Bref aperçu de la personne et l’oeuvre de Jésus-Christ dans la prédication protestante contemporaine

Bref aperçu de la personne et l’oeuvre de Jésus-Christ
dans la prédication protestante contemporaine

Harold KALLEMEYN*

Des centaines de prédications protestantes sont prononcées, chaque dimanche, en France. Est-il possible de cerner comment Jésus est présenté dans ces discours si divers ? Rien n’est moins certain! La complexité de cette entreprise est considérable: des textes bibliques différents, des milieux ecclésiaux différents, des prédicateurs différents, des théologies différentes. Ne serait-il pas plus sage de reconnaître, tout simplement, la riche diversité de la prédication protestante et de renoncer à présenter un phénomène qui échappe aux généralisations ? Sur le plan pratique, comment choisir les prédications à étudier ? Lesquelles, parmi des centaines, peuvent-elles être considérées comme représentatives ?

Le service de radio de la Fédération protestante de France nous a fourni un précieux champ d’investigation, à savoir les textes des prédications transmises, le dimanche matin, pendant l’année civile 1997[1]: plus de cinquante prédications[2] prononcées par des pasteurs choisis, sans doute, pour les qualités reconnues de leurs discours homilétiques[3].

On ne peut pas rester insensibles face au dynamisme, au style même, de certaines de ces prédications. On est, parfois, saisi par la justesse et la pertinence des propos. Il aurait été intéressant d’en étudier plusieurs en profondeur, examinant leur exégèse, leur démarche herméneutique, leur forme discursive et leur portée pastorale. Nous devrons nous contenter, dans le cadre de cet article, de réaliser une sorte de « synthèse impressionniste » – sans prétention scientifique – de ces prédications, en accordant une attention particulière à leurs perspectives christologiques.

Notons que quarante-deux de ces cinquante-cinq prédications s’inspirent principalement de textes du Nouveau Testament[4]. Sur ces quarante-deux prédications, trente-huit s’inspirent de textes tirés des évangiles, deux des Actes des Apôtres et quatre de la littérature paulinienne. Cette concentration sur des textes évangéliques (plus des deux tiers des prédications) a facilité notre enquête. Ce sont surtout les prédications sur des textes tirés des évangiles qui ont retenu notre attention.

Les prédicateurs ont tous le même souci de montrer à leurs auditeurs l’actualité du texte: l’actualité, c’est-à-dire le rapport entre les événements décrits dans les évangiles et la vie du croyant. Parfois, ce rapport est évident lorsque, par exemple, le prédicateur interpelle son auditeur en reprenant la parole de Jésus au jeune homme riche: « Suis-moi »[5]. Parfois, il exige un peu plus de créativité de la part du prédicateur; par exemple, lorsque le zèle de Jésus au moment de la purification du Temple, en Jean 2, sert à déplorer la malheureuse froideur protestante…[6]

A) Qui est Jésus ?

L’auditeur de toutes ces prédications a pu entendre la double affirmation que Jésus est un homme et qu’il est Dieu. Pourtant, ce sont les traits caractéristiques de son humanité qui retiennent généralement l’attention. Jésus suscite l’admiration des prédicateurs par son équilibre psychique, par sa proximité toute humaine, particulièrement par sa « présence dans la souffrance »[7] et par sa capacité d’écoute attentive[8]. On est attiré par son humanité vulnérable. Jésus est une manifestation de Dieu dans la fragilité. C’est un homme qui ne cherche pas à dominer, qui ne s’impose pas[9]; c’est un homme faible et terriblement humain, qui « ne juge pas… il ne fait pas la morale.[10]« 

Moins fréquemment, un prédicateur affirmera que Jésus est Dieu incarné, que tout a été créé en Jésus et pour lui[11], qu’il est le tout-puissant Roi des rois[12].

B) De quoi Jésus nous sauve-t-il ? Quel salut nous offre-t-il ?

Voici un échantillon de réponses données à cette double question.

Jésus nous sauve:

  • d’un esprit qui refuse le partage,
  • pour transformer l’histoire humaine par le partage qui suscite un esprit de reconnaissance, de confiance et de gratuité[13];
  • de l’injustice qui caractérise les affaires humaines,
  • en vue d’une nouvelle société juste construite sur les principes de la non-violence[14];
  • de cette condition qui consiste à ne pas être en harmonie avec soi-même,
  • pour faire une découverte de soi et du sens que l’on veut donner à sa vie[15];
  • des crispations qui se produisent autour de son identité,
  • en vue de la réconciliation entre des chrétiens[16];
  • de notre enfance blessée,
  • Dieu met notre enfance debout pour nous permettre de vivre sans haine ou condamnation à l’égard de ceux qui nous ont blessés, c’est-à-dire accueillir ce passé pour être capable d’accompagner Jésus sur le chemin de Golgotha[17];
  • d’un esprit de violence et de la volonté de tout contrôler,
  • pour être capable de pratiquer un accueil respectueux et le partage[18];
  • du respect de la tradition religieuse,
  • pour vivre une aventure sur les chemins de l’interprétation qui surgissent du texte de l’Ecriture comme les disciples de Jésus ont détaché l’âne pour préparer l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem[19];
  • d’un esprit de racisme, de fascisme et d’intégrisme et du désir d’accumuler des richeses,
  • pour vivre dans le partage et la proximité sans confondre notre identité avec celle de l’autre[20];
  • de tout ce qui nous empêche de bien respirer, qui nous étouffe et nous désole, qui fige et qui ferme la vie,
  • pour bénéficier d’un souffle qui nous mène ailleurs, d’un mouvement d’amour, de création, de marche, d’aventure qui nous jette vers la vie[21];
  • des pratiques d’exclusion,
  • afin d’être en communion avec tous les hommes « …par la libération du poids de nos peurs et de nos culpabilisations, de nos angoisses et de nos dépressions[22]« ;
  • des idées préconçues concernant le Dieu « tout-puissant » (le Dieu qui nous offrirait l’immortalité n’est que le Dieu de nos rêves),
  • afin d’avoir une idée nouvelle de Dieu[23];
  • d’une mauvaise image de soi,
  • pour dévoiler et nouer ensemble le biologique, le social et l’inconscient subjectif de notre personne[24];
  • d’un grenier de convictions, de certitudes et de croyances,
  • pour être capables de pratiquer un amour qui ne s’engrange pas, mais qui vit chaque instant dans la paix et dans la réconciliation[25];
  • de l’angoisse
  • pour vivre dans la paix. Jésus calme les tempêtes de notre vie[26];
  • de la volonté de dominer,
  • pour vivre dans un esprit de dépendance, de service et d’humilité[27];
  • d’un sentiment de culpabilité angoissante,
  • pour connaître unsentiment de soulagement et pour pouvoir dire: « Ma joie est complète. »[28]
  • d’une existence où l’on n’accepte pas ses limites,
  • pour vivre une libération de ses aliénations et de ses résignations[29].

Le portrait qui se dégage de ces prédications est celui d’un Jésus humain, abordable, sympathique, qui a, de plus, le mérite de promouvoir une bonne qualité de vie psychique et sociale. Plusieurs questions d’ordre christologique ne sont guère abordées, notamment celles du rapport qui existe entre la mort et la résurrection du Christ et, d’autre part, la réconciliation de l’homme avec Dieu. L’auditeur qui se pose les questions suivantes ne peut, généralement, que rester sur sa faim:

  • Existe-t-il des tensions d’ordre moral ou spirituel entre Dieu et l’homme ?
  • Quelle est la nature de ces problèmes ?
  • En quoi la mort et la résurrection de Jésus ont-elles apporté une solution à ces problèmes ?
  • Ces questions nous paraissent pertinentes, car l’homme moderne est particulièrement sensible à la question de l’attribution des torts et à celle du respect de ses droits et des droits de l’homme en général. Quand il entend un discours sur le Dieu chrétien, il réagit, souvent, par les interrogations suivantes:

  • Quel « droit de regard » Dieu a-t-il sur les affaires humaines ?
  • De quel droit Dieu se permet-il de « s’offenser » de ce qu’il considère regrettable en moi pour, ensuite, me proposer des réconciliations « gratuites » qui feraient de moi son admirateur sans réserve pendant l’éternité ?

Il est vrai qu’un culte radiodiffusé n’est pas le lieu propice pour entrer dans des débats théologiques trop techniques. Dans un discours de dix minutes, l’objectif du prédicateur est de capter l’attention de l’auditeur, de la retenir et de formuler l’essentiel de la Foi avec simplicité et dynamisme. Pourtant, il me semble qu’en France, où se trouvent d’innombrables croix et crucifix, les auditeurs des émissions radiophoniques seraient intéressés de mieux connaître pourquoi, selon l’Ecriture, la croix et la résurrection sont nécessaires pour le salut chrétien. En négligeant cette question centrale, ne risque-t-on pas de forger l’image d’un Dieu… névrosé: un Dieu qui cherche à faire peur à l’homme en insistant sur le sang et sur la mort afin de bénéficier, ensuite, des hommages éternels de ceux qui auraient eu la chance de tirer profit de ses largesses divines ?

Conclusion

L’image dominante de Jésus qui ressort de la majorité des prédications radiodiffusées de l’année 1997 est celle que l’on pourrait qualifier d’un génial « Psy des psy »: un Sauveur qui dispense un salut thérapeutique, cet équilibre psychique tant recherché par nos contemporains. Montrer l’actualité des événements rapportés par les évangiles est la responsabilité de tout prédicateur chrétien… si, du moins, il ne néglige pas les images dominantes de Jésus-Christ proposées par l’ensemble de l’Ecriture. Le prédicateur a la responsabilité de présenter et d’expliquer la portée de ces images-là, selon le principe de l’analogie des Ecritures. Il est appelé à proclamer – avec les apôtres – que son Sauveur est:

  • le Serviteur souffrant, choisi et envoyé par son Père – le Père qui a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils – pour payer le prix de notre faute et pour nous délivrer des puissances du mal;
  • le Seigneur des seigneurs, celui qui a reçu, de son Père, toute autorité dans les cieux et sur la terre;
  • le Berger aimant et exigeant, qui guide son peuple par sa Parole et son Esprit;
  • le Maître de l’histoire qui reviendra pour juger les vivants et les morts, et dont le règne n’aura pas de fin.

C’est dans la perspective de l’ensemble de ces portraits que la vie et le salut offerts par Jésus auront un sens pour nous et pour nos contemporains comme il en avait un, le même, pour nos ancêtres dans la Foi.


* H. Kallemeyn est professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

1 Les textes des prédications sont disponibles au Service radio de la Fédération protestante de France (F.P.F.), 47, rue de Clichy, 75311 Paris Cedex 09. Rappelons que ces prédications sont généralement diffusées en direct le dimanche matin à 8h30. La prédication est précédée d’une partie liturgique et s’adresse à un large auditoire radiophonique, en priorité aux fidèles.

2 Cinquante-cinq avec celles du dimanche de la Réformation, de l’Ascension et de Noël.

3 Trente-deux pasteurs de l’Eglise réformée de France (ERF), quatre de l’Eglise de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (ECAAL), sept des Eglises évangéliques libres et des Eglises évangéliques baptistes, trois de l’Eglise évangélique luthérienne de France (EELF) et de sept autres.

4 Plus des deux tiers des prédications ont un sujet tiré du Nouveau Testament, moins d’un tiers de l’Ancien. Des douze prédications sur l’Ancien Testament, la moitié porte sur le Pentateuque. Notons qu’en 1997 il n’y a eu aucune prédication sur les Psaumes.

5 P. 165, 12 octobre. Les numéros de page indiqués sont ceux qu’utilise le Service radio de la F.P.F.

6 P. 188, 9 novembre.

7 Pp. 63 et 64, 20 avril et pp. 133 et 134, 31 août.

8 P. 11, 19 janvier.

9 P. 2, 5 janvier.

10 P. 107, 6 juillet. Jésus « …écoute les vibrations qui surgissent du tréfonds de son être, de son humanité. »

11 P. 98, 22 juin.

12 Pp. 197 et 198, 23 novembre. Cette affirmation est formulée comme une dialectique: « Un roi de gloire ? Non, un roi crucifié. »Pp. 2-4, 5 janvier.

13 Pp. 2-4, 5 janvier.

14 P. 6 et 7, 12 janvier..

15 Pp. 11 et 12, 19 janvier

16 P. 32, 23 février.

17 P. 38, 9 mars.

18 P. 41-43, 16 mars.

19 Pp. 47, 23 mars.

20 Pp. 77 et 78, 11 mai.

21 Pp. 80 et 81, 18 mai.

22 Pp. 86-88, 1er juin.

23 6 juillet.

24 P. 114, 20 juillet.

25 3 août.

26 31 août.

27 21 septembre.

28 28 septembre.

29 25 décembre.

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