CHARLES DARWIN (1809-1882)

CHARLES DARWIN

(1809-1882)

 

 

Jean-Marc BERTHOUD*

 

 

 

Charles Darwin est une figure historique moderne très importante. Il est capital qu’on en parle et qu’on le fasse bien connaître, ceci surtout pour deux raisons:

– Son œuvre est un moment important dans la vague de fond qui, venant de l’héritage de la Renaissance du paganisme du XVIe siècle et des fausses Lumières de l’antichristianisme du XVIII, a submergé à la fin du XIX siècle ce qui restait de la culture chrétienne en Europe. C’est un véritable tsunami spirituel qui a libéré notre ancienne civilisation de l’influence du christianisme traditionnel et livré le monde entier au matérialisme athée.

– C’est aussi un moment important dans l’histoire des sciences constituant une intrusion massive d’éléments idéologiques dans le fonctionnement des sciences expérimentales.

 

Le créationnisme est une double réaction contre ce phénomène. Ce mot «créationnisme» est devenu, comme d’autres vocables («fondamentalisme», «antisémitisme», «fascisme», «communisme», «intégrisme» ou, par le passé, «papiste» ou «calviniste»), un mot utilisé pour disqualifier un adversaire sans avoir à accomplir la tâche pénible de le réfuter. Maintenant, dans ce débat apparemment scientifique, mais aux résonances religieuses, les mots «évolutionniste» et «créationniste» sont comme deux armes qu’on se jette à la figure! Car, en fait, cette dispute a des fondements dans deux visions religieuses différentes du monde. Il s’agit du combat du matérialisme évolutionniste athée contre le spiritualisme créationniste chrétien (et aussi juif et islamique). Il a même à présent des relents politiques, vu les interventions récentes assez musclées du Conseil de l’Europe et du Parlement européen en faveur d’un évolutionnisme manifestement à court d’arguments rationnels et scientifiques. En quelque sorte, le bras séculier vient au secours de la nouvelle Eglise en difficulté face à l’hérésie créationniste «antiscientifique».

 

Il nous faut constater une double réaction au phénomène, disons-le, darwiniste.

 

La première est celle d’une défense de l’enseignement biblique traditionnel sur l’origine de toutes choses. Cette défense n’est pas uniquement le fait des chrétiens traditionnels. Nous trouvons aussi à leurs côtés des juifs et des musulmans pour lesquels le récit des origines contenu dans les premiers chapitres de la Genèse a toujours une importance capitale. C’est ce que l’on peut appeler la réaction religieuse au phénomène darwiniste.

 

L’autre réaction est scientifique. Beaucoup de savants (et non des moindres) se sont vivement opposés à l’intrusion d’éléments à proprement parler idéologiques dans le fonctionnement des sciences expérimentales telles que les concevait un Claude Bernard par exemple. En France, depuis l’époque de Darwin surtout, ils furent assez nombreux. Pensons à des figures comme celles du célèbre savant neuchâtelois expatrié aux Etats-Unis, Louis Agassiz, à l’entomologiste J.-H. Fabre, au médecin Louis Vialleton, au biologiste Louis Bonoure, au zoologiste Pierre-Paul Grassé, à l’ingénieur Guy Berthault, au médecin Jérôme Lejeune et j’en passe, auteurs dont les compétences scientifiques furent très largement reconnues par leurs confrères.

 

La plupart de ces savants français ont vécu avant l’apparition de ce qu’on connaît aujourd’hui sous l’appellation de «mouvement créationniste». Ce phénomène est venu au monde aux Etats-Unis et a été suscité tout particulièrement par la publication, par deux auteurs protestants, John Whitcomb (un pasteur) et Henry Morris (un ingénieur), d’un ouvrage célèbre dans ces milieux, Le déluge de la Genèse (The Genesis Flood), publié en 1961 à Philadelphie par une maison d’édition calviniste des plus respectables, Presbyterian and Reformed. L’influence de ce mouvement créationniste se répand aujourd’hui progressivement à travers le monde entier.

 

La Société créationniste scientifique aux Etats-Unis (Creation Science Society) fut le fruit de l’impact considérable qu’eut cet ouvrage et des labeurs infatigables de son fondateur et premier président, Henry M. Morris. Elle est constituée uniquement de savants chevronnés, dont un grand nombre (des centaines) sont détenteurs de doctorats dans leurs disciplines particulières. Leurs nombreux travaux «créationnistes» peuvent être caractérisés par les deux points suivants:

– Ils ont, par des travaux scientifiques souvent très pointus, démontré que de nombreuses hypothèses avancées par les savants évolutionnistes se trouvaient en contradiction avec les lois des sciences expérimentales, en particulier de la physique, de la chimie, des sciences biologiques, de la biologie moléculaire, de l’hydraulique, de la statistique mathématique, etc.

– Certains d’entre eux ont cherché à construire un modèle scientifique créationniste (pour répondre à celui de l’hypothèse évolutionniste), ceci à partir des récits des onze premiers chapitres de la Genèse, lus de manière historique; des premiers principes de l’ordre de l’univers décrits en Genèse 1; des lois de la science expérimentale; et des données de la géologie relatives au déluge, celui-ci étant considéré par eux (par la Bible et par d’innombrables récits légendaires recueillis sur la surface de toute la terre), comme un désastre historique universel. Ce déluge universel, selon ces savants, serait à la source des bancs sédimentaires et des fossiles qu’ils contiennent.

 

Pour ce qui concerne le premier point (la critique des erreurs scientifiques de la «science» évolutionniste), ces savants créationnistes ont été rejoints par de nombreux autres savants, ceci souvent en cachette tant est puissant le consensus évolutionniste scientifiquement correct en place, qui ne pouvaient que constater, dans leur propre travail de savants, à quel point certaines hypothèses évolutionnistes ne collaient pas à la réalité des faits mesurables à l’aune de la méthode expérimentale et de l’expérience.

 

Je ne prendrai qu’un exemple qui, lui, est devenu public. Il s’agit du biologiste moléculaire australien non créationniste de renommée mondiale, Michael Denton, qui, dans son livre L’évolution, une théorie en crise1, a mis en lumière de nombreuses déficiences dans le modèle scientifique évolutionniste. C’est à cette démarche sainement critique que faisait écho le grand biologiste, de convictions solidement évolutionnistes, Jean Rostand lorsqu’il caractérisait la théorie de l’évolution comme n’étant, en fait, rien d’autre qu’«un conte de fées pour grandes personnes». Denton, de manière moins pittoresque, disait pour sa part que, «l’évolution est le mythe cosmogonique [des origines du monde] du XXe siècle» (p. 369).

 

Le second point concerne la construction d’un modèle scientifique créationniste. Certains de ces savants dits créationnistes ont cherché à allier les données historiques qui se trouvent dans les onze premiers chapitres de la Genèse avec toutes sortes de phénomènes scientifiques pour tenter d’expliquer les changements, principalement de taille, des organismes biologiques (des plantes ou des animaux géants, par exemple) dont témoignent les fossiles. Ils considèrent que la catastrophe universelle du déluge aurait eu un effet considérable sur le climat de la planète, rendant impossible la croissance, inhabituelle aujourd’hui, dont témoignent ces fossiles de plantes et d’animaux géants. Pour ces savants, les couches sédimentaires sur la surface de la terre auraient leur origine dans cet immense brassage des eaux provoqué par la catastrophe du déluge tel qu’il est décrit dans la Genèse et dont les couches sédimentaires, et les fossiles qu’elles contiennent, témoignent si clairement. Cette construction hypothétique est sans doute fort intéressante, mais bien moins fondée scientifiquement que ne le sont les critiques ponctuelles que ces mêmes savants émettent, dans leurs disciplines particulières, sur les nombreuses failles qu’ils perçoivent dans le modèle évolutionniste des origines du monde, de la vie et de l’homme.

 

Mentionnons ici en passant quelques points soulevés par les critiques de ces savants, créationnistes ou non, contre ce qu’ils perçoivent comme de graves faiblesses dans la construction du modèle général évolutionniste.

 

– Emile Borel, le célèbre mathématicien français, a cherché à calculer le temps nécessaire à la formation de la plus simple cellule vivante au moyen des seules lois du hasard. Il constata que le nombre d’années nécessaires tendait à l’infini (bien plus que les milliards d’années habituellement évoqués) et était donc impossible à chiffrer concrètement.

 

– La sélection naturelle, moteur selon Darwin de l’évolution progressive, ne concerne que ce qu’on appelle la micro-évolution (différenciation telle qu’on la trouve chez les chevaux ou les chiens) et a été depuis longtemps reconnue, par les évolutionnistes eux-mêmes, comme inapte à expliquer le phénomène supposé de l’évolution des formes biologiques. Les savants créationnistes rejettent le fixisme absolu qu’on leur attribue abusivement, acceptant parfaitement les différenciations propres à la micro-évolution.

 

– On a fait des centaines de milliers d’expériences sur la mouche à vinaigre pour tenter de susciter sa mutation, mutation que l’on considérait comme apte à produire des changements évolutifs. On n’a, en fait, que réussi à produire des monstres, cependant toujours reconnaissables comme mouches à vinaigre. Si les mutations naturelles, à plus de 90% délétères, nocives, sont le moteur de l’évolution, on aurait alors une évolution non progressive, mais régressive.

 

– Si l’évolution est une hypothèse vraie (c’est-à-dire que l’on ne peut pas la prouver fausse – Karl Popper), elle ne se serait pas seulement produite dans un lointain passé invérifiable, mais aujourd’hui même. On n’a cependant jamais observé, ni en laboratoire ni empiriquement, la moindre mutation pouvant produire une nouvelle espèce. Que l’on affirme que l’évolution se serait produite sur des milliards d’années (le temps remplaçant ici la matière comme dieu auto-créateur) ne change rien à l’affaire. La science ne peut se fonder sur des causes invérifiables!

 

– Pour qu’une mutation évolutive hypothétique puisse être efficace, il faudrait qu’elle soit identique chez le mâle et la femelle, et ceci au même moment. Autrement la reproduction deviendrait impossible et les traits présumés nouveaux ne sauraient être transmis à la génération suivante. Selon Emile Morel, le calcul des probabilités rend absolument impossible une telle coïncidence de mutations aléatoires (fortuites) identiques au même moment.

 

– La colonne géologique prise comme mesure du temps n’est, en fait, qu’une construction arbitraire hypothétique de diverses couches sédimentaires superposées que l’on trouve à différents endroits du globe terrestre et que l’on a tout simplement additionnées. Il faut ajouter que les méthodes de datations modernes, carbone 14, dégradation des éléments radioactifs, etc., se sont avérées (surtout par rapport à de grands âges) être bien moins fiables dans la pratique qu’en laboratoire. Le monde de la nature, ouvert comme il l’est à toutes sortes d’influences extérieures, ne reproduit pas les conditions précises de contrôle que nécessite la méthode expérimentale.

 

– Selon la géologie moderne, ce sont les couches sédimentaires qui établissent l’âge des fossiles qu’elles contiennent. Mais, par contre, on affirme en même temps que ce sont les fossiles qui fixent l’âge des couches sédimentaires. Un tel raisonnement circulaire n’a aucune espèce de valeur, tant sur le plan de la logique que de la science.

 

– Plus on découvre de fossiles, plus les failles entre les branches de l’arbre de la généalogie évolutionniste des espèces deviennent grandes. C’est-à-dire que, avec la croissance des découvertes de fossiles nouveaux, le nombre des chaînons manquants augmente lui aussi.

 

– La biologie moléculaire et la génétique ont découvert l’incroyable complexité et la très forte cohérence des organismes vivants. Une évolution des espèces impliquerait non pas le changement d’un élément de l’organisme (i.e. les nageoires ou les branchies d’un poisson, par exemple), mais la transformation de l’ensemble organique tout entier, car l’être vivant ne saurait survivre à la modification isolée d’une de ses parties essentielles. Le changement d’une espèce en une autre exigerait un miracle constamment répété sur des millions d’années. Le miracle de la création des espèces stables au commencement par Dieu nous semble exiger moins de crédulité que ne le fait le modèle évolutionniste, théiste ou athée.

 

– Certains chrétiens font du Dieu Créateur le moteur du phénomène de l’évolution des espèces. C’est ce qu’on appelle l’«évolution théiste» ou le «créationnisme progressif». Nous croyons à un miracle créationnel divin au commencement du monde qui établit l’ordre harmonieux des créatures et les lois de l’univers de manière stable. Ces évolutionnistes théistes multiplient infiniment (et inutilement) les miracles nécessaires à un monde dont l’évolution serait, selon eux, dirigée par Dieu.

 

– Les créationnistes reconnaissent parfaitement ce qu’on appelle la micro-évolution, c’est-à-dire les changements à l’intérieur d’une espèce, modifications qui produisent les variétés de chiens ou de chevaux, par exemple. Darwin relève très justement de nombreux changements pareils. Mais il y a un monde entre cette micro-évolution et la macro-évolution que nécessite la théorie de l’évolution.

 

– Entre les différents ordres – matière, vie végétale, vie animale et vie humaine – tels que les décrivent et l’observation scientifique depuis Aristote et le premier chapitre de la Genèse, il existe des abîmes de complexification biologique et spirituelle infranchissables sans l’apport d’informations nouvelles prodigieuses. Les lois de la physique et de la chimie sont insuffisantes en elles-mêmes à produire ces formes vivantes nouvelles. Il faut, pour faire naître la vie, un supplément d’informations qui ne se trouve pas dans la matière. Il en va de même pour ce qui concerne l’apparition de ce phénomène tout à fait inédit qu’est l’homme, être à la fois naturel et spirituel. D’où vient alors la vie spirituelle? De la matière? La théorie de l’évolution, malgré des efforts considérables, ne répond jamais à cette question et ne peut y répondre. Il est évident, en toute logique, que du moindre ne saurait sortir le plus, de la matière la vie, de la vie biologique la vie spirituelle. Il faut quelque chose de plus.

 

– Les lois de la nature constituée sont autres que celles qui opèrent dans l’acte de la constituer. Connaître le fonctionnement d’un moteur ne nous dit rien sur la manière dont ce moteur est venu à être. On ne peut pas déduire logiquement l’un de l’autre. Il en est de même pour l’univers et son origine. Un ami physicien nucléaire me disait: «Mon travail ne commence qu’avec la constitution définitive des lois régissant la matière. Ce qui serait venu avant ne saurait me concerner. Je n’y ai tout simplement aucun accès.» Le monde tout entier nous parle d’un Créateur, d’un Ordonnateur divin – visible comme à l’œil nu, nous dit la Bible. Seul l’aveuglement des hommes par leur péché les empêche de reconnaître le Créateur. Cependant, l’extrapolation qui permettrait de passer de l’analyse rationnelle de l’univers présent à la compréhension de l’acte qui l’a constitué n’est tout simplement pas possible à l’intelligence humaine.

 

– Enfin, le seul témoin de l’origine du cosmos est Celui qui l’a fait. La seule information possible sur la cosmogenèse ne peut donc que provenir de Celui qui l’a effectuée. Ici, l’information ne peut exister que par voie de révélation divine spéciale. Nous croyons que cette révélation spéciale nous est donnée, ceci plus spécifiquement dans les premiers chapitres de la Bible, par celui qui est lui-même l’auteur de toutes choses. Les évolutionnistes, eux, croient que la connaissance de l’origine du monde et des êtres qui l’habitent vient de leurs propres écrits sacrés, ceux de Charles Darwin et de ses successeurs, les Carl Sagan, les Stephen Jay Gould, les Jean Rostand, les Yves Coppens et tutti quanti.

 

Conclusion

 

Il faut le reconnaître, Darwin figure en bonne place dans la tradition qui a produit la sécularisation, la laïcisation, disons-le franchement, l’athéisation du monde moderne. Parmi les figures récentes de ce mouvement de fond qui domine aujourd’hui toute la civilisation de l’Occident et qui sera sans doute bientôt la culture de la planète tout entière, Darwin a sa place d’honneur à côté des Hegel, des Marx, des Nietzsche, des Freud, des Kelsen et des Keynes. Il a sa place, et une place éminente, dans ce Panthéon de la sécularisation, de l’athéisation de la culture. Ajoutons ici que, tant le nazisme que le communisme, ont revendiqué l’héritage du fondateur du transformisme pour tenter d’assurer à leurs messianismes athées un semblant de fondement scientifique.

 

Pour conclure, il nous faut reconnaître que nous nous trouvons, dans ce débat qui oppose Création et Evolution, en face d’un double choix, à la fois religieux et scientifique:

– scientifique, parce qu’il faut choisir la science expérimentale contre l’intrusion scientifiquement nuisible d’une véritable idéologie, l’évolution comme hypothèse d’un modèle cosmologique universel;

– religieux, parce que, contre la religion scientiste et panthéiste de l’évolution (tout viendrait par pur hasard d’une matière éternelle, ceci sans la moindre intervention extérieure créatrice quelconque), religion matérialiste athée dont Darwin fut un des principaux prophètes, il faut choisir de croire en un Dieu Créateur bienveillant et tout-puissant. Ce Créateur d’une sagesse et d’une bonté infinies de rien créa, au commencement, l’espace et le temps, les cieux et la terre, et tout ce qu’ils contiennent, ordonnant toutes ses innombrables créatures merveilleuses à la perfection propre à chacune, en vue de leur bien commun et pour sa seule gloire, celle du Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit.

 

 

Les commentaires sont fermés.