3. Réforme ou révolution ?

CHAPITRE III

Réforme ou révolution ?

Dans l’étude des relations entre la Réforme et le catholicisme romain, l’une des questions les plus importantes est celle de savoir si la Réforme fut une véritable réforme ou bien une injustifiable révolution. Bien des choses, nul ne le contestera, en dépendent. Dans notre précédente conférence, nous avons déjà effleuré cette question qu’il nous appartient à présent de circonscrire d’une manière plus précise. Car si la Réforme fut bien une révolution, il est assurément de notre devoir de retourner à ce que nous avons quitté et de reprendre conscience de ce que nous avons oublié.

La Réforme, une révolution?

Les catholiques romains accusent la Réforme d’être une révolution. Il ne s’agit pas de l’opinion de quelques isolés, mais de celle de l’Eglise romaine tout entière. Du point de vue romain, nous comprenons bien la raison de cette accusation: si cette Eglise est la seule véritable, si elle seule se trouve en possession des moyens de grâce, comment la Réforme serait-elle autre chose qu’une révolution? Les catholiques considèrent leur Eglise comme celle du Père, du Fils et du Saint-Esprit, le Corps du Christ, la seule Eglise vraiment universelle dans le monde, celle qui détient la promesse pour tous les siècles. « Et moi, je te dis: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes des enfers ne prévaudront point contre elle. » (Mt 16.18). C’est pourquoi la tragique erreur des Réformateurs fut de négliger l’assistance éternelle du Saint-Esprit et la promesse perpétuelle faite à la seule véritable Eglise. Cette désobéissance les a conduits sur un chemin qui a profondément marqué l’histoire de l’Eglise des quatre derniers siècles.

Depuis quelque temps, certains catholiques émettent une appréciation plus nuancée sur la Réforme. Il en est même qui, jusqu’à un certain point, reconnaissent et apprécient la valeur des motifs religieux de Luther et de Calvin, et qui admettent les nombreuses fautes de l’Eglise romaine avant la Réforme. Par exemple, l’Allemand Karl Adam, théologien catholique en renom, décrit les profondes ténèbres des XVe et XVIe siècles, l’appauvrissement de la vie chrétienne dans l’Eglise, la dévaluation du service du Seigneur, la sécularisation de toute la chrétienté aux temps précédant la Réforme. Sur cette toile de fond, Luther est alors considéré comme un homme comblé des dons du Saint-Esprit, brûlant de zèle pour la religion et possédant une vue aiguë et admirable des éléments essentiels du christianisme. Et Kart Adam déclare que si Luther avait utilisé ces dons au service de la Vigne du Seigneur, il aurait été capable de réorganiser toute l’Eglise, il eût été pour elle une bénédiction singulière et sa place y aurait été égale à celle de Thomas d’Aquin. Que Luther n’ait pu trouver sa place dans l’Eglise, telle est, selon Karl Adam, la tragédie de la Réforme.

Voilà bien une conception plus compréhensive que celle de la célèbre encyclique de 1910, qui traitait les Réformateurs de théologiens orgueilleux, d’ennemis de la croix du Christ, jetant le désordre dans l’Eglise et dans le monde. Cette attaque excessive et violente poursuivait celle du Pape précédent qui avait déclaré que la Réforme était une rébellion et la source principale du communisme, du socialisme et du nihilisme. Je crois, d’ailleurs, que telle est encore l’opinion le plus répandue dans l’Eglise romaine.

En 1950, en effet, le Pape lança un avertissement à ceux qui voyaient la Réforme sous un jour trop favorable et qui étaient trop enclins à critiquer l’Eglise romaine. Dans une très fameuse encyclique, spécialement consacrée à ce sujet en 1950, le Pape renouvela ses avertissements contre une appréciation trop conciliante de la Réforme. Du point de vue catholique romain, je crois pouvoir affirmer que le Pape a raison et que son attitude est logique. Pour lui, Luther et Calvin ont commis le plus grave de tous les péchés, celui dont parle Augustin: ils ont dressé l’autel contre l’autel. Karl Adam parle du tragique de la Réforme, mais l’Eglise romaine, dans sa masse, souligne la culpabilité des Réformateurs, qui s’attaquèrent à l’autorité divine, puisqu’ils rejetèrent la discipline de l’Eglise, qui était vraiment la discipline de Jésus-Christ. Telle est jusqu’à présent l’accusation de l’Eglise romaine, qui ne cesse de nous exhorter à retourner en son sein, puisque seule l’Eglise-Mère peut nous mettre à l’abri des dangers de notre temps.

Il nous est donc aisé de comprendre sous quelle lumière l’Eglise romaine envisage l’histoire des derniers siècles, et pourquoi. Les aspirations révolutionnaires de la Réforme, nous dit-on, conduisaient inévitablement à la Révolution de 1789, voire à ce siècle révolutionnaire qu’est le nôtre. Selon Rome, il y a progression historique de la Réforme à la Révolution, un affaiblissement progressif de toute autorité dans le monde, non seulement dans l’Eglise, mais aussi dans l’Etat. C’est la Réforme qui aurait préparé le terrain à la sécularisation du monde moderne. Dès qu’il n’y a plus d’autorité, d’autorité absolue, la porte est ouverte à toutes les ténèbres. L’affaiblissement de la culture moderne est la conséquence directe du dédain manifesté envers la seule puissance au monde qui eût été capable de nous sauver: l’Eglise catholique romaine. Mais, quand l’Eglise est attaquée, les portes mêmes de l’enfer ne prévaudront point contre elle! En ce XXe siècle, prenez-y bien garde, nous dit-on, car les démons commencent à attaquer l’Eglise de Jésus, le Corpus Christi.

Tel est le problème que nous allons étudier à présent.

Une étrange accusation

C’est là une question qui touche au cœur même de la Réforme, de notre vie ecclésiastique et de toute notre action dans le domaine protestant. La Réforme a-t-elle vraiment été une révolution? Quelle étrange accusation, lorsque nous songeons aux origines de la Réforme! Car cet événement historique ne date pas de 1517, mais de quelques années plus tôt, quand Luther étudia les Psaumes et particulièrement l’épître de Paul aux Romains. En 1907, on retrouva, dans une bibliothèque, le commentaire de Luther sur l’épître aux Romains. Et quel est donc le trait saillant de ce vieux commentaire? C’est que la source authentique de la Réforme gît dans l’obéissance aux Saintes Ecritures, dans une nouvelle écoute de la Parole de Dieu. Tout ce qui s’ensuivit ne fut qu’une conséquence de ce principe premier. Luther vit le soleil surgir de la nuit profonde des complications religieuses du Moyen Age, la nuit du caractère méritoire de nos bonnes œuvres humaines, la nuit de l’incertitude de la foi, la nuit de tous les troubles qui dévastaient l’Eglise; et alors il voulut être le serviteur de Dieu.

Révolution? Non pas; mais Réforme! Un retour, un merveilleux retour à la Parole de Dieu, à l’Evangile, au simple Evangile, à la simplicité du salut qui ne pouvait dépendre plus longtemps des œuvres et des mérites des chrétiens, mais uniquement de l’amour et de la rédemption de Jésus-Christ. Bien sûr, il semblait que ce fût une révolution, parce que des murailles étaient abattues et certaines autorités écartées. Une lumière inconnue illumina alors l’Europe occidentale. Mais elle venait d’une exégèse sérieuse, d’une attention nouvelle prêtée à l’antique Parole, d’une compréhension nouvelle des formules familières de l’Eglise, d’une nouvelle intelligence des mots ressassés dans tous les livres du Moyen Age: grâce, satisfaction, mérites du Christ, foi, certitude, la croix du Christ, et de bien d’autres termes de la Bible. Chaque mot du vocabulaire de l’Eglise prit une autre signification. Il semblait que ce fussent des mots nouveaux et des idées nouvelles; mais ils n’étaient rien d’autre que l’antique Parole de Dieu, saisie avec une illumination nouvelle et parfaitement légitime, celle de la Parole elle-même.

Luther fut excommunié par le Pape en 1520 et l’on brûla ses livres. Le Concile de Trente de 1545 rejeta les « erreurs » de la Réforme et, en particulier, les doctrines de l’assurance de la foi et de la persévérance des saints. C’est à ce concile que fut prise une décision d’une incalculable portée, qui déclencha la Contre-Réforme, et engagea Rome sur la route qui devait la mener aux décisions de 1854 (immaculée conception de la Vierge Marie), de 1870 (infaillibilité du Pape) et de 1950 (ascension corporelle de Marie). C’est à ce concile qu’on proclama que la tradition avait une autorité égale à celle des Ecritures. Mais, lorsqu’une voix s’éleva dans ce concile pour lui demander d’énumérer le contenu de la tradition, le concile s’y refusa. C’est au Pape qu’il appartenait, avec l’assistance du Saint-Esprit, de décider ce qui composait la tradition dans une Eglise vivante.

Sous cet angle, il nous est possible de comprendre que la Réforme, avec son retour à l’Evangile, fut considérée comme une méthode révolutionnaire, responsable à présent de tous les maux des temps modernes. Certes, nous aussi, les protestants, nous voyons bien l’évolution tragique des temps modernes; nous comprenons bien la crainte de certains Papes récents concernant la destruction totale de toute autorité au XXe siècle. Mais c’est une monstrueuse erreur de rendre la Réforme responsable de tous les maux actuels. Bien au contraire, nous allons voir que l’évolution de l’histoire de l’Eglise occidentale semble révolutionnaire aux yeux de Rome, parce que le chemin suivi par l’Eglise romaine était lui-même foncièrement révolutionnaire, car, au cours de sa propre évolution, Rome abandonnait le chemin de l’Evangile. C’est bien pourquoi Rome parla de révolution quand la Réforme en appela à l’autorité de l’Evangile: ce lui semblait être une attitude individualiste, anarchiste et spiritualiste. Au cours de l’histoire, la responsabilité de l’Eglise romaine n’a fait que croître, car sa responsabilité est infiniment plus grande après la Réforme qu’avant. Assurément, lotit comme vous, je connais un certain nombre de catholiques qui sont véritablement pieux; mais l’Eglise romaine, en tant que telle, porte le fardeau d’une responsabilité accrue.

Car l’étrange évolution du romanisme se poursuivit. Au Concile de Trente, la tradition et l’Ecriture furent mises sur le même plan et, dans les siècles suivants, nous en voyons les conséquences logiques. Les déclarations mariales de Trente trouvèrent leurs conclusions dans la proclamation de l’immaculée conception de Marie et dans son ascension corporelle. Ceux qui, dès leur enfance, sont nourris de la Parole de Dieu, ont bien de la peine à comprendre ces développements du dogme romain. Le Concile de Trente a ouvert la porte à l’influence des constructions humaines et aux idées subjectives. Très particulièrement, le rejet du Sola Fide entraîna la prééminence du principe de la coopération humaine dans le domaine de la grâce. C’est cette coopération humaine qui est à la base de nombreuses décisions prises au cours des quatre derniers siècles. C’est elle qui forme la toile de fond de la doctrine mariale, parce que la coopération humaine, apportée par le « fiat » de la vierge Marie, est déjà glorifiée dans le ciel, selon une décision de 1950. « Elle est notre tête de pont au ciel », disait un célèbre théologien catholique.

L’ascension corporelle n’est qu’une illustration, entre beaucoup, de la collaboration humaine dans la rédemption. Le développement du dogme n’est d’ailleurs pas encore achevé. On discute déjà de la coopération de Marie, non seulement dans l’application du salut, mais aussi dans l’œuvre objective de la rédemption, bien que ce ne soit point encore un dogme officiel. Il nous est donc facile de comprendre pourquoi l’Eglise romaine ne peut considérer la Réforme que comme une révolution; car, si elle se rétractait, elle prendrait le chemin d’un retour à l’Evangile. Mais, à ce que nous pouvons voir, l’Eglise romaine persévère dans cette conception et dans le chemin où elle s’est engagée. Comme il est facile pour Rome de tendre un doigt accusateur vers la Réforme au spectacle des maux de notre temps! Et ne sont-ils pas nombreux, ceux qui, fatigués de la perversité et de l’anarchie des nations, reviennent à la seule véritable autorité, à l’Eglise romaine?

Les dangers de « l’anti-papisme »

Permettez-moi, ici, d’attirer votre attention sur certaines accusations injustes portées contre Rome. On souligne à plaisir les erreurs de l’Eglise romaine et on l’accuse de n’être nullement religieuse, mais une institution seulement avide de pouvoir dans le monde. Ceux qui émettent de tels jugements semblent, bien souvent, oublier que nous devrions nous réjouir quand l’Eglise romaine témoigne et milite, dans un monde sécularisé, en faveur de la sainteté du mariage et de l’institution divine de l’Etat. Un anti-papisme borné ne peut saisir l’importance de ces faits et ne peut voir que les fautes de Rome. Quant à moi, je ne veux pas prendre cette attitude. Nous n’avons pas le droit d’oublier que nos fautes à nous sont aussi nombreuses, ni que notre obéissance ici-bas n’est jamais qu’un commencement.

Pour s’opposer à Rome, l’anti-papisme est une attitude négative et par conséquent erronée. Seules, une affirmation positive, une foi positive pourront porter quelques fruits à une époque d’expansion du catholicisme romain. Résister? Nous le devons, mais dans la foi et dans l’obéissance. Nous n’avons pas une puissance comparable à celle de Rome. Nous n’avons pas non plus ses moyens matériels. Que pouvons-nous donc faire? Car, aujourd’hui, Rome affirme solennellement que toutes les aspirations religieuses de la Réforme peuvent trouver leur satisfaction dans son propre sein. Elle cherche à prouver que l’idée du sola fide peut trouver place dans son Credo, parce qu’elle affirme que c’est la grâce même de Dieu qui, dans sa souveraineté, assume la coopération de l’homme. L’un des plus brillants théologiens catholiques de notre temps déclare que l’Eglise romaine parle de la coopération de l’homme avec la grâce, justement parce que la souveraineté de Dieu est assez grande pour la permettre. La doctrine réformée du sola fide est ainsi reprise de nos jours par l’Eglise romaine. Partout, l’Eglise romaine nous exhorte à rentrer dans son giron et à nous joindre aux forces religieuses de la seule Eglise vraie, pour le plus grand bien des individus et du monde tout entier, pour une restauration de l’autorité, de l’autorité même dit Seigneur.

C’est à ce propos que le problème de la tolérance est souvent discuté. Dans divers pays, où grandissent aujourd’hui sa puissance et son influence, on demande à l’Eglise romaine si elle restera tolérante lorsqu’elle détiendra la majorité et, partant, le pouvoir. D’après ce que je puis comprendre, au point où en sont ces discussions, il n’y a pas encore la moindre solution. Pourquoi donc aucune des assurances données ne peut-elle être satisfaisante? Il y a à cela une profonde raison. Je suis intimement persuadé que bien des catholiques seraient tolérants s’ils obtenaient une majorité, et leurs déclarations d’aujourd’hui sont certainement sincères. Mais il subsiste toujours une difficulté: la tolérance ne peut exister que si l’Eglise romaine est à même d’accomplir sa tâche dans le monde, sa tâche en tant que Corps du Christ, que Royaume du Christ déjà présent sur la terre. Et c’est là le grand problème dans toutes les discussions sur la tolérance; l’Eglise catholique se considère comme la voix de Dieu en personne, l’Eglise est identifiée au Christ. Tel est le problème insoluble de la position romaine dans le monde moderne. A l’entendre, Rome est dans l’obligation de lutter contre une révolution qui remonte à la Réforme, et ainsi, pour être en bénédiction au monde, elle doit rejeter la Réforme et proclamer le pouvoir du Corps du Christ. Et voila le critère suprême de son autorité: c’est qu’il ne peut exister qu’une seule Eglise, et que cette Eglise ne peut jamais errer! Cette affirmation produit une forte impression sur ceux qui sont las et déçus des problèmes de ce monde.

Où se trouve la véritable autorité?

Mais, selon l’Ecriture, il n’y a qu’un moyen de savoir où se trouve la véritable autorité. Nous avons à redécouvrir la véritable puissance de la Réforme. Mais pouvons-nous aujourd’hui parler de cette puissance? Voyons-nous autre chose qu’une Réforme divisée? Ne devrions-nous pas plutôt parler de la faiblesse de la Réforme? Rome monte en épingle nos divisions et déclare que telle ne peut être la voie du Saint-Esprit.

Dans notre quête de la vérité, il nous faut un critère. Humainement parlant, la Réforme n’est qu’un développement historique de la critique du XVe siècle. Mais, selon la norme de l’Ecriture, elle n’était rien moins qu’une expérience! Les Réformateurs se savaient responsables devant l’Eglise du Christ et devant le monde.

Bien sûr, nous pourrions parler de la faiblesse de l’Eglise protestante et de la Réforme, nous pourrions même écrire un livre sur ce sujet! Peut-être même en deviendrions-nous de plus en plus pessimistes. Car, dans l’histoire des Eglises protestantes, la signification de cette parole: « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur » (1Co 1.31), devient de plus en plus saisissante. Les ombres envahissent l’œuvre des Réformateurs. Il n’était pas facile de rompre avec la tradition révolutionnaire du romanisme! Si elle n’avait dépendu que des hommes, l’histoire de cette rupture serait devenue une tragédie.

Je pense à Calvin, qui, en butte à de continuelles accusations, travaillait et écrivait à Genève, qui écrivait au loin et qui se déclarait prêt à parcourir le monde pour l’Eglise de Jésus et pour son unité. Bien des difficultés surgirent dans ses rapports avec Luther: ce fut l’une des ombres de la Réforme. Mais son regard se portait au-delà de la faiblesse de toute œuvre humaine; il se souvenait que la Parole avait eu raison de Luther, et il affirma être entièrement d’accord avec la doctrine de la justification telle que Luther l’avait exposée. Sans doute connaissez-vous la remarque de Calvin, alors qu’il se trouvait dans une situation très tendue avec Luther: « Quand bien même il m’insulterait, quand il me considérerait comme un démon, il restera toujours pour moi un merveilleux serviteur du Seigneur. »

Ce n’est pas dans la noblesse des hommes ou dans leur nombre que se trouvait la puissance de la Réforme, mais dans la puissance de l’Evangile. La Parole surgissait à nouveau; on se reprenait à lire la Bible, les Psaumes, les épîtres aux Romains, aux Galates et l’épître aux Hébreux, avec son message du « une fois pour toutes » des souffrances du Christ (Hé 9.12, 25-28; 10.10, 12, 15, 18). Les mots si simples de la Bible revêtaient une soudaine et merveilleuse actualité. L’Eglise réapprenait ce qu’était une autorité véritable. Prenons, par exemple, ces mots: « Une fois pour toutes », de l’épître aux Hébreux. Cette parole, parce qu’elle était incompatible avec la répétition du sacrifice du Christ dans la messe, déclencha une révolution dans la doctrine romaine des sacrements. Et, depuis la Réforme, l’Eglise romaine s’est constamment efforcée d’expliquer comment sa doctrine de la messe n’était pas en contradiction avec cette admirable affirmation. Et même de nos jours, parmi les études romaines sur la Cène du Seigneur, rares sont celles qui ne commencent pas par montrer que la doctrine romaine peut être en harmonie avec cette partie du message biblique sur le sacrifice du Christ.

Quand on cherche à savoir si la Réforme a été une révolution, la discussion sera toujours centrée sur le problème de l’autorité ultime. Je crois que nous sommes tous quelque peu au fait du problème de l’autorité tel qu’il se pose de nos jours. C’est un problème pour l’Eglise, c’en est un pour l’Etat, c’en est un pour l’éthique et dans tous les autres domaines. Dans l’Eglise, nous nous heurtons à l’influence de l’indifférentisme et, dans l’Etat, à la. destruction de l’autorité. Le socialisme, le communisme, l’existentialisme se dressent devant nous. Nous ne comprenons que trop pourquoi tant d’hommes sont à la recherche d’une nouvelle autorité!

Avant la seconde guerre mondiale, nombreux étaient les Allemands qui aspiraient à une autorité forte; et voilà qu’un homme déclara connaître la voie du salut de son pays. Il sembla que l’autorité était restaurée et qu’elle serait une aide en des temps difficiles. Et il y eut une autorité centrale, capable de s’affirmer contre les conceptions des simples individus. Nous n’avons jamais mieux compris qu’au cours du développement du national-socialisme que tout dépend de savoir si l’autorité est une véritable autorité, une autorité donnée par le Seigneur.

Une autorité d’origine divine est toujours une source de bénédictions pour le monde. Mais, dans ce monde corrompu, chacun crée sa propre autorité, même le totalitarisme ou le communisme. Seule, la sagesse de Dieu peut nous permettre de discerner l’authenticité des autorités de ce monde. Et nous avons besoin d’autorité pour nous-mêmes et pour nos enfants. C’est alors que nous entendons l’Eglise romaine nous dire: « C’est moi qui suis l’autorité que vous recherchez tous; c’est moi qui suis le Corps du Christ; c’est moi qui suis sa voix et son sceptre divin; c’est moi qui suis le Pasteur des brebis. » Et elle ne nous appelle qu’à une seule chose: à l’obéissance. L’identification du Christ et de l’Eglise, telle est la solution de Rome!

Lors de la Réforme, des croyants eurent le courage d’affirmer que Jésus-Christ était le Pasteur des brebis, mais seulement dans la soumission totale des brebis sous son sceptre, le sceptre de la Parole. Ils s’opposèrent ainsi à une Eglise où la soumission allait de soi et protestèrent contre le fait qu’elle ne tenait plus suffisamment compte de la vérité que Jésus-Christ est le véritable Chef, la Tête de son Eglise.

C’est pourquoi, de nos jours encore, la question: « Réforme on Révolution? », demeure non seulement un problème théologique, mais au premier chef un problème religieux. Depuis quatre siècles, la Réforme se voit accusée d’isolationnisme et d’orgueil ecclésiastique. Mais il reste malaisé d’être soumis à la seule Parole de Dieu. A toutes les époques de la vie de l’Eglise, nous constatons une opposition, comme nous la constatons tous les jours dans notre propre vie. C’est pourquoi nous savons bien que toute hérésie est aussi un danger pour nous. Mais, par la grâce de Dieu, la Réforme a éclairé bien des esprits sur la véritable solution de ce problème et sur l’authentique autorité. Il ne s’agit pas, avant tout, de nous dresser contre les fautes et les erreurs des catholiques, car nous avons aussi les nôtres. Le vrai combat est celui pour la réalité du sceptre du Christ, pour la souveraineté de la Parole de Dieu.

Face à la déstructuration de l’autorité

De nos jours, nous assistons à la destruction de toute autorité et à la création de fausses autorités. Sans doute, ne devons-nous rien attendre de bon de l’avenir. Mais je voudrais vous rappeler un récit de l’Ancien Testament, qui, à une très sombre époque de son histoire, nous parle d’espérance. Sous le règne d’un Pharaon, sur chaque nouvelle naissance, parmi les Israélites, était suspendue une menace de mort par immersion dans le Nil. Humainement parlant, il n’y avait qu’une seule alternative: ou n’avoir pas d’enfants ou redouter le Nil. Mais l’Ancien Testament nous parle d’un père et d’une mère qui attendaient leur troisième enfant. L’admirable, dans cette histoire, c’est qu’ils ne furent attentifs qu’à la parole de l’Alliance, cette parole qui annonçait la divine promesse, Vous savez ce qu’il en advint: ce troisième enfant fut Moïse. Certes, ces parents avaient déjà été bénis en la personne de leurs deux aînés mais, en ces sombres jours, leur troisième enfant fut une bénédiction toute particulière pour Israël et pour l’Eglise, un événement providentiel dans l’histoire divine de notre salut.

Aux temps révolutionnaires que nous vivons, cette histoire est pour nous un avertissement et une assurance. Nous n’avons pas à craindre l’avenir: nous l’ignorons, mais nous connaissons notre tâche. Nous devons nous dresser contre la révolution du péché, contre la révolution de l’autonomie dans l’Eglise, contre toute dévaluation du sceptre de Jésus-Christ. Voilà notre champ de travail! Il n’y aura jamais de solution aux problèmes du conservatisme ou du progressisme, de la réforme ou de la révolution, si nous ne possédons pas un point central unique, à partir duquel nous puissions juger de tout. Si c’est bien le cas, et si nous savons ce qu’est vraiment la royauté de Jésus-Christ par sa Parole, nous saurons affronter ces problèmes et ne craindrons jamais aucune accusation.

Peut-être aurons-nous bien de la peine à réapprendre aujourd’hui cette leçon, cette biblique leçon. Mais l’avenir dépend de cette certitude: qu’un seul vaut mieux que des milliers. Que ton règne vienne! Le règne du sceptre adorable, le règne du Chef de l’Eglise!

Une telle conception de la Réforme contient l’appel que nous pouvons adresser au monde contre la révolution, un appel à la conversion et à la soumission à la Parole de Dieu. On demanda un jour à Lénine s’il n’avait jamais envisagé les terribles conséquences de la révolution mondiale qu’il désirait. Il répondit que les trois quarts de la race humaine y périraient sans doute, mais qu’il se réjouissait du bonheur que connaîtraient les survivants. Telle est la perspective terrifiante d’une révolution humaine, d’une révolution sans Dieu. Mais la conversion du cœur est toujours une bénédiction pour le monde, parce qu’elle est un témoignage à la gloire du sceptre du Seigneur.

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