cadre d’une alliance, la question qui se pose est la suivante: quel rôle joue la famille, à cet égard, au sein de la nation d’Israël? Pour cerner ce rôle, il faut comprendre quelle est la place de la famille dans la structure sociale de parenté. Cette structure s’organise à trois niveaux: tribu, clan et famille13.

La tribu (shebet ou matteh)14 est le niveau de parenté le plus étendu des trois. Elle constitue la charpente de la société israélite et de sa division territoriale. Les douze tribus et leurs territoires portent les noms des descendants d’Israël.

Le clan (mishpahâh) est l’échelon intermédiaire de parenté entre la tribu et la famille. Les clans se composent d’un nombre assez large de familles. Comme pour la tribu, les caractères fondamentaux du clan relèvent de la parenté et de l’identité territoriale15. La lignée de parenté est garantie par l’endogamie, c’est-à-dire le mariage à l’intérieur du clan pour préserver le système de tenure de la terre (Nb 36:1-12).

La « maison » (bayit) ou la « maison du père » (bêt-ab; ou « maison paternelle ») constitue le niveau de parenté fondamental (Gn 12:1; 24:38, 40; Ex 6:14; Nb 1:2; Jg 9:1; 1 Ch 2:55). Même s’il s’agit d’une famille élargie, elle correspond au plus proche, à ce que nous appelons la « famille ». R. de Vaux précise que « la famille se compose de ceux qu’unissent à la fois la communauté de sang et la communauté d’habitation »16. C’est le maillon fort ou faible dans la chaîne sociale de parenté. Il s’agit du lieu privilégié où la conjugalité et la parentalité se conjuguent.

C.J.H. Wright a clairement démontré que la famille, la bêt-ab, comme élément fondamental de parenté, est le pivot autour duquel s’articule le rapport d’alliance entre Dieu et Israël17. Ces trois composantes de la communauté de parenté, tribu, clan et famille, sont inextricablement liées, non seulement par le sang et par l’habitation, mais aussi par la nature du fonctionnement de l’alliance. Un exemple mettra en lumière ce point.

Après la défaite d’Israël à Aï, à cause de la désobéissance d’une seule personne, la chasse à l’homme pour trouver le coupable s’est petit à petit rétrécie. Selon les instructions du Seigneur, l’enquête devait commencer par une tribu (shebet), passer par un clan (mishpahäh) pour être réduite à une famille (« maison, bayit)18. D’abord, la tribu de Juda a été désignée, puis le clan de Zérah et, enfin, la maison de Zabdi. A l’intérieur de cette dernière se trouvait le coupable, Akân (Jos 7:16-18).

L’acte de ce membre d’une famille a eu des conséquences énormes pour les clans et les tribus, voire pour tout Israël. Il ne s’agissait pas seulement de leur défaite. Plus grave encore, le rapport d’alliance risquait d’être rompu si le mal au sein d’une famille n’était pas extirpé. Le Seigneur dit: « Israël a péché: ainsi ils ont enfreint l’alliance que je leur avais prescrite… » (7:11) Le texte ne dit pas: « Akân a péché; il a transgressé l’alliance que j’ai prescrite. » L’acte d’un membre d’une famille avait des répercussions au niveau de l’alliance pour tous les échelons de parenté, pour tout Israël. Il est clair qu’en termes d’incident, il s’agit d’un cas particulier. Mais, en réalité, il est question d’une norme qui est à l’œuvre et régit la vie sociale, dans le cadre de l’alliance, à partir d’une famille.

Qu’il s’agisse d’un principe directeur est d’autant plus évident au cinquième commandement du Décalogue: « Honore ton père et ta mère… » (Ex 20:12; Dt 5:16) La position de ce commandement est significative. Cette prescription relative à l’autorité parentale et à l’obéissance de l’enfant envers ses parents est au premier rang du second tableau de la loi. Il s’agit du fondement des cinq autres commandements ayant trait à l’éthique sociale: la proscription du meurtre, de l’adultère, du vol, du faux témoignage et de la convoitise (Ex 20:13-17; Dt 5:17-21). Sa prééminence explique aussi pourquoi l’honneur dû aux parents fait l’objet d’un nombre de stipulations civiles (Ex 20:12; 21:15, 17; Dt 14:1-2; 21:18-21; 27:16), d’admonestations prophétiques (Es 1:2; Am 2:7; Mal 1:6; 3:24) et d’exhortations sapientielles (Pr 20:20; 30:11, 17).

Dans un cas extrême, la peine capitale est prescrite pour le fils indocile et rebelle qui n’écoute pas ses parents (Ex 21:15, 17; Lv 20:9; Dt 21:18-21) aussi bien que pour l’adultère, la violation du septième commandement (Lv 20:10; Dt 22:22). Cette sanction s’explique en partie par le fait que, d’un côté, le rejet de l’autorité parentale constitue une rupture entre l’enfant et ses parents et, de l’autre, l’adultère constitue une rupture de la vie conjugale. L’un ou l’autre brise la famille de l’intérieur. L’alliance est rompue en son sein.

Mais la sévérité de cette peine s’explique mieux par le fait que cette fracture ne menace pas seulement la famille, mais aussi la nation entière. Pourquoi? Comme dans l’incident d’Akân, ce mal au sein d’une famille enfreint l’alliance établie avec tout Israël. Voilà quelle est la raison de cette sanction si sévère. Comme la rébellion d’un enfant, l’exécution de cette peine a des conséquences à l’échelle nationale: « Tu extirperas ainsi le mal du milieu de toi, afin que tout Israël apprenne et soit dans la crainte. »19 Evidemment, l’objet principal de cette menace ne réside pas dans son exécution, mais dans son effet dissuasif.

Vu le rôle charnière de la famille dans les relations d’alliance, le cinquième commandement et cette peine ont comme but sa préservation. La mise en relation de la famille avec la législation, accompagnée de menaces et de promesses, la protège de toute dislocation au sein de la société. Comme le dit Wright, l’Ancien Testament montre « un souci profond de protéger la famille… de l’intérieur de la perturbation de son autorité domestique et du mépris de son intégrité sexuelle ». Il ajoute: « Toute atteinte contre la stabilité de la famille menaçait par là même la relation d’alliance de la nation avec Dieu. »20 Si les fondements sont ébranlés, tout l’édifice social s’écroulera.

III. Alliance, famille, paternité et médiation

Quelle est la spécificité du rôle de la famille au sein du peuple de Dieu? Wright répond à cette question: « La famille revêt une importance charnière dans la médiation du rapport d’alliance. La continuité de ce rapport dépend en grande partie des fonctions didactiques et catéchétiques des têtes des maisons. »21

L’alliance a été établie par Dieu pour régir la vie de son peuple. Régir les relations entre membres de l’alliance requiert des médiateurs, car vivre en communauté, comme le montre l’histoire du peuple de l’alliance, n’est pas une affaire simple. C’est pourquoi Dieu a suscité entre lui et son peuple des médiateurs, des oints, prophètes, prêtres et rois.

Le rôle de ces médiateurs est le maintien des relations des membres de l’alliance. Dans une société organisée en plusieurs niveaux de paternité, Dieu a, dans un premier temps, confié cette mission à la famille. Ce service de médiation fonctionne, d’abord, au sein de la famille. Pourtant ce ministère ne se limite pas là. La famille constitue le premier maillon dans la chaîne de médiation suscitée par Dieu entre lui et son peuple entier. Puisque Dieu a suscité d’autres médiateurs de l’alliance, quelle est la nature du rôle de médiation confié à la famille?

Elle a trait à la médiation sacerdotale. Il faut préciser, pourtant, qu’il y a une différence fondamentale entre ce sacerdoce, que nous qualifions de familial, et la médiation du sacerdoce classique. Pour ce dernier, la médiation a lieu dans le contexte du culte. Les prêtres ont une mission religieuse, mission accomplie dans le cadre des institutions. La parole de Dieu, rattachée aux actes cultuels, est institutionnellement liée22. Ainsi, les prêtres exercent leurs ministères de médiation de façon ponctuelle et localisée, notamment aux fêtes sacrées de pèlerinage au sanctuaire (Dt 31:9-13; Né 8)23.

Alors, comment combler le fossé, d’un côté, entre le foyer et le sanctuaire et, de l’autre, entre le quotidien et l’année ponctuée par les fêtes, si ce n’est par l’intermédiaire de la famille où ce rôle de médiation est joué au foyer tous les jours. Nous examinerons brièvement les ministères sacerdotaux de médiation en parallèle avec les rôles spécifiques au sein de la famille.

Le ministère primordial de la médiation sacerdotale est l’enseignement de la Parole. Ce service didactique a été confié aux prêtres (Dt 33:10; 17:11; 2 Ch 15:3; 17:9; Esd 7:6, 10; Né 8). Or, il est également à l’œuvre dans la famille, car le père et la mère l’exercent aussi: « …mes paroles… vous les enseignerez à vos fils et vous leur en parlerez… dans ta maison… » (Dt 11:18-19; cf. Ex 13:8s; Dt 6:6-7; 8:5; Pr 1:8; 31:1) L’accent, dans ce passage et d’autres, est mis sur le quotidien: « …Tu inculqueras [ces paroles] à tes fils et tu en parleras quand tu seras dans ta maison… quand tu te coucheras et quand tu te lèveras. » Dt 6:6-7; 11:19) Il s’agit de la formation permanente, sur place, ce qui ne faisait pas partie du cursus des prêtres.

Le second ministère sacerdotal principal de médiation est sacramental. Les sacrements illustrent les actions divines. Les prêtres président aux rites et aux liturgies lors des fêtes et aux sacrifices du peuple (Dt 25:1; 33:10; 1 Ch 23:31). Tout comme le prêtre, le père, lui aussi, exerce un ministère sacramental. Comme l’explique Wright: « Certains actes cultuels essentiels tels la circoncision, la Pâque et le rachat des fils aînés se pratiquaient au sein de la famille. »24 Le père a à répondre, à la maison, aux questions posées par les enfants quant à la signification des choses rituellement symbolisées. J.A. Soggin a étudié cinq passages de questions et réponses25. Il les qualifie de « catéchétiques » en raison de la récurrence de la formule: « Lorsque vos fils vous demanderont: que signifie ce rite? Vous répondrez… » (Ex 12:26s; 13:14s; Dt 6:20-24; Jos 4:6-7; 4:21-23) Le père préside à ces rites qui mettent en lumière les œuvres divines. Il offre des sacrifices pour ses enfants (Jb 1:5; cf. Gn 22; 31:54; 46:1). Il conduit toute sa famille au pèlerinage (1 S 1:3s)26.

Les prêtres figurent dans une collection de lois relatives aux autorités civiles et religieuses (Dt 16:18-18:22)27. La médiation sacerdotale comprend le pouvoir de prononcer des jugements (Dt 17:8-13; 21:5; cf. Ez 44:23s). Cette même autorité est investie au sein de la famille. Elle est résumée dans le cinquième commandement. Ce commandement est au cœur de toutes les lois relatives au respect des autorités médiatrices. Le respect quotidien envers les parents se traduit en respect pour toutes les autorités, les autorités civiles, juges et rois, ou les autorités religieuses, prêtres et prophètes.

Les parents n’ont pas seulement le droit de correction, mais aussi de jugement. Comme nous l’avons vu, de sévères sanctions renforcent le respect des parents. La rébellion juvénile est un acte passible de la peine capitale. Les parents qui se trouvaient dans la situation tragique de ne plus pouvoir contrôler leur enfant qu’ils s’étaient efforcés de corriger avaient à décider de son sort malheureux et à l’amener au lieu du jugement. La même sanction décidée au fils rebelle s’applique à celui qui refuse d’agir en conformité avec le jugement du prêtre: « L’homme qui agira avec audace sans écouter le prêtre…, cet homme mourra. » (Dt 17:12) Non seulement la peine, mais aussi l’expression concernant l’effet sur Israël de l’exécution de l’homme audacieux renvoient au cas de l’enfant rebelle: « Tu extirperas ainsi le mal du milieu d’Israël. Tout le peuple l’apprendra, sera dans la crainte et n’aura plus tant d’audace. » (Dt 17:13; cf. 21:21) Ce rapprochement de l’autorité sacerdotale et de l’autorité parentale est voulu.

La médiation est couronnée par la bénédiction. Dieu, auteur de l’alliance, a béni son œuvre de création. Il a béni le couple, mâle et femelle, pour le doter de la fécondité et du pouvoir de gérer le monde créé28. L’objet ultime de la médiation sacerdotale est la bénédiction divine. Elle est transmise. Comme médiateurs, les prêtres prononçaient la bénédiction divine sur le peuple pour faire germer la grâce divine semée par leurs services29..

Pour faire croître la connaissance du Seigneur chez ses enfants, le père prononce sur eux la bénédiction divine (Gn 27:48-49; 28:1, 3-4; 48:15s; 49:1s). Sa bénédiction couronne tous les autres ministères parentaux. Transmise à l’enfant qui honore son père et sa mère, la bénédiction amène une vie longue et heureuse: « …afin que tes jours se prolongent et que tu sois heureux… » (Ex 20:12; Dt 5:16) Cette même bénédiction est promise aux parents qui transmettent la foi: « Pour que vos jours et les jours de vos fils sur la terre… durent aussi longtemps que le ciel sera au-dessus de la terre. » (Dt 11:21) Comme le montre la promesse au cœur de l’alliance abrahamique, la famille bénie est une source de bénédiction physique et spirituelle pour tous les clans (mishpahôt) de la terre (Gn 12:2-3). C’est la bénédiction, par la médiation suscitée entre Dieu et Israël, qui permet au peuple de l’alliance de réaliser la plénitude de la vie jusqu’à la vie éternelle (Ps 133:3; Ga 3:8-9, 13-14).

Par l’instrumentalité de ces ministères d’ordre sacerdotal – parole et sacrement, autorité et bénédiction -, la famille exerce son rôle de médiation de l’alliance au sein d’Israël. Loin de circonvenir ou de concurrencer la médiation des prêtres, Dieu l’a suscitée, de façon complémentaire, au sein de la famille, fondement et pilier de la société, où tous les jours tous les ministères sont exercés. C’est ainsi que la connaissance de l’alliance, avec ses servitudes et ses privilèges, est transmise d’une génération à l’autre. La famille qui exerce ses responsabilités construit solidement sa maison sur les fondations de l’alliance. Elle se protège et est protégée des bouleversements pouvant venir aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur. Les enfants apprennent de leurs parents l’autorité et les limites de la liberté. De leurs frères et sœurs, ils apprennent la justice et l’injustice. C’est ainsi que la famille pose, en même temps, les fondements pour l’édifice social entier. Cet édifice s’avère aussi solide que ses fondements.


* R. Bergey est professeur d’Ancien Testament et d’hébreu à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 R. de Vaux, Les institutions de l’Ancien Testament, I, 5e éd. (Paris: Cerf, 1989), 39. Sur la famille voir H.W. Wolff, Anthropologie de l’Ancien Testament (Genève: Labor & Fides, 1974), 155-161; 188-189; W.C. Kaiser, Towards Old Testament Ethics (Grand Rapids: Zondervan, 1983), 152-163; P. Wells, « The Family Crisis in a Christian Perspective », Evangel (1996), 23-28.

2 J. Murray dresse la liste suivante: procréation, remplissage de la terre, sujétion de la terre, domination sur les créatures, travail, sabbat et mariage (Gn 1:27-28; 2:2-3, 15, 24), Principles of Conduct (Grand Rapids: Eerdmans, 1957), 27-44.

3 V.P. Hamilton, « Marriage (OT and ANE) », The Anchor Bible Dictionary, vol. 4 (1992), 559-569 (560).

4 Ce couplet signifie « mâle et femelle » (TOB) et non pas « homme et femme » (Col); cf. 2:22.

5 L’expression « os de mes os » signifie appartenance familiale; cf. Gn 29:14; 37:27; Jg 9:2; 2 S 5:1; 19:12-13; 1 Ch 11:1; G. von Rad, Genesis (Philadelphie: Westminster, 1961), 82.

6 La chair, dans certains contextes, désigne l’organe de procréation mâle ou femelle; cf. Lv 15:1-2, 7, 13, 16, 19. « La sexualité trouve son sens en traduisant dans la chair l’unité des deux êtres que Dieu appelle à s’entraider dans l’amour mutuel. » « Mariage », Vocabulaire de théologie biblique, sous dir. X. Léon-Dufour, 6e éd., (Paris: Cerf, 1988), 710.

7 Les autres éléments constitutifs sont: la promesse de la vie éternelle (2:9; 3:22, 24), la menace de la mort (2:17) et les peines (3:16-19, 22-29), le signe du Sabbat (2:3; cf. Ex 31:17), le rite sanglant (3:21) et le nom Yahvé Elohim, nom par excellence du Dieu de l’alliance (2:4-3:42; cf. Ex 3:14-15). Osée parle d’une alliance avec Adam (6:7) et Jérémie de celle conclue avec la création (33:20-25; cf. 31:35s).

8 Le cinquième commandement mis à part, ces lois s’adressent aux cas difficiles tels les droits de la femme mariée plus aimée (Dt 21:10-14; 15-17), l’enfant rebelle (Ex 21:15-17; Dt 21:18-21), la femme soupçonnée d’infidélité (Dt 22:13-21), l’adultère (Dt 22:22), la femme répudiée (Dt 24:1-4). Elles légifèrent sur le dysfonctionnement ou la pathologie d’un foyer. La loi, sans la préconiser, reconnaît juridiquement la bigamie (Dt 21:15-17). En Lévitique 20 se trouve une liste de mariages et de rapports sexuels interdits. Ces lois sur la famille sont peu nombreuses par rapport à d’autres codes légaux du Proche-Orient ancien; voir les lois de Hammourabi, §127-195, et les lois assyriennes, tablette A, §1-59, dans J.A. Pritchard, éd., Ancien Near Eastern Texts (Princeton: Princeton University Press, 1969), 171-175; 180-185.

9 Ml 2:14; cf. 15-16. Pour Malachie, la gravité de la trahison de l’alliance de mariage relève de la rupture d' »une seule (‘echad [chair]) », chair ou union par laquelle le Seigneur attendait une descendance pieuse (2:15).

10 Le verbe traduit « contracter » est en hébreu « entrer » (bô’), verbe inhabituel pour établir une alliance. Or son usage, comme c’est souvent le cas, peut avoir des connotations sexuelles (cf. Gn 6:4; 16:2; 30:3; 38:8-9; Dt 22:13).

11 Dans une loi proscrivant le mariage d’un fils avec sa mère, il est dit: « Nul ne prendra [en mariage] la femme de son père et ne découvrira le pan du manteau de son père. » (Dt 23:1) Booz exerce son droit du lévirat, et en signe de promesse de mariage, il couvre Ruth du pan de son manteau (Rt 3:9).

12 Dt 10:20; 11:22; 13:5; Jos 23:8; 1 R 3:1. Chez les rois, s’allier par mariage se dit « se marier avec » (Hith. du hatan; 1 R 3:1; 2 Ch 18:1).

13 De Vaux, op. cit., 22, 39-40. Le dénombrement des Israélites (Nb 1) et le relevé des prêtres (Nb 4) ont été faits selon la tribu, le clan et la famille

14 « …deux noms d’emploi équivalent et qui désignent aussi le bâton de commandement et le sceptre royal: la tribu groupe tous ceux qui obéissent au même chef. » Ibid, 22.

15 Voir les listes des recensements en Nb 1 et 26 où sont rapportés les noms des clans constituant les subdivisions principales des tribus et les listes des frontières des divisions de la terre en Josué 13 à 19, où l’allocation de ces terres se faisait « selon les clans » (p. ex. Jos 13:15; cf. Nb 33:54).

16 De Vaux, op. cit., 39. Selon le Petit Robert, la famille, au sens restreint, comprend « les personnes apparentées vivant sous le même toit » et, dans un sens plus étroit, « le père, la mère et les enfants ». Même si « maison » et « famille » correspondent, il y a une différence fondamentale. La maison de l’AT est une famille élargie. Elle est composée de tous les descendants d’un ancêtre vivant, la tête de cette maison (ro’sh-bêt-‘ab). Cette maison comprend le père, sa femme, ses fils et leurs femmes, ses petits-enfants et leurs femmes et tous les fils ou filles non mariés. « A la famille appartiennent également les serviteurs, les résidants étrangers ou gérîm et les apatrides, veuves ou orphelins, qui vivent sous la protection du chef de famille. » Ibid Une veuve ou une femme divorcée retourne à la maison du père (Nb 30:10). Les filles mariées quittent cette maison pour devenir membres de la maison de leurs maris (Nb 30:4-6; 7-9). Puisqu’on se mariait jeune, la maison pouvait comprendre trois générations, plusieurs familles nucléaires de deux générations et de 50 à 100 personnes, sans compter les autres personnes ne faisant pas partie de la communauté de sang. La famille de Noé comprend sa femme, ses fils et les femmes de ses fils (Gn 7:1, 7). Celle de Jacob a trois générations (Gn 46:8-26).

17 C.J.H. Wright, « The Israelite Household and the Decalogue », TynBul 30 (1979), 101-124; idem, Vous serez mon peuple (Méry-sur-Oise: Sator, 1989), 233-236; idem, « Family », The Anchor Bible Dictionary, vol. 2 (1992), 761-769.

18 Pour d’autres usages de ces termes, voir les cas de Gédéon (Jg 6:11, 15, 27, 30s; 8:20), Mika (Jg 18:14, 19, 28s) et Saül (1 S 9:21; 10:20s).

19 L’expression « tu extirperas ainsi le mal du milieu de toi » est appliquée en 1 Co 5:13 à un cas d’adultère.

20 C.JH. Wright, « The Israelite Household and the Decalogue », 104-105; 123; idem, Vous serez mon peuple, 234.

21 Ibid., 104.

22 Cf. Cl. Westermann, Théologie de l’Ancien Testament (Genève: Labor & Fides, éd. française, 1985).

23 Un parallèle est établi par la nature héréditaire du sacerdoce; le fils succède au père et dans la prêtrise et dans le foyer.

24 C.J.H. Wright, Vous serez mon peuple, 234.

25 J.A. Soggin, « Cultic-Aetiological Legends and Catechesis in the Hexateuque », VT 10 (1960), 341-347.

26 « …Bâtir une maison, ce n’est pas seulement édifier ses murs, c’est fonder un foyer, engendrer une descendance et lui transmettre [la foi]… » « Maison », Vocabulaire de théologie biblique, 694-698 (694). Cf. aussi HA. Hoffner, « bayith », TDOT II, §VI, 133-135.

27 En effet, la mention du roi (Dt 17:14s) vient après celle du juge (16:18s). Ce dernier reflète la situation institutionnellement plus primitive.

28 Comme précisé plus haut, le fruit de cette bénédiction, dans la Genèse, est la longue lignée de tôlédôt, listes de la postérité de l’humanité, tracées depuis la création jusqu’aux familles des pères de la nation d’Israël. Or, dans le reste du Pentateuque, les tôlédôt se poursuivent jusqu’à la généalogie de Moïse et Aaron, ce dernier étant l’archétype de la médiation sacerdotale (Ex 6:16; Nb 3:1; cf. Nb 1). En Exode 6:16-20, les tôlédôt commencent par la tribu (Lévi; v. 16), passent par le clan (Qehath; v. 18) et finissent par la maison du père (Amrân; v. 20).

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