5. La conception moderne du monde et les commandements de Dieu

CHAPITRE V

La conception moderne du monde
et les commandements de Dieu

La conception moderne du monde est lourde de conséquences pour les problèmes de morale et d’éthique. La situation du monde n’est jamais une situation purement théorique: elle est toujours pratique. Dans toute l’histoire de l’humanité, les idées ont toujours eu de profondes résonances dans la vie pratique. C’est pourquoi l’Eglise de Jésus-Christ doit souligner l’importance de la loi de Dieu pour tous les aspects de la vie humaine.

Aux époques de révolution, on déclare volontiers que les temps changent et que nous changeons avec eux. Le problème de l’éthique est lié à cette évolution historique. L’Ancien Testament parle déjà de ces changements. Le prophète Daniel déclare que l’Antichrist ne se contentera pas de proférer des paroles contre le Très-Haut, mais qu’il formera aussi le dessein de changer les temps et les lois (Dn 7.25). Dans le Nouveau Testament, Paul annonce aux Thessaloniciens que l’Antichrist sera l’homme de l’iniquité, l’impie, et qu’il existe un développement, une évolution de l’iniquité. Le mystère de l’iniquité est déjà à l’œuvre, et, dans les derniers jours, l’impie sera manifesté (2Th 2.3, 5ss). Dans une autre épître, il décrit ces temps à venir, dont parle le Saint-Esprit (1Tm 4.1), qui seront remplis d’embûches, où les hommes seront épris d’eux-mêmes, vaniteux, arrogants, médisants, durs, calomniateurs, intempérants, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, enflés d’orgueil, amis du plaisir plutôt que de Dieu, gardant l’apparence de la piété, mais ayant renié ce qui en fait la force, révoltés contre leurs parents, ingrats, profanes (2Tm 3.1-5).

Déclin moral, croissance du mal

Il semble que ces manifestations effrayantes ne nous soient pas inconnues et qu’elles appartiennent à tous les temps. La vantardise, la profanation, la rébellion contre les parents, etc., ont toujours existé. Cependant, Paul parle des derniers jours avec un accent spécial. Il semble souligner le fait qu’il y a un déclin de la condition morale de l’homme. De même que la croissance du mal est possible chez les individus dont les hommes ont émoussé la conscience, de même une évolution, une maturation du mal est possible dans une nation ou dans le monde. C’est pourquoi il est nécessaire que nous connaissions les conditions morales de notre époque. Denis de Rougemont a écrit un livre sur L’amour et l’Occident, où il étudie les conceptions morales de l’Europe Occidentale et accuse notre siècle d’avoir gravement dévalué la morale et d’avoir fait du péché une aventure intéressante. Il y met en garde contre une attitude sans respect pour aucune retenue morale.

Ne pensons pas qu’il n’existe qu’un seul moyen de dévaluer le sentiment moral à une époque donnée. On peut saper les idées morales en niant de façon ostensible et grossière les commandements de Dieu et en proclamant effrontément une liberté sans frein. Mais il peut aussi exister une forme raffinée du mal, qui semble se faire l’apôtre du beau et du bien. Cette forme subtile est de beaucoup la plus dangereuse.

Paul parle de ce raffinement du mal lorsqu’il met les chrétiens en garde contre les faux apôtres, qui donnent l’impression d’être de vrais apôtres de Jésus-Christ (2Co 10.13-15). Et il ajoute « Il n’y a là rien d’étonnant, puisque Satan lui-même se déguise en ange de lumière. » Si le Malin emploie lui-même cette méthode, il n’est donc pas extraordinaire que ses ministres se déguisent aussi en ministres de justice! Dans le monde entier, sa tactique est prise en exemple par ses ministres qui, changeant sans cesse de méthode, tentent continuellement les hommes. Pour séduire les esprits, ils savent se métamorphoser, comme nous le dit Paul. Lorsque Satan cherche à tenter les hommes, il sait combien déclareront vouloir le vrai bien et posséder une éthique et une morale.

Soyons sur nos gardes, non seulement envers l’Antichrist qui nie tous les commandements de Dieu, mais aussi contre l’Antichrist qui vient faire l’œuvre de Satan avec toute sa puissance, en opérant des signes et des prodiges menteurs, et même contre l’idéaliste dont il faut savoir sonder l’idéal. Quand surgit la tentation, Satan donne toujours l’impression que la voie du péché est la plus belle voie, sur laquelle on peut s’avancer avec joie. Il apparaît parfois comme un ange de lumière et de joie, de pureté et de bénédiction. L’Ecriture parle de ceux qui trouvent leurs « plaisirs » dans les délices du jour (2P 2.13). Satan éveille souvent l’idée d’une vie plus haute, de la noblesse, de l’humanité, de l’honneur. Par son impérialisme, Hitler prétendait faire de l’Allemagne une « bénédiction » pour le monde entier, et qu’après la guerre, il servirait la cause de la culture et de la civilisation. Lorsque le Malin vient avec sa tentation, il donne l’impression, toute démoniaque qu’elle soit, de se tenir aux portes du paradis ou de la terre promise. Sa séduisante apparence nous cache le désert aride qui, devant nous, s’étend à l’infini. Son aspect aveugle, tout comme les lumières de la ville, cachent l’immoralité et la perversion. Il est bien difficile de distinguer entre l’apparence et la réalité, comme il était difficile pour l’Eglise de distinguer entre le prophète du Seigneur et le faux prophète, car tous deux disaient la même chose: « Ainsi parle l’Eternel ». Le péché peut paraître une chose merveilleuse, un plaisir qui enrichit une vie entière. L’amour sans responsabilité peut être décrit comme l’amour libre, tout plein de spontanéité, et l’on justifie parfois le divorce en excipant du malheur des enfants, innocentes victimes des querelles familiales.

L’artifice de la tentation

Je pense à la tentation de notre Seigneur Jésus-Christ au désert. Le tentateur l’aborde en recourant à l’Ecriture. Il cite l’un des plus beaux Psaumes, celui de la sécurité, le Psaume 91 et il lui dit: « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est écrit, il ordonnera à ses anges de veiller sur toi, et ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne heurte contre quelque pierre. » (Mt 4.6). Il invoque cette parole d’amour de Dieu, cette « retraite à l’ombre du Tout Puissant » (Ps 91.1). Puis, il se met à parler sans artifice, sans aucun déguisement, lui offrant le monde entier, si seulement le Christ se prosterne devant lui et l’adore. Mais, après la résurrection du Christ, lorsque le Malin ne peut plus désormais tenter le Christ en personne, il reprend sa méthode favorite et se déguise à merveille! Le Diable se fait l’exégète des Psaumes les plus beaux – un avertissement que personne ne doit jamais oublier! A sa façon, il interprète la Parole de Dieu, il met en œuvre une démoniaque exégèse. Jésus-Christ, qui depuis son enfance a appris à lire la Parole de Dieu dans son contexte, rejette la tentation sans discuter, mais en faisant appel à la même Parole « Il est écrit ».

Pour nous, chrétiens, cet art de Satan à se métamorphoser pour nous tenter menace tous les domaines de notre vie. Ce danger, nous le voyons dans toutes les formes de la littérature contemporaine. L’un de ses thèmes favoris, c’est que les temps ont changé et que l’éthique, se modifiant avec eux, est historiquement relative. D’aucuns aiment à dire que le mal de jadis n’est plus le mal d’aujourd’hui, car tout dépend de la situation historique où l’on se trouve. C’est là l’un des aspects le plus décisifs de la sécularisation du monde.

Il y a plus. On parle aussi des mobiles psychologiques de la vie humaine, et de la liberté. Je pense aux idées de liberté que nous rencontrons dans certaines formes de l’existentialisme contemporain, au livre de Jean-Paul Sartre, par exemple: Les chemins de la liberté. L’introduction à l’édition hollandaise prévient le lecteur qu’il ne doit pas lire ce livre avec des préjugés moraux. L’originalité de cet écrit, comme de beaucoup d’autres, est de nous présenter un homme sans Dieu et sans loi, un homme qui traverse le monde à sa. façon, qui effectue chaque jour un choix dans un monde où rien ne vaut que la liberté. Pour l’homme, sa seule possibilité est d’être libre. Tout en se proclamant athée, Sartre se veut humaniste. Selon lui, l’existentialisme est un humanisme, l’humanisme de l’existence de l’homme. Toute autorité supérieure à l’homme est rejetée comme inacceptable et, aujourd’hui, impossible. L’homme n’a d’ordre à recevoir de rien, ni de personne; la seule chose qui compte, c’est sa décision; il doit prendre sa vie dans ses propres mains, décider et suivre sa voie; il est un individu créateur, le créateur de lui-même. Dans notre nuit obscure ne brille qu’une seule étoile: celle de la liberté!

Vous et moi, dans nos pays respectifs, nous savons ce qu’est une certaine liberté. Jamais, aux Pays-Bas, nous n’avons mieux compris ce qu’était la liberté d’une nation que quand, en mai 1945, notre pays a été libéré. La liberté peut être quelque chose de merveilleux. Elle peut signifier la vie et la joie pour nous comme pour nos enfants, la liberté sans persécution pour l’Eglise, la liberté dans un monde précédemment menacé par les dictateurs et les exterminateurs. Mais qu’est-ce donc que la liberté? Tel est le problème d’aujourd’hui.

Confusions autour de la liberté

L’une des tendances les plus puissantes de l’esprit moderne est de confondre la liberté avec l’autonomie. Certes, cette identification a déjà été faite à d’autres époques, mais nous voyons bien, de nos jours, que cette conception athée de la liberté exerce une influence nouvelle et démoralisante sur d’innombrables cœurs. La raison m’en paraît claire: à une époque de catastrophe, où nous avons été frustrés de tout sentiment de sécurité, après deux guerres mondiales en moins d’un demi-siècle, l’homme est attiré par la réalité existentielle de sa vie. Sous l’influence de théories athées et de conceptions philosophiques ruineuses pour la foi, les hommes ont accepté une sorte de réalisme. Rien ne leur répugne plus qu’une illusoire consolation.

A la fin du XIXe siècle déjà, Nietzsche s’en était pris à la consolation chrétienne. Il parlait de l’au-delà comme d’un platonisme fait pour le peuple, et de la foi chrétienne comme d’une consolation chimérique qui rendait l’homme aveugle à la réalité de ce monde. Un jour, il déclara: J’ai découvert la moralité chrétienne, cette terrible moralité qui hait le monde, qui hait la bonté et l’orgueil et la bravoure et la sexualité et la volonté de puissance; cette moralité qui est une fuite hors de la réalité du monde. Que le christianisme donne naissance à mille et une fables, disait-il, je ne perdrai pas mon temps à les réfuter, car il est bien inutile de s’embarrasser de tous ces mensonges; par contre, c’est à sa moralité que j’en veux! Bien avant Nietzsche, Karl Marx tenait le même langage, lorsqu’il militait en faveur de la vie réelle, du pain et du matérialisme historique, et qu’il considérait le royaume de Dieu comme une dévaluation de ce monde. Nous voyons à présent les effets de cette violente attaque. Aujourd’hui, les hommes se veulent réalistes: il leur faut l’existence et rien que l’existence; la réalité, si terrible qu’elle soit; la liberté et l’existence, mais ni essence, ni norme, ni loi, ni commandement.

Le déclin de l’éthique chrétienne est dû, si je ne m’abuse, à la conjonction de la pensée du XIXe siècle et des événements catastrophiques de notre époque, où l’existence des hommes est menacée de nouvelles façons. Nous vivons en un temps où les notions chrétiennes de péché, de responsabilité, de prochain, ne jouent plus aucun rôle. Dans son épître aux Romains (2.12-15), Paul déclare que les païens de son temps ne connaissent pas la loi de Moïse, mais il remarque qu’ils accomplissent pourtant les œuvres de la loi. Ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes et font voir que les commandements de la loi sont écrits dans leurs cœurs. Ils obéissent naturellement à la loi. C’est là une possibilité même pour les païens, sans que Paul nous dise que cette possibilité devienne toujours une réalité. Car il y a aussi la possibilité de la pire immoralité qui soit, comme il le montre au précédent chapitre (Rm 1.18-32). Mais l’humanisme ne saurait se prévaloir du second chapitre de l’épître aux Romains, car il n’y a pour lui, au cours de l’histoire, aucune stabilité dans la morale, qui est soumise à un processus dynamique. Parce que Dieu, dans sa merveilleuse bonté, ne cache pas sa loi même aux yeux des païens, il nous est parfois donné de contempler les signes manifestes d’une obéissance naturelle à la loi. Mais il ne s’agit là d’aucune garantie de moralité pour le cœur humain, car la parole écrite dans le cœur peut être effacée, ce que nous voyons bien de nos jours.

Pour faire face à cette situation, nous devons savoir, en premier lieu, le sens véritable de la loi et de la liberté. Souvent, même dans les milieux chrétiens, on rencontre une attitude de défiance à l’égard de la loi, comme si la loi de Dieu était quelque chose qui mette notre liberté en péril. L’idée de l’autonomie de l’homme a une si puissante influence qu’elle pénètre même jusque dans l’Eglise, au sein de laquelle nous pouvons saisir sur le vif quelque manifestation des déguisements de Satan. L’homme naturel ne peut se soumettre à la loi de Dieu. Même dans la vie chrétienne, nous savons l’influence du péché, de la tentation, de la désobéissance. Paul parle du péché qui habite en lui et de cette loi « Quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi. » (Rm 7. 21). Il sait qu’il est captif de la loi du péché: « Misérable que je suis! », s’écrie-t-il (Rm 7.24). Et nous pouvons affirmer que la plus grande puissance de cette loi du péché se trouve dans notre aveuglement à la bénédiction de la loi. Il nous faut lutter contre ce danger, contre cette idée tout humaine que la loi est une menace pour la vie de l’homme et une négation de sa liberté. La loi, écrit Paul, est sainte et bonne (Rm 7.12). Il nous arrive parfois de comprendre que la loi n’est pas une menace, mais la protection même de notre vie. Si cela nous échappe, nous pouvons fort bien donner l’impression d’obéir à la loi, mais alors nous ne trouvons plus notre joie dans notre obéissance qui ne provient que de la crainte du châtiment.

Souvenons-nous de la merveilleuse parole de l’Ancien Testament, à une époque où la loi n’était pas encore accomplie en Jésus-Christ. Déjà, à cette époque, la loi et les commandements du Seigneur étaient une source de joie: « Combien j’aime ta loi!, dit le psalmiste. Tous les jours, je m’applique à la méditer. Tes commandements me rendent plus sage que mes ennemis, car tes commandements sont toujours présents à mon esprit. » (Ps 119. 97-98). L’une des principales tâches de l’Eglise de Jésus-Christ doit être de proclamer la richesse de la loi de Dieu et de l’obéissance à cette loi. Si l’obéissance n’est pas une joie pour nous, si nous ne prêchons pas sa richesse, comment le monde croirait-il et comment obéirait-il? S’il lui semble que notre moralité et notre obéissance ne sont rien de mieux que ce que Nietzsche a dit de l’éthique chrétienne et de l’au-delà, ne croyons pas que la sécularisation prenne jamais fin!

L’Eglise est placée dans le monde comme un témoin de l’Evangile. Sa mission n’est pas de discuter, comme si Dieu se trouvait au terme ultime du raisonnement humain. Non, elle est le témoin de l’Evangile et de la loi et de la liberté. L’Evangile est la nouvelle de la restauration de la vie, d’un début de restauration, mais quand même d’un véritable début. Et le témoignage de l’Evangile est incomplet s’il ne proclame pas que la loi est sainte et bonne. Sous ce rapport, l’Eglise doit être une pierre d’achoppement pour le monde, parce qu’elle participe à la folie de Dieu, qui est plus sage que les hommes (1Co 1.25). De ce point de vue, l’Eglise proclame que l’Evangile n’a rien d’anti-humain, mais qu’une humanité vraie ne trouve sa sécurité que sous la protection de la loi de Dieu.

La loi divine et le légalisme

Ceci n’a rien à voir avec le légalisme. Le légalisme sépare la loi divine de l’Evangile. Mais, en nous opposant au légalisme, nous ne nous opposons pas à la loi; car, sous la bénédiction de la loi du Seigneur, la vie humaine redevient possible. Nietzsche a 1u la Bible de la première à la dernière page, et il en conclut que le christianisme détruit la vie parce qu’il parle, sans cesse, du péché et de notre dette, des pauvres et de ce petit nombre de « puissants » et de « nobles » (1Co 1.26), choisis par le Seigneur. Mais Nietzsche n’a pas compris le Sermon sur la Montagne: « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés! Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre! » (Mt 5.6, 5). Le véritable but de la rédemption, c’est une restauration, une restauration qui est une protection sous le sceptre du Seigneur. La loi n’est pas une barrière de fils de fer barbelés qui nous emprisonnerait dans un camp de concentration. Le mauvais usage de la loi n’anéantit point le bon usage qu’on en peut faire. Notre monde a besoin de connaître la loi sous son véritable jour, non seulement dans notre vie personnelle, mais dans la vie en général, car c’est dans tous les domaines de la vie que l’Eglise doit montrer la signification profonde de la loi de Dieu.

Au cours des quatre derniers siècles, les uns après les autres, les domaines et les sphères de la vie ont été soustraits à l’influence de l’Evangile et de la loi de Dieu, ce qui a conduit à la sécularisation du monde moderne. Cette sécularisation peut se manifester dans le domaine de la science, des arts, de la société, de l’Etat, du mariage. Partout, nous constatons l’influence désastreuse de cette révolte. La Parole de Dieu nous dit pourquoi la destruction est toujours la conséquence de cette révolte: c’est parce que la loi est bonne et qu’elle est essentielle à la vie humaine.

En 1936, Staline réduisit par décret le nombre des motifs légaux de divorce, parce qu’il avait constaté que de trop nombreux divorces détruisaient la vie humaine et la société. Sa décision ne fut pas prise par respect pour le Législateur divin, ni par obéissance au septième commandement; et, pourtant, il reconnut indirectement que cette loi divine était une bénédiction et une garantie de bonheur pour les hommes. Nous constatons le même fait dans tous les autres domaines. L’Etat moderne est devenu totalitaire, ennemi de la liberté; la science moderne a détruit le caractère unique de l’homme; l’art moderne peut pervertir la vie humaine. Contre cette sécularisation, l’Eglise doit sans cesse rappeler la signification profonde de la loi, même si elle ignore quelle sera la portée de son témoignage.

Le nihilisme moderne et la puissance de l’Evangile

Certains rejettent toute loi et aboutissent au nihilisme. Mais, lorsqu’un nihilisme puissant et destructeur s’est donné libre cours, quand ses conséquences apparaissent aux yeux de tous, on en revient – car la loi est bonne! – à des idées et à des théories nouvelles. Il m’apparaît que la situation complexe d’aujourd’hui résulte du fait qu’on est nihiliste en morale, tout en cherchant à rebâtir la civilisation, mais en substituant à la Parole de Dieu des ersatz de toutes sortes.

Nous pouvons bien craindre le nihilisme; mais craignons tout autant le nouvel idéalisme! Un vide finit toujours par être rempli, et, sans doute, notre monde ressemble-t-il à la maison dont nous parle le Christ, cette maison qu’un esprit impur venait de quitter. Que fit cet esprit? Il alla par les lieux arides, cherchant du repos, et il n’en trouva pas. Alors, il dit: Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti. Et quand il y fut revenu, il la trouva vide, balayée et ornée. Alors, dit le Christ, il s’en va et prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui; ils y entrent et ils y demeurent, et la condition dernière de cette maison devient pire que la première (Mt 12.43-45). Telle est la redoutable possibilité. qui menace les hommes qui cherchent la solution de leurs problèmes dans l’humanisme et dans l’idéalisme. La maison balayée et ornée peut voir revenir les esprits. « Je retournerai dans ma maison », voilà ce que dit l’esprit car, où qu’il ait été, c’est bien là sa maison, et c’est ainsi qu’il revendique le monde, ou parfois telle nation.

Voilà pourquoi la responsabilité d’une nation où l’Evangile a été prêché est si lourde, car l’Evangile impose toujours de nouveaux devoirs. La situation de notre XXe siècle est plus dangereuse que jamais, parce que la prédication de l’Evangile a retenti dans les siècles précédents, et que, tout au long de l’histoire, notre responsabilité grandit. Le nihilisme contemporain est fort différent de l’immoralité d’autrefois, parce que le Royaume s’est approché et que ce nihilisme a connu le christianisme et qu’il l’a rejeté.

Dans ces circonstances, sommes-nous vraiment conscients de la puissance de l’Evangile? Lorsque nous prêchons au monde l’Evangile et la loi, mesurons-nous bien notre responsabilité? Celle qui nous incombe dans tous les domaines de la vie, mais aussi dans notre vie personnelle et dans l’Eglise, la communion des saints? C’est là que commence notre tâche. Certes, nous ne pouvons pas nous oublier nous-mêmes et nous avons toujours aussi un prochain. La loi ordonne l’amour envers Dieu; mais le second commandement: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », est semblable au premier, et il ne faut pas aujourd’hui en nier l’importance, ce que Nietzsche n’avait pas compris, à nous de le comprendre: que l’humanité est restaurée par l’Evangile et par la loi. C’est ce que Paul avait bien vu, quand il disait que celui qui aime son prochain a accompli la loi (Rm13.8). Ou encore, quand nous entendons le Seigneur parler de son retour et du jugement (Mt 25.31ss). « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, alors il s’assiéra sur son trône de gloire et toutes les nations seront rassemblées devant lui. » Qu’attendons-nous pour nous-mêmes à cet instant suprême? Que le Roi dise à ceux qui seront à sa droite: « Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus auprès de moi. » Et si les justes ne comprennent pas ce que signifient ces paroles, il leur expliquera. « En vérité, je vous le déclare, toutes les fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, vous me l’avez fait à moi-même. » N’oublions jamais cet aspect eschatologique de l’Evangile: il nous rappelle que nous avons notre responsabilité dans l’histoire, dans le développement de la science et de la société, et qu’elle va grandissante avec la sécularisation du monde. C’est pourquoi la vie des membres de l’Eglise doit être un témoignage qui resplendit dans les ténèbres. A l’heure du danger, quand la désobéissance s’aggrave, quand toute affection naturelle disparaît, et quand chacun néglige de plus en plus son prochain, la mission de l’Eglise est de protester contre la destruction de la vie humaine, non seulement par la parole, mais aussi par sa propre vie chrétienne, dans une soumission concrète et authentique au sceptre du Seigneur. C’est alors que l’Eglise pourra faire entendre l’Evangile et sa merveilleuse promesse: la liberté. Qu’elle se réjouisse donc, avec l’apôtre Paul, de ce que la création tout entière sera délivrée de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu (Rm 8.21).

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