La justification par la foi
chez E.P. Sanders, Luther et Calvin1
Donald COBB
Professeur de grec et de Nouveau Testament
Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence
Les travaux de Ed P. Sanders, à partir de son livre sur Paul et le judaïsme palestinien, ont renouvelé durablement la recherche sur l’apôtre des païens et le judaïsme lui-même2. De façon générale, ce qu’on appelle la « Nouvelle perspective sur Paul » (NPP) a obligé les exégètes protestants à revisiter l’interprétation classique de Paul et, plus précisément, son enseignement sur la justification par la foi. Côté catholique, la NPP a également donné une impulsion nouvelle à la recherche néotestamentaire, ouvrant des perspectives inattendues pour le dialogue œcuménique. Dans cet article, je me propose de rappeler brièvement les origines historiques de l’enseignement protestant sur la justification par la foi, puis de soulever, à partir de la théologie de Calvin, les questions principales que la recherche de Sanders a soulevées concernant le rapport entre justification par la foi et participation au Christ. Dans un troisième temps, je tâcherai de préciser, notamment à travers quelques textes pauliniens, le sens que peut avoir cette notion de justification par la foi.
1. Luther : la découverte d’une « justice imputée » et ses conséquences
Un des points importants de la NPP concerne la façon dont le réformateur Martin Luther a compris l’apôtre Paul. Les historiens soulignent qu’une question qui obsédait Luther à l’époque où il était encore moine augustin, marqué par le nominalisme de Guillaume d’Occam, était : « Comment obtiendrai-je un Dieu favorable ? » Autrement dit, comment se procurer une justice suffisante pour se tenir devant le Dieu saint ? Si la piété populaire l’orientait vers les œuvres – jeûnes et privations, oraisons, indulgences, notamment –, l’imperfection de ces œuvres, ainsi que la conscience d’un égoïsme et d’un amour-propre persistants, semblaient rendre la faveur de Dieu hors de portée. D’ailleurs, l’idée de la justice de Dieu révélée parfaitement en Christ – telle que nous la voyons, par exemple, dans le Sermon sur la montagne –, loin d’encourager Luther, lui était insupportable car, de toute évidence, la justice requise du disciple devait être parfaite (Mt 5.48) ! Cette quête tourmentée de la justice a pris de telles proportions que, par moments, Luther vivait son rapport avec Dieu comme un objet de haine plutôt que comme une relation d’amour. Voici ce qu’il dit dans un texte célèbre, datant de 1545 :
Je haïssais, en effet, ce terme « Justice de Dieu », que j’avais appris, selon l’usage et la coutume de tous les docteurs, à comprendre philosophiquement comme la justice formelle et active, par laquelle Dieu est juste, et punit les pécheurs et les injustes. […] Or, moi qui, vivant comme un moine irréprochable, me sentais pécheur devant Dieu avec la conscience la plus troublée et ne pouvais trouver la paix par ma satisfaction, je haïssais d’autant plus le Dieu juste qui punit les pécheurs, et je m’indignais contre ce Dieu, nourrissant secrètement sinon un blasphème, du moins un violent murmure ; je disais : « Comme s’il n’était pas suffisant que des pécheurs misérables et perdus éternellement par le péché originel soient accablés de toutes sortes de maux par la loi du Décalogue, pourquoi faut-il que Dieu ajoute la souffrance à la souffrance et dirige contre nous, même par l’Évangile, sa justice et sa colère ? »3
Le dénouement de cette crise eut lieu grâce à la découverte que « la justice de Dieu » n’est pas d’abord celle que Dieu exige mais celle qu’il donne. Luther poursuit :
[…] Alors que je méditais, jours et nuits, je remarquai l’enchaînement des mots, à savoir : « La justice de Dieu est révélée en lui [= dans l’Évangile], comme il est écrit : Le juste vivra par la foi. » Alors, je commençai à comprendre que la justice de Dieu est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi et que la signification était celle-ci : par l’Évangile est révélée la justice de Dieu, à savoir la justice passive, par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi […]. Alors, je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le Paradis même4.
Inutile de dire que cette découverte de Luther – sur fond de ce que Krister Stendahl appellera plus tard « la conscience introspective de l’Occident »5 – sera déterminante pour son interprétation de l’Évangile. Luther va mettre la justification par la foi seule au centre de son enseignement, et le luthéranisme après lui parlera à ce sujet d’articulus stantis et cadentis ecclesiae : l’article de foi par lequel l’Église tient debout… ou s’effondre6.
Luther et le protestantisme discerneront encore un parallélisme intime entre, d’un côté, la perspective d’un salut fondé sur les œuvres humaines et, de l’autre, le judaïsme défini par « les œuvres de la loi ». Tout un pan de la recherche biblique aux xixe et xxe siècles, en Allemagne en particulier, se plaira d’ailleurs à souligner les aspects « commerciaux » dans le judaïsme touchant à la relation entre Dieu et l’homme, les œuvres de la Torah permettant au Juif pieux d’amasser des mérites dans le siècle à venir. Quant à la quête du salut dans la religion juive, elle va être présentée à la lumière de celle de Luther par rapport à ses propres œuvres : « Ai-je fait assez de bonnes œuvres pour mériter la faveur et la justice de Dieu ? » C’est contre cette compréhension, entre autres, que Sanders va réagir7.
Faisons ici deux précisions supplémentaires, davantage en rapport avec Luther qu’avec Sanders et la NPP. Premièrement, cette découverte de la justice de Dieu, justice « imputée » – ou mise à notre compte – au moyen de la foi seule, crée par définition une distinction fondamentale entre justification et œuvres. En tant que Juge céleste, Dieu nous déclare justes devant lui, non en raison de ce que nous sommes en nous-mêmes, mais parce que la justice de Jésus-Christ se substitue à notre justice. Lorsque Dieu nous regarde, ce n’est donc pas notre péché, notre fragilité et nos faiblesses qu’il voit mais le Christ, avec son obéissance, sa sainteté et sa justice parfaites. Luther va donc parler de la justice de Dieu qui est, et qui reste, extra nos, « en dehors de nous », et du chrétien comme étant simul justus et peccator : en même temps juste, en raison de la justice imputée du Christ, et pécheur, puisque la foi en Christ ne fait pas sortir le croyant de sa condition d’homme marqué par le péché.
Côté catholique, cette perspective va attirer des critiques. Certains polémistes – Robert Bellarmin en particulier (1542-1621) – vont reprocher au protestantisme d’enseigner une justice imaginaire ou « fictive », puisqu’elle n’opérerait aucune transformation substantielle chez le croyant8. Une telle doctrine ne peut, dira-t-on, qu’encourager le laxisme moral. En effet, si notre statut dépend entièrement du Christ et de sa justice, et non de nos œuvres, et si cette condition pécheresse reste la nôtre jusqu’au dernier souffle, quelle motivation peut-il y avoir à cheminer vers une plus grande justice ou sainteté ? Pour le dire de façon un peu brutale, si nous sommes sauvés uniquement par la grâce déclarative de Dieu, pourquoi nous embarrasser de l’obéissance ? Le luthéranisme va répondre en affirmant que ceux que Dieu justifie vont montrer leur reconnaissance pour ce don inestimable et que cette reconnaissance s’exprimera nécessairement par une obéissance venant du cœur9. Mais l’objection catholique met le doigt sur une faiblesse potentielle qu’il convient de prendre au sérieux.
Deuxièmement – et il faudra y revenir plus loin –, ce point fait apparaître une différence entre catholiques romains et protestants qui a des conséquences majeures pour l’ecclésiologie, pour la doctrine des sacrements et la vie chrétienne généralement. Au risque de caricaturer des perspectives complexes, nous pourrions dire ceci : la justification en théologie protestante se comprend, nous l’avons vu, comme une justice imputée, un acte par lequel Dieu nous déclare justes, sur la base de la justice du Christ. On parlera aussi d’une justice forensique, c’est-à-dire d’un verdict de justice rendu dans le cadre d’un procès légal, concernant notre statut devant Dieu. Du fait que nous saisissons le Christ dans une démarche de foi et lui appartenons, Dieu prononce à notre égard le même verdict qu’il a prononcé à son sujet, lui qui est « le juste et le saint ». Du coup, la grâce est en tout premier lieu ce regard favorable de Dieu et l’action par laquelle Dieu agit en notre faveur.
Pour la théologie catholique, la justification a plutôt le sens d’une justice infusée ou transformatrice, d’une justice « coulée en nous » qui nous rend donc progressivement plus justes. Logiquement, celui qui est pleinement justifié, c’est celui qui est pleinement juste. La grâce est ainsi cette réalité divine par laquelle Dieu nous transforme concrètement. Aussi pourrions-nous parler de la grâce comme d’une substance, notamment lorsqu’il s’agit de la grâce sacramentelle. Toute discussion œcuménique sur la justification doit, à mon sens, tenir compte de la divergence sur ce sujet10.
2. Imputation versus participation ?
E.P. Sanders et J. Calvin
E.P. Sanders va surtout chercher à rectifier le tir par rapport à la perception protestante du judaïsme. Le judaïsme du Second Temple n’est pas, dit-il, une religion légaliste mais, tout autant que le christianisme, une religion de grâce. L’idée du salut par les œuvres, s’opposant à la grâce de Dieu ou à la foi, est peut-être un sujet de polémique cher au protestantisme, mais, affirme-t-il, elle ne trouve pas d’appui dans le judaïsme des premiers siècles de notre ère.
Dans une moindre mesure, Sanders va aussi poser un recentrage par rapport à la théologie de Paul. Si, pour Luther et ses successeurs, la justice forensique était absolument centrale – « l’article par lequel l’Église tient debout ou s’effondre » –, Sanders va plutôt mettre l’accent sur les notions de participation chez Paul : le fait d’être « en Christ », l’idée que le Christ est « en nous », que les chrétiens sont « membres de son corps »…11 Les notions juridiques liées à la justification par la foi seraient, quant à elles, secondaires par rapport à cette donnée fondamentale qu’est la participation au Christ12. Sanders souligne que, si les conséquences de cette réalité « participationniste » se font sentir dans de multiples domaines (théologique, éthique et autres), il n’en est pas de même de la justification13. Celle-ci, en effet, apparaît surtout dans des contextes de polémique avec le judaïsme ou le christianisme judaïsant14.
Une autre facette centrale de la prédication paulinienne est l’inclusion des païens au sein de l’Église. Paul se présente comme « apôtre des nations ». C’est tout le sens de son ministère et, avec cette thématique, nous touchons une des convictions les plus essentielles de sa proclamation – bien plus, dit Sanders, que la justification par la foi15. Au sujet de ce dernier point, le message de Paul est clair : le non-Juif ne fait pas partie du peuple de Dieu eschatologique en raison de sa fidélité à la Torah mais parce qu’il est « en Christ », uni à lui et membre de son corps. La citation suivante résume bien la position de Sanders :
Paul approfondit très peu la « justification par la foi » de façon positive. Il n’en tire pas de conséquences dans le domaine de l’éthique ou en rapport avec les sacrements ; cet enseignement n’explique pas non plus le don de l’Esprit, pas plus qu’il n’éclaire la sotériologie liée à la participation [au Christ] […]. La « foi » seule, d’une certaine manière, est bien un prérequis, puisqu’elle est associée à la conversion et à la vie chrétienne : l’Esprit est reçu au travers de la foi en l’Evangile. Cependant, tout cela peut être présenté, et l’est effectivement, sans référence à une soi-disant doctrine de la « justification par la foi ». Cette dernière demeure un concept négatif, dirigé surtout contre l’idée que l’obéissance à la loi serait la condition, soit nécessaire, soit suffisante du salut16.
Ce déplacement de la justification en faveur de la participation au Christ se rapproche, d’une certaine façon, de la critique du protestantisme par l’Église catholique aux xvie et xviie siècles. Que faut-il en penser ? Il est vrai que Luther n’a pas toujours été équilibré. Incontestablement, la justification par la foi seule lui paraissait d’une telle importance qu’il a eu tendance à reléguer les autres éléments de la foi chrétienne au second plan au mieux. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Luther a accordé une place décisive aux épîtres aux Romains et aux Galates, au point d’en faire pratiquement un « canon à l’intérieur du canon ».
Sur ce point, une comparaison entre Luther et Calvin paraît donc particulièrement intéressante. Calvin va insister, lui aussi, sur l’importance de la justification imputée, y consacrant même plusieurs chapitres de son Institution de la religion chrétienne (III, xi-xvi). Mais, d’une façon beaucoup plus équilibrée que Luther, il va souligner que cette justification ne peut jamais être séparée de l’œuvre par laquelle Dieu transforme le croyant en l’image du Christ grâce, précisément, à la participation à ce dernier. Calvin va même parler d’une « double grâce », celle de la justification et celle, non moins importante, de la sanctification :
[…] Nous recevons et possédons par la foi Jésus-Christ, comme il nous est présenté par la bonté de Dieu ; et […] en participant à lui, nous en avons double grâce. La première, qu’étant par son innocence réconciliés avec Dieu, au lieu d’avoir un Juge au ciel pour nous condamner, nous y avons un Père très clément. La seconde, que nous sommes sanctifiés par son Esprit pour méditer sainteté et innocence de vie17.
On le voit, Calvin ne minimise pas la justification ; mais il la comprend dans le contexte de la participation au Christ que nous saisissons par la foi. Calvin va jusqu’à dire, quelques chapitres plus loin, que justification et sanctification sont inséparables car le Christ ne peut pas être « déchiré par pièces ». Voici ce qu’il dit en français modernisé :
D’où nous vient que nous soyons justifiés par la foi ? C’est que, par elle, nous saisissons la justice du Christ, qui nous réconcilie avec Dieu. Or, nous ne pouvons saisir cette justice sans avoir aussi la sanctification. En effet, quand il est dit que Christ a été fait pour nous « sagesse, et aussi justice… et rédemption », il est ajouté également sanctification (1 Corinthiens 1.30). Il s’ensuit que Christ ne justifie personne sans le sanctifier en même temps. […] Voulons-nous recevoir la justice en Christ ? Il nous faut, d’abord, posséder Christ. Or, nous ne pouvons le posséder sans être participants de sa sanctification, puisqu’il ne peut pas être coupé en morceaux. Puisqu’il en est ainsi, le Seigneur Jésus ne donne jamais à quelqu’un la jouissance de ses biens sans se donner lui-même ; il les accorde avec largesse tous deux ensemble, jamais l’un sans l’autre. On voit donc combien cette formulation est vraie : nous ne sommes pas justifiés sans les œuvres, bien que ce ne soit pas par les œuvres, puisque la sanctification n’est pas moins contenue dans la participation de Christ, dans laquelle réside notre justice18.
En réalité, sur ce point, la différence entre Calvin et Luther n’est pas qualitative ; les deux insistent sur la justification comme modification de notre statut devant Dieu, grâce à la justice du Christ mise sur notre compte. De même, ils soulignent l’un et l’autre que celui qui accède à ce statut de juste appartient désormais au Christ, avec tout ce que cela implique en termes de sanctification. Mais entre les deux, il y a clairement des différences d’intérêt et d’accent.
3. La justification et la grâce dans les épîtres pauliniennes
Au sujet de la justification, nous pourrions dire, en forçant sans doute un peu le trait, que la présentation de Calvin se tient à mi-chemin entre la position de Luther et celle de Sanders. Elle permet en tout cas de réunir dans une perspective cohérente les points forts des deux. Mais cela soulève aussi la question de la justification chez Paul. Quelle place occupe la justification dans la prédication de l’apôtre ? Comment définir cette notion ? Je propose de relever trois points à ce sujet.
A. La justification chez Paul :
un élément secondaire ?
Selon Sanders, en dehors de Romains, Galates et Philippiens 3.1‑9, l’idée de la justification par la foi serait marginale dans le corpus paulinien. Sanders laisse de côté dans son analyse les épîtres dites « contestées », point sur lequel je reviendrai19. Penchons-nous donc d’abord sur la place de la justification dans les épîtres incontestées, en dehors des trois lettres susmentionnées.
Il est vrai que Paul n’aborde pas de façon explicite la justification sans les œuvres de la loi en dehors de Galates, Romains et Philippiens 3. Ceci dit, Sanders évacue un peu trop rapidement, à mon sens, la place de la dikaiosynê (« justice » ou « justification ») dans les autres épîtres. Nous pouvons considérer, assez rapidement, trois passages.
1. En 1 Corinthiens 1.27-31, en dehors de toute discussion polémique sur la justification par la foi, Paul affirme ceci :
Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes ; Dieu a choisi les choses viles du monde, celles qu’on méprise, celles qui ne sont pas, pour réduire à rien celles qui sont, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu. Or, c’est par lui que vous êtes en Christ-Jésus qui, de par Dieu, a été fait pour nous sagesse, et aussi justice, sanctification et rédemption20, afin, comme il est écrit : Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur.
Ce qui frappe dans ce passage, c’est la façon dont Paul inclut dans ce qui nous est donné en Christ la justification, associée à la sanctification et la rédemption, et, en même temps, distincte d’elles. En mettant la justification à la tête des trois éléments, Paul semble même suggérer que c’est par là que commence la vie du croyant, tout comme, d’ailleurs, en Romains 8.29-30, où la justification vient comme une première conséquence de l’appel de Dieu, juste avant la « glorification » :
Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés.
Dans les deux textes, l’ordre paraît logique. De même, en 1 Corinthiens, les différents aspects de l’œuvre du Christ visent à placer la « fierté » du croyant en Dieu et en lui seul : « Que celui qui se glorifie, dit Paul en citant le prophète Jérémie, se glorifie dans le Seigneur. » Du fait que c’est le Christ qui incarne lui-même toutes ces choses, aucun sujet de gloire propre n’est possible. Mais, parce que nous sommes « en lui », elles nous sont accordées. Paul ne définit pas la nature de la justice (ou justification), mais son inclusion dans ce que nous sommes « en Christ » est significative.
2. En 2 Corinthiens 3 – sans doute sur fond de dispute avec des enseignants judéo-chrétiens il est vrai – Paul caractérise le ministère de l’ancienne alliance comme un ministère de « condamnation et de mort » (v. 7 et 9). Puis, il oppose à cette description le ministère de la nouvelle alliance, qui a pour traits essentiels « l’Esprit » et « la justification » :
Il nous a aussi rendus capables d’être ministres d’une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit fait vivre. Or, si le ministère de la mort, gravé avec des lettres sur des pierres, a été glorieux, au point que les fils d’Israël ne pouvaient fixer les regards sur le visage de Moïse, à cause de la gloire, pourtant passagère, de son visage, combien plus le ministère de l’Esprit ne sera-t-il pas glorieux ! Si le ministère de la condamnation21 a été glorieux, à bien plus forte raison le ministère de la justice22 est supérieur en gloire. (2 Co 3.6-9)
La justice dans ces versets s’oppose, de manière significative, à la condamnation, ce qui nous rapproche d’une compréhension assez clairement juridique. Comme le souligne M.J. Harris, la justice est ici « un terme relationnel plutôt qu’éthique ; il dénote un rapport juste vis-à-vis de Dieu, accordé par lui […], le statut de celui qui est ‘reconnu dans son droit’ devant le tribunal céleste. L’approbation divine et non la condamnation repose sur ceux qui sont ‘en Christ’. »23 Cependant, le plus remarquable est sans doute de constater que Paul décrit ainsi son ministère sans ressentir le besoin d’expliquer son propos. Le vocabulaire très ramassé vise simplement à rappeler un enseignement développé précédemment dans ses articulations essentielles et que ses lecteurs avaient sans doute déjà entendu.
3. Un autre passage se trouve un peu plus loin, en 2 Corinthiens 5.18-21, où Paul expose le cœur du message dont il a été fait porte-parole :
[Dieu] nous a réconciliés avec lui par Christ, et […] nous a donné le service de la réconciliation. Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, sans tenir compte aux hommes de leurs fautes, et il a mis en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc ambassadeurs pour Christ, comme si Dieu exhortait par nous ; nous vous en supplions au nom de Christ : Soyez réconciliés avec Dieu ! Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu24.
En résumant « son évangile », ou en tout cas un de ses aspects centraux, Paul inclut l’idée que ceux qui ont été rendus participants du Christ par la foi accèdent également à sa justice. Le langage est saisissant : il y a eu à la croix une identification des plus intimes entre le Christ et les siens, le Christ s’offrant au jugement de Dieu à notre place. De même, il s’est opéré une telle identification entre cette œuvre de justice et nous que c’est comme si nous étions nous-mêmes la justice de Dieu. Il est certain qu’aux yeux de Paul Jésus-Christ n’est pas devenu pécheur, encore moins le péché ! Mais il s’est identifié aux pécheurs en sorte que Dieu l’a regardé comme s’il était lui-même le péché qu’il s’agissait de juger. J.M. Harris parle à juste titre d’une « identification totale avec des pécheurs de la part de celui qui fut sans péché, lui qui, à la croix, a assumé pleinement le jugement et la culpabilité de leur péché »25. La symétrie est donc rigoureuse : ce que nous avons fait a été imputé au Christ, « mis sur son compte », avec les conséquences qui s’ensuivent : le jugement, la condamnation et la mort. Et de la sorte, ce que le Christ a fait nous est imputé, mis sur notre compte, avec ses conséquences salvifiques : la réconciliation et la disculpation (ou justification).
Dans tous ces passages, la justice/justification représente donc une facette importante du message de Paul. Dans ce dernier texte, elle paraît même fondamentale pour en rendre compte adéquatement. Le sens précis du langage n’est pas défini (même si Sanders reconnaît qu’il y a bien, du moins par moments, des connotations « juridiques »)26. Mais il est en tout cas difficile de réduire ce concept à un simple élément secondaire de la prédication paulinienne27.
B. La justification en dehors des « lettres incontestées »
Pour des raisons de méthodologie, Sanders n’inclut dans sa recherche que les sept lettres « incontestées » de Paul. Je n’entrerai pas ici dans la question de la paternité des épîtres dites « contestées ». Il me semble personnellement moins problématique de tenir Paul comme auteur de ces lettres que de supposer l’existence d’auteurs inconnus voulant prolonger l’enseignement de l’apôtre après sa disparition. Mais quelle que soit la réponse que l’on donne à cette question, ces écrits doivent être pris en compte, à un niveau ou à un autre. Je relève donc avec intérêt la remarque de G.P. Waters, ancien étudiant doctoral de Sanders. Selon Waters, Sanders aurait reconnu que, si sa présentation est cohérente par rapport aux épîtres incontestées, la chose est moins claire dans les lettres contestées, puisqu’Éphésiens 2.8-9 va dans le sens de la position protestante traditionnelle28. J.D.G. Dunn, autre protagoniste de la NPP, reconnaît que non seulement Éphésiens 2, mais encore 2 Timothée 1.9 et Tite 3.5 confirment l’interprétation classique29. Regardons donc rapidement deux de ces textes.
1. Éphésiens 2.8-9 dit ceci :
C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie.
Les « œuvres » ici s’entendent de façon large, comme tout ce qui viendrait « de vous » (ex hymôn) ; le texte les oppose au salut, à la grâce et à la foi (cette dernière étant comprise comme le fait de saisir le Christ tel qu’il se présente dans l’Evangile). La polémique implicite concerne donc des œuvres permettant d’accéder au salut, ce qui, dans les faits, relativiserait la grâce de Dieu en Christ. Or, cette grâce soustrait le salut à toute considération d’œuvres :
Dans la pensée de Paul, la foi ne saurait être une œuvre méritoire car, dans les discussions autour de la justification, l’apôtre oppose toujours foi et œuvres de la loi. […] La foi implique l’abandon de toute tentative de se justifier et une disponibilité par laquelle on s’ouvre à Dieu afin de recevoir ce qu’il a fait en Christ. Il en est de même ici, s’agissant du salut30.
C’est pour cette raison aussi que la grâce coupe court à la possibilité de « se glorifier » de ce que l’on pourrait accomplir pour le salut. Nous retrouvons ici, à quelques détails près, la perspective de Romains 3.21-31, où Paul souligne que ceux qui sont en Christ sont « gratuitement justifiés » par Dieu sur la base de la foi31, la gratuité de cette justification excluant tout sujet de gloire32. Un regard au contexte plus large d’Éphésiens montre que, si ces versets s’insèrent bien dans une réflexion sur le rapport entre Juifs et non-Juifs (Ep 2.11-22), le Sitz im Leben de l’épître ne reflète pourtant aucune polémique liée à des circonstances précises. Aussi serait-il malaisé de voir dans ces versets la simple mise en avant d’un enseignement marginal au service d’un conflit ponctuel33. Les commentateurs relèvent même qu’à la différence des autres épîtres, davantage marquées par des situations ecclésiales, Éphésiens se présente comme une sorte de « testament » ou résumé de la proclamation paulinienne dans sa globalité. Il y a donc bien dans ces versets la volonté de faire ressortir un aspect fondamental de l’évangile paulinien.
2. Le deuxième texte, Tite 3.5-7, dit ceci :
Car nous aussi, nous étions autrefois insensés, désobéissants, égarés, asservis à toute espèce de désirs et de passions, vivant dans la méchanceté et dans l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres. Mais lorsque la bonté de Dieu notre Sauveur, et son amour pour les hommes, ont été manifestés, il nous a sauvés – non parce que nous aurions fait des œuvres de justice34, mais en vertu de sa propre miséricorde – par le bain de la régénération et le renouveau du Saint-Esprit ; il l’a répandu sur nous avec abondance par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par sa grâce35, nous devenions héritiers dans l’espérance de la vie éternelle.
Le passage évoque d’abord, au v. 3, la situation dramatique de l’humanité en dehors du Christ. Face à cette situation, Dieu opère son salut, et ce en dehors de toute considération des œuvres de justice. Comme ailleurs chez Paul, « les œuvres », conçues ici de manière générale, s’opposent à la grâce. Celle-ci se manifeste concrètement dans un triple mouvement divin : une première action a lieu sur le plan de l’histoire de la rédemption, dans l’apparition du Christ : « Il nous a sauvés. » (v. 5) Sans que ce soit davantage précisé, il s’agit clairement de la croix et de la résurrection du Sauveur36. C’est l’élément décisif dans ces versets. Une deuxième action touche à la concrétisation de ce salut dans la vie des croyants : l’œuvre régénératrice de l’Esprit (v. 5b-6a)37. Le troisième acte découle des deux précédents, à savoir la justification : « justifiés par sa grâce » (v. 7). Il est d’ailleurs à noter que, si cela n’apparaît pas nécessairement dans les traductions, la nuance du participe aoriste passif (dikaiôthentes) implique bien une action passée et ponctuelle, littéralement : « ayant été justifiés ». Une fois de plus, la justification, effet de la miséricorde divine, s’oppose aux œuvres (v. 5), plus précisément aux « œuvres de justice », c’est-à-dire celles qui seraient opérées sur un plan éthique et moral. Face à ces œuvres et sans en tenir compte, Dieu nous a justifiés, dit l’apôtre, par sa seule grâce38.
Ces deux textes sont importants pour comprendre Paul et le judaïsme du ier siècle39. Ils posent, d’ailleurs, un vrai problème : s’ils émanent effectivement de l’apôtre, ils impliquent que les autres passages sur la justification doivent se comprendre dans un sens analogue, ce qui va à l’encontre de la position de Sanders. Si, à l’inverse, nous les prenons comme des textes « deutéro- » ou « trito-pauliniens », nous sommes alors confrontés à un dilemme : nous pourrions dire, avec Sanders, qu’ils ne représentent pas vraiment la pensée de Paul. Cependant, même dans ce cas, ils doivent faire référence à des attitudes qui existaient réellement et qui posaient problème au ier siècle ; sinon, leur existence même devient totalement incompréhensible. Ou, autre possibilité, tout en venant d’un disciple de Paul, ces passages reflètent bien les intuitions essentielles de la pensée de l’apôtre. Dans les deux cas, l’analyse de Sanders se révèle insuffisante pour rendre compte, soit de la pensée de l’apôtre, soit du judaïsme que ce dernier critique40.
Encore une fois, il me semble possible de tenir ces lettres pour authentiques. Mais quoi qu’il en soit, elles mettent en évidence une relation entre foi, justice, grâce et œuvres qui fragilise grandement la position de Sanders, à la fois vis-à-vis du judaïsme et, en même temps, au sujet de Paul lui-même.
C. Qu’est-ce que la justification ?
Il reste à aborder un dernier point, capital, la définition de la justification. Dans la théologie protestante les mots « justifier » et « justification » ont une connotation juridique : le Juge céleste nous déclare « innocents » en raison de la justice du Christ qui nous est imputée. Cette compréhension tranche avec l’interprétation de la justification dans la NPP. Pour Sanders, il serait en effet erroné de donner un sens aussi précis à ces vocables qui feraient référence, de manière assez générale, au « salut ». Sauf exception, dire que Dieu « justifie » reviendrait simplement à affirmer, dans l’esprit de Paul, qu’il « sauve » ou « donne la vie »41. Comme nous l’avons vu plus haut, l’interprétation protestante se distingue aussi, sur ce plan, de la position catholique romaine, qui parle plutôt de « justice infusée » et, par conséquent, d’une justice qui « […] nous conforme à la justice de Dieu qui nous rend intérieurement justes par la puissance de sa miséricorde »42.
Comment faut-il comprendre ces termes chez Paul ? Il convient de nous rappeler que Paul était d’abord un Juif qui a découvert en Jésus le Messie promis ; la source première de son vocabulaire théologique a été les Écritures juives. Un bon point de départ pour notre question sera donc la justification dans l’Ancien Testament. Si nous nous concentrons sur le verbe « justifier », nous constatons que son sens y est bien « déclarer quelqu’un innocent ou juste ». Aussi lisons-nous en Deutéronome 25.1 : « Lorsque des hommes auront un procès et se présenteront pour être jugés, on justifiera l’innocent43 et l’on condamnera le coupable. »44 Justifier l’innocent n’est pas le rendre juste mais faire une déclaration juridique relative à son innocence. De même, en Proverbes 17.15 : « Celui qui justifie le méchant45 et celui qui condamne le juste sont tous deux en horreur à l’Éternel. » Justifier le méchant consiste à le dire non coupable, alors que ses actes démentent visiblement cette déclaration. De fait, à une exception près, « justifier » s’emploie toujours dans un contexte juridique en rapport avec le verdict du juge46.
Il est vrai que, dans le Nouveau Testament, Paul ne donne pas de définition précise du verbe. Ceci dit, Romains 8.31-34 illustre sans ambiguïté sa pensée. Dans ce passage qui porte à son point culminant tout le développement théologique depuis le début de la lettre, Paul écrit :
Que dirons-nous donc à ce sujet ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi tout avec lui, par grâce ? Qui accusera (tis egkalesei) les élus de Dieu ? Dieu est celui qui justifie (theos ho dikaiôn) ! Qui les condamnera (tis ho katakrinôn) ? Le Christ-Jésus est celui qui est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous !
Relevons simplement le contexte, là encore, fortement juridique : le verbe egkaleô, au verset 33, a le sens de « porter une accusation contre quelqu’un »47. Dans les papyrus commerciaux, c’est un terme avant tout juridique48. De même, katakrinô (« condamner »), au verset 34, confirme l’idée d’un procès : puisque Dieu déclare les élus justes devant lui, aucune autre instance – ni humaine ni spirituelle – ne saurait intenter valablement un procès à leur encontre. Sur quelle base Dieu fait-il cette déclaration ? Celle de la mort et la résurrection du Christ. Or, Paul ne fait ici que rappeler ce qu’il avait exposé dans les chapitres précédents : « Tous ceux qui croient […] sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus. » (Rm 3.22-24) Dans les deux cas, les connotations sont juridiques et déclaratives. C’est d’ailleurs pour cette même raison que Dieu peut « justifier l’impie », comme l’apôtre affirme encore en Romains 4.5 (cf. 5.6). Dans ce même contexte, Paul parle encore de la justification comme d’un acte passé et, en ce qui concerne l’homme, au passif : « Ayant donc été justifiés par la foi49, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ. » (Rm 5.1 ; cf. v. 9)
Précisons encore deux choses : premièrement, dans la pensée protestante, cette déclaration de justification – ou d’innocence – est définitive, car Dieu ne nous regarde pas tels que nous sommes en nous-mêmes mais au travers de la justice du Christ. En ce sens, elle ne va pas croissant ou diminuant, puisqu’il s’agit d’un verdict que Dieu a rendu à notre sujet une fois pour toutes ! Certes, cette justification qui concerne notre statut n’est pas séparée de l’œuvre de l’Esprit, qui transforme en même temps la vie des croyants en l’image du Christ. Mais la théologie protestante distingue soigneusement la justification de la sanctification qui, elle, ne concerne pas notre statut mais notre condition.
Deuxièmement, quelle est, finalement, l’articulation entre cette justification imputée et la participation au Christ, telle que Sanders la présente ? Comme nous l’avons vu, dans la théologie calviniste, il n’y a pas d’opposition entre les deux. La justification forensique, saisie par la foi, suppose la participation au Christ. C’est bien parce que l’Esprit nous attache à lui, et que nous lui sommes unis, que Dieu nous regarde au travers de ce « prisme » qu’est la justice de son Fils. Du fait que Dieu a publiquement déclaré que Jésus-Christ est « le Saint et le Juste » (Ac 3.14) en le ressuscitant d’entre les morts, et qu’il est le médiateur de tous ceux qui lui appartiennent, cette déclaration vaut pour eux aussi. De même, parce que nous avons été rendus participants du Christ, l’Esprit commence à reproduire dans nos vies la perfection et la sainteté qui est en lui. Participation, justification et sanctification sont ainsi inséparables. De la sorte, demander – comme le fait Sanders – si la justification est centrale ou secondaire chez Paul, c’est sans doute mal poser la question. La vraie question est plutôt celle-ci : la justification, entendue comme justice imputée, est-elle, oui ou non, une facette essentielle de la participation au Christ et, par conséquent, de la vie chrétienne ? La réponse de la théologie protestante est, bien entendu, un « oui » appuyé.
Conclusion : la justification, un révélateur d’autres positions ?
Les positions de Sanders, de Luther et de Calvin nous sensibilisent à différentes facettes de la justification et de la grâce dans la prédication paulinienne. De façon plus générale, la justification par la foi nous renvoie à d’autres questions encore, qui ne sont pas moins importantes pour le dialogue œcuménique : concernant le caractère de Dieu, son amour pour les humains et sa volonté de salut, mais aussi sa sainteté parfaite. Dire que Dieu nous justifie par grâce, au moyen de la seule foi en Christ, suppose et affirme que le péché est non seulement un manquement, mais encore une offense aux yeux du Dieu trois fois saint, qui doit être punie et l’a réellement été, en Christ. Cela souligne, à son tour, que notre problème en tant qu’êtres humains marqués par le péché n’est pas seulement notre condition mais encore notre position « en Adam » ; c’est notre statut vis-à-vis du Dieu saint.
Parler de la justification au moyen de la foi seule pose, de même, toute une série de questions sur la vie chrétienne. Celle-ci se conçoit-elle comme le cheminement vers une acceptation plus grande par Dieu ou comme un don déjà reçu ? Un don que nous n’avons pas à obtenir mais qui nous a été fait, et dans la plénitude duquel nous avons à entrer plus entièrement. Un don qui trouvera sa plénitude dans notre transformation en l’image du Christ à la résurrection, mais qui est aussi une promesse sûre, parce que Dieu a déjà prononcé son verdict à notre sujet, verdict établi sur la base de la justice parfaite du Christ mise sur notre compte, et saisie – simplement – par la foi en lui.
Parler de la justification soulève, enfin, des questions au sujet du Christ lui-même. En particulier, l’œuvre du Christ est-elle entièrement suffisante en ce sens où l’appartenance au Christ – la participation à ses richesses et à son Esprit – est réellement tout ce dont nous avons besoin pour notre vie de chrétiens, comme le dit Colossiens 2.10 : « Vous avez tout pleinement en lui » ? Ce qui pose, par voie de conséquence, toute la question des médiations secondaires entre le Christ et le croyant. Si Jésus-Christ est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes, médiateur pleinement suffisant (1Tm 2,5-6), quel rôle pourrait-on confier à d’autres intermédiaires – les saints et Marie en particulier – qui n’amoindrisse pas de facto celui du Christ ?
En formulant ces interrogations, je le fais évidemment en tant que protestant, avec donc une certaine orientation. C’est toutefois mon souhait qu’en cherchant à répondre à ces questions et d’autres encore, nous puissions le faire, non comme protestants ou catholiques, mais comme celles et ceux qui se savent appartenir avant tout à Jésus-Christ et qui cherchent par conséquent à cheminer à la lumière de sa Parole.
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Conférence donnée en mars 2017 lors d’une journée d’étude œcuménique entre la Faculté Jean Calvin et le Studium Notre-Dame de Vie, à Saint-Didier (84). L’auteur a fait une présentation plus générale de certaines questions abordées dans cette conférence dans un article intitulé « La Nouvelle perspective donne-t-elle tort à Luther ? » (à paraître).↩︎
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E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism. A Comparison of Patterns of Religion, Londres, SCM, 1977. Sanders a approfondi ses recherches dans un deuxième ouvrage, Paul, the Law and the Jewish People, Minneapolis, Fortress Press, 1983, où il développe davantage ses premiers travaux en rapport avec des textes de l’apôtre Paul, corrigeant du reste certaines positions présentées dans Paul and Palestinian Judaism. Il est revenu sur le sujet dans un livre récent, Paul, The Apostle’s Life, Letters, and Thought, Fortress Press, 2015.↩︎
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M. Luther, « Préface au premier volume des œuvres latines de l’édition de Wittenberg », in Œuvres, t. 7, Genève, Labor et Fides, 1962, p. 307.↩︎
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Ibid. (italiques dans le texte).↩︎
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K. Stendahl, « Paul and the Introspective Conscience of the West », Paul Among Jews and Gentiles and Other Essays, Londres, SCM, 1977, p. 199-215.↩︎
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Cf. G.C. Berkouwer, The Church, Grand Rapids, Eerdmans, 1976, p. 286s.↩︎
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E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, p. 36-59, et passim.↩︎
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F. Turrettini, Institutes of Elenctic Theology (éd. J.T. Dennison, Jr), Phillipsburg, Presbyterian & Reformed, 1994, t. 2, XVI, Q iv, p. 638 (première édition 1696), reprend l’accusation de Bellarmin, selon laquelle les protestants « […] ne souffrent aucune idée d’une justice inhérente ». G.C. Berkouwer, Justification and Faith, Grand Rapids, Eerdmans, 1954, p. 94ss, développe également le contexte théologique de la discussion sur ce point au Concile de Trente.↩︎
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C’est une des thèses fondamentales de l’éthique de Luther au sujet de la vie chrétienne. Cf., notamment, son Traité de la liberté du chrétien (1520). Cf. aussi J.M.G. Barclay, Paul and the Gift, Grand Rapids-Cambridge, Eerdmans, 2015, p. 341 (et n. 30).↩︎
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J. Barclay, Paul and the Gift, p. 97ss, souligne que, chez Luther, la grâce se comprendra, non comme une substance – position courante à son époque –, mais comme une relation. Cf. aussi Catéchisme de l’Église catholique, § 1992, Paris, Centurion-Cerf-Fleurus-Mame-CECC, § 1999 (p. 488) : « La grâce du Christ est le don gratuit que Dieu nous fait de sa vie infusée par l’Esprit Saint dans notre âme pour la guérir du péché et la sanctifier : C’est la grâce sanctifiante ou déifiante, reçue dans le Baptême. Elle est en nous la source de l’œuvre de sanctification » (italiques dans le texte). Dans une perspective proche, le Catéchisme pour adultes des évêques de France. Alliance de Dieu avec les hommes, Paris, Centurion-Cerf, et alii, 1991, §381 (p. 276), souligne que « la grâce est fondamentalement le don que Dieu fait de sa vie. Elle est le fruit de l’œuvre du Christ. À l’endroit de l’homme pécheur, elle comporte un caractère ‘médicinal.’ »↩︎
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E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, p. 453-463.↩︎
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Ibid., p. 505-508 et passim.↩︎
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Ibid., p. 492.↩︎
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Ibid., p. 485-489.↩︎
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E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, p. 442 et passim.↩︎
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Ibid., p. 493 (italiques dans le texte). Ailleurs, Sanders écrit ceci (ibid., p. 506s) : « […] Parler de la justification par la foi ou de la participation au Christ revient, ultimement, au même. […] [En dehors de Rm, Ga et Ph 3] la justification par la foi, la réception de l’Esprit par la foi ou l’adoption filiale par la foi se mélangent avec un langage participationniste de façon à exclure toute possibilité de comprendre de façon systématique la justice comme un préliminaire forensique de la vie en Christ-Jésus ».↩︎
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J. Calvin, IRC, III, xi, 1, Aix-en-Provence-Marne-la-Vallée, Kérygma-Farel, 1978, p. 194 (texte de l’édition de 1560, en français modernisé).↩︎
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J. Calvin, IRC, III, xvi, 1, Aix-en-Provence-Charols, Kérygma-Excelsis, 2009, p. 730 (italiques dans le texte). Cf. aussi ibid., III, xi, p. 664.↩︎
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E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, p. 431-432. Sanders renonce donc à une analyse de la justification en 2 Thessaloniciens, Éphésiens, Colossiens et les Pastorales, comme aussi dans l’épître à Philémon (tenue pour authentique mais trop courte pour être utilement exploitée sur le sujet).↩︎
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Dikaiosynê te kai hagiasmos kai apolytrôsis.↩︎
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Tê diakonia tês katakriseôs.↩︎
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hê diakonia tês dikaiosynês.↩︎
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M.J. Harris, The Second Epistle to the Corinthians: A Commentary on the Greek Text (coll. NIGTC), Grand Rapids, Eerdmans, 2005, p. 287ss.↩︎
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Hina hêmeis genômetha dikaiosynê theou en autô.↩︎
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M.J. Harris, The Second Epistle to the Corinthians, p. 454.↩︎
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E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, p. 501-503 et passim.↩︎
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Cf. aussi 1Co 4.4 ; 6.11. En 1Co 15.56, Paul écrit encore : « L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; et la puissance du péché, c’est la loi. » Cette affirmation, faite en passant, est particulièrement significative en raison de la proximité avec certains énoncés de Galates et Romains. Si Paul la glisse au milieu d’une discussion sur la résurrection des morts sans la développer, c’est qu’il estime ses lecteurs en mesure de la comprendre. Elle a par conséquent toutes les chances de correspondre à un enseignement déjà transmis aux Corinthiens qui étaient pourtant, dans leur grande majorité, d’origine païenne. G.D. Fee, The First Epistle to the Corinthians (coll. NICNT), Grand Rapids, Eerdmans, 1987, p. 806, en conclut avec raison que la formulation implique que « […] les éléments qui ressortiront de façon approfondie en Galates et qui seront expliqués avec force détails en Romains étaient essentiels pour la théologie de Paul longtemps avant que la controverse judaïsante ne fasse irruption. »↩︎
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G.P. Waters, Justification and the New Perspective on Paul. A Review and Response, Phillipsburg, 2004, Reformed and Presbyterian, p. 167.↩︎
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J.D.G. Dunn, The Theology of Paul the Apostle, p. 354, cité in ibid., p. 105.↩︎
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A.T. Lincoln, Ephesians (coll. WBC), Nashville, Th. Nelson, 1990, p. 111.↩︎
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Rm 8.24.↩︎
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Cf. Rm 3.27-28 : « Où donc est le sujet de se glorifier ? Il est exclu. Par quelle loi ? Par la loi des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi. Car nous comptons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. »↩︎
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Bien souligné par A.T. Lincoln, Ephesians, p. 112ss.↩︎
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Ouk ex ergôn tôn en dikaiosynê ha epoiêsamen hêmeis.↩︎
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Hina dikaiôthentes tê ekeinou chariti.↩︎
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W.D. Mounce, Pastoral Epistles (coll. WBC), Grand Rapids, Zondervan, 2000, p. 447. Cf. Tt 2.14 ; 2Tm 1.9.↩︎
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Le langage est sacramentel. Paul y décrit l’œuvre de l’Esprit à l’aide de l’image du baptême car, suivant la symbolique baptismale, l’eau répandue figure le don de l’Esprit et y renvoie. L’association entre l’Esprit répandu et le baptême est donc manifeste sans pour autant que les deux soient identifiés. Cf. D. Cobb, « Baptême », in Dictionnaire de théologie biblique (sous dir. T.D. Alexander et B.S. Rosner), Cléon-d’Andran, Excelsis, 2006, p. 462.↩︎
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Il est vrai que ces versets ne parlent pas du rôle de la foi dans la justification mais, comme le remarque W.D. Mounce, Pastoral Epistles, p. 451, son absence s’explique par le caractère confessionnel du texte ; dans le contexte d’une confession de foi, l’accent est placé, tout naturellement, sur l’action de Dieu.↩︎
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Un troisième texte, 2Tm 1.9, va dans le même sens : « C’est lui qui nous a sauvés et nous a adressé un saint appel, non à cause de nos œuvres, mais à cause de son propre dessein et de la grâce qui nous a été donnée en Christ-Jésus avant les temps éternels. Cette grâce a été manifestée maintenant par l’apparition de notre Sauveur Christ-Jésus, qui a réduit à l’impuissance la mort et mis en lumière la vie et l’incorruptibilité par l’Évangile. »↩︎
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Cf. les remarques analogues de G.P. Waters, Justification and the New Perspective on Paul, p. 167.↩︎
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E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, p. 503-505, et passim.↩︎
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Catéchisme de l’Église catholique, § 1992 (p. 486). Ailleurs, le Catéchisme parle de la justification comme de « la grâce sanctifiante » ; § 1266 (p. 323). Cf. aussi le Concile de Trente, qui déclare, au sujet de la justification : « Sa cause formelle est la justice divine, non point celle par laquelle Dieu est lui-même juste, mais celle par laquelle il nous rend justes ; et par laquelle, puisque cela nous est accordé comme un don, nous sommes renouvelés dans notre esprit et notre pensée. De ce fait, nous ne sommes pas seulement comptés comme justes mais nous sommes réellement appelés et sommes justes, recevant chacun la justice en nous-mêmes, selon la mesure qui nous est propre ; laquelle justice l’Esprit distribue à tous selon sa volonté, suivant la disposition particulière et la coopération de chacun » ; cité in F. Turrettini, Elenctic Theology, t. 2, XVI, Q v (p. 638).↩︎
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wᵉhisdiqû et-hassaddiq. La LXX a traduit kai dikaiōsōsin ton dikaion.↩︎
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Traduction personnelle.↩︎
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masdiq rāša‘.↩︎
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Ex 23.7 ; Dt 25.1 ; 2S 15.4 ; 1R 8.32 ; 2Ch 6.23 ; Jb 27.5 ; Ps 82.3 ; Pr 17.15 ; Es 5.23 ; 50.8 ; 53.11. La seule exception se trouve en Dn 12.3, où l’expression ûmaṣdiqe hārabbim est discutée. Selon Köhler-Baumgartner, The Hebrew and Aramaic Lexicon of the Old Testament (sous dir. M.E.J. Richardson), Leyde, Brill, 1994-2000, elle aurait le sens d’« obtenir la justice pour la multitude ». Le Dictionary of Classical Hebrew (sous dir. D.J.A. Clines), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1993, propose celui de « conduire la multitude à la justice ».↩︎
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W. Arndt, F.W. Danker, W. Bauer, F.W. Gingrich, A Greek-English Lexicon of the New Testament and other early Christian Literature, University of Chicago Press, Chicago 20003 (BDAG).↩︎
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J.H. Moulton et G. Milligan, Vocabulary of the Greek Testament, Hodder & Stoughton, Londres, 1930.↩︎
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Dikaiôthentes oun ek pisteôs.↩︎