Pierre Viret (1511-1571) et la discipline ecclésiastique
Olivier FAVRE*
Introduction
Bien souvent, dans les milieus « évangéliques » de type baptiste, on croit que le pédobaptisme s’allie automatiquement avec le multitudinisme et que, par conséquent, tous les Réformateurs étaient multitudinistes.
En examinant le cas du Réformateur Pierre Viret, nous verrons que cette conclusion est fausse puisqu’il croyait à la nécessité d’une pratique courageuse de la discipline ecclésiastique, pratique pouvant aller jusqu’à l’excommunication – l’exclusion du sein de l’Eglise – du pécheur notoire qui demeure dans sa rébellion.
A l’inverse, dans certains milieux pédobaptistes, on a tendance à croire que tous les baptistes prétendent avoir une Eglise pure, composée uniquement de personnes régénérées. On les accuse de s’arroger la prérogative divine de juger les coeurs de leurs ouailles.
Si certaines Eglises de type baptiste agissent ainsi (ce qui les conduit, en général, à nier la doctrine de la persévérance des saints), d’autres ne le font pas. Bien qu’ils ne baptisent que des adultes, dont la profession de foi est crédible et la vie en obéissance croissante aux commandements de Dieu, ces baptistes savent qu’ils ne jugent pas les coeurs et que leur Eglise demeure un rassemblement mixte. Comment le démontrent-ils? Par une pratique forte et virile de la discipline ecclésiastique, pratique pouvant aller jusqu’à l’excommunication – l’exclusion du sein de l’Eglise – du pécheur notoire qui demeure dans sa rébellion.
Cela nous permet de comprendre que quelles que soient nos divergences ecclésiologiques, le sujet de la discipline ecclésiastique nous concerne. Ce sujet, s’il est devenu impopuplaire et mal appliqué aujourd’hui, est cependant d’une importance capitale pour la survie et l’orthodoxie de nos Eglises.
Le Réformateur Pierre Viret – qui a été banni de sa patrie pour avoir voulu maintenir à tout prix « la discipline très simple et très pure des temps apostolique »[1] dans l’Eglise de Lausanne du XVIe siècle – nous fournit une porte d’entrée intéressante pour aborder ce sujet.
I. Pierre Viret, un grand Réformateur
Viret est souvent confondu, aujourd’hui, avec Vinet, cet autre Vaudois qui a vécu au XIXe siècle et qui a oeuvré pour la création de l’Eglise libre vaudoise. Pourtant Viret, malgré l’oubli dans lequel il a sombré, est d’une envergure tout autre que Vinet tant par sa richesse théologique que par son rayonnement[2] .
Rappelons brièvement quelques éléments biographiques qui montreront l’importance qu’il a eue lors de la Réforme.
Pierre Viret est le second des trois fils d’un homme de la petite bourgeoisie, domicilié dans la ville d’Orbe, non loin de Lausanne. Ayant une inclination pour les lettres et la religion, il est, selon la coutume de l’époque, voué à la prêtrise. C’est pourquoi, en 1528, à l’âge de dix-sept ans, il se rend à Paris, au collège de Montaigu, qu’il fréquente peu de temps avant un certain Jean Calvin. C’est là qu’il acquiert sa solide formation et qu’intervient sa conversion. Il parle de cet événement comme d’un moment douloureux et d’une lutte intense[3] . Dans sa providence, Dieu l’a conduit dans la capitale française afin de devenir un instrument privilégié pour la réformation de son Eglise et la conversion de beaucoup.
De retour dans sa ville natale en 1531, il entend une prédication de Farel. Quelques semaines plus tard, il monte en chaire, convaincu par « les tonnerres » de Farel qu’il doit poursuivre le travail fraîchement commencé. C’est ainsi qu’il commence un ministère qu’il ne quittera qu’au moment où le Seigneur le rappellera à lui, quarante ans plus tard, étant à Pau, dans le royaume de Jeanne d’Albret.
Avant de s’établir à Lausanne, au début de 1536, Viret sillonne la Suisse romande. Il va à Neuchâtel, puis à Payerne. On le retrouve à Genève au moment où a lieu la « dispute » en vue de l’établissement de la Réfome dans cette ville. Il y reviendra à plusieurs reprises pour y rencontrer son ami Calvin et aussi pour y exercer le ministère.
C’est ainsi que pendant le bannissement de Calvin de 1537 à 1542, il est prêté aux Genevois pour une durée de six mois et restera, en fait, un an et demi à la demande de Calvin qui désire avoir à ses côtés son ami Viret lors de son retour de Strasbourg.
A Genève, il est très apprécié et fait un travail remarquable. Voici ce qu’écrit Farel aux pasteurs de Zurich:
J’ai vu l’édifice admirable élevé là par le travail de Viret. Son labeur a été immense pour ramener le peuple dans la bonne voie[4] .
Viret revient à Genève en 1559 lorsque banni par les Bernois à cause de sa ténacité pour établir la discipline ecclésiastique, il doit quitter son pays définitivement. Il y est si apprécié que, dès son arrivée, une place de pasteur lui est attribuée en raison de la simplicité de ses propos et d’une douceur persuasive alliées à une grande profondeur que tous lui reconnaissent. Les registres de la Seigneurie de Genève parlent de ses succès « prodigieux »[5] et un certain Verdheiden déclare:
Il avait une parole si douce qu’il tenait son auditoire éveillé et attentif. Son style avait tant de force et une harmonie si caressante à l’oreille et à l’esprit que les moins religieux parmi nous, les plus impatients (…) l’écoutaient sans peine et avec complaisance. On eut dit, à les voir comme suspendus à ses lèvres, qu’ils auraient voulu le discours plus long[6] .
Pourtant, ce n’est pas à Genève que la carrière de Viret se termine. Suite à une maladie, il doit prendre un temps de convalescence dans le sud de la France. On retrouve sa trace, entre autres, à Orange, Nîmes, Montpellier, Avignon, Valence et Lyon. Ensuite, il quitte définitivement Genève avec sa famille et répond, en 1567, à un appel de Jeanne d’Albret, reine de Navarre. Les actes du Synode de 1567 attestent que « sous le bon plaisir de la Reine, (…) sa résidence sera à Pau (…) et sera nommé super numéraire suivant la Reine, selon que sa santé et commodité pourra porter »[7] .
Malgré le peu de renseignements que nous avons sur cette période de sa vie, quelques indices montrent qu’il joue vraisemblablement un rôle de tout premier ordre dans l’établissement et l’organisation de l’Eglise réformée. Son salaire est largement au-dessus de celui d’un pasteur marié. Il est modérateur de quatre synodes successifs, alors que le règlement spécifiait qu’il était impossible d’occuper ce poste deux années consécutives.
Au cours de sa vie, Viret écrit beaucoup: une cinquantaine d’ouvrages, dont certains sont très volumineux. Dans la plupart d’entre eux, il témoigne de ce souci constant d’édifier le peuple[8] . C’est pourquoi il fait un usage abondant des dialogues. Il veut que la Parole de Dieu et la doctrine soient rendues au peuple; c’est pourquoi il encourage, entre autres, la traduction des Psaumes en béarnais et celle du Nouveau Testament en basque.
Notre propos n’est pas de rendre un culte à l’homme, mais seulement de démontrer que Pierre Viret est un grand Réformateur oublié. Où figure-t-il sur le mur des Réformateurs à Genève? Il est mentionné sur un bas-relief du côté gauche comme celui qui a administré le premier baptême évangélique à Genève le 22 février 1534, mais il n’a pas de place à côté des quatre grandes statues de Knox, Farel, Calvin et Bèze. Pourtant, quand ce dernier parle de Calvin, Farel et Viret dans ses Vrais pourtraicts , il les appelle « le trépied d’élite », et dans ses Vers latins , il vante « la science de Calvin, les tonnerres de Farel et le miel de Viret. »[9]
Si Viret a séjourné à Genève et en Béarn, il est avant tout le Réformateur de la ville de Lausanne. C’est là qu’il a exercé la plus grande partie de son ministère et que sa pensée sur la discipline ecclésiastique s’est développée et affirmée. Comme il le déclare lui-même[10] , Viret s’installe à Lausanne peu avant l’invasion des terres par l’armée protestante bernoise qui a lieu en février-mars 1536.
Si, au début, Viret s’accommode bien de ce nouveau souverain qui le protège dans la proclamation de l’Evangile, les tensions ne tardent pas à naître à cause de l’attitude dictatoriale avec laquelle le souverain bernois tend à gérer l’Eglise vaudoise nouvellement réformée. Diverses controverses éclatent: sur les biens ecclésiastiques, la prédestination, la cène, l’administration du baptême, le catéchisme, le manuel d’enseignement de l’Académie de Lausanne, qui n’est autre que L’Institution chrétienne de Jean Calvin, et enfin, la discipline ecclésiastique.
Lausanne devient ainsi la ville dans laquelle se focalisent les tensions entre deux théologies différentes. Les Bernois incarnent une ecclésiologie zwinglienne, avec sa conception de l’Eglise d’Etat à laquelle tout citoyen appartient. Chez eux, c’est le magistrat qui, en dernier recours, a autorité sur l’Eglise. Alors que Viret et les pasteurs lausannois qui l’assistent adhèrent à une ecclésiologie que nous pourrions appeler « calviniste », par anachronisme puisqu’elle se développe très probablement, dans un premier temps, indépendamment de Calvin. C’est une ecclésiologie qui maintient la distinction des deux sphères (celle de l’Etat et celle de l’Eglise) bien que toutes deux soient instituées par Dieu et détiennent leur autorité de lui.
Berne refuse catégoriquement d’accorder aux pasteurs le « pouvoir » de prononcer l’excommunication des pécheurs « scandaleux » (notoires et publics), leur permettant tout au plus de les citer devant le Consistoire afin qu’ils soient « dûment admonestés (…) n’entendant pas toutefois que la cène doive leur être refusée »[11] .
Cela ne suffit pas aux pasteurs lausannois, Viret en tête, qui maintiennent que l’excommunication fait partie intégrante d’une discipline ecclésiastique biblique. Jusqu’à la fin, ils essaient d’obtenir ce moyen biblique de corriger les pécheurs « scandaleux », menaçant à deux reprises, en 1558, de ne pas distribuer la cène s’ils n’obtiennent pas gain de cause dans ce débat. C’en est trop pour les Bernois qui suspendent la cène jusqu’à nouvel ordre et bannissent Viret, Valier et Banc, les trois pasteurs de Lausanne. L’ensemble de la Classe[12] se solidarise avec eux, si bien que tous les pasteurs sont incarcérés pour deux jours au château baillival de Lausanne.
C’est un moment dramatique pour l’histoire de la Réforme lausannoise. Cette terre d’asile étant devenue inhospitalière, il semble que six cents à mille Français quittent Lausanne avec Viret, les uns pour Genève (c’est le cas, entre autres, des meilleurs professeurs de l’Académie de Lausanne), les autres pour retourner dans leur pays.
II. L’importance de la discipline ecclésiastique pour Pierre Viret
L’acharnement de Viret à vouloir maintenir la discipline ecclésiastique dans toute son étendue est révélateur de l’importance qu’il lui accordait. Pour lui, cette discipline est capitale et aucune Eglise digne de ce nom ne peut s’en passer, car sans elle, il est impossible que la Parole de Dieu et les sacrements soient administrés correctement. La discipline ecclésiastique est au coeur de son ecclésiologie[13] .
L’importance qu’il lui accorde vient de ce qu’il la lie étroitement à la prédication de la Parole de Dieu et aux sacrements, en particulier à la cène. Elle est instituée par Dieu « qui a ordonné et commandé que l’Evangile fût prêché, et qui a ordonné le Baptême et la Cène, il a aussi ordonné cette discipline »[14] . Ainsi pour Viret, l’Eglise peut se passer de la discipline, « (…) si elle se peut passer de l’administration et de l’usage de la Parole de Dieu et des sacrements »[15] .
La discipline est donc le lien qui permet de tenir ensemble les deux pôles de l’orthodoxie réformée, à savoir la fidélité doctrinale et la conformité de vie à cette doctrine. Viret croit que l’Eglise doit être épurée tant des hérétiques que des vicieux et des immoraux:
« Les chiens et pourceaux doivent être forclos (chassés) des assemblées de l’Eglise: ceux qui se déclarent chiens et pourceaux par leur vie seront traités semblablement que ceux qui (sic) se déclarent tels par la doctrine. »[16]
Par ses propos, Viret témoigne de son attachement à une Eglise confessante bien disciplinée. Il ne peut tolérer l’inclusion au sein de ce peuple d’une multitude qui n’a que faire de la confession de foi et refuse de conformer sa vie aux exigences bibliques.
Suite à ce que nous venons de voir, nous comprenons la grande importance de la discipline ecclésiastique pour Viret. Elle est quasiment la troisième marque de la vraie Eglise, accompagnant sans cesse la prédication et les sacrements[17] . Son importance est liée au triple but, essentiellement positif, qu’elle poursuit et qui consiste à
– à ramener le croyant errant,
– protéger l’Eglise contre les faux docteurs,
– préserver l’honneur de Dieu et la pureté du sacrement.
Certes, la discipline châtie et retranche celui qui ne s’amende pas, mais son moteur est toujours l’amour. Un amour qui doit changer d’objet en fonction de la réaction à la discipline. D’abord, c’est un amour qui s’exerce envers le prochain. Ensuite, cet amour s’exerce envers l’Eglise de Jésus-Christ afin de ne pas la laisser être contaminée par l’erreur. Et, enfin, cet amour s’exerce aussi envers Dieu dont la gloire et l’honneur ne doivent pas être souillés au sein de son peuple par un pécheur rebelle.
Dans la discipline, Viret ne croit pas que le prochain doit être le seul bénéficiaire de notre amour. Certes, il en est le premier, car si nous le voyons dans le péché, c’est par amour et non par suspicion que nous devons aller le reprendre, l’édifier au moyen de la Parole de Dieu. S’il s’endurcit dans son péché, l’amour doit changer d’objet. Il n’est plus question de privilégier l’amour pour lui. Ce pécheur rebelle est un « loup » qui risque de ravager le troupeau. Pour Viret, ne pas voir cela et rester passif dans une telle situation, c’est manquer d’amour pour les frères fidèles et pour l’Eglise de Dieu.
« (Pierre) Te semble-t-il qu’il fallut tenir pour miséricorde, si après qu’un loup aurait mangé des brebis, on avait pitié et compassion de lui, qu’on l’épargnait pour lui en laisser encore manger d’autres? (Nathanaël) Il me semble que ce serait plutôt grande cruauté. Car ce serait meurtrir les brebis pour épargner les loups et abuser envers eux de la miséricorde de laquelle il convient d’user envers les brebis. (Pierre) (…) il y en a plusieurs qui usent en matière de justice d’une telle charité et miséricorde, en supportant les méchants qui méritent punition, et laissant fouler les justes et les innocents, au lieu de leur faire raison comme il appartient. Le semblable advint aussi souventes fois en l’Eglise, quand on y supporte par trop les scandaleux, et qu’on n’a pas regard au grand dommage qu’ils apportent à toute l’Eglise »[18] .
De même, si l’Eglise tolère en son sein un pécheur scandaleux, elle bafoue l’honneur de Dieu chaque fois que cette personne vient à la cène. Un tel laxisme n’est pas sans conséquences pour l’Eglise qui, par sa tolérance, se trouve associée à ce pécheur et à ses actes, se plaçant du même coup sous le jugement de Dieu.
Car si nous fasons notre devoir envers tels personnages pour les retirer du mal et pour remédier aux scandales qu’ils font (…) il est tout certain que nous nous rendons coupables des péchés qu’ils ont commis et de la punition qu’ils ont méritée par iceux (ceux-ci)[19] .
Nous constatons donc que si Viret ne peut se passer de la discipline ecclésiastique et de l’excommunication, ce n’est en aucun cas par désir de vengeance mais par amour.
* Il aime ses brebis et veut les voir progresser dans l’obéissance à la Parole, c’est pourquoi il n’hésite pas à recourir aux moyens que le Seigneur a donnés dans l’Ecriture pour les aiguillonner.
* Il aime son troupeau, c’est pourquoi il n’hésite pas à recourir aux moyens que le Seigneur a donnés dans l’Ecriture pour le protéger.
* Il aime son berger, le Bon Berger, c’est pourquoi il n’hésite pas à recourir aux moyens que le Seigneur a donnés dans l’Ecriture afin de la glorifier et de l’honorer.
Aimons-nous assez nos frères et soeurs, nos Eglises et notre Dieu pour avoir recours aux moyens divinement institués, même s’ils sont douloureux à employer? Même s’ils sont parfois lourds de conséquences pour ceux qui les utilisent?
III. Le cadre de la discipline chez Viret
A qui revient la responsabilité d’exercer la discipline ecclésiastique? Telle est la question à laquelle nous allons tenter de répondre dans cette section.
Pour Viret, l’autorité suprême réside en Dieu qui la délègue à ceux qu’il établit: les magistrats civils et les ministres de l’Evangile. Leurs fonctions ne peuvent s’exercer légitimement qu’en se soumettant, l’une et l’autre, à la Parole écrite de Dieu: « (…) quand la Loi règne et commande, c’est Dieu qui règne et gouverne, et non pas l’homme, lequel n’est sinon ministre de Dieu (…).[20] «
Pourtant, malgré leur institution divine commune, leur livre de référence commun et un rapport de complémentarité etde réciprocité qui doit s’exercer entre elles, Viret ne les confond pas. Leurs champs d’action sont distincts:
Car le ministère de l’Eglise et l’office des magistrats sont deux charges manifestement distinguées par la Parole de Dieu. Il ne les faut donc point confondre l’une avec l’autre, ains (mais) les distinguer toujours, comme le Seigneur qui a ordonné et l’une et l’autre les a distinguées. »[21]
C’est aux ministres de l’Evangile que revient l’interprétation de l’Ecriture et l’exercice de la discipline ecclésiastique alors que l’établissement des lois est attribué aux magistrats. C’est donc au sein de l’Eglise que la pratique de la discipline ecclésiastique trouve son application. Et si tel est le cas, il nous faut nous pencher sur cette Eglise pour en découvrir l’organisation.
Viret distingue entre ce qu’il appelle la vraie Eglise, c’est-à-dire l’Eglise universelle , et les manifestations locales du peuple de Dieu[22] . L’Eglise universelle, connue de Dieu seul, est le peuple des croyants de tous âges. On y est incorporé par la régénération que Dieu opère dans le coeur. Ainsi, l’appartenance à cette Eglise dépend de Dieu seul, qui connaît les coeurs[23] .
Mais, ici-bas et dans l’histoire, cette Eglise universelle se présente sous la forme d’Eglises locales . Chacune d’entre elles est imparfaite, car l’acceptation d’un nouveau membre en son sein ne se fait pas sur un jugement du coeur, mais selon des critères visibles et audibles faillibles: la confession de la foi et la conformité croissante de sa vie à la Parole de Dieu.
Il y a donc une mixité de fait au sein de l’Eglise locale, réalité dont l’Eglise ne porte pas la responsabilité aussi longtemps que la vraie nature du pécheur demeure cachée. C’est le travail de la prédication de la Parole, soutenue par un sain exercice de la discipline, qui mettra en lumière cette hypocrisie et fera croître l’ensemble du peuple de Dieu dans la sainteté.
Mais au sein de cette Eglise, tous n’ont pas la même fonction. La responsabilité de l’exercice de la discipline revient aux ministres et aux anciens , leurs décisions étant ratifiées par l’Eglise.
En se référant au Nouveau Testament, Viret reconnaît que des termes différents décrivent une même fonction, celle que nous désignons couramment aujourd’hui par le terme de pasteur[24] . En la personne du pasteur se trouve donc rassemblé un nombre important de fonctions distinctes décrites par le Nouveau Testament. Lors de sa consécration, il reçoit de l’Eglise – qui la détient du Seigneur – une autorité de fonction, afin de pouvoir accomplir son ministère. Ainsi les pasteurs
« ne se doivent pas attribuer plus de puissance ni d’autorité que l’Eglise ne leur en a donnée et ne leur en peut donner. Et l’Eglise ne leur peut donner d’avantage qu’elle n’en a reçu de son époux et de son chef, duquel elle dépend du tout (totalement) »[25] .
Par ce moyen, Viret établit un double mouvement qui vise à empêcher toute forme de tyrannie malsaine. Le ministre possède l’autorité sur l’Eglise, mais il la détient de l’Eglise, elle-même l’ayant reçue du Christ. Si tel est le cas, aucun homme, pas même le pasteur, ne possède une autorité telle qu’elle le dispense d’être lui aussi soumis à la discipline ecclésiastique. C’est pourquoi Viret préconise une sorte d’autosurveillance entre les pasteurs.
Le ministre est donc un serviteur consacré par l’Eglise et utilisé par Dieu au sein de celle-ci. Il résume ainsi sa tâche:
« Toute la charge des ministres de l’Eglise ne consiste qu’en prières, en administration de la doctrine et des sacrements et en discipline ecclésiastique. »[26]
Bien que ces quatre tâches forment un tout indissociable, la brièveté de cet article nous contraint à nous limiter à l’enseignement de la doctrine et à la discipline ecclésiastique. Comme nous allons nous en rendre compte, les deux sont étroitement liés. Bien souvent d’ailleurs, l’enseignement privé, administré par le pasteur au domicile du paroissien, s’entrelace avec les premières étapes de la discipline ecclésiastique. Car il doit enseigner
(…) par pure doctrine, (mais aussi) par exhortations et admonitions, prises de la Parole de Dieu, et quelquefois par correction et répréhensions, quand la chose le requerra[27] .
Pour soutenir les pasteurs dans leur tâche disciplinaire, Viret leur adjoint ce qu’il appelle des anciens. Ce sont des hommes qui ont pour mission « d’aider à maintenir la discipline de l’Eglise, sans se mêler de la prédication »[28] . Ce sont les membres du Consistoire , choisis en fonction de leur prudence et de leur vertu, bien souvent parmi les gens de la fonction publique.
Ce consistoire, composé de pasteurs et de laïcs, a pour but d’empêcher la tyrannie du pasteur sur son Eglise et d’être représentatif de la communauté de l’Eglise. Car
il est bon qu’il y ait aussi des autres personnes de l’Eglise, qui leur soient adjointes pour donner à connaître que l’Eglise, au regard de la police et de la discipline que Jésus-Christ y a mise, (…) n’est pas comme une monarchie, ou quelque autre seigneurie temporelle, en laquelle certains Princes ont toute pleine puissance: mais que c’est une franche communauté qui pour cause est appelée la communion des saints, à laquelle Jésus-Christ a donné en général et non pas à aucun en particulier, toute la puissance et autorité, qui y est pour user en édification, et non en destruction[29] .
IV. La pratique de la discipline
Il ne faut pas croire qu’avant l’établissement de la Réforme, l’excommunication ait été inexistante. Elle se pratiquait, mais mal. Ainsi dans son Exposition familière sur le Symbole des apostres , Viret dénonce un usage abusif de l’excommunication: « Comment peuvent les évêques et les prêtres excommunier les serpents, les chenilles, les souris, les sangsues, les anguilles et autres telles bêtes? »[30] C’est dans un tel contexte qu’il lui fallait travailler à rétablir une saine discipline ecclésiastique. Mais en quoi consiste-t-elle vraiment?
Avant d’aborder les différentes étapes de cette discipline, il est utile de noter que Viret distingue entre différents « types » de péchés. Il y a les péchés commis en connaissance de cause et ceux qui proviennent de l’ignorance de ceux qui les pratiquent. Il y a les péchés scandaleux et publics qui nécessitent une intervention publique et rapide. Mais il y a aussi les péchés secrets pour lesquels il convient de se fier à l’Esprit de Dieu qui applique la Parole au coeur des croyants.
Cela permet de comprendre que Viret n’envisage pas la discipline comme un simple code de lois rigide et uniforme dans lequel on trouve une sanction en face de chaque péché. Non, ce qui compte avant tout, ce n’est pas la punition, c’est de voir le pécheur se repentir et revenir de sa mauvaise voie. Il faut donc veiller à faire usage des moyens les plus propices à produire ce résultat.
Venons-en à la « gradation » du système disciplinaire que nous pensons avoir découvert chez Viret. Il se compose de six étapes que nous traiterons successivement bien que, dans la pratique et en fonction du caractère de la faute, il était possible d’omettre certaines d’entre elles.
i) La discipline personnelle
Viret croyait à l’importance de la prédication publique dans le processus de sanctification. C’est pourquoi, dans ses prédications, il ne se bornait pas à exposer l’Ecriture, mais il l’appliquait aux besoins spécifiques de ses auditeurs. Il n’hésitait pas à joindre la Loi à l’Evangile car
(…) Il faut qu’ils (les ministres) fassent les procès d’un chacun par leur prédication, leur remontrant par la Loy ce qu’ils ont mérité: et puis qu’ils leur annoncent leur grâce, leur remontrant par l’Evangile le salut qui leur est offert en Jésus-Christ. C’est cela que j’appelle proprement lier et délier, pardonner et retenir les péchés (…)[31] .
Ainsi c’est par le moyen de la Parole de Dieu fidèlement prêchée que le ministre exerce la première étape de la discipline. Quand il proclame fidèlement la Loi-Evangile, il lie ou délie, ouvre ou ferme l’accès au royaume de Dieu à ses auditeurs en fonction de l’oeuvre que l’Esprit accomplit dans leur coeur. Cette première étape est secrète, elle se caractérise par la lutte personnelle intérieure pour résister aux affections contraires à la volonté de Dieu, volonté exprimée au moyen de la prédication.
ii) L’admonition privée
L’admonition privée s’allie à ce que nous avons appelé plus haut « la prédication privée ». Il peut arriver que, lors d’une visite, le pasteur découvre un péché chez son fidèle. A ce moment-là, il est de son devoir de recourir aux exhortations et admonitions afin de convaincre son auditeur de péché. Mais cela doit se faire
par bon zèle de la gloire de Dieu, et par charité et amour (qu’il) porte à la personne qui a failli, pour la retirer de son péché et la ramener à Dieu, (mais) il faut bien qu’en ce faisant (il) lui remontre son péché, et (qu(il) le nomme par son nom, sans déguiser les choses (…)[32] .
Sur le pasteur repose la lourde responsabilité de discerner la nature du péché, puis d’expliquer la Parole et, si nécessaire, d’adresser, en guise de remède, une réprimande plus ou moins forte à la personne en question.
Dans la mesure où le fidèle répond docilement à l’exhortation, la discipline peut s’arrêter là, sinon elle devra suivre son cours et en arriver à la troisième étape.
iii) L’admonition avec deux ou trois témoins
Avec cette étape, nous arrivons à un point de la pratique disciplinaire de Viret qui nous est resté obscur. Il en parle à quelques reprises en s’appuyant sur le texte de Matthieu 18:15-16, mais aucun biographe du Réformateur ne fait allusion à la pratique de cette visite à plusieurs personnes au domicile du discipliné.
Dès lors, faut-il penser que le Consistoire ait joué ce rôle des « deux ou trois témoins »? Cela paraît improbable car, comme nous l’avons vu, il est par définition une représentation de l’Eglise assemblée.
Devant cette obscurité, il semble qu’il faille plutôt avancer l’hypothèse que Viret, tourmenté et occupé par les nombreux péchés scandaleux qu’il avait à reprendre, n’a guère eu l’occasion de pratiquer cette étape de la discipline, pourtant bien présente à son esprit.
iv) Le Consistoire
C’est devant lui que devait être citée tout personne qui demeurait dans sa rébellion. Par sa fonction représentative de l’Eglise, il permettait que seules les personnes présumées les plus sages statuent sur le cas et infligent la sanction adaptée à chaque situation.
Lorsque l’admonition du Consistoire portait ses fruits, on discerne un autre avantage: celui de ne pas avoir fait connaître inutilement ce péché à tous. Si, en revanche, le pécheur persistait dans son manque de repentance et qu’une excommunication devait être prononcée, il était du devoir et de la compétence du Consistoire de le faire. Mais, dans ce cas particulier, Viret conseille à plusieurs reprises de faire ratifier et approuver cette décision par l’Eglise rassemblée.
v) L’excommunication
Dans la pratique, comment Viret concevait-il l’excommunication? Le Réformateur vaudois à laissé une littérature abondante sur le sujet.
Rappelons, tout d’abord, le caractère profondément spirituel de cette sanction. Elle est un signe visible d’un jugement et d’un retranchement invisible. Elle manifeste, dans l’Eglise locale, ce qui se produit dans la sphère spirituelle de l’Eglise invisible, si le pécheur persévère dans sa voie. Ainsi, être excommunié de l’Eglise locale, c’est être rejeté du royaume de Dieu aussi longtemps qu’une attitude de repentance chrétienne ne vient pas prouver le contraire. Car
l’excommunication n’est pas une vaine cérémonie (…), mais un certain témoignage de Dieu, lequel il a ordonné, pour signifier et déclarer qui sont ceux, lesquels il avait comme membres de son Eglise, ou qu’il tient comme membres pourris, retranchés, rejetés d’icelle, et conséquemment du royaume des cieux auquel nul ne peut entrer qu’il ne soit premièrement vrai membre de l’Eglise, et par le moyen d’icelle[33] .
La fin de cette citation nous rappelle un enseignement des Réformateurs souvent oublié aujourd’hui: hors de l’Eglise, pas de salut. Cela ne veut pas dire que les Réformateurs attribuaient à l’Eglise une oeuvre qui ne revient qu’à Dieu seul, à savoir l’oeuvre du salut dans les coeurs. Mais l’Eglise, sans avoir ce pouvoir régénérateur, n’en demeure pas moins la représentation terrestre du peuple invisible de Dieu, ainsi celui qui est retranché de l’Eglise locale à cause de son péché ne peut prétendre être en communion avec Jésus-Christ qui en est l’époux.
Nous comprenons maintenant pourquoi Viret peut faire une équivalence de sens entre les termes: excommunier, lier, livrer à Satan. Pour lui, livrer à Satan traduit en clair ce que la première expression démontre clairement: un rejet dans le royaume du diable.
« St Paul a usé de cette manière de parler, livrer à Satan, pour excommunier, afin qu’un chacun puisse mieux entendre quel est l’état des excommuniés, et combien cette censure et correction ecclésiastique est à craindre, quand elle est légitime et exercée selon la Parole de Dieu. »[34]
Puisque l’excommunication était si grave, Viret prenait un soin particulier à en exposer les conséquences en détail et à plusieurs reprises aux personnes qui risquaient de l’encourir. En dernier recours, ces personnes étaient nommées publiquement lors de trois cultes dominicaux successifs afin que, saisies par sa gravité, elles reviennent encore à Dieu.
Mais si, malgré toutes ces tentatives, elles demeuraient dans la rébellion, la proclamation de l’excommunication était faite.
Par le soin, la patience et la prudence de Viret, nous voyons que l’excommunication n’a rien d’un rejet hâtif en vue de se débarraser d’une personne gênante. Le but recherché d’abord, c’est de ramener le frère. C’est pourquoi aborder la question de la discipline ecclésiastique en omettant de parler de réconciliation, c’est en oublier l’essentiel.
vi) La réconciliation
Pour Viret, la réconciliation avec Jésus-Christ passe obligatoirement par une réconciliation avec son Eglise.
« Car nous ne pouvons avoir réconciliation avec Jésus-Christ le chef d’icelle (de l’Eglise) que nous ne l’ayons aussi avec elle. Car il ne peut être divisé ni séparé d’elle, ni elle de lui. Mais comme Jésus-Christ son époux est miséricordieux, ainsi elle est miséricordieuse envers ses enfants, (…) »[35] .
Ainsi, de même que l’Eglise a le devoir d’excommunier, elle est aussi tenue d’accueillir celui qui manifeste les fruits d’une repentance sincère. La portée spirituelle de la réconciliation est d’être reçu par le Christ en son royaume. Tout comme pour l’excommunication, ce n’est pas l’Eglise qui a le pouvoir, en elle-même, d’accorder le salut. Pourtant, si elle s’appuie sur des critères bibliques pour discerner la réalité de la repentance chez l’excommunié, sa tâche est efficace car elle agit avec l’autorité qui lui a été déléguée par le Christ.
Tout comme pour l’excommunication, la réconciliation ne doit pas se faire à la hâte. Viret souligne que le temps est un facteur déterminant pour éprouver la sincérité du repentant. Il préconise même d’adjoindre, parfois, une « peine » (une oeuvre non méritoire, mais réparatrice) à la repentance pour permettre à toute l’Eglise de discerner l’orientation nouvelle du repentant.
Dans la mesure où ces conditions sont satisfaites, la réconciliation peut avoir lieu. Il ne s’agit pas d’une réintégration au sein du peuple de Dieu par la « petite porte ». Elle doit être aussi solennelle que la cérémonie d’excommunication. Autant que possible, Viret préconise de la faire un jour de cène afin d’en renforcer la symbolique.
C’est avec cette cérémonie magnifique à l’esprit que l’Eglise doit envisager d’exercer courageusement la discipline ecclésiastique, en comptant sur la fidélité de Dieu envers ses élus.
V. La pratique de la discipline au siècle de la tolérance
Y a-t-il quelque chose d’utile à glaner chez Viret pour l’Eglise du XXe siècle? Nous le croyons. Comme cet article n’est pas le lieu d’une analyse détaillée de la pensée de Viret, nous laisserons de côté nos réserves et terminerons par quelques réflexions suscitées en nous par le sujet qui nous a occupés.
a) Un amour vrai
La situation actuelle de l’Eglise est bien souvent celle du sentimentalisme et du laxisme. En faisant de la tolérance et de la « liberté » de l’homme la règle de toutes choses, on en est arrivé à dénigrer, voire à condamner la discipline ecclésiastique et ceux qui la pratiquent. Au nom de cet espèce d’amour, on préfère garder le membre gangréné au sein du corps, au risque de mettre en péril le corps dans son entier.
Mais que diriez-vous de l’amour témoigné à votre égard par un médecin qui refuserait de vous amputer de votre bras gangréné à cause de l’affection qu’il porte à ce membre malade?
Nous croyons que la difficulté actuelle à pratiquer la discipline ecclésiastique trouve sa racine, dans une large mesure, dans un manque d’amour pour l’Eglise de Jésus-Christ et pour le Dieu qui l’a sauvée. Ainsi la pratique renouvelée de la discipline ecclésiastique passe par une redécouverte du caractère de Dieu et de ses attributs. Il est le Dieu trois fois saint, parfaitement juste, immuable. Ce Dieu intolérant envers le péché et le pécheur rebelle, mais qui fait grâce à tous ceux qui viennent à lui en Christ.
Dans sa grâce, ce Dieu saint, juste et bon, qui nous a sauvés, ne nous a pas laissés seuls. Il nous rassemble en Eglises et nous donne par elles tous les moyens de grâce dont nous avons besoin pour notre croissance en conformité avec l’image de son Fils. Et l’un de ces moyens, c’est la discipline ecclésiastique.
Apprenons à avoir une communion fraternelle profonde au sein de l’Eglise. Une communion qui se manifeste par un amour vrai et dont le retranchement soit une réelle privation. Ayons un amour qui ose reprendre le frère dans le péché car, à la lumière de Matthieu 18:15, les premières étapes de la discipline ecclésiastique ne doivent pas être la prérogative des seuls pasteurs.
b) Un usage correct de la Parole de Dieu
Aujourd’ui dans l’Eglise, il y a de plus en plus de doute sur la capacité de la Parole de Dieu à accomplir l’oeuvre de Dieu. La prédication publique se raccourcit, la prédication privée se teinte de psychologie et la Bible n’y est guère ouverte.
Pourtant, comme l’apôtre Paul l’enseigne à Timothée (2 Tm 3:16-17), la Bible est l’instrument parfaitement adapté à la tâche pastorale. Si elle est suffisante pour équiper parfaitement ce jeune serviteur de Dieu dans une Eglise à problèmes, ne le sera-t-elle pas pour nous aujourd’hui?
C’est la Parole de Dieu qui fait l’oeuvre de Dieu, tant dans la discipline formative de la réponse personnelle à la prédication que dans la discipline préventive et médicinale qui peut conduire à l’excommunication. N’ayons aucune crainte et aucun doute.
* Prêchons courageusement tant la Loi que l’Evangile, car sans conviction de péché, il n’y a pas d’Evangile.
* Apprenons à la connaître afin d’être à même de l’utiliser avec précision dans les cas particuliers auxquels nous allons être confrontés lors des entretiens privés.
C’est par un sain usage de cette Parole que nous montrerons si nous aimons vraiment les brebis de notre troupeau.
c) Une notion juste de l’autorité
Aujourd’hui, en matière d’autorité, deux tendances nous écartèlent. Celle du cléricalisme avec une classe de pasteurs presque intouchable, et celle de l’anticléricalisme avec sa recherche du nivellement de toutes les différences et de toutes les fonctions.
Par sa position sur la discipline, Viret prévient le cléricalisme autoritaire en soulignant que tout homme est pécheur et qu’aucun d’entre eux, pas même le pasteur, ne peut prétendre échapper au sain usage de la discipline ecclésiastique. Elle n’est pas « l’arme du pasteur » avec laquelle il pourfend ses ennemis personnels. Quand il est convaincu de péché, il doit se soumettre à cette discipline lui aussi et l’Eglise dans son ensemble doit se souvenir qu’elle a le devoir de reprendre son pasteur quand il s’égare[36] , voire de l’excommunier s’il persiste dans son péché.
A l’inverse, Viret ne laisse jamais croire que la prédication, l’administration des sacrements et la discipline ecclésiastique peuvent être pratiqués par n’importe quel membre de l’Eglise. Ce sont des actes inséparables dont la responsabilité de l’administration a été confiée à ceux que Dieu a donnés comme pasteurs enseignants à son Eglise (Ep 4:11).
Conclusion
Grâce à Pierre Viret, nous avons découvert que la discipline ecclésiastique n’est pas une pratique périphérique à la vie de l’Eglise, dont elle pourrait facilement se passer. Il est donc essentiel que nous prenions conscience de son importance si nous voulons que nos Eglises restent de vraies Eglises.
Mais la pratique de la discipline biblique n’est pas sans risque. Viret a été banni de son pays pour cette raison. Pourtant, il a préféré le bannissement à la capitulation, car il avait compris qu’il en allait de l’honneur de son Seigneur et de la survie de l’Eglise de Jésus-Christ. Actuellement, les risques sont différents, mais la question demeure la même: allons-nous préférer notre confort, notre poste pastoral, l’image de pasteur « dans le coup » à la fidélité aux enseignements bibliques? Que dans sa grâce, le Seigneur nous donne de faire le bon choix quoi qu’il en coûte.
* O. Favre est pasteur de l’Eglise évangélique baptiste de Lausanne. En 1993, il a soutenu un mémoire de maîtrise à la Faculté de théologie réformée d’Aix-en-Provence sur « La discipline ecclésiastique dans la théologie du Réformateur Pierre Viret ».
[1] Ph. Godet, Pierre Viret (Lausanne: Payot, 1892), 63.
[2] Pour une étude approfondie de la théologie de Viret, cf. le livre de G. Bavaud, Le Réformateur Pierre Viret, sa théologie (Genève: Labor & Fides, 1986, coll. Histoire et société), N°10.
[3] Cf. P. Viret, Disputations chrestiennes… (Genève: Jean Girard, 1544), préface 7-9.
[4] Cité in Ph. Godet, Pierre Viret , op. cit ., 65-66.
[5] H. Vuillemier, Notre Pierre Viret (Lausanne: Payot, 1911), 237.
[6] Verdheiden, Praestantium aligot theologorum effigies , cité in J. Cart, Pierre Viret, le Réformateur vaudois (Lausanne: Librairie Ls Meyer, 1864), 129.
[7] L. Latourette, « Les dernières années de Pierre Viret (1567-1571) », Revue de Théologie et de Philosophie (Lausanne, 1938), 60-68.
[8] Dans son discours au Jubilé Viret de 1911, Jean Barnaud rappelle l’influence de Viret sur les masses populaires en ces termes: « Nous ne saurions oublier que Viret est, par excellence, l’écrivain populaire de la Réforme française: les exemplaires déchirés, dépareillés, usés des nombreux ouvrages qu’il a réussi à publier se trouvent dans maintes bibliothèques publiques et privées de France, de Suisse et de l’étranger – il y en a jusque dans le secret du Saint-Office de l’Inquisition de Séville -; ils disent ainsi la popularité dont ils ont joui et l’influence lointaine qu’ils ont exercée. » In Le Jubilé de Pierre Viret (Lausanne-Orbe: Pache, 1911), 61.
[9] Cité in Ph. Godet, Pierre Viret , op. cit ., 81.
[10] « J’étais seul lorsque, pour la première fois, je posais en ce lieu la plante de mes pieds. La ville n’obéissait pas encore aux ordres de Berne… Je ne dissimulais pas combien j’étais insuffisant pour une tâche pareille… mais je me reposais sur l’assistance du Seigneur qui m’avait assigné ce poste de combat. » Viret à Zébédée, avril 1549, Calvini opera XIII, 250, cité in H. Vuillemier, Histoire de l’Eglise réformée du Pays de Vaud sous régime bernois (Lausanne: Concorde, 1927, 4 vol.), vol. I, 121.
[11] Ph. Godet, Pierre Viret , op. cit ., 63.
[12] Une « Classe » comprenait l’ensemble des pasteurs d’un même territoire.
[13] Jacques Cart le souligne en ces mots: « La discipline ecclésiastique était pour Viret une affaire capitale; il la considérait comme d’une absolue nécessité pour une Eglise à peine née… » J. Cart, Pierre Viret, le Réformateur vaudois , op. cit ., 280.
[14] P. Viret, De la vertu et usage du ministère de la Parole de Dieu et des sacrements dépendants d’icelle (Genève: s. éd., 1548), 337.
[15] P. Viret, Instruction chrestienne en la doctrine de la loi et de l’Evangile… (Genève: Jean Rivery, 1564), vol. I, 91.
[16] P. Viret, ibid ., vol. I, 91.
[17] » …tu dois noter que cette discipline est l’une des principales marques de la vraie Eglise… » P. Viret, Instruction chrestienne… (Genève: Conrad Badius, 1556), 21ss. Cité in Ch. Schnetzler, H. Vuillemier, A. Schroeder, Pierre Viret d’après lui-même , 293.
[18] Cette citation est un bon exemple des dialogues tels que Pierre Viret les écrivait. Ici, il met en scène Pierre et Nathanaël. P. Viret, Instruction chrestienne… , op. cit ., vol. II, 577-578.
[19] P. Viret, De la vertu et usage du ministère de la Parole de Dieu et des sacrements… , op. cit , 331.
[20] P. Viret, De l’Estat de la conférence, de l’authorité, puissance… (Lyon: Senneton, 1565), 57-58.
[21] P. Viret, ibid ., 129.
[22] Ces dernières sont parfois aussi appelées « la vraie Eglise » quand il s’agit d’Eglises locales fidèles.
[23] Cela permet à Viret d’accepter l’existence possible de chrétiens en dehors des Eglises réformées, voire au sein de l’Eglise romaine.
[24] « Saint Paul appelle en des autres lieux, maintenant Evêques, maintenant Prêtres, ceux lesquels il appelle ici Pasteurs, sans mettre aucune différence entre les uns et les autres: … il appelle Evêque tous les Ministres de l’Eglise de Philippes (Ph 1); et parce aussi qu’écrivant (sic) à Tite (Tt 1), il prend le nom de Prêtre et Evêque, pour un même état et office. … Il appelle Evêques, tous ceux auxquels le ministère de la Parole est commis… » P. Viret, De l’autorité et perfection de la doctrine des saintes Ecritures…, op. cit ., 94.
[25] P. Viret, De l’Estat de la conférence, de l’autorité, puissance… , op. cit., 71-72.
[26] P. Viret, ibid. , 131. Cf. aussi J. Barnaud, Pierre Viret, sa vie et son oeuvre (Saint-Aans, Tarn: G. Carayol, 1911), 494.
[27] P. Viret, Du vray ministère de la vraye Eglise de Jésus-Christ… (Genève: Jean Revery, 1560), 6.
[28] P. Viret, Des actes des vrais successeurs de Jésus-Christ et de ses apôtres… (Genève: s. éd., 1554), 254, cité in J.-J. von Allmen, Le saint ministère selon la conviction et la volonté des Réformés du XVIe siècle (Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1968), 179.
[29] P. Viret, Instruction chrestienne… (1564), vol. I, 85-86.
[30] P. Viret, Exposition familière sur le Symbole des apostres… (Genève: Jacques Berthet, 1544 , 1560 ), 333
[31] P. Viret, ibid. , 416-417.
[32] P. Viret, Réponse aux questions proposées par Jean Ropitel… (Genève: Jean Bonnefoy, 1565), 150.
[33] P. Viret, Instruction chrestienne… (1564), ibid., vol. I, 88. L’excommunication est « non seulement privation des sacrements d’icelle (de l’Eglise), mais aussi de tous ses biens spirituels, et de ce qu’elle a de commun et de participation avec son chef Jésus-Christ. (…) Car il n’y a point de moyen ni d’entre-deux ni de neutralité entre Dieu et le diable. Au moyen dequoy (sic) , celui qui est du royaume de l’un ne peut être du royaume de l’autre. » P. Viret, Response aux questions proposées par Jean Ropitel… , ibid. , 126-127.
[34] P. Viret, ibid. , 74.
[35] P. Viret, De L’Estat de la conférence, de l’authorité, puissance… , op. cit. , 126-127.
[36] Pour la procédure à suivre, voir 1 Tm 5:19-21.