Se garder soi-même dans la foi[1]
Paul WELLS*
Le rôle des modèles est très important dans toute formation. L’exemple d’un enseignement vécu est plus parlant que la transmission d’une connaissance théorique.
Dans notre société, le rôle de père est menacé, non par le féminisme, mais par le fait que les hommes ayant trop souvent démissionné, un grand nombre de garçons passent leur jeunesse sans avoir sous les yeux un modèle d’adulte, homme et père.
Dans cette épître, Paul se dit le père « légitime en la foi » (1:2) de son « enfant » Timothée. De prison où il est toujours déterminé à « combattre le bon combat », il exhorte Timothée à faire comme lui car, ainsi, il deviendra à son tour un modèle de comportement chrétien[2].
Ce modèle est le modèle de la « guerre sainte », car la vie chrétienne est un parcours du combattant. Si nous n’avons jamais réfléchi profondément sur ce verset: « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Christ Jésus seront persécutés » (2 Tm 3:12), ne serait-ce pas le moment de penser à le faire? Que veut dire cette affirmation, de prime abord si peu rassurante? La vie doit être considérée comme un combat constant dans lequel:
- Il faut savoir se garder soi-même. On a dit que Calvin était « l’homme que Dieu a dompté »[3].
- Il faut regarder nos modèles dans la foi: Paul qui dit « soyez mes imitateurs », Moïse qui s’oppose à Jannès et Jambrès, des gens dont « la foi ne résiste pas à l’épreuve », et Jésus lui-même qui, comme son disciple, « a été lié comme un malfaiteur » (2 Tm 2:9) dans son combat contre le mal.
- Il faut se souvenir que notre Dieu est un Dieu de combat, qui lutte contre le mal: « L’Eternel est un guerrier, l’Eternel est son nom » (Ex 15:3). A la croix, Jésus dompte les puissances. Par son impuissance apparente, il désarme spirituellement le diable et la mort et, par son opprobre, il vainc les orgueilleux.
« Puis je vis le ciel ouvert, et voici un cheval blanc. Celui qui le monte s’appelle fidèle et véritable, il juge et combat avec justice… il foulera la cuve du vin de l’ardente colère du Dieu tout-puissant… sur sa cuisse un nom est écrit : Roi des rois et Seigneur des seigneurs. » (Ap 19:11-16)
Comment négligeons-nous si facilement les cantiques chrétiens qui ont pour thème le combat?
Ne voyons pas, dans ce passage, une simple énumération de qualités exemplaires à acquérir pour avoir une bonne vie, mais plutôt une invitation à nous garder dans le combat à mort qui est la vocation de tout chrétien, puisqu’il est soldat dans l’armée de Christ.
Trois moyens d’action nous sont proposés pour protéger notre coeur dans le combat:
- avoir une vision claire de qui est notre Dieu;
- manifester par nos actes qui est ce Dieu;
- cultiver des sentiments conformes à la nature de Dieu.
I. Avoir une vision claire de qui est notre Dieu
La première arme, la plus importante, dans notre combat consiste à se souvenir du Dieu révélé en Jésus-Christ. Timothée est encouragé par Paul à persévérer dans son service de ce Dieu, dont la nature même dicte la qualité du service qu’il demande. Ce thème a été bien développé par la théologie réformée. Nous devons adorer Dieu, dit un Jonathan Edwards, non pas, premièrement, à cause de ce qu’il a fait pour nous, mais pour ce qu’il est. La théologie, la nature de Dieu, précède la christologie dans notre piété.
Pourquoi? Parce que la vocation première de l’homme n’est pas d’être sauvé, mais de glorifier Dieu, car il est Dieu et nous sommes ses créatures.
Le salut est second par rapport à la nécessité pour les créatures de reconnaître Dieu et de l’adorer comme leur unique bien. Après la Chute, le salut est le moyen qui permet de le faire. Quand la foi évangélique se limite à une sotériologie, elle appauvrit la vision globale de la foi biblique.
A) Dieu est caractérisé par ses « titres »
Comment, à la lumière de la révélation biblique de Dieu, les Moltmann, Gounelle et Houziaux peuvent-ils parler de la souffrance et du devenir de Dieu, de son pathos, voire de son impuissance, détruisant ainsi la vision biblique de l’aséité divine?
ii) « Roi des rois et Seigneur des seigneurs« exprime le genre de rapport qui existe entre la Trinité ontologique et le monde. Ce Dieu ne peut que régner et l’établissement éternel de sa souveraineté est inévitable. Quoi de plus consolant pour ceux qui sont en position de lutte! Savons-nous assez, en pratique, que Dieu est victorieux et qu’il confère sa bénédiction aux humbles et aux pauvres d’esprit? La victoire est inévitable: « les saints jugeront le monde »[6], et déjà nous sommes plus que vainqueurs en et par Christ. Ne l’oublions pas et gardons ce haut fait devant nous dans nos luttes, afin de ne pas céder au découragement et au pessimisme!
B) Les attributs de Dieu
ii) Dieu « habite une lumière inaccessible ». Le Dieu immortel est invisible – l’Esprit est partout -, il soutient le monde par sa Parole puissante et il mène le combat contre les puissances invisibles contraires au bien. Tout comme nous ne pouvons pas regarder le soleil, et que nous vivons à cause de sa lumière, il nous est impossible de sonder Dieu; et pourtant nous vivons du mystère de son salut.
Ces attributs sont un encouragement à nous armer de la vérité divine dans notre combat de la foi, à la différence de ceux qui veulent discourir sur Dieu ou qui disent, comme Hyménée et Philète, que la résurrection est déjà passée. Contre l’erreur, la vérité révélée est notre lumière.
C) Dieu est décrit par des clauses paradoxales
ii) « La puissance éternelle » donne l’assurance que Dieu restera éternellement tel qu’il s’est révélé en Christ. Jamais ses projets ne changeront. Nous sommes sauvés autant par ce qui impossible à Dieu que par ce qui lui est possible. En effet, il lui est impossible de se renier lui-même, de mentir ou de ne pas tenir ses promesses.
Comme Dieu est un, unique, immortel, invisible et fidèle à lui-même, sa vérité est une et unique, éternelle et spirituelle. Cette vérité vaut la peine d’être gardée à tout prix. Elle est notre bien le plus précieux; aussi lui enlever de sa substance revient-il à porter atteinte à l’honneur qui est dû à Dieu. Combien il est essentiel d’étudier la Parole éternelle de Dieu! Que de légèreté dans notre lecture et dans notre préparation en vue de la défense de la foi qui a été communiquée aux saints!
D) Le danger pour le serviteur de Dieu
Le danger est d’oublier le caractère de notre Dieu et de se laisser submerger par les problèmes matériels, relationnels, etc., ou par l’état délabré de notre société. Placé à 1 mètre d’un grand tableau de Rembrandt, on discerne un détail mais on ne voit pas l’ensemble. Le détail peut être sombre alors que le tableau est lumineux. Il faut prendre de la distance… et si nous avons contemplé qui est Dieu et comment il agit dans l’histoire, nous saurons donner au détail sa vraie importance.
Le combat de la foi peut ressembler à un combat défensif ou même à une attitude de recul. L’ennemi peut exercer sa pression sur nous et nous encercler; mais, ailleurs, sur le champ de bataille, l’Evangile l’emporte et Jésus-Christ aura la victoire.
Quelle source d’encouragement et de consolation qu’une méditation sur les attributs de Dieu!
II. Manifester par nos actes qui est Dieu
En conséquence, nous sommes encouragés à adopter un comportement précis. Au verset 11, l’expression « recherche » (ou « suivre après », voir Ph 3:12) implique la volonté consciente d’adopter, en toutes circonstances, des attitudes particulières, celles qui honorent Jésus-Christ.
Les qualités de l’homme de Dieu – qui ne sont pas sans rappeler Moïse, l’auteur du Psaume 90 – décrivent à la fois l’action – la justice et la piété – et aussi des dispositions d’esprit – la patience et la douceur. Le tout est soudé par la foi et l’amour, éléments fondamentaux de la vie chrétienne; en effet, ils unissent au Dieu, notre Sauveur, et au Christ, notre espérance, dont le nom est évoqué au tout début de l’épître.
Comment pratiquer la justice? Paul répond au verset 15: en « gardant le commandement sans tache et sans reproche ». Ce commandement a deux volets: justice envers Dieu et justice envers le prochain. La justice envers Dieu s’exprime lorsque, par amour pour lui, nous obéissons à tout ce qu’il nous demande. C’est pour cette raison que « le troisième usage de la loi » de la théologie réformée a toujours été considéré comme un antidote du légalisme et de l’antinomisme. La justice recherchée et vécue envers les autres se manifeste par des rapports empreints d’équité.
ii) La piété ou la sainteté
« La piété avec le contentement est un grand gain », dit l’apôtre, car elle est l’expression de ce que nous devons faire pour Dieu et résulte de notre communion avec lui; elle reflète l’harmonisation de nos vies avec sa sainteté. L’obstacle à la piété, ce qui contrarie une communion authentique avec Dieu, c’est l’amour du monde présent, de l’argent et du gain. Tout cela refroidit le désir de servir Dieu (voir les versets 5, 6, 10, 17-19) parce que l’argent suscite l’orgueil et détourne de pratiquer la sainteté[7]. On met sa confiance en d’autres réalités que la présence du Seigneur, comme on le voit trop dans nos sociétés évoluées où l’on se donne l’illusion d’être sur terre pour l’éternité. L’apôtre recommande à l’ancien comme aux fidèles de ne pas mettre leur espérance dans les biens passagers et de se montrer généreux envers ceux qui sont dans le besoin. Il ne faut pas s’attacher aux choses matérielles, car nous n’avons rien apporté dans le monde et nous n’en emporterons rien. Servons Dieu: là où se trouve notre coeur, là sera aussi notre trésor.
iii) L’exemple de Paul
Paul peut recommander à Timothée: « Combats le bon combat de la foi », car sa propre vie a été un long combat. Le mot agon exprime une lutte, physique ou spirituelle, impliquant la solitude et l’angoisse personnelle que l’apôtre Paul a connues à fond (voir 2 Tm 4:6-8).
C’est ainsi que Timothée doit apprendre à être un bon soldat.
III. Cultiver des sentiments conformes à la nature de Dieu
Deux attitudes du coeur sont tout particulièrement caractéristiques de « l’homme de Dieu » devant Dieu et devant les hommes: la patience et la douceur (v. 12). Connaissons-nous beaucoup de serviteurs de Dieu en étant richement dotés? Mais regardons plutôt, d’abord, à nous-mêmes!
Combien d’entre nous peuvent se prévaloir d’être patients? Nous ne le sommes naturellement ni avec les autres, ni avec nous-mêmes. La patience en question n’est pas la capacité de ne pas s’énerver. Il s’agit de la fortitude (le courage) et de l’endurance auxquelles Paul fait allusion lorsqu’il rappelle à Timothée « sa belle confession devant un grand nombre de témoins ». Celle-ci est, en effet, la contrepartie de la belle confession que Jésus a faite devant Pilate (v. 13, voir Jn 18:36, 37). La patience chrétienne se manifeste lorsque la vérité de Jésus-Christ est confessée avec persévérance devant le monde. Pour cela, il faut apprendre à repousser:
* l’influence envahissante des idées ambiantes; aujourd’hui, le politiquement correct;
* le découragement qui nous menace lorsque nous nous sentons solitaires dans nos convictions et appelés à ne vivre que de « petites choses »;
* la séduction de la respectabilité académique, ecclésiastique ou sociale. Jésus-Christ était un marginal et, si on confesse sa vérité sans compromis, le chemin de la croix est le seul authentique.
ii) La douceur
C’est la seule fois que ce mot grec (praüpatheia) se trouve dans le Nouveau Testament. Aujourd’hui, nous le traduirions peut-être par « tolérance », avec le sens d’attitude de non-violence envers ceux qui ne sont pas comme nous. La fermeté de nos convictions ne doit pas nous empêcher de vouloir le bien de ceux qui ne partagent pas nos convictions. S’il y a un moment pour réfuter les idées fausses (vv. 20, 21; Ti 1:10, 11), il y en a aussi un pour éviter les disputes. Cela est capital pour le ministère de l’ancien.
La foi réformée confessante a mauvaise réputation à cause des conflits qu’elle a suscités, pas toujours avec douceur. Même si le mot « dur » est le qualificatif courant pour écarter sans discussion toute idée qui dérange, il est bien vrai que nos paroles ont pu être, parfois, considérées comme dures et engagent notre responsabilité.
La douceur ne nous conseille-t-elle pas aussi de considérer qu’il est plus important de faire notre travail, d’édifier une bonne théologie et des Eglises vivantes, et de ne pas nous occuper tant des dérapages des autres? C’est ainsi que la douceur est une arme, qui peut prendre place dans le combat de la foi.
Conclusion
C’est par le bon combat de la foi que nous « saisissons la vie éternelle ». Les attitudes et les actes préconisés par ce texte de l’épître à Timothée sont ceux qui correspondent à la volonté du Seigneur. Pour tout chrétien, et en particulier pour l’ancien, un tel comportement dans le service de Christ a un effet boomerang dans sa vie et son espérance en Christ s’en trouve renforcée.
Ce combat spirituel revêt son plein caractère stratégique si on considère son contexte: entre la première venue de Jésus, sujet de la doxologie de 1 Timothée 1:17, et l’épiphanie future de Jésus, sujet de celle de 1 Timothée 6:14 et 15.
Ainsi le Seigneur nous accorde le privilège, en nous unissant à lui, de nous engager dans son combat. Notre appel à la guerre sainte, selon le titre du célèbre livre de Bunyan, est d’oeuvrer en vue de la victoire de Christ.
* P. Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
[1] Troisième et dernier article sur le ministère de l’ancien à la lumière de l’enseignement de Paul dans les épîtres pastorales.
[2] Sur « le bon combat », voir aussi 2 Timothée 2:1-13; 4:6-8.
[3] Le grand soldat chrétien Cromwell s’est préparé pour la bataille en domptant en lui-même, par une discipline spirituelle, toute tendance au laxisme.
[4] Voir l’excellent livre de J. Piper (Québec: Editions La Clairière, 1998).
[5] Aséité = Dieu est « à lui-même, par lui-même et pour lui-même », comme l’apôtre l’exprime à la fin de Romains 11.
[6] 1 Corinthiens 6:2.
[7] Une autre forme d’impiété se trouve dans « les vains discours » et, en particulier, la négation de la résurrection, la faute d’Hyménée et Philète, décrite en 2 Timothée 2:16, 17.