Courrier des lecteurs

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L’Edit de Nantes revisité

Le « Flash sur l’Edit de Nantes » de Jean-Marc Daumas1m’a surpris. J’ai, en effet, quelque peine à croire qu’un professeur d’histoire ecclésiastique, qu’on suppose bien informé, puisse nourrir un préjugé aussi favorable à l’endroit d’un édit qui rétablit partout le catholicisme, même dans les localités où ne vivent que des protestants, et qui flétrit le protestantisme du sobriquet de Religion Prétendue Réformée (RPR). Il faut pour cela, me semble-t-il, en même temps que beaucoup de complaisance à l’endroit de la monarchie absolue, qu’elle soit des Valois ou des Bourbons, fermer les yeux sur bien des évidences.

L’abjuration d’Henri

Peut-on, si l’on accorde aux termes leur pleine valeur spirituelle, parler de « nécessaire conversion », ou de « conversion de circonstance »? (p.63) Le roi, il est vrai, et cela pourrait constituer une circonstance atténuante, en était à sa troisième volte-face en faveur de Rome: la première, quand il avait huit ans, on ne l’avait obtenue – il refusait obstinément d’aller à la messe – qu’après une fessée quotidienne héroïquement supportée pendant trois mois; la deuxième, lors du massacre de la Saint-Barthélemy, lui avait été arrachée au moment même où l’on assassinait, sans qu’il fît mine de s’interposer, ses meilleurs amis sous ses yeux; la dernière enfin, il l’avait préparée lui-même en disant: « Je ne suis point opiniâtre: qu’on m’instruise! » Mais il avait dit aussi, pour rassurer ses huguenots, qui craignaient de le voir céder: « Non, Messieurs, ce ne sera jamais le roi de Navarre, y eût-il trente couronnes à gagner. Tant s’en faut qu’il lui en prenne l’envie pour l’espérance d’une seule. »

Ce double langage, diplomatie oblige, s’explique. Il faut amadouer les uns, tranquilliser les autres. Mais de là à parler, jugeant de l’extérieur, et le faisant en historien et en croyant, de « nécessaire conversion », il y a un pas à éviter. Peut-on, en conscience, abjurer la vérité et se convertir à l’erreur? N’est-ce pas alors, pour un but qu’on estime peut-être louable, dans le cas particulier la paix – mais est-on sûr de l’atteindre ainsi? – renier Dieu, trahir, donner tort à ceux qui pour leur foi ont souffert le bûcher? C’est cautionner l’opportunisme. « Sois opportuniste ou prêt au martyre, avais-je titré un article, jadis, à propos d’un autre converti, un Grison, en pleine Guerre de Trente-Ans, Georges Jenatsch.

La liberté de culte

L’Edit de Nantes, selon M. Daumas, entre autres « fruits savoureux », aurait porté celui, inestimable il est vrai, de liberté de culte (p.67). Or, si chacun, précise le texte, a effectivement le droit, chez lui, en privé, d’adorer Dieu comme il l’entend, de le prier à sa manière, de lire la Bible et de chanter les Psaumes, il n’en va pas de même en ce qui concerne l’adoration publique. Interdite, elle l’est totalement dans certaines villes, épiscopales notamment, ou dans celles tenues pendant la guerre par la Ligue créée pour lutter à mort contre les protestants et rachetées à prix d’or par Henri IV, là où se tient la cour, partout où elle n’était pas expressément autorisée de janvier 1596 à août 1597, et aussi à Paris où les réformés, nombreux, devaient faire cinq lieues pour se retrouver ensemble devant Dieu, ce qui avait parfois pour conséquence, l’hiver, qu’un petit enfant qu’on y menait au baptême mourait de froid en route… Quant aux seigneurs, si les haut-justiciers avaient le champ libre pour constituer une paroisse, les autres ne pouvaient réunir dans leur maison plus de trente personnes.

On est loin, on le voit, de cette « libre célébration »(p.67) permettant l’émergence d’une sensibilité protestante, voire d’une « manière de culture encore largement perceptible aujourd’hui ». Peut-être M. Daumas pourrait-il citer quelques lieux privilégiés – pense-t-il à Marsillargues?2– où ce qu’il avance, l’exception confirmant la règle, serait cautionné. Mais on ne saurait, à

partir de là, comme il le fait, généraliser.

La paix

Cette « libre célébration », selon lui, aurait duré de 1598, date de l’Edit, à 1685, date de sa Révocation. « Quatre-vingt-sept ans, s’exclame-t-il, de cohabitation paisible et fructueuse entre Français des deux confessions » (p.67). Ainsi, les troubles qui suivent l’assassinat d’Henri IV, la guerre civile qui se rallume en 1620 par l’écrasement du Béarn, petit Etat protestant organisé d’après le modèle genevois par Jeanne d’Albret et le réformateur Pierre Viret, le terrible siège de La Rochelle, la défaite du duc de Rohan et la désastreuse Paix d’Alès de 1629, qui met les réformés à la merci d’un pouvoir royal de plus en plus absolu, tout cela, le grignotement progressif de l’Edit compris, doit être considéré, si l’on en croit M. Daumas, comme de la « cohabitation paisible et fructueuse ». Il y faut, avouons-le, beaucoup de bonne volonté. Et aussi, hélas, une certaine dose d’aveuglement. Car si 1661, avec l’accession au pouvoir personnel du jeune Louis XIV, marque un raidissement de la politique antiprotestante, ce n’est pas là son origine. Cette dernière se cache dans la conception même de l’Edit qui, théoriquement irrévocable, doit devenir inutile par l’extinction progressive de la RPR grâce au retour de protestants toujours plus nombreux dans le sein de l’Eglise catholique considérée par le gouvernement – « une foi, une loi, un roi » – comme la religion officielle du royaume.

Or, Henri IV lui-même est l’initiateur zélé de ce mouvement. Sans cesse, il invite ses anciens compagnons à l’imiter, à se convertir. Il leur promet de l’avancement, des privilèges. Il insiste. Et bien des grands se laissent tenter…

Plus tard, lui disparu, on achètera les conversions. Une caisse spéciale sera créée. Mais cela ne suffira pas. Il faudra le déchaînement de la violence…

La générosité du « bon roi Henri » envers les protestants a donc ses limites. Ce qu’il veut, pour assurer l’unité du royaume, c’est la disparition du protestantisme. Aussi le jugement de Fortunat Strowski me paraît-il sans bavure: « La situation qui fut fixée désormais aux réformés acheva leur défaite: l’Edit de Nantes se ferma sur eux comme un tombeau. »3

Gabriel Mützenberg


1 La Revue réformée, 202 (1999:1), 63ss.

2 J.-M. Daumas, Marsillargues. Ed. de l’auteur, 1984.

3 Pascal et son temps, t. I (Paris: 1907),1ss. Cf. G. Mützenberg, Henri IV à la barre (Carrière-sous-Poissy: La Cause, 1998).

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