Dieu : masculin et/ou féminin ?
Paul WELLS*
Nous croyons
en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles;
et en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait. Pour nous les hommes, et pour notre salut, il est descendu des cieux; par le Saint-Esprit il s’est incarné dans la Vierge Marie, et s’est fait homme; il a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate; il a souffert; il a été enseveli; il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures; il est monté aux cieux; il siège à la droite du Père et il reviendra en gloire juger les vivants et les morts, lui dont le règne n’aura pas de fin;
et en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui vivifie; qui procède du Père et du Fils; qui ensemble avec le Père et le Fils est adoré et glorifié; qui a parlé par les prophètes;
en une seule Eglise sainte, catholique et apostolique. Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir.
Amen.
Symbole de Nicée Constantinople1
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L’objet de cet exposé est d’essayer de trouver une réponse théologique à la question très souvent posée: pourquoi les auteurs bibliques utilisent-ils le masculin et non pas le féminin lorsqu’ils parlent de Dieu?
Pour parvenir à formuler une réponse, il convient de faire trois remarques:
– il s’agit de la doctrine trinitaire;
– il s’agit de la doctrine du salut par le Fils, Jésus-Christ;
– si Dieu est notre Père, l’Eglise est notre “mère”.
Nous limiterons notre propos aux deux premières remarques.
Quelques remarques introductives
L’Ecclésiaste dit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Il s’agit là d’une affirmation concernant la condition humaine et le péché et non les structures sociales qui varient au cours de l’histoire. Une des idées majeures et un des mouvements importants de notre époque ont été la féminisation de la société ou, pour être plus précis, l’égalitarisme homme/femme introduit dans tous les domaines de la vie. C’est ainsi qu’en France, par exemple, la parité sur les listes électorales a été instituée dans la représentation parlementaire et même, maintenant, dans des émissions sur le football.
L’égalitarisme est donc, aujourd’hui, une tendance inéluctable de la vie sociale. Il y a sans doute bien des raisons à cela et, entre autres:
– l’urbanisation et l’indépendance financière des femmes qui, à partir de la Seconde Guerre mondiale – où elles ont suppléé les hommes, par exemple, dans l’industrie de l’armement dans les pays anglo-saxons –, ont été de plus en plus nombreuses à exercer une profession;
– l’instauration de ce que l’écrivain John Updike a appelé le “paradis de la pilule”, qui a favorisé le relâchement du lien activité sexuelle/procréation et contribué à la déconstruction de l’unité familiale.
Les attaques contre la famille sont venues, à l’Ouest, de la sécularisation et, à l’Est, des instances gouvernementales par des mesures relatives, par exemple, au divorce et à l’avortement. Mais le résultat est le même. Globalement, sous la forte pression de la modernité, du matérialisme et de la sécularisation, la vision chrétienne de la famille et des rapports entre les sexes a été profondément modifiée et marginalisée dans la société occidentale.
L’égalitarisme n’a pas épargné l’Eglise – et je n’évoquerai pas ici l’accession des femmes au ministère pastoral –, qui a cherché à se mettre au goût du jour dans ses structures et dans sa vie.
Un des aspects de cette évolution est l’introduction, dans certaines liturgies, de l’expression: “Dieu est notre Mère”. En Angleterre, l’Eglise méthodiste a proposé de commencer la prière dominicale par: “Notre Père ou notre Mère qui es aux cieux…” Il existe, maintenant, des traductions de la Bible qui sont gender inclusive, c’est-à-dire qui essaient de trouver un égalitarisme entre le il et le elle, en remplaçant le plus possible le mot homme, au sens générique, par le mot personne et en introduisant, pour Dieu, des titres féminins à côté des titres traditionnellement masculins.
Depuis le début du XIXe siècle, bien des Eglises modernistes ont eu pour projet de rendre le christianisme acceptable et d’exposer l’Eglise aux influences de la société afin de s’y adapter. Il n’est pas sûr que cela ne puisse pas s’observer, également, peu ou prou, dans des Eglises “évangéliques”2. C’est ainsi, paraît-il, qu’il a été possible d’entendre chanter par un groupe gospel assez célèbre, dans le midi de la France: “Dieu est notre Père, Dieu est notre Mère.”
La sociologue française Evelyne Sullerot a dit que notre société moderne est devenue “matricentrée”. Ce qui est vrai surtout dans les pays latins, où les Eglises sont surtout fréquentées par des femmes. L’absence des hommes tient aussi à la dépopulation due à la Première Guerre mondiale. Aussi en est-on venu à penser que parler de Dieu comme d’un Père est une manifestation du patriarcat traditionnel de la société, qui mérite d’être reconsidéré, sous peine de machisme. On accepte la pensée que les images masculines utilisées dans la Bible sont le reflet de la culture des époques au cours desquelles le texte biblique a été écrit. Inutile donc d’évoquer l’ordre créationnel. Aussi apparaît-il à beaucoup comme assez normal de ne plus tarder à procéder à une adaptation culturelle.
Il devient donc important de savoir répondre à l’interrogation: “Pourquoi ne peut-on pas prier Dieu comme notre Mère? Y a-t-il une raison à cela ou bien est-ce simplement une tradition?” Cette réponse sera à la fois théologique et apologétique.
I. Une question de langage
Du côté des féministes, il existe quatre positions:
a) La position des féministes “évangéliques”, que je laisserai de côté, parce qu’elles essaient, aux Etats-Unis en particulier, de respecter la doctrine de l’inspiration biblique.
b) La position des féministes égalitaires – comme la théologienne Mary Hater, qui a écrit un livre important, La nouvelle Eve en Christ –, qui cherche à établir un égalitarisme aussi bien au niveau de la pensée que du langage.
c) La position des féministes plus radicales, pour lesquelles reconnaître l’égalité des natures de l’homme et de la femme ne suffit pas, car cela n’empêche pas de dire que leurs fonctions sont différentes. Pour elles, il faut affirmer que l’homme et la femme sont identiques, non seulement au niveau de la nature mais aussi à celui de la fonction! Elles s’efforcent donc d’essayer de supprimer, dans le langage, toute référence au masculin et au féminin. En France, ce point de vue est exprimé, par exemple, dans les livres d’Elisabeth Badinter ou celui de Claudette Marquet, Femme et homme, il les créa.
d) Enfin, il y a les extrémistes qui voudraient, en quelque sorte, éliminer les hommes et qui prônent une féminisation totale du langage. C’est le cas des Américaines Rosemary Ruether et Mary Daly, qui ont suggéré des mots de substitution pour Dieu: dieuesse ou déesse, rédemptrice ou sophie. Tout cela afin de combattre la supériorité masculine, qui est une idolâtrie.
En ce qui concerne le langage biblique, nous avons parfois négligé de voir, à cause de nos habitudes de penser, qu’il y a, dans la Bible, des termes féminins appliqués à Dieu. Il nous appartient de veiller à mieux accorder notre manière de parler au langage biblique.
La Bible dit, en effet, que Dieu nous aime autant comme une mère que comme un père. Dans l’Ancien Testament, la tendresse ou la compassion de Dieu envers son peuple est exprimée par un mot qui, en hébreu, est un pluriel dont le sens est: le ventre maternel; l’utilisation d’un tel mot traduit chez Dieu un sentiment proche d’une réalité physique. Ce n’est pas un hasard si la plus grande concentration de termes féminins pour parler de Dieu se trouve dans le livre de la consolation d’Israël, c’est-à-dire en Esaïe 40 à 663.
Dans les versets suivants, on peut discuter pour savoir s’il s’agit d’une fonction maternelle ou paternelle: Osée 11:1-4; Esaïe 1:2, 42:14, 46:14-15, 66:11 et 13; Psaume 91:4 (texte auquel se réfèrent les paroles de Jésus: “Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes!”4), 131:2. Et, dans le Nouveau Testament, la parabole de la drachme perdue compare Dieu à une femme qui fait le ménage!
Comment aborder cette question du langage?
Certains essaient de l’éliminer en disant que Dieu est tout autre et qu’il transcende le langage humain, qui n’a donc pas une grande signification théologique. Aussi mettre “elle” au lieu de “lui”, ou “mère” au lieu de “père”, pour Dieu, n’a-t-il pas grand sens.
Mary Hater considère, et c’est là une affirmation intéressante, que, dans la Bible, les métaphores féminines n’ont pas de signification théologique. Etant prise à son propre piège, elle est, de ce fait, contrainte d’éliminer une partie de la révélation biblique. Retenons son point de vue selon lequel, d’une façon générale, le langage féminin dans la Bible est métaphorique et ne soutient pas, comme le langage masculin, le développement théologique.
Réfléchissant à partir des métaphores concernant Dieu, qui le présentent “comme une mère”, “comme une nourrice”, il m’est apparu important d’étudier la relation entre langage anthropomorphique et les métaphores bibliques.
Certains théologiens confondent la forme humaine du langage biblique et son caractère métaphorique, sous prétexte que le langage biblique est anthropomorphique (anthrôpos = homme au sens générique, et morphê = forme). C’est une erreur, car il est impossible d’affirmer que, puisque le langage biblique est anthropomorphique, il n’est que symbolique et ne parle pas directement de Dieu. Il y a, dans la Bible, des métaphores et des symboles, mais, comme le souligne H. Bavinck, tout langage anthropomorphique n’est pas symbolique ou métaphorique.
Qu’est-ce donc qu’une métaphore? Il y a métaphore lorsqu’un aspect d’une réalité est transposé dans un autre domaine pour illuminer une autre réalité au moyen d’une figure. Exemple: la lumière d’une lampe est une affirmation directe; la vérité illumine, une métaphore; la capacité d’illuminer de la lampe a été transférée à la vérité. Mais la métaphore a une portée limitée; elle ne dit pas tout sur la vérité, qui a d’autres caractéristiques.
Avec la Bible, nous disons que Dieu est un rocher; ce faisant, rien n’est indiqué sur l’éternité de Dieu, son caractère personnel, son omniprésence et tous les autres attributs divins. Affirmer que Dieu est un rocher, c’est dire qu’il est fidèle. Le langage métaphorique et parabolique est, souvent, plus dramatique ou vivant qu’une affirmation directe.
Appeler Dieu “Père” est un anthropomorphisme, mais pas une métaphore comme celles qui décrivent Dieu donnant naissance à Israël, nourrissant ou consolant son peuple. De telles métaphores féminines sont paraboliques et se réfèrent, non pas à la personne et aux actions de Dieu dans leur globalité, mais à un aspect particulier de son activité.
On trouve, dans la Bible, des métaphores masculines, féminines ou neutres, qui décrivent un des aspects de la réalité divine, mais pas toute cette réalité. Dans le Nouveau Testament, nous lisons: “Le Seigneur est mon berger”, Jésus est l’“époux” de l’Eglise. On dit aussi que Dieu est “roi”, qu’il est chef et souverain de la création, etc. Ces images masculines ont, dans la Bible, la même fonction que les images féminines.
Préférer les images masculines parce qu’elles sont les plus nombreuses dans la Bible n’est pas une réponse à la question: “Y a-t-il une raison théologique implicite pour justifier cette préférence?” Cette raison théologique est liée à la nature de la révélation biblique.
Les termes tels que berger, roi, juge, époux et chef, qui se concentrent sur la personne du Christ incarné, sont tous utilisés pour décrire Jésus-Christ de façon métaphorique. En revanche, le langage concernant le Père et le Fils est extérieur au domaine de la métaphore. En effet, les mots “Père” et “Fils” appliqués à Dieu, même s’ils ont, dans ce cas, une valeur symbolique, sont aussi polysémiques et indiquent quelque chose d’autre qu’une image ou une métaphore. Ils sont à interpréter de façon littérale. En tant que chrétiens, si nous disons bien que Dieu est comme un rocher, nous ne dirions jamais qu’il est comme un père ou que Jésus-Christ est comme un fils; ce serait réduire, diminuer, la dimension de la nature divine. Nous disons: Dieu est Père, Jésus-Christ est le Fils du Père, Dieu est le Père de Jésus-Christ et Jésus-Christ est le Fils du Père.
Si, au niveau métaphorique, ces expressions sont anthropomorphiques et au masculin, la métaphore est ici transcendée, car ces expressions sont des propositions révélées par Dieu sur sa propre nature. En effet, c’est Dieu qui dit: “Je suis le Père éternel” et là, nous ne sommes plus dans le domaine de la métaphore, mais dans celui d’une proposition révélée.
Dire que Dieu est le Père, que Jésus-Christ est le Fils et que le Saint-Esprit est l’Esprit de Dieu, c’est exprimer, sous forme de propositions révélées, tout ce qui peut être dit de Dieu sur le plan théologique. En effet, sur ce plan, ces expressions se réfèrent, non seulement, au Dieu transcendant ou à la Trinité transcendante, mais aussi à la Trinité de révélation, à la Trinité du salut ou sotériologique ou, en d’autres mots, à la Trinité immanente et à la Trinité économique. Ces expressions – Dieu est le Père, Jésus-Christ est le Fils et le Saint-Esprit est l’Esprit de Dieu – s’appliquent à ces trois niveaux différents et ne sont pas des métaphores bibliques. Elles nous permettent de concevoir Dieu et de parler de lui.
Autrement dit, et ceci est fondamental, en disant “Dieu est comme une mère”, nous formulons une métaphore qui correspond à un aspect de Dieu: sa compassion, sa tendresse. En disant “Dieu est Père”, nous évoquons Dieu, de façon globale, dans son éternité, par rapport à Jésus-Christ dans l’incarnation et comme notre Père à qui nous pouvons dire Abba, Père, reconnaissant ainsi la qualité de la relation personnelle que Dieu a avec nous.
Les termes Père, Fils et Saint-Esprit expriment quelque chose de toute la réalité de Dieu et pas seulement d’un de ses aspects. C’est pourquoi a été placé en tête de cet article le texte du Symbole de Nicée-Constantinople.
Ainsi, quand on dit que “Dieu est Père”, on affirme:
– que Dieu est archê, c’est-à-dire qu’il est sans origine, qu’il est à l’origine de toutes choses;
– que Dieu a engendré, de toute éternité, son Fils Jésus-Christ qui est de la même nature que lui;
– que Dieu nous a adoptés dans le Fils pour avoir part à l’héritage glorieux de Jésus-Christ.
Le terme de “Fils de Dieu” identifie qui est Jésus dans sa personne et son être. Le Logos du prologue de Jean est:
– le Fils éternel de Dieu, qui devient Fils par son acte d’auto-humiliation, qui est devenu Fils comme prophète, prêtre et roi, par son obéissance en vue de l’accomplissement de notre salut;
– le Fils Sauveur, manifesté comme Fils de Dieu dans la gloire de la résurrection;
– le Fils qui reviendra en gloire et devant qui le monde entier fléchira les genoux et confessera qu’il est Seigneur et Fils de Dieu.
Le terme “Fils” décrit toutes les dimensions de la personne de Jésus-Christ.
De même, le Saint-Esprit est l’Esprit de Dieu. Augustin dit que c’est dans l’Esprit que le Père et le Fils ont leur communion éternelle. Contrairement à l’idée que les féministes ont inventée, à partir de quelques indications trouvées chez certains Pères de l’Eglise, l’Esprit de Dieu n’est pas du tout une présence féminine en Dieu. En effet, lorsque Jean parle de l’Esprit, dans son évangile, il fait volontairement une faute grammaticale et utilise des pronoms personnels masculins, même si, en grec, pneuma est neutre.
L’Esprit de Dieu est l’Esprit
– de la communion qui existe entre le Père et le Fils;
– en qui nous sommes adoptés pour avoir part à l’héritage du Fils;
– de communion en Dieu;
– de communion entre nous et le Fils, selon l’enseignement magistral de Jésus lui-même en Jean 14 à 16;
– par lequel nous devenons enfants de Dieu.
Le rapport éternel entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit concerne la nature même de Dieu, dont nous ne savons rien, si ce n’est dans ses Personnes et parce qu’il s’est révélé comme le Père, dans le Fils et par le Saint-Esprit5.
Jésus se révèle comme étant un avec le Père (“Mon Père et moi, sommes un, si vous m’aviez connu, vous auriez connu le Père”). Ainsi, même si nous ne connaissons pas la nature de Dieu, ces termes masculins, utilisés pour décrire Dieu et son œuvre de salut et de renouvellement de la création, ne sont pas des symboles anthropomorphiques, parce que Dieu n’est ni masculin, ni féminin, ni neutre. Il est au-dessus de ces différents genres. Par ces expressions, Dieu marque son caractère personnel.
Face aux féministes, il faut savoir montrer que le genre masculin des mots “Père” et “Fils” n’est pas en cause Le mot “Père” indique que Dieu est à l’origine de toutes choses et le mot “Fils” que Christ est l’héritier. Le caractère masculin de Jésus-Christ est sans signification théologique; c’est uniquement sur le plan sotériologique qu’il en a une, puisque Jésus-Christ est le deuxième Adam qui remplace le premier. Lorsqu’elle utilise des expressions masculines, la Bible n’envisage pas le sexe, qui est une réalité qui appartient à la création de Dieu.
En conclusion, il faut
1°) considérer le fait que Dieu utilise des mots masculins pour décrire l’ensemble de son être et de ses actions ne signifie pas qu’il soit un mâle6;
2°) respecter, dans l’Eglise, la façon dont Dieu s’est révélé à nous dans la Bible, en conformant notre langage à son sujet au langage biblique. Dieu aurait pu se révéler en utilisant des mots féminins, mais il ne l’a pas fait pour une raison précise que nous verrons plus loin.
II. Paternité et séparation
Pourquoi la révélation biblique ne se réfère-t-elle pas à Dieu comme à une déesse? ou à une mère? La première raison concerne la nature de la création, de l’engendrement et de la séparation.
Dans le Symbole de Nicée-Constantinople, le Fils est du Père seul. Il n’est ni créé, ni fait; il est engendré. On engendre une réalité de même nature que soi; Adam engendra un fils qui était à son image. Jésus-Christ est non créé, il est donc de même nature que Dieu. A propos de l’Esprit, le Symbole dit qu’il est du Père et du Fils, ni fait ni créé, mais qu’il procède du Père et du Fils; donc, l’Esprit est l’égal du Père et du Fils.
Il y a une antithèse capitale entre, d’une part, ce qui est non créé et ce qui est engendré sur le plan divin et, d’autre part, ce qui est créé, formé ou séparé de Dieu sur le plan humain. Voilà pourquoi les premiers chapitres de la Genèse emploient le mot bara uniquement avec Dieu comme sujet.
Paul Beauchamp, dans son livre Création et séparation, indique que le commandement et la volonté divines établissent une distinction de nature entre Dieu et tout ce qui est créé. Tout ce qui est créé est immanent et tout ce qui ne l’est pas est transcendant et appartient à l’ordre divin. En créant, Dieu sépare le monde d’avec lui-même. Le monde a une identité propre différente de celle de Dieu; il en est de même entre un père et un fils humains. C’est pourquoi en appelant Dieu “Père”, nous évoquons la séparation qui existe entre Dieu et le monde.
C’est pour éviter toute confusion de nature que Dieu est appelé et s’appelle lui-même “Père” dans la révélation biblique; seuls le Fils et le Saint-Esprit sont de la même nature que lui, transcendants et différents de la réalité humaine comme l’est Dieu le Père.
Pourquoi la maternité n’est-elle pas utilisée pour parler de Dieu, dans sa nature globale? La Bible ne dit jamais que Dieu est “mère”, parce que porter et nourrir un enfant, donner naissance à un enfant, l’engendrer sur le plan humain, c’est exercer une fonction maternelle et mettre en évidence la fusion qui existe entre la mère et l’enfant. Il y a une symbiose dans le ventre maternel entre l’enfant et la mère; l’enfant dépend de la mère et la vie de la mère passe à l’enfant, ce qui offre une vision fusionnelle de la réalité. Il existe donc des rapports entre mère et fils ou fille qui n’existent pas avec le père. Freud a bien vu que le père a un rôle d’importance comme étant celui qui donne la loi. Dans la famille, c’est bien le père qui doit incarner ce principe de façon extérieure à son fils ou à sa fille.
Que conclure du fait qu’il y a une identité fusionnelle, un rapport, entre la femme et l’enfant qui n’existe pas entre le père et l’enfant? La distinction “père” et “mère”, à propos de Dieu, dans le langage est celle qui existe entre le théisme biblique et le panthéisme. Dans le théisme biblique, le Dieu transcendant, Créateur, instaure une séparation entre lui-même et le monde; dans le panthéisme, le monde existe en dieu et dieu existe dans le monde.
Cette différence fondamentale explique pourquoi la Bible n’identifie jamais Dieu à une mère, ce qui impliquerait une identité de nature, qui est à l’opposé de son enseignement sur Dieu. La Bible dit que Dieu est différent et au-dessus de la créature. Les religions païennes – le paganisme, qui vient d’un mot latin signifiant: de la terre – sont les religions de la terre, dans lesquelles la fonction maternelle et la fécondité occupent une grande place. L’Ancien Testament milite contre elles et les traite de religions idolâtres. Comment s’étonner qu’aujourd’hui, dans la renaissance païenne du Nouvel Age, l’image de Dieu soit couramment présentée comme “sophia”?
A Athènes, l’apôtre Paul parlait du Dieu inconnu qui a créé la terre et qui est ressuscité. A la différence des religions païennes qui n’ont pas besoin de Médiateur, la religion théiste, parce qu’elle différencie Dieu de la création, ne peut pas exister, au sens sotériologique, sans Médiateur. Le féminisme, d’une manière consciente ou non, est un refus, non du patriarcat, mais du Dieu souverain, roi de la création! Du moins, dans ses formes extrêmes, comme celle que développe la théologienne Dorothée Sölle.
III. Le Dieu souverain
Dans le Nouveau Testament (en 2 Corinthiens 4:6), l’apôtre Paul utilise deux images à propos du salut de Dieu:
“Car Dieu qui a dit: La lumière brillera au sein des ténèbres! a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu sur la face de Christ.”
1. Le salut est donc une création ex nihilo. Nous étions informes et vides, dit l’apôtre, et Dieu nous a fait vivre en Jésus-Christ. Il y a, ici, la notion que, dans la régénération, dans le salut, Dieu ne fait pas une autre création, mais renouvelle sa création selon ses structures. Cela nous permet de connaître Dieu comme le créateur de la vie nouvelle que nous avons en Jésus-Christ; nous sommes créés à nouveau pour être une nouvelle création en Jésus-Christ. La structure de la souveraineté de Dieu dans le salut est maintenue ainsi que la séparation entre Dieu et la création.
Voilà pourquoi le protestantisme luthéro-réformé a nié l’idée orientale de la “théodôse” ou de la divinisation de l’homme dans le salut. Le salut ne nous fait pas participer à l’être divin; il nous refait plutôt à nouveau comme des hommes et des femmes nouveaux en Jésus-Christ. Il n’y a jamais de confusion entre Dieu et nous, comme on le voit dans certaines expressions de la religion chrétienne et même dans certaines formes de mysticisme charismatique, comme, par exemple, dans la pensée de Watchman Nee.
Si le féminisme n’aime pas la notion de souveraineté de Dieu, c’est parce qu’il développe une pensée où la femme devient sa propre “sauveuse”, où elle est placée à l’origine et devient la raison d’être de sa propre identité et de sa propre vie; la femme recrée pour elle-même une nouvelle identité humaine qui est féminine. Poussé à l’extrême, le féminisme n’a pas besoin de Jésus-Christ; c’est pourquoi Dorothée Sölle refuse la notion de réconciliation vicaire de Jésus-Christ sur la croix.
2. La seconde image est celle de la résurrection. Nous sommes ressuscités d’entre les morts avec Jésus-Christ7 qui est proclamé, dans sa résurrection, Fils de Dieu. Encore une fois, on voit là l’image de l’action souveraine de Dieu dans la régénération de l’homme. Cette action ne vient pas de l’intérieur du monde, de l’ancienne création parce que Jésus-Christ est l’homme du ciel, l’homme nouveau qui donne la vie nouvelle à ceux qui croient en lui, qui sont ressuscités d’entre les morts par la puissance du Saint-Esprit. De même qu’il y a monergisme de Dieu dans la création, il y a monergisme de Dieu dans le salut.
Parler de Dieu comme mère contredit toute notre vision du Dieu trinitaire et contredit la vision de Dieu comme notre Sauveur monergique, lui seul étant à l’œuvre dans le salut. Cela veut dire qu’en tant que chrétiens nous ne nous associerons pas à des cultes où Dieu est invoqué comme “Mère” et que nous contesterons les pasteurs/pasteures qui prieront ainsi.
Il a souvent été dit que, dans le Nouveau Testament, il y avait opposition entre la mystique de Jean et la théologie fédérale de Paul. Mais, à propos de la nouvelle naissance, que trouve-t-on dans les épîtres johanniques et l’évangile de Jean (chap. 3)? On trouve que la nouvelle naissance est une naissance d’en haut: en effet, l’Esprit souffle où il veut et le verbe gennaö8, naître de nouveau, est utilisé pour dire que le salut vient, non pas de l’intérieur de notre monde, mais d’en haut, de Dieu par son Esprit. Il y a donc analogie parfaite entre Jean et Paul, et entre la création et la rédemption. Notre Dieu est un Dieu conséquent avec lui-même; il agit toujours de la même façon.
Conclusion
Si nous voulons honorer Dieu, et donc maintenir la doctrine biblique de la création et celle de la rédemption et du salut en Jésus-Christ, nous devons veiller à comprendre et à respecter la façon dont Dieu parle de lui-même dans la révélation biblique. Je dirai même qu’apeller Dieu “ma Mère” est une hérésie qui conduit au panthéisme païen.
Quelques indications bibliographiques, à l’appui de ma position:
John W. Cooper, Our Father in Heaven: Christian Faith and Inclusive Language (Baker, 1988).
Donald Carson, The Inclusive Language Debate: A Plea for Realism (Baker/Leicester: IVP, 1998).
Susan T. Foh, Women and the Word of God (Philipsburg, N. T.: P. & R., 1980), chap. 5.
Au moment d’écrire cet article, je n’ai pas pu consulter:
Maria T. P. Santiso, Mission de la femme dans l’Eglise, une perspective anthropologique (Paris: Cerf, 1999) et Xavier Lacroix, ed., Homme et femme. L’insaisissable différence (Paris: Cerf, 1999).
* P. Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Conférence donnée lors de la dernière Pastorale de Dijon en mars 1999.
1 Confessions et catéchismes de la foi réformée (Genève: Labor & Fides, Publications de la Faculté de théologie de l’Université de Genève, no 11, 1986), 20.
2 C’est à se demander si l’intention des responsables des Eglises évangéliques n’est pas d’établir le ministère pastoral “féminin” partout, et cela de façon, semble-t-il, démagogique. En France, ce commentaire peut s’appliquer aux Eglises réformées évangéliques indépendantes (E.R.E.I.) et aux Eglises évangéliques libres (E.E.L.).
3 Cf. aussi, par exemple, Nb 11:12; Dt 32:18; Né 9:21.
4 Mt 23:37.
5 Voir le livre de G. Bray, La doctrine de Dieu (Cléon d’Andran: Excelsis, 2001).
6 Dans les religions monothéistes – le judaïsme, le christianisme et l’islam – si, pour Dieu, des métaphores féminines sont utilisées, les anthropomorphismes féminins sont, en revanche, absents. C’est également le cas dans d’autres religions monothéistes, africaines notamment. A l’inverse, les religions polythéistes indiennes, égyptiennes, babyloniennes, grecques, romaines, polynésiennes et les religions de la nature présentes dans le Moyen-Orient ancien avaient une multitude de déesses et de dieux, tout en étant pratiquées dans des sociétés aussi patriarcales que celles où il y avait une religion monothéiste. Ce fait donne à penser!
7 Ps 2:7: “Je publierai le décret de l’Eternel; Il m’a dit: Tu es mon fils! C’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui.”
8 Gennaô indique toujours le point d’origine de l’œuvre divine.