L’Évangile de Dieu le Créateur en Genèse 1

L’Évangile de Dieu le Créateur en Genèse 11

Gert KWAKKEL2

Introduction

Genèse 1 doit être lu comme un récit qui nous dit comment Dieu a fait le monde au commencement3. Il n’est donc pas étrange que les chrétiens étudient le chapitre afin d’en tirer des informations sur les détails techniques des origines de la terre et de toutes les créatures. Pour des raisons évidentes, cela conduit à un conflit avec les théories scientifiques telles que le big bang et le darwinisme. Cela est particulièrement vrai si l’on interprète Genèse 1 de manière littérale, par exemple en soulignant que les six jours étaient des jours « normaux » de vingt-quatre heures (ce qui, selon moi, reste l’interprétation la plus naturelle).

Quand on aborde cette question, beaucoup pourrait être dit sur la nature, la valeur et la fiabilité de l’évolutionnisme et des théories apparentées défendues par les scientifiques naturalistes. Mais ce n’est pas l’objectif de cet article. La raison principale pour laquelle j’ai fait ce choix est que je ne suis pas un spécialiste dans ces domaines. De plus, je suis convaincu que si nous voulons vraiment avancer dans le débat avec les sciences naturelles, il est absolument nécessaire d’avoir une conception claire et précise de ce que Genèse 1 affirme réellement. Ce n’est qu’alors que nous pourrons comparer le texte avec les théories évolutionnistes courantes. Dans cet article, mon objectif est d’apporter une légère contribution au développement d’une telle conception.

Plus concrètement, que vais-je aborder dans cet article ? Je pars du principe que, au moyen de Genèse 1, Dieu nous apporte une révélation de son œuvre au commencement. Mais cela n’implique pas nécessairement que l’objectif principal de ce chapitre soit de fournir des informations sur la nature exacte de ce qui s’est passé au commencement. Il est possible qu’en se concentrant sur la recherche de ce genre d’informations, on passe à côté des choses les plus essentielles que Dieu nous révèle dans ce texte.

Je me propose d’analyser brièvement le chapitre afin de présenter un point de vue sur son message central. Je ne tenterai pas de déterminer quels éléments doivent être compris littéralement et lesquels doivent être compris figurativement. J’essaierai plutôt de trouver comment un Israélite de l’époque de l’Ancien Testament a pu comprendre le premier chapitre de la Bible. Quel message a-t-il capté ? Pour trouver une réponse à cette question, plusieurs données tirées du texte seront comparées à d’autres textes parallèles de l’Ancien Testament. En principe, les données extérieures à l’Ancien Testament ne seront pas utilisées, pour la simple raison que nous manquons de temps pour le faire, mais aussi parce que mon exégèse se concentre sur les Israélites de la période vétérotestamentaire.

1. La déclaration introductive : Genèse 1.1

« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » (Gn 1.1)4 Il est probable que nombre de lecteurs modernes interprètent le verset introductif de la Bible comme une affirmation faisant référence au premier acte créateur de Dieu : avant que Dieu ait fait la lumière au premier jour, il avait déjà créé le ciel et la terre. Le « ciel » est alors compris comme la demeure céleste de Dieu, et la « terre » comme la planète sur laquelle nous vivons. Toutefois, il semble douteux que le texte doive être lu de cette manière5.

Premièrement, Genèse 1.7-8 dit que le deuxième jour Dieu fit l’étendue, ou firmament, qui est appelé « ciel ». Ici le même mot hébreu qu’au verset 1 est utilisé (shamayim6). Apparemment, l’objet créé par Dieu « au commencement » selon le verset 1 a été fait par lui le deuxième jour selon les versets 7-8. La seule façon d’échapper à cette conclusion est de supposer qu’au verset 1 le mot « ciel » fait référence à la demeure céleste de Dieu, alors qu’il désigne le firmament aux versets 7-8. Une telle supposition semble peu probable, car la référence au firmament convient bien dans tous les autres versets de Genèse 1 où le mot apparaît (v. 9, 14, 15, 17, 20, 26, 28, 30), alors que la demeure céleste de Dieu ne joue aucune rôle dans le reste du chapitre. De plus, il est peu probable que les Israélites aient fait une distinction aussi nette entre le firmament et la demeure céleste de Dieu comme présupposé dans cet argument7. L’interprétation la plus évidente est donc que Dieu n’a pas fait les shamayim ou les cieux avant le deuxième jour.

Deuxièmement, concernant la terre, Genèse 1.9 dit que le troisième jour Dieu amassa les eaux qui étaient au-dessous du ciel, afin que la terre ferme apparaisse. Puis, « Dieu appela la terre ferme ‹terre›, et il appela la masse des eaux ‹mer » (v. 10). Ici le même mot est utilisé pour terre qu’au verset 1 (’erets). À ce propos, il faut noter que le verset 10 ne dit pas que Dieu fit ou créa la terre le troisième jour. Il l’a seulement laissée apparaître. La terre était déjà là, mais elle n’était pas encore visible, parce qu’elle était couverte par les eaux (cf. v. 2). Deux choses découlent de cette observation. D’une part, les versets 9-10 n’excluent pas l’idée que Dieu avait déjà créé la terre et que le verset 1 fait référence à cet acte créateur antérieur. D’autre part, le verset 10 montre que le mot « terre » (’erets) ne désigne pas notre planète. La terre est mise en contraste avec les eaux ou les mers et correspond donc à la terre ferme. Cela est confirmé par plusieurs autres textes dans lesquels la terre (’erets) apparaît, tels que :

  • Genèse 8.13 : « L’an six cent un, le premier jour du premier mois, les eaux avaient séché sur la terre. » De toute évidence, les eaux n’avaient pas séché sur toute la planète.

  • Exode 20.11 : « […] le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve […]. » Ici la « terre » est distinguée de la mer, comme en Genèse 1.10.

Dans une certaine mesure, cela est évident, du fait que les Israélites ne concevaient pas la terre comme un globe flottant dans l’univers, comme nous le faisons quand nous parlons de « notre planète terre ». Il faut en être conscient, sinon on risque de mal comprendre le tableau brossé en Genèse 1 et d’aboutir à des anomalies. Les Israélites de l’époque de l’Ancien Testament ont certainement lu Genèse 1 à partir de la cosmologie qui leur était familière et qui transparaît également dans ce chapitre. Pour le dire brièvement, cette cosmologie impliquait que les humains vivaient sur la terre ferme (’erets), entourée d’eau (les mers) et surmontée du firmament (shamayim).

Pour revenir à Genèse 1, que signifie ce verset ? Pour le comprendre, il ne faut pas seulement avoir à l’esprit la signification des mots « ciel » et « terre » pris séparément (c’est-à-dire « le firmament » et « la terre sèche »). Associés l’un à l’autre, ces deux mots prennent un sens supplémentaire. On peut déduire cela de la comparaison entre Exode 20.11 et Exode 31.17. En Exode 20.11, il est dit :

Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, et il s’est reposé le septième jour […].

Le texte fait évidemment référence à l’ensemble de l’œuvre accomplie par Dieu en six jours. Toute la création est brièvement désignée par « le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve ». Exode 31.17 est un verset parallèle semblable. Toutefois, il ne mentionne ni la mer ni « tout ce qui s’y trouve ». Il n’y est question que du ciel et de la terre :

Ce [c’est-à-dire le sabbat] sera entre moi et les Israélites un signe pour toujours ; car en six jours le Seigneur a fait le ciel et la terre, et le septième jour il s’est reposé et il a repris haleine.

Toute l’œuvre de création est ici désignée par l’expression « le ciel et la terre ». On le voit aussi au Psaume 124.8 :

Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre.

À l’évidence, ce verset n’affirme pas que Dieu n’a rien fait d’autre que le ciel et la terre. En le qualifiant de créateur du ciel et de la terre, le psalmiste acclame le Seigneur comme le créateur de toutes choses.

Ces quelques exemples suffisent à montrer que lorsque le ciel (shamayim) et la terre (’erets) sont combinés dans l’expression « le ciel et la terre », ils peuvent représenter toute la création, l’ensemble du cosmos8. Selon moi, c’est aussi l’interprétation la plus naturelle de Genèse 1.1. Le verset n’affirme pas que Dieu a créé sa demeure céleste et notre planète, ni qu’il a créé le firmament et la terre sèche. Il affirme qu’il a créé toutes choses, le cosmos tout entier.

Cette interprétation est confirmée par Genèse 2.1 et 4a. Genèse 2.1 renvoie à 1.1 et conclut tout ce qui a été relaté en Genèse 1 en disant :

Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et toute leur armée.

Genèse 2.4a résume ce qui a été dit jusque-là et le rattache à ce qui suit par la formule des toledoth :

Voilà la généalogie [hébreu : Voilà les toledoth] du ciel et de la terre, quand ils furent créés.

Genèse 1.1 résume donc toute l’œuvre de Dieu qui va être décrite ensuite. Le verset sonne comme un appel solennel : « Au commencement Dieu créa toutes choses ! Par conséquent, toute la gloire doit lui être rendue ! » Il est vrai que le chapitre n’utilise pas le nom personnel de Dieu, Yahvé. Néanmoins, les Israélites fidèles, qui entendaient ces mots et savaient comment l’histoire se poursuivait après Genèse 1, les ont sans doute rapportés à leur Dieu national. C’est lui le Créateur du monde, et personne d’autre !

2. Commencement et première fin de l’histoire : versets 2 et 3 à 31

Si 1.1 résume tout le chapitre, le verset implique que Dieu a créé la terre, mais il ne nous dit pas à quel moment il l’a fait. Les spéculations sont possibles, mais on ne peut parvenir à aucune certitude. Cela est également vrai des ténèbres, de l’abîme et des eaux mentionnés au verset 2. À l’évidence, l’objectif de Genèse 1 n’est pas de nous donner des indications précises sur le moment et la façon dont Dieu a fait ces éléments de la création.

On peut se rapprocher de l’intention du texte en examinant plus précisément le verset 2, qui dit :

La terre était informe et vide ; il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, mais l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux.

C’est le point de départ, que le lecteur devrait prendre en compte pour comprendre la visée de ce qui suit.

Le verset dit, tout d’abord, que la terre était – en hébreu – tohu wa bohu (informe et vide). Ces mots apparaissent aussi en Ésaïe 34.11 et Jérémie 4.23. Dans les deux cas, ils sont employés dans le contexte d’une description prophétique d’une destruction qui rend l’endroit inhabitable pour les humains9. On peut déduire la même chose d’Ésaïe 45.18, qui a aussi tohu mais n’a pas bohu. Là le Seigneur dit qu’il n’a pas créé la terre « pour être vide » (tohu), mais au contraire « pour être habitée ». Manifestement, tohu est opposé à « être habitée » et fait référence à la terre comme à un endroit où les gens ne peuvent pas vivre.

On pourrait en dire tout autant de deux autres entités dont il est question en Genèse 1.2, à savoir les ténèbres et l’abîme (hébreu tehom). L’obscurité est de toute évidence une condition préalable à la vie, car elle nous permet de dormir et de reprendre des forces (cf. Ps 104.20-23). De même, les eaux de l’abîme peuvent être mentionnées comme des bénédictions, car elles sont nécessaires pour arroser les champs (voir Gn 49.25 ; Dt 33.13). Toutefois, les ténèbres, l’abîme et les eaux sont également des éléments de la création qui effrayaient les Israélites. Dans l’Ancien Testament, les « ténèbres » ont surtout des connotations négatives10. Ce n’est certainement pas une coïncidence si l’avant-dernière plaie ayant frappé l’Égypte, avant la mort des premiers-nés, a consisté en trois jours d’obscurité totale11. Pour ce qui est de l’abîme, les Israélites étaient tout à fait conscients de la puissance destructrice de l’eau. Plusieurs psaumes en témoignent12. De plus, ils savaient à partir de l’histoire du déluge que la terre pouvait être rendue inhabitable par les eaux venant de l’abîme et des écluses du ciel (Gn 7.11 ; 8.2 ; cf. aussi Ez 26.19).

Sans obscurité ou sans eau, la vie est impossible, mais cela ne change rien au fait que tant que la terre est enveloppée de ténèbres et couverte d’eau, l’homme ne peut y vivre. C’est la situation décrite en Genèse 1.2. Pourtant le verset semble se terminer sur une note positive, car il dit que l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. Il est difficile d’être certain de la bonne manière d’interpréter ces derniers mots13, mais la présence de l’Esprit de Dieu peut être comprise comme la promesse de meilleures choses à venir, l’Esprit étant connu comme la source de vie14.

Quoi qu’il en soit, les versets suivants racontent ce que Dieu a fait pour changer la situation inhospitalière dépeinte en Genèse 1.2. Le premier jour, Dieu fait la lumière et la sépare des ténèbres. Il ne supprime pas les ténèbres, mais il leur attribue leur propre place, c’est-à-dire « une place dans le temps », la nuit. Une limite est ainsi imposée aux ténèbres. Elles ne sont plus omniprésentes (Gn 1.3-5). Puis ce sont les eaux qui se voient attribuer une place délimitée. Le deuxième jour, Dieu divise en deux parties les eaux de l’abîme qui couvraient la terre. Il fait cela au moyen du firmament ou de l’étendue, qu’il met au milieu des eaux (Gn 1.6-8). Mais ce n’est que le premier pas pour délivrer la terre de la domination des eaux. Dieu complète par son premier acte créateur du troisième jour. Il fait s’amasser les eaux qui sont au-dessous de l’étendue en un seul lieu, afin que la terre ferme apparaisse (Gn 1.9-10). À partir de là, il y a un endroit où l’homme peut se tenir et marcher, sans risquer de se noyer.

Ce n’est probablement pas une coïncidence si l’expression « Dieu vit que cela était bon » n’est utilisée qu’après l’apparition de la terre ferme (Gn 1.10). L’expression n’apparaît pas dans le récit du deuxième jour15. L’étendue pouvait probablement être considérée aussi comme une bonne chose. Néanmoins, elle n’est pas explicitement désignée comme telle, car elle ne suffit pas pour réaliser le dessein de Dieu, c’est-à-dire faire de la terre un lieu plus hospitalier.

Après son premier acte créateur du troisième jour, Dieu continue son œuvre en ordonnant à la terre de produire des plantes et des arbres fruitiers (Gn 1.11-13). Le texte souligne que les plantes et les arbres fruitiers sont porteurs de semence. En tant que tels, ils sont capables de se reproduire et de survivre. De plus, cet aspect revient au verset 29. Là, Dieu donne les plantes et les fruits à l’homme, afin qu’il puisse les avoir pour nourriture. Si donc on regarde les versets 11 et 12 à la lumière du verset 29, on voit pourquoi Dieu a ordonné à la terre de produire des plantes et des arbres fruitiers porteurs de semence. Il a fait cela afin de pourvoir aux besoins de l’homme.

Quand ils entendaient ou lisaient le récit élaboré du quatrième jour (Gn 1.14-19), les Israélites comprenaient certainement qu’il s’agissait de la création du soleil, de la lune et des étoiles. Mais ils étaient sans doute frappés que le texte n’utilise jamais les mots hébreux pour soleil et lune (shemesh et yareach). Ils sont appelés « le grand luminaire » et « le petit luminaire » (v. 16). Manifestement, cela est lié au fait que, pour les autres peuples vivant dans le Proche-Orient ancien, le soleil et la lune étaient des dieux puissants. Les Israélites eux-mêmes ont souvent été tentés de suivre leur exemple et de rendre un culte aux corps célestes16. Selon Genèse 1.16, 18, le soleil et la lune sont bien chargés de dominer, mais leur domination est limitée au jour et à la nuit, et ne s’étend pas à l’homme. En eux-mêmes, ils ne sont rien de plus que des luminaires que Dieu a suspendus à l’étendue. De plus, Dieu n’avait pas vraiment besoin d’eux pour faire briller la lumière, puisque, avant leur création, la lumière avait déjà brillé pendant trois jours !17 Il n’y avait donc aucune raison de rendre un culte au soleil, à la lune ou aux étoiles, ni de les craindre comme s’il s’agissait d’êtres puissants susceptibles de menacer le peuple de Dieu.

Le récit du cinquième jour (Gn 1.20-23) présente également un élément qui pourrait avoir effrayé les Israélites, car il dit qu’en plus des oiseaux et de toutes sortes d’animaux marins Dieu créa « les grands monstres marins » (v. 21 ; hébreu tanninim)18. Dans ce cas, le texte ne précise pas comment Dieu a restreint le potentiel destructeur de ces créatures. Il dit simplement que Dieu les a appelés à l’existence, a vu que cela était bon et les a bénis. Le texte laisse ainsi au lecteur le soin de conclure que malgré l’existence de ces monstres, les hommes peuvent vivre en toute sécurité. Le lecteur ne peut tirer cette conclusion que s’il est convaincu que, puisque Dieu a estimé que le résultat de son œuvre créatrice était bon, cela doit être bon pour lui aussi. Autrement dit, il doit faire confiance à Dieu.

De toute évidence, la création de l’homme le sixième jour est non seulement le dernier élément de l’œuvre créatrice de Dieu en Genèse 1, mais aussi son point culminant. Plusieurs éléments en Genèse 1.26-28 le montrent clairement. Premièrement, c’est le seul passage en Genèse 1 qui commence par une délibération et une décision divines (« Faisons l’homme […] », v. 26). Deuxièmement, l’homme est créé à l’image et selon la ressemblance de Dieu. De quelque manière que l’on interprète cette expression très débattue, celle-ci élève l’homme au-dessus des autres créatures. Troisièmement, tout comme les animaux marins et les oiseaux (v. 22), l’homme reçoit la bénédiction de Dieu, mais en plus de cela Dieu lui donne la domination sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui fourmillent sur la terre19. Cela est suffisant pour démontrer que l’homme est le couronnement de l’œuvre créatrice de Dieu.

Selon le verset 29, Dieu pourvoit également aux besoins de l’homme en lui octroyant pour nourriture les plantes et les arbres fruitiers porteurs de semence. Puis le verset 30 précise que Dieu donne également de la nourriture aux plus proches compagnons de l’homme dans la création, c’est-à-dire les oiseaux et les animaux qui vivent sur la terre. Enfin, le dernier acte de Dieu en ce sixième jour consiste à considérer tout ce qu’il a fait et à conclure que cela est très bon (v. 31).

Bien évidemment, « tout ce que Dieu avait fait » comprend l’homme comme créature également considérée comme bonne. Néanmoins, le texte ne dit pas que Dieu a vu l’homme (et la femme) et a considéré que cela était bon (comme il le fait au v. 25 pour les animaux). Il se peut que l’auteur ait simplement voulu éviter la répétition. Mais j’aimerais proposer une autre explication. J’ai essayé de démontrer que le but de Genèse 1 était d’exposer comment Dieu avait fait de la terre, qui était inhabitable au commencement (v. 2), un endroit hospitalier pour l’homme. Si tel est bien le cas, est bon ce qui contribue à la réalisation de ce dessein. Aussi la création du firmament le deuxième jour n’a-t-elle pas été déclarée bonne, parce qu’elle devait être suivie de l’apparition de la terre ferme le troisième jour. En ce qui concerne la création de l’homme, peut-être celle-ci n’a-t-elle pas été déclarée bonne, parce qu’elle ne sert pas le dessein de faire de la terre un endroit sûr pour l’homme. C’est l’homme lui-même, au contraire, qui doit bénéficier de la réalisation de ce dessein !

En conclusion, Genèse 1 ne présente pas tous les détails que nous aimerions trouver pour savoir de quelle manière Dieu a fait toutes choses. Les Israélites qui entendaient ou lisaient ce chapitre auraient plutôt compris que, bien qu’il y ait plusieurs éléments effrayants dans la création, Dieu a fait de la terre un endroit bon et sûr pour l’homme. Voilà le message – ou du moins une partie importante du message – qu’ils auraient retiré de Genèse 1.

3. Seconde fin de l’histoire : Genèse 2.1-3

Pourtant, Genèse 1.31 n’est pas la fin définitive de l’histoire. La transition vers l’histoire suivante est marquée par la formule des toledoth, qui n’apparaît pas en Genèse 2.1, mais seulement en 2.4a. En outre, Genèse 2.1-3 relate ce que Dieu a fait le septième jour, en plus de ce qu’il avait fait les six jours précédents. Par conséquent, les trois premiers versets de Genèse 2 font également partie de l’histoire commençant en Genèse 1.1. Ils devraient être pris en compte. Maintenant que l’œuvre de création est achevée, Dieu peut prendre un jour de repos (Gn 2.1-2). De plus, Dieu attribue à ce jour un statut particulier. Il le bénit et le sanctifie (v. 3)20. Qu’est-ce que cela signifie ? Je propose qu’en bénissant ce jour, Dieu en fait une source de puissance. En le sanctifiant, il le distingue des autres jours comme devant lui être consacré d’une manière particulière. Il se peut également que ce jour représente tous les autres jours. Tous les jours doivent ainsi être consacrés à la gloire du Créateur.

En réalité, le texte n’affirme pas qu’à ce moment-là Dieu ait déjà ordonné à l’homme de suivre son exemple et de mettre à part le septième jour comme jour de repos, mais il l’a fait plus tard (Ex 20.8-11 ; cf. aussi Ex 16.22-30). Par conséquent, les Israélites, qui connaissaient le quatrième commandement, ont certainement fait le lien entre le récit de Genèse 2.1-3 et le sabbat. Ils se sont rendu compte que c’était l’intention de Dieu, dès le commencement, que toute créature en tout temps cherche à adorer Dieu.

Cela est confirmé par un petit détail dans le récit du quatrième jour en Genèse 1.14. Selon ce verset, une des fonctions des luminaires dans l’étendue (c’est-à-dire le soleil, la lune et les étoiles) est de marquer les « temps » (mo‘adim ; la Bible du Semeur a « saisons »). Dans plusieurs textes, le mot hébreu employé ici désigne une fête religieuse comme la Pâque et la fête des Tabernacles (ou des Cabanes), et cela pourrait bien être ce qu’un Israélite moyen aurait compris en entendant ou lisant le terme21. S’il en est ainsi, il aurait certainement compris que les corps célestes avaient été créés pour lui indiquer les moments où il était appelé à rendre un culte à Dieu d’une manière particulière.

Dans plusieurs publications, John H. Walton a défendu l’idée selon laquelle le début de la Genèse décrirait la création du cosmos comme la construction d’un temple, dans lequel Dieu aurait voulu vivre avec l’homme et être servi par lui22. Malheureusement, je n’ai pas encore trouvé le temps d’analyser et de vérifier cette théorie. Toutefois, si Walton a vu juste, cela ajoute de nouvelles dimensions à l’argument fondé sur Genèse 2.1-3 développé plus haut.

Conclusion

Pour conclure, je vais résumer ce que nous avons découvert jusqu’ici et ajouter quelques réflexions.

Quel est le message qu’un Israélite aurait entendu en Genèse 1 (y compris 2.1-3) ? Premièrement, il aurait compris que Dieu seul – son Dieu – est le Créateur de toutes choses. Aucun autre dieu ne devrait être loué et glorifié pour cela. Deuxièmement, au commencement Dieu a fait tout ce qu’il fallait pour rendre la vie humaine sur terre possible et fructueuse. À cette fin, il n’a pas supprimé tous les éléments qui pourraient effrayer les hommes. Il a pourtant fait en sorte que tout ce qu’il avait fait soit « très bon », ce qui implique au moins qu’il a organisé le cosmos de telle manière que la terre soit un endroit sûr et hospitalier pour l’homme. Troisièmement, l’objectif de tout cela était que l’homme consacre sa vie et son temps à la gloire de Dieu, son Créateur.

Toutefois, les Israélites pouvaient également se rendre compte que le monde dans lequel ils vivaient différait de la création telle qu’elle était au commencement. Nous qui vivons au xxie siècle, nous ne connaissons pas non plus la terre comme un endroit sûr. À partir de Genèse 2.4, la Bible va expliquer pourquoi il en est ainsi. L’auditeur ou le lecteur attentif de Genèse 1.1-2.3 a peut-être déjà une idée de la manière d’échapper à cette situation. Si Dieu avait fait de la terre un endroit sûr à l’origine afin que l’homme puisse lui consacrer sa vie, la terre ne peut redevenir un endroit sûr que si l’homme œuvre dans ce sens. Autrement dit, la sécurité et le bien-être de la création dépendent de la volonté de l’homme de donner sa vie et son temps à Dieu. Quand il fait cela, l’homme n’est pas livré à ses propres ressources. Genèse 1 révèle ce que Dieu a voulu faire dès le commencement et, puisqu’il est connu comme un Dieu fidèle, nous pouvons être certains qu’il atteindra son but. Il en est ainsi parce qu’il est également le Dieu omnipotent, qui a montré sa puissance de manière extraordinaire dans la création du monde. Bref, on peut entendre l’Évangile du Créateur en Genèse 1.1-2.3. Cet Évangile nous invite certainement à admirer la création et à la protéger autant que possible. Mais Dieu lui-même doit être au cœur de notre théologie de la création. Il est celui qui a tout créé et qui amènera le ciel et la terre à leur plein accomplissement. À lui soit la gloire.


  1. Le contenu de cet article a été présenté lors d’un atelier de la 4e conférence internationale et 62e rencontre annuelle de la Société théologique évangélique de Corée, les 18 et 19 octobre 2013.

  2. G. Kwakkel est professeur d’Ancien Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence et à la Faculté de théologie des Églises réformées (libérées) de Kampen (Pays-Bas).

  3. Le mot « récit » n’exclut pas les aspects poétiques de Genèse 1, toutefois, malgré les aspects poétiques, le chapitre a plus en commun avec la narration qu’avec la poésie.

  4. Dans cet article, les citations bibliques sont tirées de la NBS, sauf indications contraires.

  5. Comme le savent de nombreux spécialistes, Genèse 1.1-3 pourrait aussi être analysé comme une longue période : « Quand Dieu commença à créer le ciel et la terre – la terre étant informe et vide, avec des ténèbres au-dessus de l’abîme et un souffle de Dieu planant au-dessus des eaux –, Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. » (JPS Tanakh, 1985) Cette question n’ayant pas d’incidence sur l’argument de notre article, nous la laissons de côté. Pour en savoir plus, voir, p. ex., Gordon J. Wenham, Genesis 1–15, Word Biblical Commentary, Waco, Word Books, 1987, p. 11-13 ; Victor P. Hamilton, The Book of Genesis. Chapters 1–17, The New International Commentary on the Old Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1990, p. 103-108.

  6. Notez que shamayim n’existe qu’au pluriel en hébreu et peut être traduit par ciel ou cieux.

  7. Voir Cornelis Houtman, Der Himmel im Alten Testament. Israels Weltbild und Weltanschauung, Leiden, Brill, 1973, p. 65-66.

  8. Pour plus de détails, voir Houtman, Himmel, p. 26-84.

  9. Cf. Ésaïe 34.10b, où il est dit au sujet du pays d’Édom qu’« à tout jamais personne n’y passera », et Jérémie 4.25 : « Je regarde : l’homme n’est plus ; et tous les oiseaux du ciel ont pris la fuite. »

  10. Voir, p. ex., 1S 2.9 ; Jb 5.14 ; Ps 35.6 ; Pr 20.20 ; Ec 2.13-14 ; 5.16 ; Es 5.30 ; 47.5 ; Jr 3.16 ; Ez 32.8 ; Jl 2.2 ; Am 5.18, 20 ; Mi 7.8 ; So 1.15. Notez que selon Genèse 1.4 Dieu vit que la lumière était bonne, mais le texte n’en dit pas autant des ténèbres.

  11. Il se peut que la neuvième plaie ait signifié davantage pour les Égyptiens que pour les Israélites, car le soleil était leur dieu suprême. Cela dit, les Israélites ont certainement perçu cette plaie comme une des choses les plus graves qui pouvaient se produire.

  12. Voir, p. ex., Ps 32.6 ; 42.8 ; 46.4 ; 69.2-3, 15-16 ; 93.3-4 ; 124.4-5.

  13. Le mot hébreu traduit par « Esprit » peut aussi être traduit par vent, alors que « Dieu » (’Elohim) pourrait être compris comme un superlatif, ce qui donnerait : « un vent violent tournoyait au-dessus des eaux ». Suivant cette interprétation, la fin du verset ajouterait simplement un élément au tableau de la condition inhabitable et inhospitalière de la terre. Il semble toutefois improbable que ’Elohim soit tout à coup employé comme un superlatif, alors qu’il désigne invariablement le seul vrai Dieu dans tous les autres versets de Genèse 1 où le mot apparaît. Pour plus de détails, voir, p. ex., Wenham, Genesis 1–15, p. 16-17 ; Hamilton, The Book of Genesis. Chapters 1–17, p. 111-114.

  14. Cf. Ps 51.13 ; 104.30 ; Es 32.15 ; 44.3 ; Ez 36.27 ; 37.14 ; Jl 3.1-2 ; Ag 2.5.

  15. C’est-à-dire dans le texte massorétique. L’expression apparaît dès le deuxième jour dans la Septante, mais cela est peut-être dû à un souci d’harmonisation.

  16. Cf. Dt 4.19 ; 17.3 ; 2R 23.5 ; Jr 8.2 ; cf. aussi Jb 31.26-28.

  17. Notez que même si nous voulions savoir comment la lumière a pu briller pendant trois jours avant que les corps célestes ne soient là, Genèse 1 passe cette question sous silence. Ecclésiaste 12.2, où la lumière est distinguée du soleil, de la lune et des étoiles, pourrait indiquer que la question ne préoccupait pas du tout les Israélites.

  18. L’aspect effrayant de ce genre de monstres marins peut être déduit de Jb 7.12 ; Ps 74.13 ; Es 27.1 ; 51.9 ; Ez 29.3 ; 32.2.

  19. Notez que ni le v. 26 ni le v. 28 ne disent que l’homme a reçu la domination sur les monstres marins (tanninim). Ceux-ci sont peut-être compris dans les poissons de la mer mentionnés dans les deux versets, mais même s’il en est ainsi, le lecteur doit tirer lui-même cette conclusion. Il doit donc une fois de plus faire confiance au jugement de Dieu quand il déclare que son œuvre est bonne.

  20. Notez que jusqu’ici Dieu n’a béni que les poissons, les oiseaux et l’homme (Gn 1.22, 28).

  21. Voir, p. ex., Lv 23.2, 4, 37, 44 ; Nb 10.10 ; 2Ch 8.13 ; Es 1.14 ; Ez 46.9, 11.

  22. Voir, p. ex., le volume de Walton sur la Genèse dans The NIV Application Commentary Series, Grand Rapids, Zondervan, 2001, et son livre récent Genesis 1 as Ancient Cosmology, Winona Lake, Eisenbrauns, 2011.

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