Recension

Recension


Derek Kidner, Psaumes 73 à 150, Vaux-sur-Seine, Edifac, 2018.


Attendue depuis longtemps, la traduction française du second volume de l’étude du livre des Psaumes de Derek Kidner vient de paraître ! Sous le titre Psaumes 73 à 150, l’auteur, pasteur anglican décédé en 2008, spécialiste de l’Ancien Testament auquel il a consacré d’excellents ouvrages, nous livre une étude de haute tenue. Pour nombre de croyants au cours de l’histoire, les Psaumes, médités, priés, chantés, ont été source d’inspiration et d’encouragement, tant ils expriment l’intimité de l’âme humaine, les angoisses, le sentiment d’encerclement, les luttes contre les adversités de l’existence, mais aussi la reconnaissance et la confiance quand le regard se détourne des profondeurs pour s’élever vers Dieu.

J’ai passé des heures devant les pages – soulignées, surlignées, annotées – du premier volume. C’est dire avec quelle impatience j’attendais la publication française du second. Chacun des 150 psaumes fait l’objet d’une analyse approfondie à partir d’une étude exégétique sérieuse, laquelle permet au lecteur du xxie siècle de goûter à la saveur du texte biblique original, parfois un peu obscur à ses yeux. Sa méditation s’en trouve de la sorte enrichie. Le recueil des Psaumes est souvent vu comme le cœur de la Bible. La vie et ses tracas y sont décrits, mais l’être humain n’est pas livré au hasard des circonstances, puisque placé devant Dieu. Ainsi, Kidner ouvre le Psaume 128 avec le sous-titre « Paix » : « Les bénédictions tranquilles d’une vie réglée sont décrites depuis leur centre jusqu’à leur aboutissement dans ce psaume qui envisage d’abord l’homme pieux, ensuite sa famille et enfin tout Israël. Voici la simple piété avec ses fruits caractéristiques : la stabilité et la paix. »

Tout au long de ses deux ouvrages, Derek Kidner introduit le lecteur à la poésie hébraïque. Il lui fait rencontrer les auteurs des Psaumes (David, bien sûr, qui en composa 73 sur les 150 du recueil, mais aussi Salomon, les fils de Qoré, Asaph, Moïse…) ; il l’initie aux termes techniques propres aux Psaumes ; il ouvre pour lui les notes liturgiques si poétiques (« Biche de l’aurore », « Colombe des térébinthes lointains »…) ; il décrit les épisodes de la vie du roi David mentionnés dans les suscriptions ; il dessine la perspective messianique (impossible de méditer les Psaumes et de lire l’Ancien Testament sans y voir le Christ… ce serait passer à côté de l’essentiel, et rater l’exercice !). Kidner analyse les ressemblances entre le magnifique chant de la création du Psaume 104 et l’Hymne au soleil du pharaon Akhénaton (xive siècle av. J.-C.). Inspirant !

Psaumes 73 à 150 s’inscrit dans la série Commentaire évangélique de la Bible publiée par Edifac, les éditions de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. Si l’étude de Derek Kidner est consistante, elle reste tout à fait accessible à un large public qui cherche à approfondir la connaissance du texte biblique. Les Psaumes n’expriment-ils pas la louange envers le Dieu créateur et rédempteur ? Gloria in Excelsis Deo !

Jean-Marc Genet


Max Engammare, Prêcher au XVI° siècle. La forme du sermon réformé en Suisse (1520-1550),, Genève, Labor et Fides, 2018.


L’amoureux du livre d’histoire sera comblé par le dernier ouvrage de Max Engammare consacré à la prédication réformée en terres helvétiques. L’auteur, directeur des Editions Droz spécialisées dans les travaux d’érudition, part à la rencontre des prédicateurs – et de la prédication ! – au XVIe siècle.

« La prédication de l’Evangile est une réalité et une priorité de la Réforme. » Max Engammare donne le ton de son livre, évoquant une prédication préparée avec l’aide du Saint-Esprit, force céleste « donnée aux prédicateurs pour prononcer leur sermon et être compris de leurs auditeurs, selon les termes de Martin Bucer ». Pour les réformateurs, la Sainte Ecriture est centrale, elle « est médiation entre Dieu et les hommes pour faire obéir ceux-ci à Dieu », selon les termes d’Engammare.

Le travail de l’auteur, explorateur de bibliothèques et dénicheur de documents anciens, est remarquable. Il a traduit des textes de l’hébreu, du grec, du latin, de l’allemand (et de dialectes suisses alémaniques, ce qui n’est pas une sinécure !) et modernisé des citations en français du XVIe siècle afin de les rendre accessibles au lecteur contemporain. C’est dire la richesse de la documentation abordée et de l’appareil de notes du livre.

Max Engammare commence son périple à Bâle, ville qui n’adoptera la Réforme qu’en 1529, six ans après Zurich. Son choix est pourtant délibéré : la cité rhénane connaît depuis le XVe siècle un développement considérable de l’imprimerie, avec l’édition de collections de sermons et de Bibles annotées. Nombre de sermons d’Œcolampade tant en allemand qu’en latin sont imprimés, dont 131 sur l’évangile de Marc et 21 en latin sur la première épître de Jean. Le réformateur bâlois privilégie nettement la prédication « exposée de suite ».

Prochaine étape, Zurich. Zwingli « favorisa le modèle de la lectio continua, commentant ou prêchant du premier verset du premier chapitre d’un livre biblique jusqu’à sa fin, que ce soit en chaire ou à la Prophezei », écrit Max Engammare. La Prophezei ? Elle se réunit, à partir du lundi 19 juin 1525 et tous les jours de la semaine, sauf le vendredi et le dimanche, sous la présidence de Zwingli. Durant une heure, le réformateur explique l’Ecriture, « dans une volonté affichée de préparer une traduction autorisée de la Bible en dialecte zurichois, menée sur les textes originaux hébreux et grecs ». Le jeune Bullinger, futur successeur de Zwingli, goûte particulièrement l’exercice de ce centre de formation ouvert à toute personne intéressée de la cité de la Limmat. C’est en particulier dans les pages consacrées à cette institution que la plume d’Engammare traduit de belle façon en français les textes allemands de l’époque.

A Berne, en l’absence de personnalité ecclésiastique marquante, le Strasbourgeois Wolfgang Capiton rédige les actes du synode de 1532, qui abordent la prédication à leur chapitre 6 : « Une prédication chrétienne porte uniquement sur Christ et procède tout entière de Christ. » On s’arrête là au fond du sermon, non à sa forme. Engammare précise : « Il faut d’ailleurs diriger toute prédication sur la repentance et le pardon. Le modèle est la prédication de Pierre dans les Actes. »

Une annexe du chapitre consacré à Berne apporte des précisions sur les fêtes – l’Annonciation, la Nativité, l’Epiphanie, les Rameaux… – et les sermons qui y sont prononcés. A l’instar de Zurich, la prestation de serment des magistrats donne lieu à une prédication.

Le voyage se poursuit à Genève, où Calvin se considère comme «ministre et prescheur de l’Evangile». Editeur pendant plus de vingt ans de sermons du réformateur, Engammare sait « que le principe de la lectio continua domine presque exclusivement sa prédication quotidienne, hebdomadaire et dominicale». Les sermons de Calvin génèrent un travail considérable d’édition et alimentent les presses de la cité. Engammare, dans son style classique et élégant, parle du tachygraphe («on parlait alors de tachygraphie, écriture rapide ») Denis Raguenier, un réfugié huguenot qui relève les sermons et les leçons du maître. « C’est le respect total et intransigeant de la Parole de Dieu qui porte les conceptions et les attitudes de Calvin », souligne l’auteur en conclusion du chapitre genevois.

Le dernier chapitre de Prêcher au XVIe siècle conduit le lecteur à Lausanne et à Neuchâtel, et dans quelques localités romandes moins connues, Grandson, Romainmôtier, Orbe, Valangin… On y rencontre (entend !) Guillaume Farel, « le fougueux homme de Dieu», mais aussi Pierre Viret, prédicateur infatigable dont il ne nous reste que cinq sermons… En revanche, nous connaissons sa prière qui prépare les paroissiens à l’écoute du sermon : insistance sur les manquements des humains, mais aussi sur « l’amour du Père pour le Fils, la réception de la Parole de Dieu dans le cœur plus que dans l’esprit », le Notre Père. Une longue prière, « tout entière nourrie de théologie réformée », suit le sermon.

Au fil de ma lecture, une perle à laquelle le professionnel des arts graphiques et de l’édition ne pouvait rester insensible… La publication des sermons du pasteur Michel Cop (frère de Nicolas, le recteur parisien), Sur les Proverbes de Salomon exposition familière en forme de briefves homilies… et reveuë de nouveau par luy-mesme, édition sortie en 1559 (première édition 1556) de l’atelier de Conrad Badius, imprimeur emblématique de Genève. Badius a rédigé une préface, « L’imprimeur au lecteur ». Du même Michel Cop, Badius a imprimé les sermons sur l’Ecclésiaste. La Réforme impulsée par Jean Calvin a rayonné dans la cité – jusque dans sa production typographique !

Merci à Max Engammare, guide inspirant grâce à Prêcher au XVIe siècle. La forme du sermon réformé en Suisse (1520-1550)i.

Jean-Marc Genet

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