Fin des temps et éthique chrétienne
Michel JOHNER*
La fin des temps et la certitude de son imminence ont occupé, depuis toujours, une large place dans les espérances chrétiennes, et engendré des comportements éthiques parfois très contradictoires.
I. Les fruits et les ravages de l’espérance
Luther, par exemple, à qui l’on posa la question de savoir ce qu’il ferait,
s’il savait que la parousie surviendrait le lendemain ou le même jour, eut cette réponse extraordinaire: « je planterai un arbre! »… une réponse qui témoigne d’une intelligence du temps de l’homme tout-à-fait particulière et d’une perception de sa relation dynamique avec l’éternité de Dieu. L’espérance d’une parousie imminente est, ici, génératrice d’engagement culturel et politique. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle est le motif d’un investissement dans le temps. Elle porte à des actes de foi (et d’investissement) promis, du fait de la parousie, à des fruits éternels.
A l’inverse, la certitude de l’imminence de la parousie a aussi pu avoir des effets destructeurs pour l’engagement culturel et politique, que cette cause soit unique ou conjointe à d’autres facteurs explicatifs.
De la doctrine de l’imminence de la fin ont pu être déduites des implications éthiques extrêmement négatives: des formes de désengagement politique ou de désinvestissement culturel, avec lesquelles la spiritualité chrétienne a été abusivement confondue,… poussées à leur paroxysme, jusque dans la haine de la terre et de la condition humaine. Comme le dit S. J. Gould, « cette espérance-là fait des ravages. Il est arrivé qu’elle soit si forte qu’un peuple renonce à prendre soin de son pays et de lui-même. »1
Pourquoi s’investir à construire un monde voué à l’anéantissement? Quel est le marin assez fou pour se mettre à repeindre un navire qui serait sur le point de sombrer? L’investissement culturel est, ici, désamorçé, invalidé, au nom d’une espérance eschatologique qui se situe en rupture avec le mode présent. Cet investissement deviendrait même suspect, témoignant d’un attachement aux choses de ce monde (qui serait) spirituellement répréhensible.
Il est aussi arrivé que l’espérance eschatologique porte à des comportements d’une extrême violence, (notamment dans de nombreux groupes millénaristes de type sectaire), à l’effondrement de tous les interdits. Millénarisme et violence sont souvent allés de pair, ainsi que le développe Norman Cohn, dans son ouvrage Les fanatiques de l’apocalypse. Si nous n’avons plus qu’une semaine à vivre, pourquoi obéir aux lois? pourquoi craindre les puissants? Formidables sont les libertés que les hommes ont pu s’octroyer au nom des doctrines apocalyptiques.
Parfois même, les millénarismes ont été les accélérateurs ou détonateurs de mouvements révolutionnaires, comme Joachim de Flore, ce moine pacifiste qui, sans le vouloir, a suscité une postérité révolutionnaire d’une extrême violence.
D’ailleurs, les situations socialement les plus difficiles et les terreaux de révolutions ont toujours été la terre d’accueil des millénarismes. S. J. Gould affirme, dans son ouvrage sur le millenium, que « la ferveur apocalyptique est le terrain d’élection des misérables, des opprimés, des dépossédés, des révolutionnaires, des desperados, des révolutionnaires mystiques et des sauveurs autoproclamés. En somme, de tous ceux qui n’acceptent pas le monde tel qu’il est, de ceux pour qui la terre est une vallée de larmes. »2Ce qui le porte à penser que le millénarisme est toujours un mouvement populaire. On n’a jamais vu d’empereur millénariste. Il s’agit toujours d’individus insatisfaits d’un certain état de choses
qu’ils veulent changer.
L’attrait pour les millénarismes s’explique certainement en partie par le fait qu’ils mettent en scène des formes de compensations ou revanches temporelles pour toutes les frustrations que les perdants de la terre peuvent ressentir, toutes les frustrations politiques de ceux que le monde rejette.
Il va sans dire, que les éthiques sociales qui découlent des deux conceptions eschatologiques évoquées seront diamétralement opposées. Ainsi que l’écrit C. Baecher, soit une vision optimiste, qui admet que l’ordre social tout entier puisse être soumis à la souveraineté de Dieu et devienne le lieu d’une espérance, soit une vision pessimiste quant à l’avenir du monde, engageant les chrétiens à se retirer du système de ce monde, à le désinvestir, comme on quitte un navire en perdition, ou, au mieux, à créer un « ordre social chrétien » à l’intérieur de la communauté fraternelle de l’Eglise3.
Telles sont quelques-unes des questions éthiques qui tournent autour de l’espérance eschatologique.
II. Eclairage biblique sur le temps de l’homme: perspectives générales
Afin de pouvoir faire une évaluation critique des convictions ou comportements qui viennent d’être évoqués, je propose une réflexion en deux temps:
– rappeler quels sont les traits principaux de la philosophie du temps qui s’exprime au travers de la théologie biblique.
– faire un survol, sur le mode de la méditation, des paroles du Nouveau Testament qui mettent en relation directe l’imminence de la fin et le comportement de l’homme, prendre la mesure des exhortations spirituelles et morales qui s’enracinent dans la certitude de l’imminence de la fin, de façon à mesurer quel peut être, selon l’Evangile, la portée ou l’épaisseur éthique du temps de l’homme.
La notion de « fin des temps » est une idée qui revient de façon récurrente dans les écrits du Nouveau Testament. Je vous propose de nous y référer comme d’une clé pour éclairer et tenir ensemble les différents caractéristiques reconnues au temps de l’homme.
i) Un mouvement en passe d’atteindre son but
Parler de la fin des temps, c’est dire en premier lieu, pour les écrivains bibliques, que le temps de l’homme, tel que nous le connaissons aujourd’hui, a une fin!
Une fin, dans le sens d’un terme: le temps de l’homme n’est pas éternel, il ne s’inscrit pas dans un mouvement cyclique de répétitions perpétuelles, mais chemine dans un mouvement linéaire à partir d’un début vers une fin, qui est en passe d’être atteinte.
Une fin, également dans le sens d’un but, d’une finalité! Notre vie s’inscrit dans un mouvement qui, tel un fleuve, suit le cours que Dieu a traçé pour lui. Ici s’exprime la certitude que le mouvement dans lequel l’histoire de l’humanité s’inscrit n’est pas aléatoire, hasardeux ou non dirigé, mais un mouvement qui évolue d’un point alpha vers un point omega, d’une protologie vers une eschatologie. L’histoire humaine n’est pas perçue par les écrivains bibliques comme un navire en perdition dont personne ne tiendrait le gouvernail! Même si le péché de l’homme a entraîné des turbulences dans la quiétude de cette traversée, il n’a pas eu pour autant le pouvoir d’arracher le gouvernail des mains du divin capitaine.
ii) La fin comme passage
Parler de la fin des temps, c’est dire aussi, secondement et avec beaucoup de forces, qu’il est un au-delà au temps que nous connaissons aujourd’hui!
Dans la perspective biblique, on ne parle pas de la fin des temps comme du terminus d’une ligne de métro, mais comme d’un passage, comme d’un tournant au-delà duquel il est donné à l’homme d’accèder à une autre manière d’être homme que celle qu’il connaît dans le temps présent. Ici, la fin n’est pas la fin, mais le commencement d’un avenir radieux! La fin des temps revêt une connotation d’espérance et non de désespoir.
Cet événement marquera certainement la fin du temps, tel que nous le connaissons aujourd’hui, mais certainement pas la fin de notre histoire, puisque la partie la plus substantielle de notre histoire se situe précisément dans cet au-delà du temps, dans cette éternité où il sera donné à l’homme de goûter son plein épanouissement.
Il est clairement affirmé dans les évangiles qu’il y a un au-delà au temps de l’homme, que la condition qui est la sienne dans le temps présent n’est pas une condition dernière, mais avant-dernière.La fin des temps, c’est, dans la foi, le moment où l’histoire humaine basculera, de façon irréversible,dans un mode d’existence transfiguré et infiniment plus glorieux.
iii) Regards sur l’au-delà
Etant totalement immergés dans le temps, il nous est bien difficile, en tant qu’hommes, de parler, et même de concevoir, cet au-delà du temps. Ceux qui s’y risquent ne font que le dénaturer en transportant dans cet au-delà les cadres de pensée de la temporalité présente. Cet au-delà du temps reste un mystère qui, dans la foi, doit être reçu et respecté comme tel, et dont nous ne saurions rien s’il n’avait plu à Dieu, au travers de sa révélation, de lever un coin de voile sur ce sujet.
En quoi consiste donc cette béatitude éternelle? Quelle est sa forme matérielle? Dans la tradition chrétienne,elle est définie essentiellement comme le « face à face » avec Dieu, comme l’accession à la lumière de Dieu, « lumière inaccessible que l’homme, jusqu à ce jour, n’a ni vu, ni pu voir » (comme dit 1 Tm 6:16).
La fin des temps, c’est l’heure où il sera donné à l’homme de voir Dieu devant lui de façon immédiate, de connaître comme il a été connu, de toucher du doigt ce qu’il aura espéré, de consommer ce qui lui a été promis, de mesurer la hauteur, la largeur et la profondeur incommensurables de la richesse de Dieu, sans qu’aucune ombre ne vienne plus jeter un quelconque voile sur cette contemplation.
iv) Retour dans le temps
A la lumière de cet au-delà glorieux, comment s’éclaire alors notre condition présente? Quelles sont, par contrastes, les caractéristiques de l’espace temps dans lequel nous vivons?
Le mot qui serait le plus approprié, c’est peut-être celui d’ « épreuve », à condition de ne pas donner à ce mot la connotation négative de souffrance, de chagrin ou de douleur, mais le sens positif de révélation de soi,… l’épreuve définie comme la situation dans laquelle le sujet a l’opportunité de donner sa pleine mesure.
On pourrait aussi parler d’« épreuve probatoire », non pas pour dire que l’accession à la grâce eschatologique serait la rétribution d’une prestation temporelle préalable (et indépendante), mais pour rappeler que l’accession de l’homme à cette grâce ne saurait être conçue indépendamment de la foi que le sujet manifeste à son endroit dans le temps présent. La foi personnelle, sans être la « cause méritoire » du salut, en demeure néanmoins ce qu’on a appelé la « cause instrumentale ».
Le temps présent est le lieu dans lequel la foi de l’homme est appelée à se manifester et à se construire, à donner sa pleine mesure, le lieu où chaque homme est amené à se positionner spirituellement et à manifester par là la vérité de son cœur.
v) Le temps de la révélation
J’hésiterais à dire, comme certains, que le temps se caractérise par le voilement de Dieu, par son retrait ou encore par son absence. Mais il est certain que le temps est un lieu dans lequel Dieu ne se donne pas à connaître de la façon immédiate qui vient d’être évoquée sous l’expression « face à face avec Dieu ». Certes, Dieu se révèle dans le temps, notamment au travers de sa création, mais de façon toujours indirecte, d’une manière qui ne contraint le regard de personne.
Comme dit Paul aux Corinthiens, « aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors – en parlant de l’au-delà du temps – nous verrons face à face. Aujourd’hui je connais partiellement, mais alors, je connaîtrai comme jai été connu. Maintenant ces trois choses demeurent: la foi, l’espérance et l’amour, mais la plus grande c’est l’amour. » (1 Co 13:12)
Le temps présent est voulu par Dieu comme celui d’une révélation qui a pour caractéristique de rester partiellement voilée et d’exiger de l’homme un positionnement personnel, de l’appeler à manifester vis-à-vis de Dieu une confiance et un amour qui ne lui sont pas imposés par une révélation immédiate. La connaissance de Dieu, qui est offerte à l’homme dans le temps, est une connaissance qui passe par un acte de confiance et d’amour personnel.
vi) Le temps de l’insécurité
De ce fait, le temps de l’homme apparait également, – c’est une autre de ses caractéristiques – comme le lieu d’une certaine insécurité.
C’est une des choses qu’a soulignées avec beaucoup de force Augustin dans La Cité de Dieu: le temps, pour l’homme, c’est le lieu de l’insécurité. Comme le dit J. Delumeau, le temps est présenté par Augustin comme « dangereux » dans le sens où il offre, à la fois, la possibilité de l’amélioration et celle de la corruption. Le temps est le lieu d’un passage périlleux où tout peut arriver: le meilleur et le pire. Mais une fois que le temps est arrêté ou achevé, alors, il n’y a plus de possibilité ni de pécher, ni de faire mal, ni même de se racheter4.
Dans les aléas du temps, tout peut toujours arriver, le meilleur comme le pire. Tant que dure le temps, rien n’est vraiment joué. Tout est révocable. Il n’y a aucune sécurité, aucune certitude qui puisse être acquise de façon absolue.
Conjointement, Augustin exprime également la conviction que dans l’histoire humaine le bien et le mal sont totalement imbriqués l’un dans l’autre, sont inextricablement mêlés, une imbrication qui ne se terminera véritablement qu’au jugement dernier, ainsi que l’enseigne dans l’évangile la parabole du bon grain et de l’ivraie5.
vii) Le temps de la réversibilité
Dans le domaine spirituel, en particulier, ce qui caractérise le temps de l’homme, c’est l’idée de réversibilité, et ce qui caractérise l’au-delà du temps, c’est l’idée d’irréversibilité.
La fin du temps est représentée, dans les paraboles du Royaume, par l’image d’une porte qui se ferme! Avant sa fermeture, la voie du Royaume est ouverte et tous les hommes sont pressés d’y rentrer. Après sa fermeture, l’accès au Royaume est définitivement fermé, quels que puissent être les pleurs et les grincements de dents de ceux qui frappent à la porte.
Parler de la fin des temps, c’est donc désigner, à l’horizon temporel de l’homme,un terme au-delà duquel son adhésion ou son rejet revêt une forme d’irreversibilité, un terme au-delà duquel l’homme serait en quelque sorte « enfermé » dans ses choix, ou sa liberté atteindrait un point de non retour. En revanche, tant que durera le temps présent – c’est une de ses caractéristiques – le positionnement spirituel de l’homme demeure réversible.
Ceci est particulièrement explicite dans le domaine de la repentance ou de la conversion: aussi loin qu’un homme puisse aller dans sa révolte contre Dieu, aussi grande soit la distance qu’il aura mise entre lui et l’obéissance de la foi, tant qu’il est de ce monde et de ce temps, la possibilité d’en revenir restera ouverte pour lui. Dans le temps présent, il n’y a pas de refus qui puisse être définitif et désespéré, il n’y a pas de révolte qui ne soit susceptible d’être retournée par la grâce, il n’y a pas de jugement qui puisse s’élever en jugement dernier! Aussi longtemps que le temps de l’homme n’est pas achevé, la porte de la repentance reste ouverte devant lui et la grâce une espérance qui le concerne.
De même, dans le domaine de la foi, ou de l’obéissance de la foi, il n’y a pas non plus de positionnement personnel qui, dans le temps, puisse atteindre l’irreversibilité.
Sans que cela contredise ce qui pourrait être dit, par ailleurs, de l’assurance du salut, dans le temps, la profession de foi de l’homme reste toujours fragile et vulnérable, susceptible de corruption ou d’assoupissement.
Aussi loin qu’un homme puisse progresser dans la foi, il n’atteindra jamais le stade où les exhortations apostoliques à la vigilance et à la persévérance ne le concerneraient plus de façon directe. Les possibilités de relâchement induites par ces exhortations ne sont pas fictives. Elles mettent le doigt sur des dangers réels dont le croyant ne sera pas libéré avant la fin des temps.
Bref, dans le domaine spirituel, une des caractéristiques du temps de l’homme, c’est bien l’idée de réversibilité. Cette caractéristique fait de lui le lieu d’une formidable espérance, vis-à-vis de la conversion des incrédules, mais ausi le lieu d’une formidable vigilance pour celui qui est debout afin qu’il ne vienne pas à tomber.
viii) La brièveté du temps
Enfin, dernière carctéristique, ce temps de l’homme, qui est le temps de sa décision, est aussi présenté dans l’Ecriture comme un temps court, un temps qui est en passe de s’achever, un temps dont la fin est imminente.
Cela signifie, concrètement, que l’opportunité spirituelle que Dieu donne à l’homme dans l’instant présent est une opportunité qui ne lui sera pas nécessairement redonnée ultérieurement. Dans cette optique, l’instant vécu est donc considérablement valorisé par une promesse qui lui est spécifique. A vouloir différer éternellement l’instant de sa réponse ou l’heure de sa repentance, l’homme finirait par passer à côté des grâces que Dieu lui avait offertes.
D’où l’idée del’urgence de la conversion des incrédules, qui, dans l’Ecriture, est accrochée à celle de la brièveté du temps. L’imminence de la fin rend extrêmement important un positionnement de l’homme prompt et rapide. Il peut en aller de son salut.
De cette philosophie du temps, découle donc une valorisation éthique du temps vécu qui est infinie. Lemaintenant ou l’aujourd’hui de la prédication évangélique résonne de toute son importance, car l’homme n’a qu’une vie, et dans cette vie unique se joue, pour lui, l’éternité.
III. L’éthique des derniers temps
Ayant brossé l’esquisse de ce qui serait la vision chrétienne du temps de l’homme, arrêtons-nous plus longuement sur la dernière des caractéristiques évoquées (l’imminence de la fin des temps), et cherchons quelles peuvent être, dans la prédication apostolique, les implications spirituelles et éthiques de cette imminence.
En d’autres termes, quelles sont les exhortations spirituelles et morales qui s’enracinent dans cette vision du temps présent? Quels sont les comportements qui consonnent avec cette espérance?
A) Les exhortations spirituelles
i) L’urgence de la conversion
La première de ces implications éthiques est naturellement – dans la continuité de ce qui a été dit précédemment – l’urgente conversion des incrédules.
Ainsi, par exemple, Jean-Baptiste dans sa prédication aux enfants d’Israël incrédules: « repentez-vous, dit-il, car le Royaume des cieux est proche. » (Mt 3:2, cf. 4:17) L’aiguillon de la repentance, c’est bien ici la prise de conscience de cette proximité. L’urgence de la repentance est à la mesure de la brièveté du temps.
Il est essentiel de méditer, à ce propos, la portée des paroles de l’apôtre Pierre: « Le Seigneur, dit-il, ne retarde pas l’accomplissement de sa promesse, comme quelques-uns le pensent, mais il use de patience envers vous. Il ne veut pas qu’aucun périsse, mais que tous parviennent à la repentance. » (2 P 3:9)
Pour l’apôtre, la raison essentielle pour laquelle Dieu ne précipite pas la fin,
ce n’est pas qu’il retarde l’accomplissement de sa promesse (comme s’il changeait son fusil d’épaule), mais qu’il use de patience envers les incrédules. La durée du temps est ici interprêtée non comme l’expression de sa faiblesse ou de son impuissance, mais celle de sa patience. Elle est à la mesure de la volonté qui est la sienne de voir le plus grand nombre d’hommes embrasser la foi, et par là échapper à la mort.
Sous cet éclairage, la réaction du croyant qui n’accepterait pas la durée du temps de Dieu, qui exigerait, dans sa prière, une parousie immédiate (à la manière de certains psaumes imprécatoires, ou du prophète Jonas dans la dernière partie de son parcours), celui-là témoignerait de dispositions spirituelles somme toutes assez suspectes. Comment pourrais-je, dans la foi, m’offusquer de la générosité que Dieu manifeste à l’autre? ou voir… « d’un mauvais œil que Dieu soit bon? » comme dit l’évangile (Mt 20:15). Comment pourrais-je refuser à l’autre la patience divine à laquelle je dois mon propre salut (cf. 2 P 3:15)?
ii) La vigilance persévérante des croyants
Je viens bientôt, dit le Seigneur,
tiens donc ferme ce que tu as,
afin que personne ne prenne ta couronne!
(Ap 3:11).
Ce n’est pas seulement l’incrédule qui est exhorté, au nom de l’imminence de la fin, à embrasser promptement la foi, mais c’est aussi le croyant qui est exhorté à la plus grande des vigilances dans sa profession de foi,… des exhortations qui supposent la possibilité qu’au sein même de la foi – c’est un trait de notre humanité –, nous puissions nous laisser rattraper par des formes de nonchalence ou d’indifférence qui, en matière d’héritage dans la maison du Père, finiraient par nous ramener quasiment au rang des païens. Si le temps qu’ils vivent est effectivement le dernier, il est de la plus haute importance que les croyants y donnent eux aussi la pleine mesure de leur foi! Que si près du but, ils ne laissent pas le découragement leur dérober le bénéfice de leur combat.
Du reste, dans les témoignages historiques des premiers siècles, nombreux sont les textes chrétiens dans lesquels le courage manifesté jusqu’à la mort, la capacité d’affronter la douleur, voire la torture, est mise en relation avec l’espérance de la fin des temps. Les auteurs païens eux-mêmes n’ont pas été insensibles à cet héroïsme chrétien, comme le fameux Galien, médecin de Marc Aurèle.
En Marc 13:20, le Christ parle de la fin des temps comme abomination de la désolation, et ajoute: « Si le Seigneur n’avait abrégé ces jours, personne ne serait sauvé, mais il les a abrégés à cause des élus qu’il s’est choisis. » (verset 20)
Il n’est pas question ici, comme dans la seconde épître de Pierre, du « rallongement » du temps, mais plutôt de son « raccourcissement », mis en relation avec la limite de la résistance des élus que Dieu s’est choisis, de telle sorte que ceux-ci ne soient pas anéantis par l’acuité et la durée de cette épreuve.
Ainsi, il semble que Marc et Pierre nous donnent les deux considérations autour desquelles peut être pensée la durée du temps. Quelle mesure Dieu donnera-t-il au temps de l’homme? Il sera aussi long que sa patience envers les incrédules, mais dans la limite de la résistance des croyants! En d’autres termes, son espérance de rallier au troupeau de nouvelles brebis n’ira pas jusqu’à mettre en péril les brebis qui y ont déjà trouvé refuge.
iii) La vigilance doctrinale
Dans la parole de l’Apocalypse, citée au point précédent, s’exprime aussi
l’idée d’une certaine vigilance doctrinale. En ce temps qui est le dernier, il ne s’agit pas non plus, pour le croyant, de rechercher la nouveauté ou l’inédit, car il n’y a rien d’essentiel à découvrir sur Dieu ou sur le salut qui ne lui ait été révélé en Jésus-Christ!
C’est aussi là, dans le Nouveau Testament, une des significations de l’idée de fin de temps. On dira que Jésus-Christ a inauguré la fin des temps pour souligner que, dans l’histoire de la révélation divine, il est en quelques sorte la parole dernière, il apporte le mot de la fin!
Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu nous a parlé par le fils en ces jours qui sont les derniers!(Hé 1:1)
Il n’y a rien qui puisse ou doive être ajouté à cette parole dernière (au « saint dépôt » qui nous a été confié). Tout ce qui y serait ajouté ne pourrait que le dénaturer. Par rapport au calendrier de Dieu, l’Eglise se trouve dans la dernière ligne droite avant la parousie. Toute son attention ne peut se porter désormais que vers ce dénouement, que vers l’accomplissement des promesses qui lui ont été laissées.
Je viens bientôt, dit le Seigneur,
ce que tu as reçu dans la foi,
garde-le jusqu’au bout,
accroches-y toi fermement
jusqu’au moment, imminent, du grand dénouement.
Il n’y a rien de plus heureux
qui puisse t’arriver.
B) Les comportements de circonstance
A cette endurance et fidélité dans la profession de la foi vont maintenant s’adjoindre un certain nombre de comportements qui vont en être la traduction morale! L’imminence de la fin, dans la pensée des écrivains bibliques, n’a pas seulement des implications spirituelles, mais aussi des implications morales ou « comportementales », indissociables des premières.
i) La relation des croyants avec « ceux du dehors »
Le premier de ces comportements de circonstance concerne la relation des chrétiens avec « ceux du dehors », avec l’ensemble des hommes qui les entourent.
Ainsi, par exemple, Paul aux Philippiens: « le Seigneur est proche, que votre douceur soit connue de tous les hommes! (4:5)
Le temps présent étant perçu par l’apôtre comme le temps de la fin, il devient essentiel, à ses yeux, que les croyants y manifestent leur douceur! Au-delà de toutes les colères que les croyants peuvent ressentir ou exprimer, en ces temps troublés, il importe que la réalité de leur amour reste perceptible, que la dénonciation du mal ne soit pas faite de manière à occulter l’espérance de la grâce qui l’inspire, que cette dénonciation ne soit jamais perçue comme une parole dernière, mais toujours comme une parole avant-dernière, renvoyant à l’espérance que Dieu conserve pour les hommes.
Cela ne signifie pas que, devant l’imminence de la fin, la prédication du jugement ne soit plus à l’ordre du jour, mais que toujours, jusque dans la dénonciation du mal, l’espérance de la grâce doit rester perceptible. Tant que le temps de l’homme ne sera pas achevé, la sévérité chrétienne restera toujours le pendant d’une espérance qui est une espérance miséricordieuse.
ii) La relation des croyants avec « ceux du dedans »
Les autres comportements de circonstance mentionnés dans le Nouveau Testament concernent, quant à eux, la relation du chrétien avec ses frères, les relations internes de la communauté chrétienne.
La plupart s’expriment au travers de l’exhortation de la première épître de Pierre (4:7-11):
La fin de toutes choses est proche, dit l’apôtre, soyez doncsensés et sobres en vue de la prière.Avant tout, ayez les uns pour les autres un amour constant,(qui couvre une multitude de péchés). Exercer l’hospitalité les uns envrs les autres… Puisque chacun a reçu un don, mettez-le au service des autres, en bons intendants de la grâce si diverse de Dieu. Si quelqu’un parle, que se soit selon les oracles de Dieu; si quelqu’un sert, que ce soit par la force que Dieu lui accorde.
a) La prière
Outre les thèmes déjà évoqués, est soulignée ici, en premier lieu, comme implication immédiate de l’imminence de la fin, la nécessité de redoubler de zèle dans la prière. Le premier mouvement qui naîtra de la conscience de la brièveté des temps
ne peut être que celui de la prière… qui portera le croyant à s’agenouiller, tant lui paraîtra urgent, pour lui -même, comme pour les frères, qu’en cette heure ultime Dieu intervienne pour que triomphe partout sa volonté bienveillante et soit anéantie toute vélléité de résistance
b) Le bon sens et la sobriété
En amont de cette prière fructueuse, se trouvent également le bon sens et la sobriété présentés par l’apôtre comme deux préalables. « La fin de toutes choses est proche, soyez donc sensés et sobres en vue de la prière. » J’interprête le bon sens comme étant précisément l’intelligence du temps, la perception de toutes les opportunités que Dieu inscrit dans le présent de l’homme. La sobriété, quant à elle, désigne, me semble-t-il, une certaine modération dans l’usage des biens de ce monde, le contraire d’un abandon, le contraire d’une ivresse qui nous ferait oublier l’essentiel. Sans tomber dans les travers d’une ascèse austère et prétentieuse, la spiritualité chrétienne inspire une forme de sobriété propre à maintenir l’esprit éveillé et vigilant, par rapport à soi-même, comme aussi par rapport aux besoins des autres.
Dans la première épître aux Corinthiens, l’apôtre met aussi en relation la sobriété et l’espérance de la fin en disant:
Le temps est court, frères, désormais que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas,ceux qui usent du monde comme s’ils n’en usaient réellement pas. (1 Co 7:29-31)
Par ces paroles, Paul invite moins à l’indifférence vis-à-vis des réalités temporelles, qu’à la vigilance, pour éviter qu’en cette heure particulière notre esprit ne s’enlise dans des préoccupations secondaires, s’attache aux choses avant-dernières plus qu’aux choses dernières.
Il est important de souligner que l’apôtre ne le dit pas en vertu d’une théologie négative des réalités temporelles, mais d’une relativisation de leur valeur, compte tenu des enjeux du moment. D’ailleurs, pour couper court à toute récupération dualiste de ces paroles, il faut souligner la diversité des exemples choisis par Paul, qui ne sont pas choisis unilatéralement dans le domaine de la jouissance, mais s’appliquent aux larmes autant qu’à la joie!
La pointe des exemples choisis n’est donc pas le culte de l’ascétisme ou de la privation, mais plutôt une relativisation générale de nos attachements aux réalités qui sont attachées à l’économie temporelle présente.
Comme l’a dit Calvin, Paul ne commande point ici aux chrétiens de laisser leurs possessions, mais seulement il requiert que leurs esprits ne soient point enterrés en elles. Celui qui se réputera pélerin en ce monde usera des choses de ce monde comme des choses d’autrui, c’est-à-dire comme de celles qui lui sont prêtées, pour un jour6.
c) L’amour qui couvre une multitiude de péchés
Cette exhortation à la prière et à la sobriété s’accompagne ensuite, sous la plume de Pierre, d’une autre recommandation de circonstance: « La fin de toutes choses est proche (…) avant tout ayez les uns pour les autres un amour constant, lequel couvre une multitude de péchés. »
« Couvrir une multitude de péché », voilà une très belle expression de l’épître de Pierre, mais qui demande certainement à être explicitée! Couvrir, dans le langage courant, c’est, sinon excuser, du moins prendre sous sa responsabilité l’erreur de quelqu’un, comme si nous pouvions nous substituer à lui en matière de justice rétributive. Or, seul le Christ a aimé de cet amour-là! L’amour fraternel dont parle le Nouveau Testament n’est pas ordonné à cette fin, pas plus qu’il nous engage à fermer les yeux sur les fautes de ceux que l’on aime. L’amour chrétien n’est pas davantage l’oubli ou la minimisation des responsabilités. C’est autre chose: c’est l’inclination au pardon! L’amour chrétien couvre une multitude de péchés dans le sens où il porte sur les fautes présumées de l’autre le regard de miséricorde et d’espérance que Dieu lui-même porte sur elles! En cette heure particulière, l’amour appelle sur elles toutes son pardon!
d) L’exercice de l’hospitalité
Nouvel emboîtement dans l’exhortation de Pierre: « La fin de toutes choses est proche (…), exercez l’hospitalité les uns envers les autres! »
En quoi l’exercice de l’hospitalité relève-t-il, lui aussi, des comportements dictés par l’imminence de la fin des temps? Peut-être parce que l’hospitalité est une manifestation concrète de l’espérance dont il vient d’être question. Exercer l’hospitalité, n’est-ce pas nouer des relations plus personnelles avec les individus que l’on cotoye, leur manifester de la considération, les reconnaître comme vis-à-vis, aimés ou aimables, faire de cette relation une relation dans laquelle on désire s’investir?
e) La mise au service des autres les dons reçus
Enfin, pour conclure, une dernière urgence, qui pourrait être la première: c’est que dans une telle circonstance, tous les dons reçus dans l’Eglise soient mis au service des autres! « La fin de toutes choses est proche (…) puisque vous avez reçu un don, mettez-le au service des autresen bons intendants de la grâce si diverse de Dieu. Si quelqu’un parle, que se soit selon les oracles de Dieu, si quelqu’un sert, que ce soit par la force que Dieu lui accorde. »
Qu’en bonne gestion des grâces diverses de Dieu, aucune parcelle des dons reçus ne soit conservée pour soi-même, qu’aucun chrétien ne fasse de « rétention » à cet égard! En cette heure cruciale, ce serait nécessairement dépouiller le frère ou la sœur d’une partie du secours précieux que Dieu avait préparé à son intention.
En particulier, deux domaines sensibles sont évoqués ici: le ministère de la parole et celui du service (la diaconie): « Si quelqu’un parle, que se soit selon les oracles de Dieu, si quelqu’un sert, que ce soit par la force que Dieu lui accorde. »
Ce qui importe, en cette heure décisive, c’est que les prédicateurs annoncent les oracles de Dieu et pas autre chose, qu’ils n’aient pas honte de leur fonction d’ambassadeur ou de porte-parole. L’Eglise et le monde « meurent », si je puis me permettre l’expression, de ces prédicateurs qui sont en conflit avec la nature de leur mission et l’autorité que le Christ leur donne,… s’excusant presque d’avoir à prendre la parole, au lieu d’annoncer l’Evangile avec la simplicité et l’autorité d’un ambassadeur.
Enfin, dans le domaine du service ou du diaconat, là encore il apparaît à l’apôtre comme primordial, en ce temps de la fin, que ce service s’enracine dans la force que Dieu donne, à savoir dans une expérience personnelle de la grâce, vécu comme reconnaissance et nourri par tous les dons du Saint-Esprit.
Conclusion
En conclusion, il apparait que l’imminence de la fin des temps est une espérance qui, dans la pensée des écrivains bibliques, porte à un investissement prioritaire dans le domaine spirituel. L’urgence du temps porte effectivement à considérer l’évangélisation et le dénouement des blocages spirituels comme étant de première urgence dans la hierarchie des priorités.
Cet investissement est-il pour autant exclusif d’autres formes d’investissements temporels, de nature culturelle, sociale ou politique? Je ne le crois pas, car ce premier investissement n’est jamais défini, dans l’Ecriture, en opposition ou en rupture par rapport au second. Il n’implique jamais l’exclusion de l’autre!
Le texte qui va peut-être le plus loin dans la direction de la rupture, à savoir 1 Corinthiens 7: 29-31, ne fait que souligner combien il est important que les chrétiens, en ce temps particulier préservent leur liberté par rapport aux choses de ce monde, qu’ils en usent comme des choses d’autrui, qu’ils en usent avec reconnaissance comme des choses qui leur ont été prêtées, celles dont ils sont plus gérants que propriétaires.
C’est certainement là un des traits de leur témoignage. Dans un monde où les possessions matérielles sont idolâtrées, enviées comme le symbole-même de la réussite, les chrétiens peuvent effectivement (ainsi que l’Eglise primitive l’a été) être conduits à des actes de détachement par rapport aux biens matériels qui vont revêtir une force d’interpellation extrêmement puissante.
C’est aussi un des traits de leur vigilance, afin que leurs propres esprits ne se laissent pas à nouveau engluer ou empêtrer par leur séduction, à l’image de cet épi de blé, dans la parabole dite « des quatre terrains », que la séduction des richesses de ce monde a fini par étouffer.
Mais ceci étant, on ne trouve aucun élément, dans le discours biblique, qui induise une théologie négative vis-à-vis des réalités temporelles, comme si celles-ci étaient intrinsèquement mauvaises ou haïssables, comme si la spiritualité chrétienne induisait leur rejet ou leur exclusion!
C’est bien ce que voulait souligner la déclaration de Luther citée en introduction. Que ferais-je, si je savais la parousie sur le point de survenir? Réponse: je planterai un arbre!
L’espérance eschatologique qu’il exprime est génératrice d’engagement cuturel et politique. Elle le porte à des actes de foi et d’investissement temporel promis, du fait-même de la fin des temps, à des fruits éternels.
Il est vrai que celui qui se représenterait le monde présent à l’image d’un navire en train de s’engloutir (un peu à l’image du Titanic qui sera, sans doute, la parabole apocalyptique qui marquera le plus la fin du second millénaire) ne serait pas porté à sortir son pot de peinture pour rafraichir la couleur des pavois, ou à penser aux transformations qui pourraient améliorer les performances du service.
Et pourtant, c’est bien à cet investissement qu’est porté Luther par l’espérance chrétienne de la fin. Ce qui me parait particulièrement important, dans sa réponse, c’est que le temps de l’homme, à ses yeux, entretient une relation dynamique (et organique) avec l’éternité de Dieu! Le présent et le futur sont vus comme profondément liés, et l’investissement temporel comme porteur de fruits abondants dans l’au-delà du temps.
La difficulté majeure contre laquelle nous butons, dans les limites de notre raison, c’est de parvenir à penser, sans la déformer, la relation du temps et de l’éternité. C’est de mettre en valeur la relation du temps divin avec le temps humain, de telle sorte que ceux-ci s’interpénètrent et se déployent en interrrelation profonde l’un avec l’autre.
Sur ce point, une des prises de consciences qui nous feraient sans doute le plus progresser, dans la compréhension du message biblique, c’est de mesurer à quel point l’eschatologie biblique s’enracine dans sa protologie, de comprendre que la béatitude eschatologique est aussi l’accomplissement du projet historique que Dieu avait conçu pour ce monde le jour où il le créa.
Dans cette perspective, l’espérance eschatologique n’apparaît pas comme la construction d’un second édifice, à côté des ruines d’un premier, mais plutôt comme la restauration et l’achèvement de l’édifice dont Dieu a posé les fondements dans sa création, celui que le péché des hommes est venu corrompre.
Ainsi, l’espérance eschatologique de l’Eglise n’est pas à proprement parler la destruction du monde ou son anéantissement, mais plutôt sa métamorphose ou sa transfiguration. D’ailleurs, dans le texte de la première aux Corinthiens cité plus haut, l’apôtre ne dit pas que ce monde passe, mais que la figure de ce monde passe! …sa figure, c’est-à-dire son apparence, ses formes, la signification qu’on lui prête, le regard que l’on porte sur lui, l’image que l’on s’en est fait dans le temps présent, laquelle ne correspond certainement pas à sa vérité profonde7.
Dans cette perspective, que nous croyons être une clé importante pour la droite compréhension de l’eschatologie biblique, il apparaît, pour reprendre l’expression de C. Baecher, que la création sera compagnon de la vie éternelle, et non l’éphémère mouchoir que l’on jette après usage8.
* M. Johner est professeur d’éthique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
1 Carrière, Delumeau, Eco, Gould, Entretiens sur la fin des temps (Paris: Fayard, 1998), 33.
2 Cité par Ca
3 Cf C. Baecher, « La fin du monde. Levée d’un coin de voile sur la continuité entre le monde présent et le Royaume à venir » Hokhma, (62, 1996), 48-49.
4 Carrière, Delumeau, Eco, Gould, op. cit., 78.
5 Ibid., 81.
6 Cf. J. Calvin, Commentaires Bibliques, Première épître aux Corinthiens (Aix-en-provence, Marne-la-Vallée: Kerygma,Farel, 1996), 129.
7 J. Calvin, à ce propos, reprend à son compte la distinction traditionnelle entre la substantia (l’être) de la terre, qui sera préservée, et l’accidentia (sa forme) qui sera détruite. Cf. C. Baecher, op. cit., 51.
8 C. Baecher, ibid., 45.