De l’archéologie à la Bible : L’ossuaire de Saint Jacques ?

De l’archéologie à la Bible : L’ossuaire de Saint Jacques ?

Sylvain J.G. SANCHEZ*

Ces quelques pages font écho à notre premier article dans cette revue1. Nous aimerions ici approfondir les rapports entre l’archéologie et la Bible à travers ce nouveau paradigme: l’ossuaire de saint Jacques2. L’analyse distingue ce qui relève de l’ouvrage (l’urne funéraire) et ce qui relève du message (l’inscription gravée sur le calcaire). Dans ce cadre, nous tenterons d’évaluer le tribut de l’archéologie à la Bible par l’identification de l’inscription et le rapprochement d’autres données testimoniales, comme les références bibliques et patristiques. Dans le même temps, nous préciserons le tribut de la Bible à l’archéologie en éclairant les implications d’une lecture épigraphique sur notre connaissance de la famille de Jésus et les liens de parenté de Jacques, Jésus et Joseph. Cette analyse nous conduira jusqu’au bien-fondé du dogme de la virginité perpétuelle de Marie3.

André Lemaire4, de l’Ecole pratique des hautes études (abrév. EPHE), en déplacement (durant le premier semestre 2002) à Jérusalem dans le cadre de ses recherches avec ses homologues israéliens à l’Université hébraïque, rencontre, à l’occasion d’une soirée privée au début de son séjour, un collectionneur qui lui soumet différents clichés de pièces rares. Parmi ces photographies se trouve celle du fameux ossuaire qui retient toute son attention. « J’ai tout de suite été convaincu de l’authenticité de l’inscription. Je me suis rendu à son domicile, où j’ai pu l’examiner pendant près d’une heure. » Il y déchiffre une inscription qui attesterait l’existence de Jésus. Cette découverte archéologique, publiée en octobre 20025, est donc du plus grand intérêt car elle constituerait la première preuve matérielle corroborant les références bibliques à Jésus6.

En effet, en dehors des documents écrits, très rares sont les attestations archéologiques authentifiant la présence de Jésus sur la terre d’Israël au Ier siècle de notre ère. Jusqu’à présent, les vestiges anciens mis au jour ne concernaient pas le Christ à proprement parler mais le contexte historique de l’époque: le socle d’une statue découverte en 1961 dans le théâtre de Césarée maritime et portant les noms de Tibère et de Ponce Pilate; les fouilles de Capharnaüm décrivant l’habitat des pêcheurs de Galilée; la tombe d’un crucifié, dont les pieds étaient encore transpercés par un clou, en 1968, quand elle fut exhumée par des chercheurs israéliens; le tombeau du grand prêtre Caïphe mis au jour en 1990.

Cette nouvelle découverte de 2002 est donc une grande première dans le champ des études bibliques. Elle a fait l’objet d’une couverture médiatique internationale alimentant le bavardage de journaux de toutes sortes. L’information a été communiquée officiellement le lundi 21 octobre 2002 lors d’une conférence de presse à New York. De nombreux journaux et revues ont diffusé l’événement (Christianity Today, Time, Science et Médecine, Ha’aretz, Sciences et Avenir, L’Hebdo, International Herald Tribune…). A Toronto (Canada), lors du colloque annuel de la Society of Biblical Literature (abrév. SBL), les 23 et 24 novembre, plusieurs spécialistes se sont exprimés sur la question avec A. Lemaire. Les grands quotidiens français, la radio et la télévision ont donné aussi leur son de cloche: Libération, L’Humanité, Le Figaro,Le Monde, LCI/TF1, France-Inter… Mais dans toute cette surinformation, qu’en est-il au juste? Qu’est-ce qui est certain? Qu’est-ce qui relève de l’hypothèse? Quel est le verdict des historiens?7

I. Etat de la question sur l’ossuaire

L’inscription se trouve sur le côté arrière d’un ossuaire vide tandis que la face avant est sobrement décorée de rosaces (presque effacées par le temps). Cette caisse est creusée dans une pierre calcaire (de 2,5 centimètres d’épaisseur), en forme d’auge, de forme trapézoïdale, plus longue en haut (56 centimètres) qu’en bas (50,5 centimètres), sur une hauteur de 30,5 centimètres et une largeur de 25 centimètres. Cet ossuaire est très sobre et n’a pas de décoration particulière8. Cette boîte ne provient malheureusement pas de fouilles officielles puisqu’elle aurait été achetée par un collectionneur israélien à un antiquaire de Jérusalem, qui l’avait lui-même acquise auprès de fouilleurs clandestins. On ne connaît donc pas l’origine précise de l’urne funéraire: elle aurait été exhumée dans le quartier de Silwan, au sud de la vieille ville de Jérusalem. A l’époque, on ignorait la possible importance de cette boîte de pierre puisque le texte n’avait pas été compris. Plusieurs spécialistes ont déploré l’origine indéterminée de l’ossuaire; ils refusent de commenter les vestiges issus de fouilles non officielles. Lemaire rétorque avec lucidité: « Beaucoup de grandes découvertes sont occasionnelles et sont d’abord apparues sur le marché des antiquités avant que l’on comprenne leur importance. » C’est notamment le cas des célèbres manuscrits de la mer Morte. Arrivés par fragments sur le marché, ils ont fini par provoquer des fouilles officielles à Qumrân. Lemaire poursuit: « Et même à ce moment-là, alors que des équipes travaillaient sur le site, ce sont encore les Bédouins qui ont trouvé la fameuse grotte 4 que les archéologues n’avaient pas repérée. »9 Cela montre à quel point il ne faut pas même négliger les découvertes de fouilleurs clandestins.

Le premier travail d’A. Lemaire a été de démontrer l’authenticité du vestige archéologique: s’agit-il de l’œuvre d’un faussaire ou d’une relique? L’ossuaire n’ayant pas été découvert in situ par l’archéologue mais dans la collection privée d’un particulier, il fallait prendre ses précautions. Les experts ont regretté de ne pas bénéficier de plus d’informations sur les circonstances de l’exhumation. Eric M. Meyers10 reste sceptique en la matière en raison de la provenance douteuse. « L’ensemble des tests scientifiques confirme la véracité de la découverte. » La production de ces ossuaires en calcaire, dans lesquels les os du défunt étaient rangés après qu’une année de décomposition eut fait son œuvre et délesté le cadavre de ses chairs, est à la fois bien connue et bien datée à Jérusalem11. Elle a commencé peu avant le début de notre ère pour se terminer en 70 lors de la prise de la ville par les Romains, mettant ainsi, peut-être, un coup d’arrêt brutal à cette industrie de taille de la pierre. Ensuite, la paléographie (cf. planche ci-jointe) révèle une belle écriture facile à lire, indiquant une datation entre 0 et 70 de notre ère12. Enfin, les chercheurs de l’Institut de géologie israélien confirment cette datation après avoir examiné la patine et la nature de l’inscription au microscope électronique: la composition du dépôt est « conforme à ce que l’on peut attendre » d’un objet ayant passé deux mille ans dans le sol de Jérusalem (carbonate de calcium et divers sels de métaux); « le coffret de pierre serait d’époque et compterait plus de dix-neuf siècles d’âge, ne comportant aucune trace d’intervention moderne »13. Cependant, le fait que l’urne soit vide prive les historiens d’une datation des ossements du défunt au carbone 14.

Ces résultats sont loin de « faire l’unanimité » au sein du cercle scientifique. Rochelle I.S. Altman14 évoque un argument épigraphique décisif en défaveur de l’authenticité. Elle suppose que l’inscription n’est pas d’un seul tenant, mais l’œuvre de deux personnes distinctes à deux époques différentes. L’étude minutieuse du graphisme lui permet de démontrer que le début de la phrase, « Jacques, fils de Joseph », est peut-être contemporain de l’ossuaire; le trait est sûr, les lettres bien alignées, ce qui indique que le lapicide s’est servi d’un cadre et disposait d’un excellent savoir-faire. En revanche, la seconde partie, « frère de Jésus », aurait été gravée beaucoup plus tard, au moins au IIIe siècle ou IVe siècle, par un faussaire chrétien, c’est-à-dire à une époque où le christianisme naissant avait déjà établi la plupart de ses points doctrinaux; le trait est ici incertain, les lettres plutôt mal incisées, ce qui montre un manque de pratique. Reprenons son analyse point par point:

« Dans la première partie de l’inscription, les lettres appartiennent à l’alphabet araméen en lettres carrées, qui était habituel à la période hérodienne (de 40 à 4 av. J.-C.). Les lettres beth et resh, par exemple, sont surmontées, à leur extrémité supérieure, d’un ‹coin› qui trahit l’origine sociale de celui qui a commandité ou réalisé la dédicace. En l’occurrence, un marchand ou un bourgeois de la classe supérieure. Ces ‹coins› à chaque lettre n’étaient autorisés que sur les documents officiels.

 »Dans la seconde partie de l’inscription, le graveur s’y est repris à deux fois pour tracer la lettre finale du nom ‹Jésus›, la lettre ayin.. Il lui a fallu recreuser entre les deux bras pour les joindre, ce qui trahit le manque de technique. Une des lettres yod est trop longue, alors que l’autre ne ressemble en rien à celle de la première partie (au début de ‹Joseph›, le yod initial). La lettre shin du nom ‹Jésus› n’a pas, elle non plus, la forme attendue. Aucun ‹coin› ni distorsion sur chacun des trois bras de cette lettre. De plus, la graphie de certaines lettres est anachronique. Les lettres aleph et daleth du mot ‹frère› (ah) ont un aspect étrangement moderne (cursif) pour l’époque supposée de l’inscription. Quant au het du mot ‹frère› (ahuy), il est surmonté de deux ‹oreilles›, ce qui est étrangement archaïque. Ces différents indices prouveraient que le second lapicide s’est inspiré d’autres inscriptions, datant d’époques différentes et provenant de lieux distincts. »15

D’autres, comme Paul Flesher16, Eliot Braun17 ou Nachum Appelbaum18, doutent aussi de l’authenticité de la mention « frère de Jésus ». Appelbaum explique: « La première partie du texte est peut-être authentique; la seconde, en revanche, est nettement plus douteuse. La publication des analyses de l’Institut géologique d’Israël est incomplète et imprécise, on peut tout imaginer, à commencer par la fraude et ce, d’autant plus qu’il est parfaitement possible d’imiter une patine ancienne. » P. Kyle McCarter Jr19 suggère aussi la possibilité de deux mains dans l’établissement de l’inscription, mais il pense que celle-ci date de l’Antiquité (la seconde main ne serait pas un rajout moderne). A. Lemaire répond simplement aux objections de Altman: « Je pense que ces observations trahissent un certain manque de pratique et d’expérience. La forme des lettres varie constamment, même à l’intérieur d’une inscription. Ce qui nous surprend aujourd’hui, car nous sommes habitués aux standards des lettres d’imprimerie. Le style des lettres de l’inscription concorde parfaitement avec l’époque envisagée. »20 Peter Richardson21 va dans le même sens que Lemaire en confirmant que la mention « frère de Jésus » est authentique. Si cette partie de l’inscription datait de la période byzantine, ou ne serait-ce même que du IVe siècle, on aurait eu plutôt « frère du Seigneur » et une allusion à Marie aurait eu toute chance d’avoir sa place avec l’évolution de la doctrine mariale.

En outre, Daniel Eylon, un ingénieur israélien enseignant à l’Université de Dayton, dans l’Ohio, rapproche le problème de son expérience de spécialiste des ratages en matière d’industrie aérospatiale. Appliquant une technique utilisée pour déterminer si une défaillance dans un avion survenait avant ou après un accident, il s’est penché sur les photographies de l’inscription pour examiner les éraflures (ou rayures, scratches) occasionnées par les manipulations dans l’excavation ou lors de l’exhumation de l’ossuaire par les pilleurs de tombes. Il conclut: « L’inscription aurait dû se situer en dessous des éraflures si elle avait été gravée sur l’ossuaire à l’époque de l’inhumation, mais la plupart des lettres se placent au-dessus de ces éraflures. Par ailleurs, il y a quelque chose qui ne va pas dans le tranchant de certaines de ces lettres; des arêtes aussi affilées ne peuvent dater de deux mille ans. »22

John Lupia23 se penche sur la patine recouvrant l’inscription et pense que celle-là présente un aspect anormal: elle est trop homogène pour être ancienne. Elle ne présente aucun signe de biovermiculation qui est présente sur le reste de l’ossuaire. Cette biovermiculation résulte de l’attaque de la pierre par les bactéries au cours des siècles. On a prétendu que cette patine avait été nettoyée pour rendre l’inscription plus lisible. « Or, il est impossible de retirer la patine avec aucun solvant, elle a les mêmes propriétés que le verre », explique Lupia. La composition chimique de la patine n’est pas non plus une garantie; on peut la reproduire en enterrant l’objet dans un sol approprié puis en l’exposant à la lumière, cela plusieurs fois de suite. Quant à la fissure, apparue après le transport au Royal Ontario Museum de Toronto, elle ne proviendrait pas d’un choc durant ce voyage, comme le prétend le propriétaire de l’ossuaire, mais d’un impact direct dont ce dernier serait l’auteur. Un « accident » bienvenu puisqu’il altère la partie suspecte de l’inscription.

Shanks répond aux accusations de contrefaçons: « Si un faussaire moderne avait commis cette exaction pour une poignée de dollars, il aurait pu prendre un ossuaire vierge; de plus, il aurait été vraiment stupide de ne pas partir de zéro tellement l’écriture semble uniforme et cohérente […] Enfin, ce faussaire aurait su contrefaire la patine au point que la falsification ne fût pas perceptible aux yeux du chercheur expérimenté.. Tout ceci est possible mais extraordinairement peu plausible. »24

Enfin, un dernier point à éclaircir, et non des moindres, reste l’identité et la sincérité du collectionneur détenant l’ossuaire, et qui avait été présenté à A. Lemaire lors de cette fameuse soirée privée en mars 2002. Au début de l’affaire, il a tenu à garder l’anonymat; c’est pourquoi, le Time25 a respecté les desiderata du propriétaire, qui se justifiait ainsi: « Je ne veux pas que mon appartement se transforme en Eglise. » Mais une journaliste a levé le voile dans le quotidien israélien26: Sara Leibovich-Dar a consacré un article bien informé au collectionneur. Oded Golan, ingénieur de 51 ans, célibataire, est passionné d’archéologie depuis son adolescence. Il n’a cessé de glaner des informations et de rassembler des fragments de poterie, tesselles de mosaïque, etc. A 11 ans, il est le plus jeune participant aux fouilles de Massada, sur l’invitation du fouilleur Yigael Yadin. A 16 ans, il voyage souvent à Jérusalem dans la vieille ville à la recherche d’antiquités. Enthousiaste, cette frénésie de connaissance historique, archéologique et linguistique fait de ce collectionneur un amateur averti: il connaît l’araméen, sait identifier maints objets et déjoue les contrefaçons sur le marché noir des pilleurs de tombes. « Il est fou d’archéologie », s’exclame Robert Deutsch, un marchand d’antiquités de Jaffa, un ami de Golan. Ce qui est paradoxal, c’est que la conférence de presse à Washington a présenté le collectionneur comme un homme dont les compétences archéologiques étaient limitées, possédant un ossuaire depuis une quinzaine d’années sans connaître la signification de l’inscription. Shanks (directeur de BAR) se justifie en soulignant l’ignorance de Golan en matière d’histoire religieuse du christianisme ancien.

Les suspicions sont lourdes de conséquences selon Amir Ganor, le responsable de l’unité de prévention des détournements d’antiquités27. L’IAA traque les pilleurs et les collectionneurs qui se consacrent au trafic d’antiquités en Israël. Quelques semaines avant la conférence de presse à Washington, Golan reçut la visite de Ganor et le collectionneur n’a pas même fait une allusion à l’ossuaire; Ganor affirme: « Il a caché l’ossuaire et m’a montré 3000 objets disposés sur des étagères. » Pourquoi ce silence?

De plus, interrogé par les inspecteurs de l’IAA dans leurs bureaux, Golan prétend que Shanks a commis une erreur en disant que le collectionneur possédait l’ossuaire depuis quinze ans (cela ferait remonter l’acquisition à 1987); il affirme avoir acquis cet objet il y a trente-cinq ans (en 1967, il avait 16 ans). A cet âge, il était un jeune homme et il ne se rappelle plus à qui il l’a acheté. Curieusement, Shanks, lors de la conférence de presse, avait affirmé que l’ossuaire avait été retrouvé au sud du mont des Oliviers, à Jérusalem, dans le quartier de Silwan. L’IAA doute donc de la véracité de la déposition de Golan, qui essaie évidemment de se protéger vis-à-vis de la loi de 1978.

Au début de novembre, un antiquaire de Jérusalem-est (appartenant à une grande famille d’antiquaires de Bethléhem) a avoué que l’ossuaire circulait parmi les marchands il y a quelques mois. Le véritable vendeur, un antiquaire de Tel-Aviv, encore anonyme28, avait essuyé, il y a un an, un premier refus d’un grand collectionneur israélien, Shlomo Moussaïeff. L’enquête israélienne est encore en cours.

II. Critique historique de l’inscription

Maintenant que nous avons exposé l’ensemble de la controverse touchant l’ouvrage, occupons-nous du message. Procédons à l’identification des noms: Jacques, Joseph, Jésus. Le texte est écrit en araméen palestinien29 (cf. planche ci-jointe).

Jacques, dans le Nouveau Testament, peut désigner quatre hommes différents: tout d’abord, le frère de l’apôtre Jean; tous deux fils d’un pêcheur de Galilée (Zébédée), Jésus les avait surnommés « les fils du tonnerre » (Mc 3:17). Ensuite, Jacques, fils d’Alphée, l’un des douze apôtres; sa mère, appelée Marie, était l’une des femmes qui accompagnaient Jésus. Le Nouveau Testament mentionne Jacques, père de l’apôtre Jude (Lc 6:16; Ac 1:13), mais nous ne savons rien de plus sur lui en dehors de ces deux occurrences. Enfin, il y a aussi Jacques30 (il ne faisait pas partie du premier groupe d’apôtres), que Paul, dans son épître (Ga 1:18-19, 2:9, 12), donne pour le frère de Jésus. Les évangiles ne rapportent que deux fois le nom de ce Jacques (Mt 13:55; Mc 6:3), mais il est compris parmi les frères du Seigneur, incrédules du vivant de Jésus (Jn 7:5) et qui devinrent ses disciples après sa résurrection (Ac 1:14). Ce Jacques aurait eu une grande influence sur la communauté juive et aurait été le responsable de l’Eglise de Jérusalem (Ac 12:17, 15:2-29, 21:18). Déjà, vers 37 de notre ère, Paul, montant à Jérusalem pour la première fois après sa conversion, juge nécessaire de rendre visite à Jacques, lequel occupait une position élevée, en même temps qu’à Pierre (Ga 1:19). Actes 12:17 présente Jacques (en 44 apr. J.-C.) comme le plus important des frères et Actes 21:18 (en 58 apr. J.-C.) voit en lui un chef des anciens de l’Eglise. Il est l’auteur de l’épître qui porte son nom. Sa mission consista à faciliter aux Juifs le passage au christianisme. Il était ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui un judéo-chrétien. Ainsi s’explique que d’ardents judaïsants se soient emparés du nom de Jacques (Ga 2:12) et que la littérature clémentine en fasse état31; on comprend aussi l’admiration que les Juifs eux-mêmes vouaient à celui qu’ils avaient surnommé le « Juste ». Eusèbe de Césarée nous décrit le martyre du frère de Jésus. Il fut mis à mort pour avoir « parlé devant la multitude avec une liberté entière et une indépendance qui dépassaient de beaucoup leur attente: il confessa que Jésus notre Sauveur et Seigneur était le Fils de Dieu. Un pareil témoignage, rendu par un tel homme, leur fut insupportable; car auprès de tous il avait la réputation d’être un juste hors de pair, pour la sagesse et la piété de sa vie. »32 En effet, Jacques était un nazir33 vénéré en Israël. Du reste, les Actes des apôtres soulignent l’assiduité des premiers disciples jérusalémites au culte du Temple et la considération dont ils jouissaient dans l’opinion juive. A ce titre, Jacques, par l’observance de certains rites judaïques, et de son judéo-christianisme affiché, s’opposait à Paul, apôtre des Gentils. Quoi qu’il en soit, c’est par une évolution progressive que le christianisme d’une part, le judaïsme de l’autre, se sont faits peu à peu intolérants, l’un en regard des pratiques mosaïques, l’autre en regard de la foi en Jésus, et que ces deux facteurs, jugés d’abord différents, ont été finalement considérés par l’Eglise et la Synagogue comme incompatibles avec la pratique de leurs religions respectives. Du reste, il n’est pas sûr, affirme Simon, que « la profession de foi prêtée à Jacques ait été aussi rigoureusement orthodoxe que le voudrait Eusèbe »34.

Précipité depuis le pinacle du Temple, il aurait été lapidé et achevé par un coup de bâton asséné à la tête par un foulon35. Il serait mort en 62, selon Flavius Josèphe36. Cette date concorde avec celle, approximative, de l’ossuaire. « Les choses auraient été claires si le texte avait parlé de Jacques le Juste », commente A. Lemaire, qui s’est donc attaqué au problème par le biais des probabilités.

A Jérusalem, au Ier siècle, Joseph, Jacques et Jésus étaient des prénoms très courants. Un homme sur dix, à peu près, se prénommait Joseph, et un sur dix Jésus. Jacques était un peu moins fréquent. A. Lemaire pense que, sur les 80 000 ayant vécu dans la région, il ne pouvait pas y avoir plus d’une vingtaine de Jacques possédant à la fois un père du nom de Joseph et un frère prénommé Jésus. Joseph et Jésus étaient très courants à Jérusalem, en revanche la juxtaposition de trois noms sur un ossuaire est rare et tendrait à prouver qu’il s’agissait de personnages connus. Pour le chercheur français, c’est surtout l’évocation du frère du défunt qui est troublante: « Sur les quelque 2000 à 3000 ossuaires répertoriés, je ne connais qu’un seul autre cas37 où il soit fait mention d’un frère. Il faut une raison spéciale pour qu’on le nomme. C’est cette coïncidence intéressante qui rend très probable l’identification de Jacques et, dans un deuxième temps, de Jésus. Joseph et Jésus étaient deux prénoms très courants à l’époque. Ils étaient portés par 10 à 12% de la population mâle de la ville. Jacques est en revanche plus rare (2 à 3%). Cela posé, l’attribution de cet ossuaire au frère du Christ dépend d’un calcul statistique. C’est pour cela que je dis moi-même que nous n’avons pas de certitude absolue. Il nous reste toujours un petit pourcentage de marge d’erreur. »

Ces explications ne suffisent pas pour nombre de chercheurs38. Robert Eisenman39 doute qu’un membre de la famille du Messie ait appelé Jacques, personnage influent à Jérusalem au Ier siècle, « frère de Jésus » et non pas, plutôt, « Jacques le Juste », ou encore « Jacques le frère du Seigneur », formules plus en accord avec celles des évangiles. De son côté, Steve Mason40 observe: « Comment imaginer qu’un chrétien du Ier siècle se soit contenté d’appeler le Christ ‹Jésus› et non pas ‹Seigneur› ou ‹Messie›, surtout si l’on sait que Jésus (Yeshu) est le diminutif de Josué (Yehoshua), comme Bob celui de Robert! Même Flavius Josèphe, qui n’est pas chrétien, évoque ‹Jacques, frère de Jésus, dit le Christ›. En outre, les frères n’étaient mentionnés sur les épigraphes funéraires que pour deux raisons: soit ils étaient inhumés ensemble, soit le frère survivant donnait l’inscription en signe d’amour pour son frère défunt. A supposer que l’inscription soit authentique, Jésus en serait le donateur. Ce qui ne fonctionne pas dans le cas qui nous occupe, puisque Jésus était déjà mort. Reste le nom même de Joseph. Et c’est un vrai mystère, dans la mesure où Joseph n’était pas connu universellement comme étant le père de Jésus. Il ne devient vraiment important dans la tradition que beaucoup plus tard, après le Ier siècle. »

III. Les implications historiques et théologiques

D’autres experts restent plus prudents en rappelant que Jésus était encore peu connu dans la région avant 70. « Il s’agit d’une extrapolation », estime l’abbé E. Puech41. « La juxtaposition des trois noms est rare mais pas unique, rien ne prouve qu’il s’agisse de personnes très connues et certainement pas que Jacques soit le fils de Joseph et Marie », conclut le savant français. « Ce n’est plus de la science, ni du travail d’historien, mais du roman ou du business. » E. Puech crie à la fraude; il avoue cependant dans une interview: « Concernant l’authentification de l’inscription, je fais confiance à Ada Yardeni, l’excellente paléographe qui en a fait la transcription. Toutefois, je me porte en faux contre l’interprétation de Lemaire, car il ne peut être question du Jésus de la Bible. »

Le jésuite Jean-Noël Alleti, éminent spécialiste d’exégèse du Nouveau Testament, professeur à l’Institut pontifical de Rome, fait la même réserve qu’E. Puech. Le père Alleti relance la relation de parenté existant entre les trois personnes. Ce Jésus est-il le frère de Jacques ou celui de Joseph? S’agit-il vraiment de Jésus de Nazareth? Quant à Jacques, il serait, selon la tradition, un cousin de Jésus42. Mais qu’en est-il exactement de ces liens de parenté?

Il existe trois traditions chrétiennes. La première rapporte que Jacques est un frère à part entière de Jésus; ils ont les mêmes parents (Joseph et Marie). Cette orientation néotestamentaire est aussi celle de Tertullien, Hégésippe, et celle de l’ensemble de la communauté protestante. Ensuite, une seconde tradition regarde Jacques comme le fruit d’un précédent mariage. Celui-ci serait donc un demi-frère de Jésus. Cette opinion prévaut chez Origène et Eusèbe. Elle se retrouve dans le Protévangile de Jacques et elle constitue l’interprétation dominante de l’Eglise orthodoxe. Enfin, Jacques peut être aussi simplement le cousin de Jésus, fils du frère de Joseph prénommé Clopas. Clopas aurait fondé une famille avec Marie (celle qui se tenait au pied de la croix) et ils auraient eu Jacques, Joseph, Simon, Jude, Salomé et Marie. Cette exégèse est celle, entre autres, de Jérôme, à laquelle se rattache l’Eglise catholique romaine.

L’établissement du lien de parenté entre Jésus et Jacques contrarie les exégètes catholiques. Bien qu’évoquée explicitement dans la Bible (Mt 13:55-56; Ga 1:18-19; la mère et les frères de Jésus Mc 3:32), cette fraternité a, en effet, ensuite été remise en cause pour préserver le dogme de la virginité perpétuelle de Marie. Au sein de l’Eglise catholique, la virginité mariale est une vérité de foi: le concile du Latran (649) confessait « la virginité réelle et perpétuelle de Marie, même dans l’enfantement du Fils de Dieu fait homme ». La nouvelle dérange l’Eglise catholique. « Que Jésus ait eu un frère ne choque pratiquement plus aucun spécialiste, explique Pierre-Antoine Bernheim43, membre de la SBL, mais depuis Jérôme, au IVe siècle, le dogme catholique considère que Marie et Joseph sont restés vierges toute leur vie. Pour l’Eglise, Jacques ne peut donc être qu’un cousin et ce, malgré la mention de trois autres frères dans les évangiles. » Mais d’où vient cette conception virginale? Qu’est-ce qui a conduit à promulguer ce dogme de la virginité perpétuelle?44

Les pères apologistes mentionnent la conception virginale de Jésus: Ignace d’Antioche45, Aristide d’Athènes46, Justin martyr47 et Irénée de Lyon48. Ce dernier met l’accent sur l’obéissance de Marie pour l’opposer à la désobéissance d’Eve. Mais nulle part l’évêque de Lyon estime que Marie est demeurée vierge après l’annonciation et jusqu’à la fin de ses jours. Les textes des apologistes n’offrent que des données fragmentaires pour notre sujet. Un certain nombre de concepts sont en circulation, et la virginité dite plus tard ante partum49est considérée comme un fait acquis.

Tertullien croit à la conception virginale de Jésus50 mais il présente l’enfantement du Sauveur comme normal, et sa mère comme une femme qui a eu plusieurs enfants51. Clément d’Alexandrie approuve la virginité in partu52et semble agréer la virginité post partum, mais c’est moins clair53. Origène, quant à lui, s’inspire des vues de certains ascètes de son temps adonnés à la pratique de la virginité. Pour eux, Marie n’aurait su partager la couche d’un homme, après que la Puissance du Très-Haut l’eut couverte de son ombre. Origène ajoute même que, selon lui, Marie a été entre les femmes les prémices de la virginité, tout comme Jésus l’a été parmi les hommes54. Eusèbe de Césarée n’admet pas que les frères du Seigneur aient été des fils de Marie. Il est le premier, à notre connaissance, à l’appeler la « Sainte Vierge »55. Jusqu’à la fin du IIIe siècle, une certaine liberté est laissée à l’intérieur de l’Eglise pour se représenter la Vierge comme on voulait, exception faite pour la conception virginale.

Alexandre d’Alexandrie (mort en 328) emploie le titre de Théotokos (mère de Dieu)56 comme une expression en usage. Athanase prône la virginité post partum et décrit la vie de la Vierge en vue d’enflammer les vierges chrétiennes pour imiter ce modèle unique57. Basile de Césarée et les Eglises de sa région ne tiennent pas la virginité perpétuelle pour un dogme, même si un mouvement se dessine pour cette doctrine. Epiphane de Salamine infléchit l’opinion dans ce sens. Au début du IVe siècle, il attribue à Marie pour la première fois le titre de « toujours vierge » (aeiparthénos). Jean Chrysostome est convaincu que Marie est restée vierge sa vie durant. Il présente son opinion comme une déduction de l’Ecriture58 tandis que la virginité ante partum lui apparaît comme enseignée proprement dans le texte sacré59 (c’est à peu de chose près la position de Basile).

Du milieu à la fin du IVe siècle, le problème de la virginité de Marie va déclencher des discussions interminables jusqu’au concile d’Ephèse (431). Hilaire de Poitiers60, Zénon de Vérone61 prennent position en faveur de la virginité post partum. Ambroise de Milan consacre un petit opuscule62 à la mère de Dieu, demeurée à jamais vierge. Ce portrait puise ses sources dans l’ascétisme chrétien (l’isolement des vierges aristocratiques comme sa sœur Marcelline, à qui il dédie ce fascicule) et le traité d’Athanase (De Incarnatione Verbi). Jérôme rédige son Adversus Helvidium comme un pamphlet pour rétablir la fortune de l’ascétisme et accréditer définitivement les thèses de la virginité post partum. Augustin se fait l’héritier de cette théologie mariale en expliquant que Marie a voué sa virginité à Dieu avant de savoir ce que celui-ci attendait d’elle63. Ce qui paraît avoir marqué l’évolution du concept de virginité perpétuelle, c’est une action lente de l’ascétisme chrétien. On pourrait penser que cet attrait spontané que les renonçants pouvaient éprouver à se représenter Marie à l’image de ce qu’ils étaient eux-mêmes a été le moteur de cet engouement marial64. Rien que de très naturel en cela. Nous discernons avec plus de facilité ce qui nous importe, plutôt que ce qui nous est indifférent. Cette tendance générale à l’ascèse sexuelle explique en partie la constitution progressive de la doctrine mariale65. Cependant, pour être exact, on enregistre un certain décalage entre l’Orient et l’Occident. Les Latins ont une avance marquée sur les Pères grecs. Ils adhèrent, pour l’ensemble, à la doctrine mariale. En Orient, rien n’est encore acquis. Il reste des opposants qu’on ne retranche pas toujours d’autorité du sein de l’Eglise pour ce fait même. Il faut attendre le concile d’Ephèse (431) pour harmoniser la situation66.

Vers 428, Nestorius relance le débat en contestant le titre de Théotokos et en préconisant Christotokos, Mère du Christ, seul titre approprié selon lui. Le concile d’Ephèse va mettre un terme à cette querelle:

« De deux natures union s’est faite [dans l’Incarnation]. C’est pourquoi unique est le Christ, unique le Fils, unique le Seigneur que nous confessons. En raison de cette notion d’union indissoluble, nous confessons que la Sainte Vierge est Mère de Dieu, pour ce fait que Dieu le Verbe s’est fait chair, s’est incarné et dès l’Incarnation s’est uni à lui-même le temple [de chair] qu’il a assumé de [Marie]. »67

Cyrille d’Alexandrie précise que le Logos, devenant chair, doit être compris comme participant de la chair et du sang de la même manière que nous: il est donc bel et bien venu au monde comme un homme issu d’une femme, mais sans avoir abandonné sa divinité; c’est pourquoi le nom de Théotokos s’explique, non pas dans le sens que la nature du Logos ou sa divinité auraient tiré leur origine de la Sainte Vierge, mais dans le sens que d’elle fut enfanté le saint corps animé d’une âme rationnelle68. Cette condamnation de Nestorius rendit officiel le titre de Théotokos, qui n’a plus jamais été contesté dans le catholicisme romain. Le résultat le plus direct du concile fut l’extension du culte et de la liturgie marials. La virginité perpétuelle semble consacrée en même temps que la maternité divine. Hérétiques et orthodoxes s’accordent donc sur ce chapitre, quand bien même ils ne trouvaient, c’est Anastase le Sinaïte qui en fait la remarque69, aucun témoignage de l’Ecriture qui justifiât expressément leur croyance. Le troisième canon du concile du Latran (649) consacre la croyance de l’Eglise entière en Marie toujours vierge.

« Si quelqu’un ne confesse pas, selon les saints Pères, en un sens propre et véritable, Mère de Dieu, la sainte, toujours vierge, et immaculée Marie, puisque c’est en un sens propre et véritable Dieu Verbe lui-même, engendré de Dieu le Père avant tous les siècles, qu’elle a, dans les derniers temps, conçu du Saint-Esprit sans semence et enfanté sans corruption, sa virginité demeurant inaltérée aussi après l’enfantement, qu’il soit anathème. »70

L’adhésion à ce dogme était acquise dans les esprits avant qu’Augustin disparût de ce monde. Ce concile ne faisait qu’entériner les vues que Léon le Grand avait proposées dans son Tome à Flavien. Quelques discussions sur les particularités de l’enfantement virginal se sont élevées au IXe siècle avec Ratramne et Paschase Radbert et au XIVe siècle avec Durand de Saint-Pourçain71. La Réforme a remis en cause, elle aussi, le dogme mais la question a été considérée comme définitivement réglée dans l’Eglise latine après Latran (649).

Au terme de ce rapide tableau de l’histoire d’un dogme, il faut aussi mentionner l’importance exceptionnelle des apocryphes dans l’évolution des mentalités conduisant à l’élaboration de la virginité perpétuelle. A partir du IIe siècle, se développent, autour du thème de la maternité virginale, des récits qui constituent, selon Philippe Borgeaud72, le correspondant chrétien des traditions relatives à la naissance miraculeuse d’Attis, elle aussi attestée à partir du IIe siècle. Le motif de la virginité de Marie lors de l’accouchement, tel qu’il apparaît dans L’Ascension d’Isaïe, appartient à une tradition qui remonte avant la fin du Ier siècle73. Marie, épouse vierge de Joseph, découvre tout à coup, à côté d’elle, un petit enfant. Elle en est troublée, « puis son ventre se trouve comme auparavant »74. A-t-elle accouché ou non? Le texte, teinté de docétisme, ne permet pas de répondre clairement à la question75. Un texte de peu postérieur76, le Protévangile de Jacques (nativité de Marie), montre que le Christ naît d’un réel accouchement, et non pas d’un faux-semblant comme le voudrait par exemple le docétisme. Mais il s’agit d’un accouchement indissociable du paradoxe de la virginité. L’Evangile de l’enfance du pseudo-Matthieu est un remaniement latin du texte grec du Protévangile de Jacques. L’Epître des apôtres77 (rédigée entre 160 et 170) comme L’Apocryphe d’Ezéchiel78tentent de présenter l’enfantement de Jésus comme miraculeux dans sa réalité d’enfantement. Ces apocryphes auraient influencé la pensée de Clément d’Alexandrie. Ces idées se sont répandues en milieu populaire où les récits merveilleux faisaient recette. Le gnosticisme montant a favorisé cette littérature ésotérique. L’Apocryphe de Zacharie a marqué Origène dans son commentaire de Matthieu. Au cours du IIIe siècle, l’influence des apocryphes s’est accrue en faveur de la virginité post partum. La dormition de Marie du pseudo-Jean79 proclame très clairement la doctrine de la virginité mariale (ante, in, post partum). Cette littérature a lancé des idées et des hypothèses. L’idée, quand en fin de compte elle a été agréée, ne l’a pas été parce que émise par un texte apocryphe, mais parce que reconnue acceptable par le sens chrétien d’un point de vue théologique.

Il faut laisser aux idées nouvelles le temps de s’intégrer dans la tradition chrétienne du IVe au VIIe siècle. L’Eglise syncrétiste de l’âge d’or de la patristique a assimilé des influences païennes dans son culte et sa doctrine: son universalisme (katholikos) tient à son imprégnation de la philosophie de l’époque et de certains cultes païens. Le culte marial est dérivé de cultes païens des déesses vierges. Sans remettre en cause l’originalité des récits évangéliques qui ne sont pas l’écho de mythes païens, on peut raisonnablement penser que le développement ultérieur du culte marial a subi des influences païennes80. Au VIIIe siècle, Jean Damascène, dans ses Homélies sur la dormition de la Vierge, met en garde contre de possibles confusions et précise que la fête chrétienne adressée à la Mère de Dieu doit se dérouler sans les flûtes et les corybantes de la « Mère des dieux pseudonymes »81. Constantin lui-même met en place un dispositif favorable à de telles confusions82. Le gnosticisme a grandement aidé à la transposition des réalités chrétiennes en mythologie.

Ce dogme de la virginité perpétuelle de Marie s’est construit doucement du IIe au Ve siècle et n’appartient pas à la tradition directement néotestamentaire. Il est clair qu’une telle lecture confortera les protestants dans leur interprétation plus rationnelle des textes, celle qui admet que Marie et Joseph ont pu avoir plusieurs autres enfants après Jésus. Elle contentera aussi les orthodoxes qui considèrent qu’il s’agit là de demi-frères issus d’un premier mariage de Joseph. Si on arrive à identifier le Jacques de l’inscription de l’ossuaire avec le frère de Jésus-Christ, fils de Joseph et Marie, cela remettrait en cause cette notion virginale de Marie mais non point le culte marial, qui est une institution séculaire faisant partie de la dévotion catholique romaine à part entière83. Cette découverte si controversée pourrait-elle aussi remettre en cause l’existence historique de Jésus-Christ?

Il est vrai que cette découverte suscite maints débats. La polémique est ouverte et va continuer encore entre spécialistes. Si l’on se rend compte, dans quelques mois, qu’il était prématuré de rapprocher ces trois noms (sur l’ossuaire) des personnages bibliques connus, cela ne remettrait pas en cause, pour autant, l’existence du Christ. Précisons, au passage, avec A. Lemaire que « la presse a parfois présenté cette inscription comme la ‹preuve› de l’existence de Jésus. Cette interprétation n’est pas exacte car l’identification est un problème de probabilité et surtout, parce que l’historicité de Jésus ne fait pas de doute pour un historien sérieux qui peut s’appuyer sur la tradition littéraire convergente du Nouveau Testament, de Flavius Josèphe et d’auteurs classiques du IIe siècle. Il reste que c’est autre chose de connaître quelqu’un par le biais d’une tradition littéraire et autre chose de voir son nom gravé dans la pierre une trentaine d’années après sa mort. »

En effet, l’ossuaire n’est pas l’unique attestation de son existence historique. Les preuves sont nombreuses. Les quatre évangiles retracent la vie du Christ en insistant chacun à sa manière sur une facette de sa personne. Mais les preuves non chrétiennes existent aussi. Le seul témoignage juif est apporté par Flavius Josèphe (mort en l’an 100). Dans son Testimonium Flavianum (Antiquités juives 18, 3, 3), il rapporte le martyre de Jacques, « frère de Jésus, dit le Christ », condamné à mort par le tribunal juif en l’an 62 (cf. Antiquités juives 20, 197-203). C’est la première attestation non chrétienne de l’existence de Jésus. Elle date de 93-94 et les critiques en reconnaissent l’authenticité textuelle, à la différence du livre XVIII, probablement retouché par des scribes chrétiens: « A cette époque-là, écrit Josèphe, il y eut un homme sage nommé Jésus dont la conduite était bonne. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir […]. Mais ses disciples racontèrent qu’il leur apparut trois jours après sa crucifixion et qu’il était vivant. »

Du côté romain, trois écrivains – Pline le Jeune, Tacite et Suétone – parlent du Christ à propos des démêlés des premiers chrétiens avec les autorités impériales. Préfet d’Asie Mineure, Pline le Jeune informe Rome, vers 112, de mesures prises contre les disciples de Jésus « qui chantent entre eux un hymne à Christ comme à un dieu ». Plus tard (vers 116), l’historien Tacite mentionne aussi dans ses Annales (XV, 44, 3) la « détestable superstition […] au nom d’un Christ que, sous le principat de Tibère, le procurateur Pilate avait livré au supplice ». Enfin, dans sa Vie des douze césars, Suétone, vers 120, parle du Christ comme d’un personnage séditieux.

En bref, que pouvons-nous dire? La découverte de l’ossuaire pose, en résumé, deux problèmes aux archéologues: d’une part, le texte serait écrit par deux mains différentes à des époques séparées; ce qui mettrait en cause l’authenticité de l’inscription. D’autre part, l’origine mystérieuse du lieu d’extraction de l’ossuaire laisse les spécialistes dubitatifs sur la crédibilité de la découverte. Une méfiance plane sur les véritables intentions du collectionneur Oded Golan. Les controverses houleuses du colloque annuel de la SBL (23 et 24 novembre 2002) n’ont apporté aucun point final au débat qui reste ouvert dans trois directions: la nature même de l’ossuaire (affiner la recherche au niveau des matériaux, de la patine, et préciser le lieu d’extraction), une étude épigraphique plus poussée au niveau paléographique et linguistique, une attention plus particulière portée sur la première partie de l’inscription (« Jacques, fils de Joseph »).

Au-delà de cette découverte hiérosolymitaine, cette étude a permis d’entrecroiser les informations de l’archéologie et de l’histoire. Nous avons évalué le tribut de l’archéologie à la Bible: l’apport des données néotestamentaires et patristiques a permis d’identifier les noms gravés sur l’ossuaire. Il s’agirait de Jacques, fils de Joseph et Marie, frère de Jésus-Christ. Nous avons apprécié aussi le tribut de la Bible à l’archéologie: l’apport épigraphique dans la confirmation d’un récit biblique. Cet ossuaire nous apporte la preuve matérielle des liens de parenté de Jésus avec ses parents, ses frères et sœurs. Enfin, nous avons exhibé un cas où l’archéologie et la tradition chrétienne s’opposent: l’inscription remettrait en cause le dogme de la virginité perpétuelle de Marie.

L’enquête archéologique sert à compléter ou à rectifier les textes. Dans le cas d’une contradiction entre l’information textuelle et l’information archéologique (ici épigraphique), la seconde a toute chance d’être plus digne de créance que la première. Encore faut-il, dans le cas qui nous occupe, que l’identification onomastique soit juste. La finalité de l’archéologie est donc claire: cette discipline contribue hic et nunc à l’histoire d’autre chose que celle des vestiges matériels tenus alors seulement pour témoins; elle participe à l’élaboration d’une meilleure connaissance de l’histoire du christianisme ancien84. En effet, cette inscription est un des premiers exemples concrets de l’emploi de l’araméen dans la communauté judéo-chrétienne. Elle nous convie à analyser de nouveau les « aramaïsmes » néotestamentaires qui percent sous la koinè.

Addenda

Au moment où notre texte part chez l’imprimeur, nous apprenons l’apport de trois articles intéressants pour notre contribution; nous les mentionnons à défaut de les intégrer dans le corps du texte :

  • Sophie Laurant & Jean-Luc Pouthier, « Une inscription controversée », Le Monde de la Bible 149 (mars/avril), 2003, 62-65. Cet article de synthèse n’apporte rien de neuf au débat et remplace malheureusement l’article tant attendu d’Emile Puech (cf. note 7 supra).

Deux très bons articles concernant la problématique de la virginité perpétuelle :

  • Bernard Meunier, « Ambroise et Amphiloque » in Madeleine Piot (éd), Regards sur le monde antique. Hommages à Guy Sabbah, (Lyon : Presses Universitaires, 2002), 187-195. Il voit dans un texte d’Amphiloque une source utilisée par Ambroise. A travers cette recherche d’attribution de l’Homélie 2 à Amphiloque, il étudie le thème marial dans l’œuvre d’Ambroise, en cherchant à préciser deux points: Marie a-t-elle eu des rapports conjugaux avec Joseph et a-t-elle pu donner le jour à d’autres enfants, après la naissance de Jésus? Marie a-t-elle perdu ou non les signes de la virginité in partu? C’est une très bonne mise au point.
  • Bernard Pouderon, « La conception virginale au miroir de la procréation humaine », ibid., 229-255. Il s’interroge sur la signification du dogme de la virginité à la lumière des connaissances physiologiques de l’époque. Il tend à montrer comment les premiers Pères ont su adopter les doctrines nouvelles – en particulier celles de Galien – dans les autres domaines de la physiologie tandis qu’ils ont fait preuve d’un conservatisme surprenant dans le domaine de la procréation. Cet article riche abordant la connaissance qu’avaient les Pères de la médecine de leur temps est très éclairant pour comprendre la conception naturaliste ou symbolique de l’enfantement du Fils de Dieu dans la patristique.

* Historien et chercheur, élève de l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem (abr. EBAF), doctorant à Paris IV-Sorbonne, il collabore, depuis trois ans, à la Nouvelle Segond 21 avec la Société Biblique de Genève, comme réviseur des livres vétérotestamentaires. Spécialiste en patristique, il a publié un livre – Justin, apologiste chrétien (Paris: Gabalda, 2000) – et plusieurs articles dans diverses revues scientifiques européennes.

1Cf. « Histoire et archéologie bibliques », La Revue réformée, 209, (2000/4), 35-50.

2 Nous renvoyons à notre modeste contribution (interview et notice) parue dans l’éditorial de la Nouvelle Segond 21 à la Société Biblique de Genève en mars 2003.

3 Notre reconnaissance s’adresse à Arnaud Sérandour, (ancien élève de l’EBAF) de l’Institut d’études sémitiques au Collège de France, qui a bien voulu nous faire part de ses suggestions dans la relecture définitive de cet article.

4 A. Lemaire, (ancien élève de l’EBAF) directeur d’études en épigraphie hébraÏque et araméenne à l’EPHE. Auteur, entre autres, de l’Histoire du peuple hébreu (Que sais-je? Paris: PUF, 1981, réimp. 2001), il a dirigé Le Monde de la Bible (Folio/Gallimard, 1998) et il a traduit, dans l’Ancien Testament, les livres des Rois avec Laure Mistral pour le compte de la nouvelle traduction de la Bible, parue chez Bayard (août 2001).

5 « Burial Box of James, the Brother of Jesus », Biblical Archaeology Review, 28/6 (2002) nov/déc, 24-33, 70. Cf. aussi l’article mis en ligne: « L’ossuaire de Jacques, frère de Jésus », www.clio.fr (janvier 2003). Nos citations d’A. Lemaire proviennent de ces deux études.

6 L’allusion la plus ancienne à Jésus-Christ remontait jusqu’ici à un fragment grec de l’évangile de Jean sur papyrus datant de 125: le manuscrit Rylands, découvert en 1920 en Egypte, copié, avec le reste de l’évangile, quelque 25-50 ans après la rédaction de l’apôtre à Ephèse. Ce fragment est conservé à la bibliothèque Rylands à Manchester.

7 A. Lemaire a donné une conférence le samedi 8 février 2003 à Paris dans le cadre des rencontres « Clio » (La Maison des Mines, 270, rue Saint-Jacques, Paris 5e). Emile Puech a publié en mars/avril 2003 un article critique dans la revue archéologique française bimestrielle Le Monde de la Bible. Parution en mars 2003 d’un livre: Hershel Shanks & Ben Witherington III, The Brother of Jesus (San Francisco: Harper). Shanks, directeur de Biblical Archaeology Review (abr. BAR) fait le point sur la découverte et la lecture de Lemaire, tandis que Witherington III, spécialiste du Nouveau Testament au Asbury Theological Seminary, analyse les implications de cette interprétation dans notre connaissance de Jésus.

8 L’ornementation d’un ossuaire n’était pas synonyme de richesse et de niveau social élevé. Les spécialistes affirment que le choix d’ossuaires modestes n’était pas non plus un signe de pauvreté de la part du défunt ou de sa famille; cf. Levi Yizhaq Rahmani, A Catalogue of Jewish Ossuaries in the Collections of the State of Israel (Jérusalem: Israel Antiquities Authority, 1994), 11; Y. Magen, The Stone Vessel Industry in the Second Temple Period, Excavations at Hizma and the Jerusalem Temple Mount (Jérusalem: 2002), 132-137.

9 Propos recueillis par Science et médecine (nov. 2002, 12), Le Monde (jeudi 24 octobre 2002, 26, article de Pierre Barthélémy) et Jocelyn Rochat, « Un frère de Jésus nous est donné », L’Hebdo, n. 51, 19 déc. 2002, 60-62.

10 Spécialiste des études juives à la Duke University, s’exprimant à la rencontre annuelle de Toronto en novembre.

11 Cette pratique funéraire en deux temps est bien décrite dans un traité rabbinique (Semahot 12: 9): ce rituel (c’est-à-dire l’acte de recueillir les os) est appelé ossilegium. Il était généralement pratiqué au moins douze mois après l’inhumation primaire permettant au corps de se décomposer dans les caveaux creusés dans le roc de la région de Jérusalem. Cf. le livre de Dov Zlotnick, The Tractate ‘Mourning’ (Semahot): Regulations Relating to Death, Burial and Mourning (New Haven/Londres: Yale Univ. Press, 1966), 82.

12 Pour l’étude paléographique de la période, nous renvoyons à: Ada Yardeni, Textbook of Aramaic, Hebrew and Nabataean Documentary Texts from the Judaean Desert and Related Material. A. The Documents. B. Translation, Paleography, Concordance (Jerusalem: Hebrew Univ., 2000).

13 A. Lemaire, art. cit. (supra, n. 5), 29.

14 Paléographe américaine, historienne des écritures hébraïques.

15 Cf. son bulletin Internet de 10 pages destiné aux spécialistes du judaïsme ancien.

Spécialiste des dialectes araméens à l’université du Wyoming. Cf. son article paru dans Religion Today: « La seconde partie de l’inscription contient deux indicateurs prouvant qu’il s’agit d’une forme d’araméen qui n’a pas été parlée avant le IIe siècle en Galilée. » Le Père Joseph Fitzmyer, éditeur des textes araméens des manuscrits de la mer Morte, est un partisan de l’authenticité et s’oppose aux vues de Flesher. En hébreu, ‘Frère’ s’écrit ah. Dans l’inscription, on trouve ahuy de-; cette même occurrence, au singulier, se trouve dans le texte araméen de l‘Apocryphe de la Genèse (21:34-22:1) – faisant partie des manuscrits de la mer Morte donc antérieure au IIe siècle de notre ère – et sur une autre inscription funéraire; la forme ahuy de- est donc correcte pour l’époque indiquée par Lemaire.

16 Spécialiste des dialectes araméens à l’université du Wyoming. Cf. son article paru dans Religion Today: « La seconde partie de l’inscription contient deux indicateurs prouvant qu’il s’agit d’une forme d’araméen qui n’a pas été parlée avant le IIe siècle en Galilée. » Le Père Joseph Fitzmyer, éditeur des textes araméens des manuscrits de la mer Morte, est un partisan de l’authenticité et s’oppose aux vues de Flesher. En hébreu, ‘Frère’ s’écrit ah. Dans l’inscription, on trouve ahuy de-; cette même occurrence, au singulier, se trouve dans le texte araméen de l‘Apocryphe de la Genèse (21:34-22:1) – faisant partie des manuscrits de la mer Morte donc antérieure au IIe siècle de notre ère – et sur une autre inscription funéraire; la forme ahuy de- est donc correcte pour l’époque indiquée par Lemaire.

17 Archéologue de l‘Israël Antiquities Authority (IAA).

18 Professeur du Dinur Center de l’université hébraïque de Jérusalem.

19 Linguiste et paléographe à l’université Johns Hopkins.

20 Propos recueillis par Patrick Jean-Baptiste, « Un mot de trop, Jésus, faux frère? », Sciences et avenir, déc. 2002, 12.

21 P. Richardson est professeur à l’université de Toronto, auteur du livre récent: Herod, King of the Jews, and Friend of the Romans (Columbia SC: University of South Carolina Press, 1996, rééd. 1999).

22 Propos rapportés par John Noble Wilford, « Questions about ‘Jesus’ ossuary », International Herald Tribune, 5 déc. 2002, 10.

23 Historien de l’art, professeur des universités Rutgers et Princeton, directeur du Roman Catholic News.

24 Interview rapportée par John Noble Wilford, « Questions about ‘Jesus’ ossuary », International Herald Tribune, 5 déc. 2002, 10

25 Article du 4 novembre 2002 (61-62) avec les reportages de Andrea Dorfman (Washington), Matt Rees et Matthew Kalman (Jerusalem) et Tala Skari (Paris).

26 Ha’aretz, 4 nov. 2002.

27 Israel Antiquities Authority (abr. IAA) est l’équivalent d’un ministère archéologique. Selon la loi sur la sauvegarde du patrimoine archéologique, tout objet ancien acquis après 1978 revient de droit à l’Etat d’Israël. En conséquence de quoi, l’IAA est dotée d’un pouvoir de police auprès des collectionneurs et des antiquaires.

28 Il ne s’agirait pas de M. Fotah, antiquaire arabe de Jérusalem, comme annoncé par les médias. L’IAA chercherait à identifier un vendeur complice.

29 Langue parlée en Syrie et en Palestine au début de notre ère. L’inscription reprend l’écriture araméenne se substituant à l’écriture paléo-hébraïque au moment de l’exil babylonien au VIe siècle avant notre ère.

30 Bibliographie dans: John Painter, Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition (Minneapolis, Minnesota: coll. Studies on Personalities of the New Testament, Fortress Press, 1999. Cf. aussi l’article (en hébreu) de Oded Ir-Shai intitulé « The Jerusalem Church – from a Church of the Circumcised to a Church of Goyim », publié dans l’ouvrage collectif The Jerusalem Book – The Roman and Byzantine Period chez Yad Ben Tzvi en 1999).

31 Ne pas confondre cette littérature clémentine avec Clément de Rome, l’auteur de l’épître aux Corinthiens (dans la littérature apostolique) et de la deuxième épître à la même église et qui est, en fait, l’homélie la plus ancienne conservée. Une littérature apocryphe ultérieure a été placée sous le patronage de Clément. Le héros du roman des Reconnaissances se nomme Clément, est évêque de Rome et a des liens de parenté avec la famille des Césars. La légende prend le pas sur la réalité historique mais il n’y a aucun lien entre le père apostolique et le célèbre cousin de l’empereur Domitien, le consul Flavius Clemens (exécuté en 95/96 pour crime de judaïsme). Les apocryphes clémentins ou les écrits pseudo-clémentins désignent deux textes: les Homélies et les Reconnaissances composées au IIIe siècle. Certains passages sont imprégnés d’un judéo-christianisme (cf. VIIIe homélie, par exemple); dans la fiction, Pierre et Clément sont en relation étroite avec Jacques. Au cours du IIIe siècle (époque de la première rédaction de ces écrits; début IVe siècle pour la composition finale qui a donné leur forme actuelle aux textes), il y eut comme un renouveau du christianisme judaïsant. Cf. Oscar Cullmann, Le problème littéraire et historique du roman pseudo-clémentin (Paris: 1930); G. Strecker, Das Judenchristentum in den Pseudo-Clementinen (Berlin: 1958); H. J. Schoeps, Das Judenchristentum (Berlin: 1964); M. Simon & A. Benoit, Le judaïsme et le christianisme antique (Paris: PUF, 11968, 31991), 258-274; B. Pouderon, « La littérature pseudo-épistolaire dans les milieux juifs et chrétiens des premiers siècles: l’exemple des pseudo-clémentines », Epistulae Antiquae (Leuven/Paris, 2000), 223-241; idem, « Aux origines du roman pseudo-clémentin. Prototype païen, refonte judéo-hellénistique, remaniement chrétien » in Simon Mimouni (ed.), Le judéo-christianisme dans tous ses états (Paris: Cerf, 2001), 231-256; idem, « Homélies pseudo-clémentines (collectif) » in Ecrits apocryphes chrétiens, t. 2, (Paris: Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2003), sous presse.

32 Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique (abr. HE), 2, 23, 2.

33 Le naziréat est une institution ancienne selon laquelle le nazir (ou naziréen) se vouait à Dieu pour une période déterminée en respectant un certain nombre de règles (ne pas se couper les cheveux, s’abstenir de vin, ne pas toucher un cadavre…). Certains nazirs furent consacrés dès leur naissance comme Samson, Samuel, Jean-Baptiste. D’après Hégésippe, dans ses Mémoires, au cinquième livre (écrit des temps apostoliques connu par les citations d’Eusèbe), Jacques aurait été nazir consacré dès le sein de sa mère (cf. Eus., HE 2, 23, 5).

34 Marcel Simon, Verus Israël [étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l’empire romain 135-425] (Paris: De Boccard, 11948, 31983), 304.

35Eusèbe, HE 2, 23, 18. Cf. F. M. Abel, « Mélanges II. La sépulture de saint Jacques le mineur », Revue Biblique, 28 (1919), 480-499.

36 Historien juif de l’époque (Antiquités juives 20, 9, 1) qui impute la mort de Jacques au grand-prêtre Ananos, blâmé même par les légalistes et destitué ensuite sur leur demande par Agrippa. Cf. les citations de Josèphe rapportées par Eusèbe in HE 2, 23, 21-24.

37Cf. Rahmani, Catalogue, n. 570; R. Hachlili, « Names and Nicknames of Jews in Second Temple Times » in D. Amiran (ed), A. J. Brawer Memorial Volume (Jérusalem, 1984), t. Eretz-Israel 17.

38Cf. l’article critique des thèses de Lemaire: Patrick Jean-Baptiste, « Un mot de trop, Jésus, faux frère? », Sciences et avenir, déc. 2002, 7-12.

39 Professeur des religions moyen-orientales à l’université de Californie (Long Beach). Cf. son article, Los Angeles Times du 30 octobre 2002.

40 Professeur à l’université d’Oxford.

41 Professeur à l’EBAF, épigraphiste, paléographe, directeur de recherche au CNRS, un des grands spécialistes des études qumrâniennes.

42 L’expression « frère » (ah) a plusieurs sens dans les langues sémitiques. En Israël, à l’époque, comme dans tout l’Orient, les enfants vivant sous un même toit étaient tous « frères » même s’ils n’étaient que simples cousins. Le mot ah qui veut dire « frère » signifie aussi « cousin ». Notons tout de même que la Septante emploie beaucoup plus souvent le mot « frère » (adelphos) que celui de « cousin » (anepsios).

43 Cf. son livre: P.-A. Bernheim, James, Brother of Jesus (Londres: SCM Press, 1997); il existe une traduction française: Jacques, frère de Jésus (Paris: Noesis, 1999). Bernheim reprend la polémique déclenchée par Jacques Duquesne: Jacques est un fils de Joseph et de Marie, un frère de Jésus et non un cousin. Il nous dépeint une nouvelle vision des débuts de l’Eglise, non pas celle de l’orthodoxie qui triomphera, mais celle de ceux qui n’allaient pas dans le sens de l’Histoire. Pour d’autres ouvrages récents sur la question: François Refoulé, Les frères et sœurs de Jésus: frères ou cousins? (Paris: Desclée de Brouwer, 1995); Robert Eisenman, James the Brother of Jesus [the Key to Unlocking the Secrets of Early Christianity and the Dead Sea Scrolls] (New-York: Penguin USA, 1998); Bruce Chilton & Craig A. Evans (eds), James the Just and Christian Origins (Leyde/Boston/Köln: coll. Supplements to Novum Testamentum 98, E. J. Brill, 1999). Il existe une recension de ces ouvrages: Paul-Hubert Poirier, « Jacques, le frère de Jésus, dans trois livres récents », Laval théologique et philosophique, 56/3 (2000), 531-541.

44 Notons au passage que, dans le Nouveau Testament, la personne de la Vierge n’est nulle part mise au premier plan. Les premiers témoignages des pères apostoliques ne démentent en rien cette impression. On n’insiste que sur la conception virginale de Jésus. Pour aller plus loin: cf. Robert G. Gromacki, The Virgin Birth (Kregel: Publications, 2002); J. McGuckin, « The Paradox of the Virgin Mother », Maria-Journal of Marian Theology, 3, (2001), 5-23; J. Gresham Machen, Virgin Birth of Christ (James Clarke Company, 2000); Gerd Lüdemann, Virgin Birth? The Real Story of Mary and Her Son (Londres: Trinity Press International, 1998); Luigi Gambero, Maria nel pensiero dei Padri della Chiesa (Milan: 1991); G. Jouassard, « Marie à travers la patristique: maternité divine, virginité, sainteté » in Hubert du Manoir (éd), Maria, études sur la Sainte Vierge (Paris: Beauchesne, 1949), t. 1, 71-157.

45 Smyrn., 1, 1 à cp. avec Ep, 7: 2; 18: 2; 19: 1; Magn., 11; Tral., 9, 1.

46 Apol., 2. Il semble qu’Aristide aurait écrit dans le cas que Jésus-Chirst « est né d’une vierge juive ».

47 Dial., 48, 2-4; 100, 4-6; 105, 1.

48 Adv. Haer., III, 22, 3-4; V, 19, 1. Cf. deux thèses de doctorat: J. Garçon, La mariologie de saint Irénée (Lyon, 1932); B. Przybylski, De Mariologia Sancti Irenaei Lugdunensis (Rome, 1937).

49 Cette terminologie, depuis très longtemps classique dans l’Eglise, a pour objet de mettre en évidence que Marie est demeurée vierge non seulement avant que Jésus vienne au monde (ante partum), mais aussi bien dans l’acte même de l’enfantement (in partu), cet acte n’ayant pas eu pour effet de détruire les signes de sa virginité; de même elle est restée vierge après l’enfantement (post partum).

50 Il la tient pour un dogme enseigné par l’Eglise: De praescriptione haereticorum, 13; 27; 44.

51 Cf., par exemple: Adv. Marcionem, 3, 11; 4, 19, 26, 36.

52 Stromates 7 & 16.

53 Cf. l’hypothèse de G. Jouassard, art. cit. (supra, n. 44), t. 1, 82, n. 14.

54 Cette description est faite en utilisant les passages suivants: Com. s. Mt, 10:17; Hom. s. Luc 7 & 8: Com. s. Jean 1:6. Cf. C. Vagaggini, Maria nelle opere di Origene (Rome, 1942).

55 Commentaire sur les Psaumes, Ps 68: 9.

56 Les auteurs des IIe et IIIe siècles tenaient Marie pour la mère du Sauveur. Par ailleurs, ils considéraient celui-ci comme Dieu. De là à nommer mère de Dieu celle à qui Jésus devait le jour, il n’y avait qu’un pas.

57 De Incarnatione Verbi, 17. Athanase fait découvrir cette nouvelle forme d’ascétisme à l’Occident lors de ses exils successifs. C’est dans ce sens qu’il a rédigé, par ailleurs, sa fameuse Vie de saint Antoine pour faire connaître aux Latins le monachisme égyptien.

58 In Mt. Hom., 5, n. 2-3.

59 Ibid.

60 Com. s. Mt., 1, n. 3-4. Commentaire rédigé en 356.

61 Lib. 1, Tract. 5, 3; 13, 10; Lib. 2, Tract. 8, 2; 9, 1.

62 De virginibus ad Marcellinam. Ambroise composera quelques années plus tard (vers 393) le De institutione virginis. Cf. A. Pagnamenta, La Mariologia di S. Ambrogio (Milan, 1932).

63 Cf. De bono conjugali; De sancta virginitate.

64 Cf. Joseph Turmel, Histoire des dogmes (Paris: 1932), t. II, 430 sq.

65 Peter Brown, Society and the Holy in Late Antiquity (Londres: Faber & Faber, 1982), il existe une traduction française d’Aline Rousselle: La société et le sacré dans l’Antiquité tardive (Paris: Seuil, 1985); idem, The Body and Society: Men, Women, and Sexual Renunciation in Early Christianity (New York: Columbia University Press, 1988), il existe une traduction française de P.-E. Dauzat et Chr. Jacob: Le renoncement à la chair, virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif (Paris: Gallimard, 1995); Aline Rousselle, Porneia. De la maîtrise du corps à la privation sensorielle. IIe-IVe siècle de l’ère chrétienne (Paris: 1983).

66 Fliche & Martin, Histoire de l’Eglise (Paris: Bloud 1939), t. 4, 163-196; Charles Pietri & André Vauchez, Histoire du christianisme (Paris: Desclée, 1995), t. 2 « Naissance d’une chrétienté (250-430) ».

67 E. Schwartz, Acta conciliorum oecumenicorum (Berlin: Leipzig, 1922-1929), t. 1, 70, l. 19-22.

68 Ioli Kalavrezou, « Images of the Mother: When the Virgin Mary Became Méter Theou », Dumbarton Oaks Papers, 44, (1990), 165-172.

69 Hodègos, 1.

70 H. Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique (Paris: DS 44, Cerf, 1997), 16.

71 Cf. J. Turmel, Histoire des dogmes, t. II, 1932, 448-451.

72 Ph. Borgeaud, La mère des dieux, de Cybèle à la Vierge Marie (Paris: Seuil, 1996), 174.

73 Cf. Enrico Norelli, « Avant le canonique et l’apocryphe: aux origines des récits de la naissance de Jésus », Revue de Théologie et de Philosophie, 126, (1994), 305-324; id., L’Ascensione di Isaia. Studi su un apocrifo al crocevia dei cristianesimi (Bologne: 1994); R. Bauckham, « The Ascension of Isaiah: Genre, Unity and Date » in Id., The Fate of the Dead. Studies on the Jewish and Christian Apocalypses (Leyde/Boston/Köln: 1998), 363-390.

74 Asc Is, 11, 1-22; cf. F. Bovon & P. Geoltrain (éds), Ecrits apocryphes chrétiens (Paris: Pléiade, Gallimard, 1997), t. 1, 541-543 (abr. EAC).

75 Mario Erbetta, Gli Apocrifi del Nuovo Testamento (Casale Monteferrato: 1981), vol. 3, 202 note à 11, 7.

76 Ce texte transmis en grec, syriaque, et arménien, date (au niveau de sa composition) de la seconde moitié du IIe siècle; pour plus de détails: EAC, 73-80; E. de Strycker, La Forme la plus ancienne du Protévangile de Jacques. Recherches sur le papyrus Bodmer 5 avec une édition du texte grec et une traduction annotée (Bruxelles: Subsidia Hagiographica n. 33, 1961); J.-D. Kaestli, « Le Protévangile de Jacques en latin. Etat de la question et perspectives nouvelles », Revue d’Histoire des Textes, 26, (1996), 41-102.

77 Apocryphe connu sous son appellation latine Epistula apostolorum: cf. EAC, 359-392; J.-N. Pérès, L’Epître des apôtres et le Testament de notre Seigneur et notre Sauveur Jésus-Christ, (Turnhout: Apocryphes, 5, 1994).

78 Il s’agit d’un apocryphe sur l’origine duquel on discute (on ne sait s’il est chrétien ou juif) et dont nous n’avons que des fragments, généralement minimes. L’un de ceux-ci vise un être qui aurait enfanté et n’aurait pas enfanté. Très tôt, ce fragment a été interprété dans le sens de la virginité in partu de Marie: cf. K. Holl, Gesammelte Aufsätze zur Kirchengeschichte (Tubingue: 1928), t. 3, 36 et 41-42.

79 Apocryphe daté de la fin du Ve et tout début VIe siècle. La dormition de Marie (mort sans résurrection: l’âme de Marie placée au ciel, le corps enterré transféré au paradis trois jours après) et son pouvoir d’intercession remplissent ce texte. Notons que la doctrine de l’intercession est présente sous sa forme embryonnaire. La résurrection ou l’immortalité viendront plus tard avec la croyance en l’Assomption. Cf. EAC, 165-188; S. C. Mimouni, Dormition et assomption de Marie. Histoire des traditions anciennes (Paris: 1995), 118-127.

80 Notons toutefois deux différences intrinsèques entre le culte marial et les cultes de la déesse-mère: le judéo-christianisme exclut toute idée d’un culte divin en dehors du Dieu créateur. Marie n’est donc pas invoqué comme déesse mais comme sainte intercédant pour les fidèles. Ensuite, les cultes des déesses païennes apparaissent comme des religions de la fécondité biologique. Or rien n’est plus étranger au culte marial. Pour plus ample information: cf. Jean Daniélou, « Le culte marial et le paganisme » in Hubert Du Manoir (éd.), Maria, études sur la Sainte Vierge (Paris: Beauchesne, 1949), t. 1, 161-181; E. Neumann, The Great Mother. An analysis of the Archetype (New-York: 1955); Michael P. Carroll, The Cult of the Virgin Mary. Psychological Origins (Princeton: 1986).

81 P. C. Chevalier, La Mariologie de saint Jean Damascène (Rome, 1936).

82 Pour un plus grand développement: cf. Vasiliki Limberis, Divine Heiress. The Virgin Mary and the Creation of Christian Constantinople (Londres/New-York: 1994); Averil Cameron, « The Theotokos in Sixth-Century Constantinople: A City Finds its Symbol », Journal of Theological Studies, 29, (1978), 79-108.

83 Effectivement, nous n’avons envisagé ici que la virginité mariale mais il y a bien d’autres thèmes qui font partie du culte à Marie: la maternité divine, la sainteté, l’assomption, l’annonciation, l’intercession…

84 Il ne faut pas en déduire que l’archéologie serait l’auxiliaire de l’histoire. Elle est une discipline à part entière et n’est pas le parent pauvre de l’histoire-par-les-textes. L’archéologie est une technique d’information analytique. Il existe une situation respective entre les textes et les vestiges archéologiques; il n’y a pas de hiérarchie entre les données testimoniales et les données autopsiques. Les sources textuelles se situent par définition au niveau du langage; les vestiges relèvent de la technique. Pour l’illustration de ce propos, nous renvoyons à notre étude: « Le manuscrit du Dialogue avec Tryphon de Justin Martyr », Bulletin de littérature ecclésiastique, 103/4 (2002), Toulouse, 371-382.

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