Vrais et faux prophètes

Vrais et faux prophètes

Ron BERGEY*

Introduction

Tout comme pour la royauté, les origines de l’office prophétique remontent à la demande du peuple, une requête agréée par Dieu (Dt 18.16-17)[1]. Lors de l’octroi de la loi au Sinaï, le peuple eut peur et ne voulait plus entendre directement la voix de l’Eternel (Ex 20.19). Depuis, il l’a entendue par le truchement de Moïse et des prophètes. Entendre la parole de l’Eternel transmise par les prophètes est ce qui distingue Israël de toutes les autres nations (Dt 4.5-8). Les nations ont recours à la sorcellerie, à l’astrologie, à la divination, à la magie et à la consultation des morts (Dt 18.9-14a)[2]. Mais pour Israël, écouter ces voix, c’est interdit (v. 14b). En revanche, comme Moïse le lui rappelle : « L’Eternel, ton Dieu, fera surgir pour toi et du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi : c’est lui que vous devrez écouter. » (Dt 18.15)[3]. Quant à la tâche de ce prophète, Dieu dit à Moïse : « … Je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. » (18.18b)[4] Les « paroles dans sa bouche », c’est la parole prophétique qui forgera l’histoire du peuple élu, guidera son présent et dévoilera son avenir[5].

Le mandat prophétique, précisé dans ces brèves déclarations, se trouve parmi des prescriptions deutéronomiques avertissant le peuple qu’il y aura, parmi eux, ceux qui vont se doter eux-mêmes de cette vocation. Ils prétendront parler au nom de l’Eternel tout comme ceux que Dieu lui-même aura suscités (18.20, 22). D’où vient le problème : vrais et faux prophètes[6]

E.J. Young, ancien professeur d’Ancien Testament à Westminster à Philadelphie, dans son livre classique sur les prophètes, a fourni des réponses pertinentes quant à la distinction entre les deux[7]. La particularité d’un vrai prophète, dit-il, est que Dieu lui adresse cette vocation. Ce n’est pas le prophète qui la choisit. Une fois appelé, il exerce le rôle de médiateur entre Dieu et le peuple par le truchement de la parole divine que Dieu lui révèle. De ce fait, ce qu’il dit est vrai. Le peuple doit l’écouter (Dt 18.19). Concernant le faux prophète, puisqu’il n’est pas divinement appelé, il n’exerce pas le rôle de médiateur. Selon Young, c’est un prétendant au ministère prophétique. Les faux prophètes disent ce que le peuple veut entendre. Leurs messages ne viennent pas de Dieu. Certains ont prophétisé sous l’emprise de mauvais esprits mais, le plus souvent, ils ont parlé d’un cœur trompé (Ez 13.2-3, 9). Après avoir discuté des facteurs extérieurs qui auraient pu motiver les faux prophètes à s’engager dans cette mission (argent, estime des autres, etc.), Young conclut en disant : « La vraie raison pour l’existence de la fausse prophétie… se trouve… dans la corruption du cœur humain.[8] » A ce dernier point, on peut ajouter que la corruption est aussi dans le cœur de l’auditoire qui, ne voulant pas écouter la véritable parole de Dieu, préfère avoir ses oreilles chatouillées par un autre discours, même s’il sait parfois que c’est faux. 

 

Shalom M. Paul, rabbin et professeur émérite de Bible à l’Université Hébraïque de Jérusalem, résume aussi très bien le rôle du vrai prophète : « Le prophète est…un médiateur d’alliance qui prononce la parole de Dieu à son peuple afin de pouvoir donner forme à son avenir en reformant son présent ». Il poursuit en disant : « Il n’est pas la source ultime de son message ni le destinateur final ; il est l’intermédiaire qui a l’expérience redoutable d’entendre la parole divine et celui qui doit exécuter la tâche pénible de la porter à un auditoire souvent indifférent sinon hostile[9]. » A partir de ses affirmations, on peut extrapoler négativement ce qu’est un faux prophète. Il n’est pas un médiateur d’alliance. Il ne reçoit pas la parole de Dieu mais il parle de son propre chef. Il est bien accepté, car il ne reproche pas au peuple sa mauvaise conduite. Au contraire, il veut lui faire plaisir. Il dit donc ce qu’il est agréable d’entendre.

I. Le vocable « faux prophète »

La tournure « faux prophète » ne figure pas dans le texte normatif de l’Ancien Testament. Vrai ou faux, dans le canon hébreu, il est simplement qualifié de « prophète » (nabî’). En revanche, dans la Septante (dorénavant LXX), le vocable pseudoprophetais se trouve neuf fois dont huit occurrences en Jérémie[10]. Avec ce qualificatif ajouté à la traduction du texte hébreu, en voici des exemples :

« En effet, du petit d’entre eux jusqu’au plus grand, #tous sont assoiffés de profit. #Depuis le [LXX faux] prophète jusqu’au prêtre, #tous pratiquent le mensonge [faux]. Ils remédient superficiellement au désastre de mon peuple: #‘Tout va bien ! Tout va bien !’ disent-ils, #mais rien ne va (Jr 6.13-14).

Alors les prêtres et les [faux] prophètes dirent aux chefs et à tout le peuple : « Cet homme [Jérémie] mérite d’être condamné à mort, car il a prophétisé contre cette ville, comme vous l’avez entendu de vos propres oreilles (26.11; LXX 33.11).

 Et vous, n’écoutez pas vos [faux] prophètes, vos devins, vos rêves, vos astrologues, vos sorciers, ceux qui vous affirment que vous ne serez pas asservis au roi de Babylone ! (Jr 27.9 ; LXX 34.9) » 

 

Dans le Nouveau Testament, ce vocable est employé onze fois. Jésus et les apôtres avertissent l’Eglise de la présence de ces prophètes qui surgiront du sein d’elle. Par exemple :

« Car il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes; ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire, s’il était possible, même les élus. » (Mt 24.24)

 Malheur à vous si tous les hommes disent du bien de vous, car c’est ainsi que leurs ancêtres agissaient avec les faux prophètes ! (Lc 6.26) 

De faux prophètes sont apparus autrefois dans le peuple d’Israël ; de même, de faux enseignants apparaîtront parmi vous. Ils introduiront des doctrines fausses et désastreuses, et rejetteront le Maître qui les a sauvés […]. Par amour du gain, ces faux enseignants vous exploiteront au moyen de raisonnements trompeurs (2 P 2.1, 3a)[11].

 

Comme nous le verrons, ces versets tirés de Jérémie et du Nouveau Testament révèlent certaines caractéristiques d’un faux prophète mentionnées dans le Deutéronome : maniement de la divination, faiseurs de signes d’origine fortuite, prophéties induisant le peuple en erreur. Parallèlement, ils soulèvent plusieurs éléments nouveaux : paroles doucereuses, persécuteurs de vrais prophètes, désir du gain financier, comportement corrompu.

II. Faux prophètes dans le Deutéronome

Il y deux sortes de faux prophètes traitées en Deutéronome : 1°) ceux qui ne prétendent pas être prophètes de Dieu et 2°) ceux qui l’affirment. Au chapitre 13, c’est un prophète qui incite le peuple à suivre d’autres dieux (v. 3 ; cf. 18.20). Celui-ci est donc facilement reconnaissable comme faux, tout comme le prophète qui a recours à la divination (18.9-12; cf. n. 2 plus haut). En revanche, au chapitre 18, il s’agit d’un prophète qui prétend parler au nom de Dieu (v. 20). C’est surtout ce dernier type de faux prophète qui nous intéresse. Comment discerner, dans ce cas, le faux prophète d’un vrai ?

 

1. Deutéronome 18

En rapport avec le sixième commandement, le chapitre 18 du Deutéronome élargit l’horizon de l’autorité civile et religieuse et y inclut les prêtres (v. 1-8) et les prophètes (v. 9-22). Concernant un vrai prophète, Dieu dit : « Je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur [ses frères] dira tout ce que je lui ordonnerai. » (v. 18) En revanche, un faux prophète est décrit comme celui qui « a l’arrogance de dire en mon nom une parole que je ne lui ai pas ordonné de dire…[12] » (Dt 18.20) Le problème que pose cette juxtaposition du vrai et du faux prophète, tout deux prétendant parler au nom de l’Eternel, est que l’un d’eux parle de son propre chef. Mais lequel ? Comment savoir ? Ce dilemme est exprimé dans la question du peuple : « Comment reconnaîtrons-nous la parole que l’Eternel n’aura pas dite ? » (v. 21b). La réponse : c’est une parole « qui n’aura pas lieu, et n’arrivera pas » (v. 22a).

On peut être un peu perplexe et même frustré par cette réponse. Elle ne s’applique qu’à un certain genre de prophétie, la prédiction. Comment discerner si la prophétie n’est pas une prédiction ? Puis, la réponse ne concerne qu’une prophétie qui se réalisera dans un proche avenir. Comment appliquer cette sorte de test du tournesol si l’accomplissement est lointain, surtout s’il dépasse la durée de la vie de la génération qui l’entend ? C’est la formulation négative de la réponse à la question du peuple qui est la clé. Elle permet au moins de toucher du doigt l’origine de la prophétie : si la prédiction n’arrive pas, c’est un faux prophète, car c’est une parole que le Seigneur ne lui a pas dite (18.22). Trois autres tests sont implicites. Un vrai prophète: 1°) n’incitera pas le peuple à suivre d’autres dieux ; 2°) ni à avoir recours à la divination et 3) sa parole, si c’est une prédiction, s’accomplira[13].

2. Deutéronome 13

En rapport avec le vrai culte et le premier commandement, le chapitre 13 du Deutéronome évoque l’incitation à l’apostasie par 1°) les faux prophètes (v. 2-6) et 2°) les idolâtres (v. 7-19). Si un prophète a une vision, fait un miracle et invite le peuple à participer à des pratiques idolâtres, il s’agit évidemment d’un faux prophète. De surcroit, même si les paroles de ce prophète sont confirmées par un signe qui se réalise, l’origine divine de ses paroles n’est pas garantie (v. 2-4)[14].

Les propos d’un tel prophète appuyés par des miracles constituent une « révolte » (sarah) contre l’Eternel (v. 6)[15]. Cette révolte est précisée de la manière suivante : « …en t’invitant à suivre… des dieux que tu ne connais pas… » (13.3). Selon J.A. Motyer, pour discerner un faux prophète, le test ici est théologique : la révélation de Dieu à l’exode. Le faux prophète invitera le peuple à suivre les dieux qu’il ne connaît pas, et non « votre Dieu qui vous a fait sortir d’Egypte et vous a délivrés… » (v. 3, 6). Celui qui ne reconnaît pas l’autorité de Moïse, le prophète archétype, dit-il, et n’adhère pas aux doctrines de l’exode, est faux[16]. Dans ce contexte, le faux prophète est celui qui incite le peuple à la rébellion contre le Dieu rédempteur. C’est remettre en cause la signification de la grande rédemption.

III. Faux prophètes dans le livre de Jérémie

Cette révolte est souvent provoquée au moyen des paroles édulcorées des prophètes qui pensent parler au nom de Dieu. Ce sont les assurances du prophète Hanania que l’Eternel ne livrerait pas le peuple aux mains des Babyloniens comme Jérémie l’avait prophétisé (Jr 28.16). C’est la confiance inspirée par les paroles du prophète Shemaeja adressées aux exilés aussi à l’encontre des prophéties de Jérémie (Jr 29.32). Pendant le ministère de Jérémie lors de la crise babylonienne, certains prophètes ont annoncé la paix tandis que d’autres ont prophétisé l’épée et la famine (Jr 6.14, 8.11, 23.1 ; cf. Ez 13.2-10 ; Mi 3.5). Les uns disaient que le peuple servirait le roi de Babylone en exil et les autres prédisaient le contraire (Jr 27.6-13, 14-16, 28.1, 29.9-14). Il semble qu’Hanania et Shemaeja fassent partie des prophètes qui n’étaient pas conscients de leur tromperie. Ils se fondaient probablement sur les prophéties d’Esaïe concernant la chute de l’empire babylonien et la délivrance du peuple de son emprise (ch. 47-48)[17]. Malgré leur sincérité et même leur piété, par leurs messages de paix et de sécurité, ils figuraient parmi les prophètes-bergers « qui détruisent et dispersent le troupeau dont je suis le berger ! déclare l’Eternel » (Jr 23.1). La captivité babylonienne et sa durée ont authentifié les prophéties de jugement ainsi que les prophètes qui les ont annoncées. 

Jérémie a confronté Hanania : « L’Eternel ne t’a pas envoyé et tu as donné un sentiment de confiance trompeur à ce peuple » (28.15b). Deux mois après sa fausse prophétie, exactement comme prophétisé par Jérémie, Hanania est mort (28.16-17). Selon la parole de l’Eternel adressée à Jérémie qu’il doit envoyer aux exilés, Shemaeja et les siens ne verront pas la fin de l’exil (29.32). La raison en est : « Parce que Shemaeja s’est mis à vous communiquer des prophéties sans que moi, je l’aie envoyé et qu’il vous a donné un sentiment de confiance trompeur[18] ». (v. 31). Les deux reproches sont identiques : ces faux prophètes n’ont pas été envoyés par Dieu et leurs messages d’espoir induisaient en erreur ceux qui les croyaient. Une autre inculpation traduite littéralement concernant ces deux prophètes est que chacun a « parlé de révolte (sarah) contre l’Eternel » (28.16, 29.32 ; cf. le commentaire sur Dt 13.6 ci-dessus). Chez Esaïe, la rébellion d’Israël est certes contre l’Eternel, mais plus précisément contre les prophètes qu’il a envoyés (Es 1.5, 31.6, 59.13).

 

A certains prophètes prétendant parler au nom du Seigneur, Jérémie reproche également leur mauvaise conduite (immoralité 23.10-14 ; cf. So 3.4, mensonges ; Es 28.7, ivrognerie). Par leur exemple épouvantable, ils égarent le peuple. Evidemment, ils ne dénoncent pas l’immoralité au peuple. Jérémie les dénonce pour avoir réconforté le peuple rebelle en lui disant qu’il aura la paix et ne subira aucun mal (v. 17). On leur rappelle qu’un vrai prophète dénoncerait l’inconduite et l’injustice et appellerait, dans ce cas, le peuple à la repentance (v. 22)[19].

 

IV. Le faux prophète Sédécias

La confrontation, rapportée en 1Rois 22 entre Michée, fils de Jimla, et Sédécias, chef de 400 prophètes, montre bien les marques qui distinguent le vrai du faux prophète[20]. Lors du conflit israélo-syrien, Achab, roi d’Israël, propose à Josaphat, roi de Juda, de s’unir pour former une coalition afin de reprendre du territoire capturé par les Syriens. Josaphat dit au roi d’Israël : « Consulte donc maintenant la parole de l’Eternel » (v. 5). Achab rassemble les prophètes associés à sa cour. Ces prophètes prédisent unanimement la victoire de la coalition sur le roi de Syrie. Josaphat doute de leur authenticité et demande à Achab : « N’y a-t-il plus ici aucun prophète de l’Eternel, pour que nous puissions le consulter ? » (v. 7) Sa réponse est la suivante : « Il reste un seul homme par qui l’on puisse consulter l’Eternel, mais je le déteste, car il ne prophétise rien de bon sur moi, il ne prophétise que du mal : c’est Michée, fils de Jimla » (v. 8). Achab envoie un messager pour amener ce prophète qu’il méprise. Ce messager dit à Michée : « Voici, les prophètes, d’un commun accord, prophétisent du bien au roi ; que ta parole soit donc comme la parole de chacun d’eux ! Annonce du bien ! » (v. 13) Michée répond : « … j’annoncerai ce que l’Eternel me dira » (v. 14). Alors il prophétise la défaite d’Israël et de Juda face aux Syriens. En entendant ces paroles, Achab dit à Josaphat : « Ne te l’ai-je pas dit ? Il ne prophétise sur moi rien de bon, il ne prophétise que du mal » (v. 18).

Vers la fin du récit, après le refus absolu d’Achab de croire la parole de jugement annoncée par son intermédiaire, Michée raconte la scène qu’il a vue dans une vision. Devant son trône, l’Eternel a donné audience à un esprit. Là, il a été décrété que tous les prophètes du roi prophétiseraient par « un esprit de mensonge » mis dans leurs bouches par le Seigneur lui-même, afin de séduire Achab à faire la guerre en lui assurant la victoire, pour qu’il meure dans le combat (v. 21-23). La réplique du prophète Sédécias est surprenante : « Par où l’esprit de l’Eternel est-il sorti de moi pour te parler ? » (v. 24) Il pensait vraiment parler au nom du Seigneur et tenait les propos de Michée comme faux. En conséquence, Michée est arrêté et mis en détention. Michée rappelle au roi d’Israël le test du tournesol pour savoir lequel des deux, lui ou Sédécias, proclamait la parole de Dieu : « Si tu reviens en paix, dit-il, c’est que l’Eternel n’a pas parlé par moi » (v. 28). Sa réponse reprend le texte de Deutéronome 18.22 : si la parole d’un prophète ne s’accomplit pas, le Seigneur ne lui a pas parlé.

Dans ce récit, trois caractéristiques d’un vrai et d’un faux prophète se dégagent. Certains de ces traits distinctifs sont déjà indiqués dans le livre du Deutéronome :

  • le message du vrai prophète vient de Dieu tandis que le faux prophète parle de son propre chef ou même sous l’influence d’un esprit de mensonge ; 
  • le vrai prophète dit ce que le Seigneur met dans sa bouche, même si ce sont des paroles de jugement difficiles à accepter, tandis que le faux prophète, voulant plaire à ceux qui le paient, dira du bien d’eux ;
  • souvent tout seul ou au sein d’une minorité, le vrai prophète est prêt à être rejeté, même persécuté, pour avoir annoncé la parole de Dieu ; mais le faux prophète s’exprimera en fonction du consensus de la majorité[21].

Vues ensemble, ces trois caractéristiques devaient servir de guide au peuple de Dieu pour discerner le vrai du faux prophète.

V. Discerner un vrai prophète

Outre ces points et le cas d’une prédiction suivie de l’accomplissement qui l’authentifie, comment le peuple d’Israël a-t-il pu discerner le vrai prophète ?

Le message d’un vrai prophète s’accordera avec la révélation divine antérieure. Il encouragera le peuple à suivre la volonté de Dieu. Il en donnera un exemple par sa manière de vivre. Il dénoncera toutes sortes de maux et appellera le peuple récalcitrant à la repentance. S’il n’y a pas de changement de comportement, il annoncera le jugement divin. Malgré l’opposition et la persécution pour avoir délivré un message jugé inacceptable par la majorité, il persistera. Ses souffrances constitueront une preuve de son authenticité[22].

Selon L.H. Wood, le discernement spirituel est, en fin de compte, la clé. Ceci se distingue de tous les autres tests qu’on peut appliquer, car ce discernement ne se rapporte pas aux prophètes eux-mêmes, mais à ceux qui les écoutent. Selon Wood, ceux qui aimaient la loi de Dieu et marchaient selon cette règle ont pu discerner les prophéties contraires à la volonté divine. Il s’appuie sur deux exemples du Nouveau Testament. Jésus a comparé la réaction des brebis à la voix du bon berger et à celle d’un voleur de la manière suivante : « … [le bon berger] marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. Elles ne suivront pas un étranger, mais elles fuiront au contraire loin de lui, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers[23]. » Paul a aussi dit : « Mais l’homme naturel n’accepte pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu, car c’est une folie pour lui ; il est même incapable de le comprendre, parce que c’est spirituellement qu’on en juge. L’homme dirigé par l’Esprit, au contraire, juge de tout et n’est lui-même jugé par personne. [24]En effet, ‘qui a connu la pensée du Seigneur et pourrait l’instruire’ ? Or nous, nous avons la pensée de Christ » (1Co 2.14-16 ; v. 16 citation d’Es 40.13)[25]. Wood conclut en disant : « Si c’était vrai à l’époque du Nouveau Testament, cela a dû être aussi vrai aux temps de l’Ancien Testament. Le peuple de cette époque-là avait besoin de ce discernement aussi bien que le peuple de Dieu de l’âge présent[26]. »

 

La conclusion de Wood nous semble bien s’accorder avec les exhortations deutéronomiques et les promesses adressées par les prophètes aux convertis :

Mettez mes commandements dans votre cœur et dans votre âme (Dt 11.13a).

L’Eternel, ton Dieu, circoncira ton cœur et celui de ta descendance, et tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme, afin de vivre (Dt 30.6).

C’est une parole, au contraire, qui est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique (Dt 30.14).

Quant à moi, telle sera mon alliance avec eux, dit l’Eternel : #mon Esprit, qui repose sur toi, #et mes paroles, celles que j’ai mises dans ta bouche, #ne quitteront pas ta bouche, ni celle de tes enfants, #ni celle de tes petits-enfants, #dit l’Eternel, dès maintenant et pour toujours (Es 59.21).

Mais voici l’alliance que je ferai avec la communauté d’Israël #après ces jours-là, déclare l’Eternel : #je mettrai ma loi à l’intérieur d’eux, #je l’écrirai dans leur cœur, #je serai leur Dieu #et ils seront mon peuple (Jr 31.33).

Mais voici l’alliance que je ferai avec la communauté d’Israël #après ces jours-là, déclare l’Eternel : #je mettrai ma loi à l’intérieur d’eux, #je l’écrirai dans leur cœur, #je serai leur Dieu #et ils seront mon peuple (Ez 36.27).

C’est finalement le témoignage de l’Esprit au moyen de la parole intériorisée dans les cœurs bien disposés, parole engravée sur les cœurs rendus sensibles et illuminés par l’Esprit de Dieu, qui conduira le vrai Israël dans les voies préconisées par les vrais prophètes, ministres du Seigneur. Et, en même temps, par ce moyen de grâce, le peuple de Dieu sera gardé des prophéties séductrices des faux prophètes.

 


[1]*Ron Bergey est professeur d’hébreu et d’Ancien Testament à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence.

[2] 1 « Il répondra ainsi à la demande que tu as faite à l’Eternel, ton Dieu, à Horeb, le jour de l’assemblée. Tu disais : ‘Je ne veux plus entendre la voix de l’Eternel, mon Dieu, ni voir ce grand feu, afin de ne pas mourir.’ L’Eternel m’a dit : ‘Ce qu’ils ont dit est bien’. » La plupart des citations bibliques sont tirées de la Segond 21. Concernant la demande d’avoir un roi, cf. Dt 17.14 ; 1 S 8.5, 19-20.

 Ces choses sont qualifiées d’« horreurs » et d’« abominations », pratiques pour lesquelles les nations seront chassées du pays (Lv 18.24-25 ; 20.23). A son tour, Israël subira le même sort pour les avoir imitées (18.26-30). Il n’y a pas de sang de sacrifices pour purger ce genre d’impureté. Il faut donc débarrasser le pays des auteurs afin de le purifier. L’interdiction concernant la divination en Deutéronome 18 est ‘sandwichée’ entre les instructions relatives aux prêtres et aux prophètes, ce qui laisse supposer qu’ils sont les premiers concernés. Certains prophètes et prêtres en Israël ont eu recours à ces pratiques (Jr 14.14 ; Ez 12.24 ; Mi 3.7, en particulier v. 11).

[3] Samuel est présenté comme le premier dans cette succession prophétique (Ac 3.24). A ce sujet 1 Samuel 3.1 dit : « Le jeune Samuel était au service de l’Eternel devant Eli. La parole de l’Eternel était rare à cette époque, les visions n’étaient pas fréquentes ». La dernière partie de verset peut être mieux traduite « il n’y a pas de vision faisant brèche/irruption/qui perçait ». La vision auditive est le moyen par lequel le message divin est transmis au prophète. Elle consiste en la parole de Dieu. Par cette parole, Dieu fait l’irruption de son royaume dans le monde.

[4] La grande distinction entre ces prophètes et Moïse est la manière dont Dieu s’est révélé : « Lorsqu’il y aura parmi vous un prophète, c’est dans une vision que moi, l’Eternel, je me révélerai à lui, c’est dans un rêve que je lui parlerai. Ce n’est pas le cas avec mon serviteur Moïse…Je lui parle directement, je me révèle à lui sans énigmes. » (Nb 12.6-8a) « L’Eternel parlait avec Moïse face à face, comme un homme parle à son ami. » (Ex 33.11)

[5] Dans la Genèse, Abraham le prophète intercède pour la délivrance du roi Abimélec du jugement divin (20.7). La prière d’intercession est l’une des deux grandes responsabilités du ministère prophétique (2 Ch 32.20 [prière d’Esaïe] ; Jr 37.3, 42.2, 4, 20, cf. 7.16, 11.14, 14.11). L’autre, comme le montre déjà ce verset, c’est le ministère bien connu de la parole. Cet office prophétique peut se conjuguer avec le ministère sacerdotal comme dans les cas de Jérémie et d’Ezéchiel. Ce ministère, comme le sacerdoce, se réalise pleinement en Christ (Ac 3.22-24, 7.37 ; cf. Jn 1.21). Son ministère en tant que médiateur d’une meilleure alliance dépasse celui de Moïse. Hébreux 3 illustre cette supériorité par l’image de la gérance d’une maison : « Moïse a été fidèle dans toute la maison de Dieu comme serviteur (Hé 3.5 citant Nb 12.7)… mais Christ l’est comme Fils à la tête de sa maison. » (Hé 3.6)

[6] Le fonctionnement de cet office prophétique est bien illustré dans le préambule du récit de la confrontation entre Moïse et le Pharaon où son rôle et celui de son frère sont précisés : « L’Eternel dit à Moïse : ‘Regarde, je te fais Dieu pour le pharaon, et ton frère Aaron sera ton prophète. Toi, tu diras tout ce que je t’ordonnerai et ton frère Aaron parlera au pharaon pour qu’il laisse les Israélites partir de son pays’ » (Ex. 7.1-2). Aaron, « prophète » de Moïse, doit proclamer au roi la parole de son frère, « Dieu ». Aaron est donc l’intermédiaire entre Moïse et le pharaon par son rôle de prophète (cf. 4.16). En conséquence, ce roi agira selon cette parole de façon à ce que Dieu puisse accomplir ses projets concernant le salut de son peuple au moyen de cette parole. 

[7]My Servants the Prophets, Grand Rapids, Eerdmans, 1952. Je résume les points principaux du chapitre intitulé « Prophets False and True », 125-152. Cf. aussi la discussion sur cette question dans un article signé par S. Romerowski, « Prophétisme » GDB, Cléon d’Andron, Excelsis, 2004, 1333-1350 (1338-1339).

[8] Young, op.cit.,151. Comme Young, L.H. Wood souligne que les puissances surnaturelles ont parfois été impliquées dans les fausses prophéties de certains prophètes. Pourtant, normalement, les faux prophètes ont parlé de leur propre cru, selon leur propre cœur ou esprit (cf., p. ex., Es 9.14s ; Ez 13.7, 9). The Prophets of Israel, Grand Rapids, Baker, 1979, 106.

[9] Sh.M. Paul, « Prophets and Prophecy » EJ, Jérusalem, Keter, 1972, 1150-1175 (1052).

[10] Une fois en Zacharie (13.2 juxtaposé à « esprit impur »); ailleurs en Jérémie 26.7, 8, 11, 16 (LXX 33.7, 8, 11, 16); 28.1(35.1); 29.1, 8 (36.1, 8). 

[11] Ailleurs en Mt 7.15, 24.11 ; Mc 13.22 ; Ac 13.6 ; 1 Jn 4.1 ; le prétendu prophète de la bête Ap 16.13, 19.20, 20.10.

[12] La peine de mort est préconisée pour cette personne comme pour le faux prophète en Dt 13.6. 

[13] En qualité de prophète, Moïse a reçu et transmis les véritables paroles de Dieu au peuple d’Israël comme les autres prophètes le feront (18.15-18). Dieu lui a donné l’ordre de transmettre par écrit cette parole (31.9), à d’autres prophètes aussi (p. ex., Es 8.1, 30.8 ; Jr 36.18). Une fois transmise et mise par écrit, cette parole seule est devenue la règle de foi et de vie pour tout le peuple en tout temps.

[14] Les moyens employés par le faux prophète – rêves, signes et prodiges – sont tous les trois les mêmes employés par les vrais prophètes : rêves (1S 28.6 ; Jl 2.28 ; cf. Ac 2.17 ; Dn 5.13) ; signes et prodiges (Nb 12.6 ; Jr 23.28). Les signes et les prodiges sont aussi accomplis par Dieu en Egypte (Ex 7.3), Christ (Jn 2.11, 18, 20.30-31) et les apôtres (2 Co 12.12 ; cf. Hé 2.4 ; Ac 8.13) mais aussi par Satan (2 Th 2.9). En Deutéronome, les signes et les prodiges opérés par les faux prophètes constituent une manière dont l’Eternel met à l’épreuve son peuple pour savoir s’il l’aime (13.4). Savoir s’il aime l’Eternel veut dire, dans le contexte d’alliance, savoir si le peuple sera fidèle et lui obéira (v. 5).

[15] Le mot « révolte », ailleurs dans le Deutéronome, dépeint le faux témoignage relatif à un crime non spécifié (19.6). Ce nom est apparenté au verbe « être rebelle » (sarar) qui qualifie le comportement d’un fils « qui n’écoute ni son père ni sa mère » (19.18). Il est aussi puni de mort, acte destiné à extirper le mal au milieu du peuple (v. 21), choses dites au sujet d’un faux prophète (13.6).

[16] J.A. Motyer « Prophecy, Prophets » NBD, Leicester-Wheaton, IVP-Tyndale, 1982, 975-983 (980-981).

[17] A ce sujet, voir « Prophète », NDB, Saint-Légier, Emmaüs, 1961, 4e éd., 1979, 621-624 (621). Cet article non-signé dans cette édition a sans doute été rédigé par J.D. Davis (1854-1926), professeur d’Ancien Testament à Princeton, rédacteur et éditeur du Davis Dictionary of the Bible, Philadelphie, Presbyterian Board of Publication, 1898, 4e éd. revue, 1924, dernière réédition, 1972.

[18] Cette expression « je ne l’ai pas envoyé » dément la prétention d’un faux prophète (p. ex. Jr 23.21 ; Ez 13.6). L’inverse appuie le ministère d’un vrai prophète : « Depuis le jour où vos ancêtres sont sortis d’Egypte jusqu’à aujourd’hui, #je vous ai envoyé [apostello dans la LXX] tous mes serviteurs, les prophètes. #Je les ai envoyés chaque jour, inlassablement » (Jr 7.25, cf. 22.5, 29.19, 35.15, 44.3 ; Ez 38.17 ; Mt 23.27). Dans le NT, « apôtres » (apostolos « envoyé ») et « prophètes » sont souvent juxtaposés (Lc 11.49 ; 1 Co 12.28-29 ; Ep 2.20, 3.5, 4.11; 2 P 3.2 ; Ap 18.20).

[19] H.E. Freeman dit au sujet de ces prophètes, dénoncés par les vrais prophètes comme Jérémie et Ezéchiel, qu’ils sont des mercenaires, motivés par leur propres intérêts et le désir d’être acceptés et estimés, prédisant la paix et la sécurité pour une nation corrompue et rebelle. Il souligne que Christ a averti ses disciples de cette même situation : « Plusieurs faux prophètes s’élèveront, et ils séduiront beaucoup de gens » (Mt 24.11). Les apôtres ont également mis en garde l’Eglise concernant ces imposteurs (Ac 20.29-31; 2 P 2.1 ; 1 Jn 4.1 ; Ap 2.20). An Introduction to the Old Testament Prophets, Chicago, Moody, 1968, 101. En Ezéchiel 12.21-14.11, comme en Jérémie, les faux prophètes parlent de leur propre chef et n’ont aucune parole révélée de la part du Seigneur (13.2-3). Ils proclament les messages de paix dans un optimisme aveugle (13.10-16) dénués de tout contenu moral et même encouragent le méchant (v. 22). Les vais prophètes dénoncent le péché (14.1-11).

[20] Comme le note Wood, ce prophète est souvent appelé le premier prophète qui se distingue comme vrai prophète en s’opposant aux faux prophètes. Il dit aussi que la position biblique est que les vrais prophètes étaient les premiers prophètes et de ce groupe ont émergé les faux prophètes. Autrement dit, la fausse prophétie était une détérioration et une perversion de la vraie prophétie. Op. cit., 105-106.

[21] W. Van Gemeren trouve trois caractéristiques principales à un faux prophète : 1) il trompe le peuple et l’induit en erreur (Dt 13.2, 18.20 ; Jr 2.8, 23.27) ; 2) il est moralement corrompu (Es 28.7 ; Jr 6.13, 23.11, 14 ; Ez 22.25 ; So 3.4) ; 3), il pratique la magie ou la divination (Es 8.19 ; Jr 14.14 ; Mi 3.5, 11). D’après lui, ces prophètes ignoraient qu’ils égaraient le peuple. Interpreting the Prophetic Word, Grand Rapids, Zondervan, 1990), 59.

[22] Cette prétention est mise en exergue dans les versets suivants : « Mes frères et sœurs, prenez pour modèles de patience dans la souffrance les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur » (Jc 5.10) ; « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés » (Mt 23.37 ; cf. v. 24 ; Lc 13.34) ; « C’est pourquoi la sagesse de Dieu a dit : ‘Je leur enverrai des prophètes et des apôtres, ils tueront les uns et persécuteront les autres’, afin qu’il soit demandé compte à cette génération du sang de tous les prophètes qui a été versé depuis la création du monde, depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, tué entre l’autel et le temple… » (Lc 11.49-51a). Au sujet des vrais prophètes persécutés, S. Romerowski dit : « Qu’ils paient ainsi de leur personne constituait certainement un gage convaincant de leur sincérité » Art.cit, 1339.

[23]   Jean 10.4-5.

[24] [25] Paul cite la LXX (Es 40.13) où l’expression « la pensée [noos] du Seigneur » traduit l’hébreu « l’esprit/l’Esprit [ruah] du Seigneur ». Il y a un parallèle entre « l’Esprit [pneuma] de Dieu » (1 Co 2.14) et « la pensée [noos] de Christ » (v. 16). 

[26] Op. cit. 113-114. Dans la liste dressée par Wood, c’est la huitième et dernière des marques distinguant le vrai du faux prophète. Elle comprend aussi : la divination n’est pas employée, le caractère du message (de jugement), le bon caractère du prophète, la persévérance dans la persécution, l’accord du message avec la loi et les prophéties antérieures, l’accomplissement d’une prédiction, l’authentification au moyen d’un miracle (limité à certaines époques), 109-113.

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