6. Christ et son Église

CHAPITRE VI

Christ et son Église

Tel est le sujet de notre dernier entretien. Tout ce que j’ai déjà dit se rapportait, en fait, à la réalité de l’Eglise et à la réalité de Jésus-Christ dans son Eglise et au-dessus d’elle. Assurément, nous savons qu’il y a dans le monde une Eglise universelle; nous n’ignorons pas l’ampleur des problèmes ecclésiastiques, ni que beaucoup, surtout à une époque de crise, considèrent attentivement le comportement de l’Eglise; nous connaissons l’opposition et la haine dont elle est trop souvent l’objet; nous savons, enfin, qu’il y a une Eglise catholique romaine et beaucoup d’Eglises protestantes. Mais que représente donc, pour notre foi, la réalité de l’Eglise? Quelle est, dans notre vie quotidienne, l’influence de la réalité de Jésus-Christ comme Chef de son Eglise?

Il n’est peut-être pas inutile de nous souvenir que le mot « Eglise », ecclesia, signifie ce qui appartient à Jésus-Christ. L’Eglise n’est pas notre propriété, mais la sienne; il en est le Seigneur. C’est là une vérité que nous connaissons depuis notre enfance, mais il est capital de toujours nous souvenir que son Eglise dépend de son sang et de sa mort, et qu’elle surpasse en importance toutes les institutions humaines. Quand nous parlons de son Eglise, pensons à notre responsabilité personnelle, à nous, ses membres, à nos responsabilités journalières dans toutes nos activités religieuses: à notre chant, à notre prière, à notre prédication, etc.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas place pour la critique dans l’Eglise. Comme partout dans la vie chrétienne, l’Eglise a ses faiblesses et nombre de sectes l’ont rejetée à cause de ses fautes. Mais leur critique sectaire visait les activités de ceux qui ne participaient pas d’une manière vraiment authentique à la lutte de l’Eglise militante. Déjà au temps d’Augustin, les Donatistes revendiquèrent une Eglise parfaitement sainte et rejetèrent celle qui ne l’était pas. La critique dans l’Eglise ne peut être juste et bonne que s’il existe une profonde communion de vie et de foi avec le Seigneur de l’Eglise et que si nous avons la conviction intime que nos critiques envers elle sont celles du Seigneur envers nous. Alors ces critiques seront en même temps une confession de nos propres fautes au sein de cette Eglise qui lui appartient. Lorsque nous parlons de l’Eglise, nous parlons de la souveraineté du Christ, du sceptre de sa Parole, de son sang répandu. Avant toute autre considération, c’est notre responsabilité permanente qui s’impose à nous.

La royauté de Jésus-Christ

Le Seigneur de l’Eglise est un puissant Seigneur. « Tout pouvoir m’a été donné, dans les cieux et sur la terre », déclare-t-il avec force peu avant son ascension (Mt 28.18). Cette seigneurie est la conséquence de sa vie, de sa mort, de la rédemption qu’il a acquise; ce pouvoir lui a été donné, cette exousia qui le distingue à toujours et radicalement de tous les tyrans. Il me souvient ici de ce que dit notre Catéchisme de Heidelberg sur la seigneurie de Jésus-Christ. Nous y lisons (Q. 50) qu’il est entré dans le ciel afin de se manifester, là même, comme le chef de son Eglise chrétienne et celui par lequel le Père gouverne toutes choses. Nous y lisons aussi (Q. 31) que le Christ a été oint pour être notre Roi éternel, qui nous gouverne par sa Parole et par son Esprit, et qui nous conserve et maintient la rédemption qu’il nous a acquise. Nous ne pouvons jamais séparer la royauté de Christ sur son Eglise de sa royauté sur le monde. Ce Seigneur, notre Seigneur, est le Roi du monde. La vie de l’Eglise est donc liée à son règne sur le monde. Il est le chef de l’Eglise et c’est par lui que le Père gouverne le monde entier. C’est pourquoi la vérité que l’Eglise est l’Eglise de Jésus-Christ mérite une attention toute particulière.

De nos jours, une tendance marquée souligne l’aspect universel, l’aspect cosmique de la royauté du Christ. La théologie a subi l’influence des événements de notre siècle, qui se répercutent même dans la théologie systématique. La vie a subi l’irrésistible suggestion des puissances et des autorités, des concentrations de puissances et des gouvernements de force, qui semblent parfois posséder la toute-puissance, sinon dans les cieux, du moins sur la terre. Fait remarquable et qui donne un renouveau d’actualité à la puissance du Malin: on se met à parler de la démonisation de l’Etat et de la société, on manifeste un renouveau d’intérêt pour la signification du Christ pour le monde, pour les gouvernements, les peuples et les autorités. On parle de sa victoire sur les puissances et les démons, et l’on se penche sur la relation qui l’unit aux gouvernements de ce monde.

Il est intéressant de noter que nous avons aujourd’hui une idée d’une fondation christologique de l’Etat, élaborée en particulier par Barth et Cullmann (qui nient cependant toute révélation générale et la grâce commune), et rejetée par Brunner. Les épîtres de Paul aux Philippiens et aux Ephésiens sont, de nouveau, au centre de l’actualité. Lorsqu’Abraham Kuyper affirma, dans ses Lectures on Calvinism, qu’il existait des rapports étroits entre le Christ et tous les domaines de la vie humaine, et qu’il régnait sur le monde entier, nombreux furent ceux qui le contestèrent. On l’accusa de séculariser la royauté du Christ. Mais quand le Dr Visser’t hooft prononça à Princeton, en 1947, ses conférences sur la Royauté du Christ, il se référa souvent aux conférences faites par Kuyper cinquante ans auparavant, lequel, selon son expression, « avait éloquemment parlé de la portée universelle de l’Evangile ». Depuis une vingtaine d’années, la royauté universelle du Christ a suscité un très vif intérêt. Rares sont ceux qui croient encore, avec Schleiermacher, que le Christ n’est roi que sur son Eglise.

Une étonnante vague de christocentrisme balaye la théologie actuelle. Mais je m’empresse d’ajouter qu’il serait dangereux de nous en réjouir avant d’avoir bien examiné de quoi il retourne exactement. J’ai le sentiment, en effet, que certaines tendances irrationalistes y occupent une place importante. Je ne puis vous donner ici une analyse de cette conception christologique. Toutefois, à cause de cet intérêt purement général et universel porté à l’aspect cosmique de la royauté du Christ, m’apparaît le net danger qu’il ne soit plus possible de confesser la signification radicale et totale du Christ, comme Seigneur et Chef de son Eglise. J’ai donc quelques réserves à vous soumettre.

Je ne vous les exprime certainement pas parce que j’estimerai sans importance l’aspect universel de la royauté du Christ, ou parce que je chercherai à m’abriter dans le champ clos de sa royauté sur son Eglise, ni parce que je voudrais me soustraire aux tensions de la vie d’ici-bas pour jouir d’une communion intime et secrète avec Dieu dans la solitude de ma propre chambre. Bien au contraire! Je veux dire que ce serait en vain qu’on mettrait en vedette l’universelle royauté du Christ, si l’Eglise ne confesse pas la seigneurie du Christ sur elle-même et si elle n’en fait pas la vivante expérience. Car, alors, personne ne pourra jamais vraiment parler de la royauté du Christ sur le monde: on pourra dire tout ce qu’on voudra, mais on battra l’air en vain. Si l’Eglise a une tâche à accomplir dans ce monde, c’est avant tout celle de montrer, dans son existence actuelle et quotidienne, ce que signifie, pour elle, avoir un Seigneur, un Chef, un Roi. Chaque fois que le lien qui unit l’Eglise à la seigneurie du Christ se relâche, le témoignage de l’Eglise devient immédiatement vain et stérile dans le monde, et l’Eglise n’est plus le sel de la terre. Si l’exhortation du Christ: « Que votre lumière luise devant les hommes » (Mt 5.16), a jamais signifié quelque chose, c’est bien ici. Et elle vise autant l’Eglise dans son ensemble que chacun de ses membres en particulier. Rien n’est plus important pour l’Eglise que de connaître le sens de sa propre existence et du nom qu’elle porte: l’Eglise chrétienne!

A l’article 27 de la Confession des Pays-Bas, nous reconnaissons que le Christ est un Roi éternel qui ne peut être sans sujets. Un Roi Eternel! Mais une telle confession ne favorise nullement la passivité. Il n’est possible de la faire qu’en étant, au même moment, effectivement soumis, et dans la totalité de sa, vie à ce Roi, comme l’affirme encore notre Confession: que tous doivent ployer le cou sous le joug de Jésus-Christ (art. 28), et le tenir pour le seul Chef (art. 29). Reconnaître ainsi la seigneurie véritable du Christ est tout autre chose que se soumettre intellectuellement à une doctrine intellectuelle, car il faut nous courber joyeusement sous le sceptre de sa Parole. Toujours selon notre Confession, il s’agit d’attendre tout notre salut en Jésus-Christ (art. 27), de le connaître comme seul Sauveur, de fuir le péché et de suivre la justice, d’aimer le vrai Dieu et nos prochains, sans se tourner à droite ni à gauche, et de crucifier notre chair (art. 29). Telle est la réalité concrète de la seigneurie du Christ sur son Eglise. Cette seigneurie, cette royauté ne dépend pas de notre propre vouloir, mais implique la soumission de notre volonté à la sienne. Il est notre seul Maître. La Confession nous met en garde de ne jamais décliner de ce que Christ, notre seul Maître, nous a ordonné (art. 32).

Tout cela paraît aller de soi; mais ne nous y trompons pas, car, ce qui semble être le plus évident et le plus simple est souvent le plus négligé. Combien de fois, in concreto, l’Eglise n’a-t-elle pas renié la seigneurie du Christ! On la reconnaît bien, au moins théoriquement; elle est l’un des articles les moins discutables de la foi chrétienne, mais la question est de savoir si cette « joyeuse soumission » est bien réellement, et de jour en jour, la manière de vivre de l’Eglise et de ses membres. « Que celui qui croit être debout prenne garde qu’il ne tombe », déclare Paul (1Co 10.12). Qui oserait dire que cet avertissement ne nous concerne pas? Car, dans l’histoire de l’Eglise, nous voyons bien qu’elle a souvent failli dans sa soumission à la seigneurie du Christ.

Confession théorique, détournements pratiques

Sans refaire ici l’histoire de tous ces manquements, en voici quelques exemples d’autant plus remarquables que la seigneurie du Christ était théoriquement proclamée sans ambages:

1. Aucun doute n’est possible sur la manière dont l’Eglise catholique romaine confesse la royauté du Christ. Elle la proclame avec force. Si quelqu’un en doutait, qu’il lise l’encyclique Quas primas que Pie XI lui consacra en 1925, et celle de 1922 sur la paix du Christ dans son royaume. Le règne du Christ sur son Eglise nous y est présenté de diverses manières: Christ règne dans l’esprit des individus, sur la famille et sur la société. En 1925, dans un monde de chaos, une nouvelle fête fut solennellement proclamée. On parla avec emphase du joug si doux de Jésus-Christ. Ces encycliques sont remplies de chants de louanges. Elles nous font entendre un pathétique avertissement contre l’apostasie, source des calamités qui accablent le genre humain. Aux gouvernements et aux peuples de la terre, le Pape voulait apporter un témoignage, chanter une doxologie en l’honneur du Roi éternel! Si ce n’était qu’une question de mots, nous aurions là la plus haute expression qui fût jamais donnée de la royauté du Christ. Mais nous constatons, en même temps, comme il est facile de proclamer cette royauté à l’instant où l’Eglise vit en flagrante opposition avec sa propre confession. L’encyclique de 1925 fut l’un des événements les plus dramatiques de l’histoire de l’Eglise romaine, car, en réalité, la royauté du Christ était en danger permanent; son véritable pouvoir n’était pas reconnu, parce qu’une Eglise s’identifiait au Christ lui-même, confondant l’autorité du Christ-Roi avec celle de l’Eglise. Rome reconnaît bien que Christ est le Chef de l’Eglise; mais, dans sa vie et sa doctrine, cette seigneurie est profondément cachée. C’est pourquoi un tel témoignage n’est d’aucune aide pour le monde actuel. Voilà le drame de cette doxologie romaine.

2. Mais, en parlant ainsi du drame et des défaillances concrètes de l’Eglise romaine, mon intention n’est pas de glorifier le protestantisme. La plupart des critiques faites à Rome dans les cercles protestants me semblent trop faciles et trop simples. Dans votre pays comme dans le mien, le protestantisme libéral s’est dressé contre Rome qu’il accuse d’« impérialisme ». Mais de quel droit la critique libérale, après avoir rejeté la seigneurie du Christ par sa Parole, s’attaque-t-elle à Rome? Il serait vraiment trop dangereux d’accorder la même valeur à toutes les critiques qu’on lui fait! Car la valeur de notre critique dépend de notre fidélité à la Réforme. Lorsque nous reprochons. à Rome son identification du Christ et de l’Eglise, gardons-nous de tomber dans le danger de l’indifférentisme en niant la seigneurie du Christ sur son Eglise. Dans le protestantisme, l’Eglise est souvent considérée comme un rassemblement de croyants individuels, qui ne pensent qu’à leur propre salut et qui ne se préoccupent guère de la véritable royauté du Christ sur son Eglise. Leur égocentrisme les empêche de voir que la vocation de l’Eglise est de confesser la vérité et de prêcher l’Evangile. Ils ne comprennent pas l’importance de la tâche missionnaire de l’Eglise. Cette indifférence dénote une méconnaissance de la seigneurie du Christ, car ils ravalent l’Eglise à n’être rien que la dispensatrice de grâces individuelles, et ils oublient sa tâche essentielle que le petit groupe des apôtres, attentifs à la parole du Seigneur, ne négligea jamais: « Vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui descendra sur vous; et vous serez mes témoins, tant à Jérusalem que dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1.8). Lorsqu’au temps de la Pentecôte, l’Eglise entra dans le monde, elle reçut sa vocation: assurément celle de rendre grâces pour le miracle du salut par la croix du Christ, mais en même temps celle d’évangéliser le monde. Voilà ce que le Christ vivant, la Tête de tout le corps, impose à son Eglise.

3. Une importante question, enfin, est celle des moyens que le Christ emploie pour gouverner son Eglise. Notre Confession déclare qu’il gouverne son Eglise par sa Parole et par son Esprit. L’Eglise soumise à la Parole: telle est la pierre de touche de son authenticité. Ne doit-elle pas, selon l’expression de Paul, amener toutes les pensées captives à l’obéissance du Christ, renverser les raisonnements qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu (2Co 10.5)? Dans un monde divisé et constamment menacé, l’Eglise, elle-même divisée, soupire parfois après son unité visible. Elle le peut selon l’Evangile du Christ et selon sa prière: « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi; qu’eux aussi soient en nous, pour que le monde croie que c’est toi qui m’as envoyé » (Jn 17.20-21). Mais cette aspiration vers l’unité ne nous autorise jamais à séparer cette unité de la vérité dont parle le Christ dans la même prière.

Vérité et unité

Cette relation entre l’unité et la vérité est, à coup sûr, l’un des problèmes les plus pressants qui se posent à l’Eglise d’aujourd’hui. D’une part, nous sommes en danger de ne plus ressentir la détresse d’une Eglise divisée dans un monde divisé, d’accepter comme un fait irrémédiable nos dissensions et de nous y habituer de plus en plus. D’autre part, surgit le danger que l’Eglise puisse dire: il ne nous reste que peu de temps; dans ce monde divisé et brisé, il faut coûte que coûte nous unir maintenant ou jamais. Enfin, il existe un troisième danger: que le désir de cette unité ne favorise l’élaboration d’une théologie « œcuménique » où la vérité de l’Evangile ne serait pas au premier plan. L’un des traits caractéristiques d’une telle théologie est qu’on ne sait vraiment plus ce que les mots veulent dire. Je pense aux interprétations si diverses qui nous sont données du Symbole des Apôtres, à ces âpres critiques contre la naissance virginale du Christ, contre sa résurrection corporelle. Je suis convaincu que ce problème de l’interprétation, l’un des plus aigus de notre époque, est intimement lié à la réalité – ou à la non-réalité – de la seigneurie du Christ sur son Eglise.

Quel n’est pas le danger des acceptions diverses des mêmes termes! Dans le chaos des interprétations possibles, le Credo de l’Eglise ne dit plus rien de clair! La voix de l’Eglise n’est plus aussi nette que l’Evangile, que la voix des apôtres. Ne nous étonnons donc pas si les attaques auxquelles l’Eglise est en butte aujourd’hui ne sont pas plus violentes. L’Eglise n’est attaquée que quand elle parle clair et net. Aujourd’hui, il lui faut parler ce langage: il y a tant de mensonges dans le monde, tant de paroles vides de sens, que l’Eglise a la responsabilité de parler clairement, si clairement qu’un enfant puisse la comprendre et ne puisse se méprendre sur ce qu’elle dit.

Mais quelle doit être la voix de l’Eglise dans un monde soumis au mensonge? « Discuter » de la vérité du Credo, au sens où chacun est libre de l’interpréter à sa façon, cela est impossible, car alors jamais notre voix ne pourra dire quoi que ce soit de décisif dans ce monde d’indécision. Peut-être pourrait-on ainsi parachever aisément l’unité de l’Eglise, mais une telle unité n’apporterait rien au monde, car on aurait oublié que le Christ est le Chef de son Eglise, et qu’il ne règne sur elle que par sa Parole et par son Esprit. Le lien qui unit l’Eglise à Jésus-Christ est menacé sans cesse et de partout. Une Eglise peut progressivement dégénérer en une fausse Eglise, puisque, selon Paul, l’Antichrist ira jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu (2Th 2.4). Comme notre Eglise doit être sur ses gardes pour ne point recommencer, à sa façon, le drame de Rome! Quel redoutable danger pour elle que cette possibilité de se révolter contre son Seigneur, et combien lourde est sa responsabilité envers les brebis du Bon Berger! Combien de fois l’Eglise cherche-t-elle à se soustraire au sceptre de son Roi, et combien de fois ne doit-elle pas revenir à lui en confessant humblement: « Je m’étais égarée comme une brebis errante! »

En vérité, nous n’avons aucune raison de nous placer orgueilleusement au-dessus du drame de Rome. Le protestantisme ne s’est-il pas joué souvent de la Parole de Dieu? L’Eglise du XIXe siècle ne s’est-elle pas compromise avec ses idées d’autonomie et de liberté? Ne s’est-elle pas moquée de la Parole de Dieu? La confession de la royauté du Christ, ou de l’unité de l’Eglise, ou de sa vocation missionnaire, est inséparablement liée au respect de cette Parole. Ce n’est pas par accident que, dans le modernisme, non seulement le sceptre de la Parole, mais aussi celui qui la porte deviennent invisibles, car l’un ne peut être séparé de l’autre. Dès l’instant où l’on critique la sainte Parole du Seigneur, une crise éclate aussi dans la christologie. C’est pourquoi le XIXe siècle est tout rempli de critiques contre la doctrine du Concile de Chalcédoine, la divinité du Christ et sa naissance miraculeuse. Telle est l’une des lois de l’apostasie: parce qu’ils sont indissolublement unis, on ne peut renier le sceptre de la Parole sans renier en même temps le Roi qui le porte. Quand les Saintes Ecritures deviennent un problème pour l’Eglise, il est inévitable que le Christ devienne lui-même un problème. Quand la Bible est dépréciée, le royaume de Dieu est lui-même mis en jeu. Que ceci soit un avertissement pour l’Eglise. L’Eglise et la théologie d’aujourd’hui ne mesurent pas assez leurs responsabilités, en particulier envers les membres non théologiens de l’Eglise, qui ne saisissent souvent pas le fond des problèmes en jeu.

Après la résurrection du Christ, dans l’attente de la Pentecôte, le Seigneur enflamma les disciples d’Emmaüs d’une grande joie, et leur cœur fut tout brûlant au-dedans d’eux. Avec eux, il se pencha sur la Parole écrite de son Père, et voici qu’alors il gouvernait son Eglise. Quand la jeune Eglise surgit des flammes de la Pentecôte, Pierre prononça une prédication qui convertit au Seigneur plusieurs milliers de personnes. Oui, le Christ gouvernait son Eglise avec puissance. Sa main s’étendait sur son peuple, non seulement par les prodiges qui éclataient aux yeux de tous, mais aussi dans la vie ordinaire de l’Eglise: « Ils persévéraient, nous dit-on, dans la doctrine des apôtres et la communion fraternelle; ils rompaient le pain et priaient ensemble. » (Ac 2. 42). La gloire du Christ était manifestée. Oui! On a bien le droit de chanter la gloire de ce Roi éternel!

Peu de temps après, l’Eglise fut persécutée. Sa parole était trop claire et nul ne pouvait s’y méprendre. La croix était une pierre d’achoppement et les apôtres ne la cachaient pas sous une interprétation incompréhensible. Les dangers surgirent de partout. Mais c’est alors que l’Eglise devint une bénédiction pour le monde. L’Eglise possédait son message et elle devait chaque jour vivre de l’Evangile. Lorsque l’Eglise obéit à son Seigneur, elle peut accomplir sa tâche dans le monde. D’aucuns peuvent bien considérer son témoignage comme une sorte d’impérialisme ecclésiastique; mais elle saura qu’elle est en butte au mépris des hommes pour l’amour du Christ. Ce mépris sera pour elle une source de bénédictions dans tous les âges.

La lumière du monde

« La royauté du Christ » Quelle merveilleuse profession de foi pour le présent et pour l’avenir. Mais elle ne peut être proclamée que dans un sentiment de profonde responsabilité, en recherchant l’unité dans la vérité du chapitre 17 de saint Jean, et en affirmant sans ambages que le Christ ne règne pas seulement sur ce domaine limité qu’est l’Eglise, mais qu’il a tout pouvoir dans les cieux et sur la terre. C’est ainsi seulement que l’Eglise sera habilitée à dire au monde que ce Roi porte le sceptre de sa Parole, qu’il ne détruit pas la vie, qu’il n’exerce aucune dictature, mais qu’il donne une vie nouvelle. Y aurait-il une tâche plus exaltante pour l’Eglise que celle d’apporter ce message à un monde qui ne connaît que la peur? Que celle d’être une Eglise dont la lumière luit, d’être la lumière du monde, parce que Christ est la lumière du monde? Nous suivrons alors notre route à travers les ténèbres des temps, à cause de son Eglise et de son royaume, à cause de sa souveraineté, quoique l’homme naturel ne puisse les voir. Dans sa grâce irrésistible, il nous a attirés à lui; il nous protégera éternellement contre toutes les puissances. Voilà notre tâche; elle est immense, quelle que soit l’époque ou quel que soit le lieu. Elle seule apportera l’unité et la vérité.

Avec une telle vocation, nous pouvons lever les yeux vers l’avenir, mais pas parce que nous serions de plus en plus las d’être dans ce monde. L’avenir n’est pas un asile réservé à ceux qui sont fatigués et qui ne veulent plus travailler. Nous connaîtrons peut-être des moments de lassitude. L’Eglise perdra parfois patience envers ce monde pécheur. Mais le Seigneur est patient, plus que ne l’était Jonas quand il réclamait le jugement sur Ninive, la ville pleine d’iniquités. Non, nous ne soupirons pas vers l’avenir comme des gens découragés, mais parce que nous appartenons à une Eglise qui sait que la consommation des temps a été prophétisée dans l’Ancien et dans le Nouveau Testaments, cette consommation que l’Eglise opprimée pût entendre par la bouche de Jean, prisonnier pour Christ: « Et moi, Jean, je vis la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux. » (Ap 21.2).

Au terme de ces entretiens, il me semble que nous n’avons étudié qu’un seul et même sujet, celui du christianisme authentique, qui peut vaincre tous les dangers de ce monde. Quels qu’ils soient, les périls de ce temps ne restreindront jamais la véritable activité, de l’Eglise. Au contraire! L’Eglise est l’Eglise de Jésus-Christ: son Eglise, maintenant et au siècle des siècles.

Les commentaires sont fermés.