La famille comme lieu de promesses

La famille comme lieu de promesses

Jean-Marc DAUMAS*

En ce millénaire commençant, dans l’hiver éthique que traverse la famille, nous avons à maintenir courageusement le cap. Nous refusons le nivellement moral par le bas. Loin du cri d’André Gide, « Famille! Je vous hais! Foyer clos; portes fermées, possessions jalouses du bonheur »1, je crois en la famille, si importante dans la pensée de Dieu.

Nous tenterons de relever sept éléments essentiels:

– L’importance du cœur, où nous verrons que l’acte fondateur de la famille n’est pas un acte consanguin.

– Des consanguins se haïssent.

– Des « étrangers » sont aimés comme des consanguins; nous aborderons la fraternité spirituelle, la paternité spirituelle et l’adoption.

– La famille bénie de Dieu est celle qu’unissent également sang et cœur ainsi que la spiritualité.

– On se succède, on se rejoint: les caveaux de famille.

– La diachronie: la transmission dans le temps.

– L’héritage matériel et spirituel.

Comment définir la famille? La famille n’est pas une institution sociale quelconque créée par les hommes. Elle est une structure créationnelle qui trouve sa norme dans la famille divine trinitaire. La famille s’enracine dans la famille céleste. Elle est reliée au mystère de la vie même de Dieu, qui est unité et trinité.

Dieu veut utiliser les familles pour faire fonctionner et progresser l’alliance et pour en réaliser les promesses. Sous la nouvelle disposition de l’alliance, les parents peuvent être l’instrument pour conduire leurs enfants vers une nouvelle naissance. Désormais, les parents procréent et initient. Dieu collaborant avec eux afin que les enfants lui appartiennent (1 Co 7:14). Les époux leur donnent Dieu afin de le connaître et de le servir. « Dieu, dit Dietrich Bonhoeffer, fait participer les hommes et les femmes à son acte créateur continu. Les parents accueillent les enfants de la main de Dieu, et doivent les mener à lui. »2

La culture ambiante de notre aujourd’hui émousse cette doctrine biblique. Des problèmes dans le couple font obstacle à l’unanimité dans l’éducation et à l’élaboration d’une ligne de conduite commune.

En Christ, Dieu est venu habiter les échecs de la famille. Il en prend sur lui toutes les obscurités jusqu’à l’abandon le plus complet sur la croix: le lieu de la douleur, des plus grandes ruptures.

L’union avec le Seigneur-Christ permet de surmonter les difficultés de la vie de couple et de la famille. Les épreuves sont des appels à mettre Dieu en premier, à n’avoir d’autre bonheur que lui.

Famille: le père, la mère et les enfants; toutes les personnes d’un même sang, dit le Larousse, comme enfants, frères, neveux, etc.; ou encore: groupe d’êtres et de choses présentant des caractères communs; exemple: famille spirituelle. Lien du sang ou lien du cœur?

Cet exemple convient parfaitement à notre réflexion car, si sous le rapport de l’état civil, la notion de famille repose sur les liens du sang, elle ne prend tout son sens qu’à travers des liens encore plus forts.

Nous montrerons donc, d’abord, l’importance de ces liens, leur caractère essentiel à la famille selon la volonté de Dieu, avant d’aborder les divers aspects de cette dernière, qui est une grâce que tout le monde ne se voit pas accorder.

1. L’importance du cœur

Au départ, il n’y a pas de lien du sang: la famille naît d’un acte d’amour, le mariage, entre deux êtres jusqu’alors étrangers l’un à l’autre. L’amour et non le sang est donc à l’origine de tout. L’émerveillement réciproque est le secret d’une vie de couple réussie. Il fait s’éveiller à la présence cachée de Dieu en l’autre. C’est la dimension mystérique du couple: la plus belle chose que l’on puisse donner à son conjoint, c’est lui offrir Dieu. Le Cantique des cantiques ne s’est pas achevé. Il continue. Dans l’état de mariage, le plus grand bien est de faire, à chaque instant, la volonté de Dieu.

Mais, à partir de cet acte d’amour, le lien du sang s’impose à l’humanité en tant qu’objectif, incontestable et irrévocable, comme en témoigne l’abomination dans laquelle est fort justement tenu l’inceste ou la méfiance à l’égard des mariages jusqu’à un certain degré de cousinage.

Le mariage est donc l’acte fondateur de la famille, et nous garderons pour une autre fois la question de savoir de quoi relève exactement le phénomène de l’union libre tellement à la mode aujourd’hui. Le monde des couples non mariés continue d’augmenter: 2,4 millions en 1998, contre seulement 1,5 million en 1990, soit près d’un couple sur six.

Revenons au mariage et aux enfants qu’il donne. Le lien du sang est naturel, et il est normal qu’il ait sa force; aussi voyons-nous ordinairement les gens aimer leurs enfants, leur père et mère, leurs frères et leurs sœurs, et au-delà.

2. Des consanguins se haïssent

Mais, enfin, la règle n’est pas absolue, et nous connaissons tous des cas de mésentente pouvant aller jusqu’à la haine. Restaurons, sous la miséricorde et l’aide de Dieu, la famille ruinée par le péché.

A l’inverse, combien d’exemples voyons-nous de personnes chez qui une parfaite convergence de vue en matière idéologique, intellectuelle, spirituelle, enrichie d’une sympathie réciproque, a suscité des liens affectifs si forts que l’addition des liens du sang ne les augmenterait pas!

3. Des « étrangers » sont aimés comme des consanguins

Et l’on parle alors de fraternité spirituelle, s’il s’agit de gens d’une même génération, ou de paternité spirituelle, s’il s’agit de gens d’âges différents.

Le généreux principe de l’adoption ne relève-t-il pas de ce phénomène, même si, le plus souvent, il est la conséquence d’une volonté préalable et non celle des hasards de la vie?

Joseph, dans la société de son temps, a, gentiment, décidé d’adopter Jésus, le Fils de Dieu. Le Seigneur Jésus, fils de deux pères, tient de son Père des cieux la fraternité spirituelle élargie à sa famille mondiale: l’Eglise. Joseph et Marie sont les premiers à vivre la promesse mystérique d’Emmaüs: la révélation de la présence de Jésus au milieu des couples (Lc 24:13-35).

4. Sang et cœur et spiritualité

Bénie est la famille où les liens du sang sont confirmés par les liens de l’amour, où nul désaccord ne vient jeter son ombre, où les cœurs et les esprits vivent à l’unisson; où les principes des parents sont recueillis par les enfants, où l’harmonie a sa demeure, où chaque bouche dit « Amen » à la prière du repas.

Celle-ci est digne de s’ouvrir à d’autres et de partager avec eux ses trésors, pour, de famille de sang, devenir famille spirituelle.

Elle est ainsi la continuation de la souche d’Abram/Abraham. Abram à qui le Seigneur a dit: « Je ferai de toi l’ancêtre d’une grande nation; je te bénirai… et tu deviendras une source de bénédictions pour d’autres. » (Gn 12:2) Dieu établit son alliance avec Abraham et sa postérité. Grâce à Abraham, Isaac fut béni. La circoncision fut pour l’enfant le sceau de la foi de son père.

Telle est la famille accomplie. Car si les liens du sang s’amenuisent dans le temps et dans l’espace, les liens spirituels peuvent se transmettre et s’étendre sans altération.

Pourquoi les liens du sang ne sont-ils pas éternels? Parce que l’acte fondateur que constitue le mariage est précédé d’une double rupture. Comme Dieu dit à Abram: « Va, quitte… la maison de ton père » (v. 1), l’homme et la femme quittent leur foyer natal, leur sang, pour créer par leur union une combinaison nouvelle.

Et, de descendants en collatéraux, la consanguinité s’estompe au point que le sentiment de parenté finit par reposer sur la mémoire, sur la généalogie: quelle joie teintée d’émotion que de découvrir, dans un document jauni, la trace d’un ancêtre!

5. On se succède, on se rejoint

De ce même souci de permanence relève la tradition des caveaux de famille.

Dans de vastes sépultures viennent se rejoindre, génération après génération, les ossements de gens qui ne se sont jamais connus, et cependant les vivants s’y savent promis et ils voient là l’aboutissement normal de leur destinée terrestre.

Etre enterrés ailleurs leur apparaît comme une suite d’exil, de spoliation.

6. La diachronie: la transmission dans le temps

Dans notre époque où l’homme perd tous ses repères, on ne doit pas s’étonner de la grande vogue des recherches généalogiques.

Moins on sait où l’on va, plus on se rassure, on compense, en cherchant à savoir d’où l’on vient.

Et plus on remonte dans le temps, plus on a le sentiment de se rapprocher de la souche originelle, ce qui est à la fois vrai et dérisoire; c’est le sentiment d’avoir la tête plus près du soleil débout qu’assis.

Mais on prend conscience qu’on est l’aboutissement d’une longue chaîne, et heureux ceux à qui la grâce est faite de la continuer, et de contribuer à la perpétuation de leur lignée de la souche d’Abraham jusqu’au jugement dernier.

7. L’héritage matériel et spirituel

Encore insisterai-je, ici aussi, sur la prédominance des liens spirituels.

Je vous laisse deviner de qui le huguenot que je suis se sent le plus proche: d’un ancêtre éventuel qui – Dieu garde! – avait à un moment ou à un autre renié la foi réformée, ou de la valeureuse Marie Durand dont mon arbre généalogique ne s’honore point.

Aussi la voie de l’enseignement est-elle le meilleur recours du célibataire car, puisqu’il ne lui est pas donné de rien transmettre par des enfants de sa chair, du moins peut-il participer à la perpétuation de la famille spirituelle en communiquant à de jeunes esprits qui, à leur tour, le transmettront à d’autres, le message du Seigneur qui donne sens à nos vies.

La famille est dans la main de Dieu. Elle est la source primordiale de l’avenir. Lord Robert Baden-Powel (1857-1941), le fondateur du scoutisme, ne disait-il pas: « Famille, deviens ce que tu es »?


* J.-M. Daumas est professeur d’histoire et de théologie de l’Eglise à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 A. Gide, Les nourritures terrestres.

2 D. Bonhoeffer, prédication à l’occasion d’un mariage dans la prison de Berlin-Tegel, mai 1943.

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