Des livres à lire

Des livres à lire

Thomas Römer: Dieu obscur: le sexe, la violence et la cruauté dans l’Ancien Testament (Essais Bibliques 27) (Genève: Labor & Fides, 1996), 122 pages.

Ce livre a un titre à double sens, qui suscite la curiosité: l’expression « Dieu obscur » se rapporte aussi bien au problème en question qu’à la solution donnée. Ce livre, dont l’auteur est professeur d’Ancien Testament à l’Université de Lausanne, traite une question à la fois ancienne (Marcion!) et moderne: comment est-il possible que, dans l’Ancien Testament, le Dieu d’Israël soit présenté, parfois, sous des traits douteux (macho, jaloux, cruel, despotique, purificateur ethnique) fort éloignés de l’idéal évangélique du Nouveau Testament? Peut-on croire, aujourd’hui, en un tel Dieu? Römer analyse plusieurs passages litigieux à la lumière des nouvelles découvertes sur l’origine et l’histoire de l’Ancien Testament. La conclusion de cette recherche est que Dieu reste toujours un Dieu obscur et insaisissable; à cet égard, la prédication de l’Ancien Testament lance un défi à la dogmatique chrétienne. L’auteur a un style vif et agréable; il n’est pas difficile de suivre son argumentation.

Dans un chapitre introductif, Römer fixe le cadre de son étude; ce faisant, il abat ses cartes herméneutiques. Avec raison, il affirme que les textes vétérotestamentaires doivent être lus dans leurs propres contextes historiques et culturels, surtout si ces textes semblent susciter de grands problèmes. L’histoire de la naissance de l’Ancien Testament et de la religion d’Israël est taillée entièrement sur le patron de la science historico-critique. Pour la plupart, les écrits de l’Ancien Testament auraient reçu leur forme définitive pendant la période entourant l’exil babylonien. Ces circonstances auraient évidemment beaucoup influencé la théologie des écrivains bibliques.

Selon Römer, le monothéïsme est un phénomène tardif en Israël; le premier théologien du « mouvement de YHWH seul » est le prophète Osée. Sur l’histoire précédente (Sinaï, Moïse, etc.), il est difficile de s’exprimer avec certitude. C’est à partir de l’époque de l’exil que la foi monothéiste, proclamée par le deutéro-Esaïe, va s’imposer. Jusque-là, la religion d’Israël est diverse et polythéiste. En lisant l’Ancien Testament, le lecteur perçoit combien de réponses concernant l’image de Dieu et ses actions dans le monde ont été données, plus tard, par les auteurs bibliques. Le discours prophétique présente YHWH comme un grand guerrier, animé d’un esprit de vengeance contre ses ennemis. En revanche, pour les auteurs sacerdotaux, le Dieu d’Israël est le dieu de toute l’humanité. La publication de la Torah comme document officiel du judaïsme à l’époque perse apporte une sorte de synthèse des différents échanges entre YHWH et son peuple. Quoi qu’il en soit, l’Ancien Testament est un livre qui décrit toute la diversité de l’expérience du peuple hébreu avec son Dieu, et propose une collection d’idées sur Dieu parfois contradictoires.

Ceci exposé, l’auteur cherche, ensuite, à répondre à quatre questions importantes (chapitres 1-4). Premièrement: Dieu est-il du sexe masculin? Les métaphores présentant Dieu comme roi et comme époux sont examinées. Avec raison, Römer estime que ces images symbolisent les fonctions de protection et de sauvegarde, et la passion de Dieu pour Israël. Moins convaincante est son affirmation que l’idée de paternité divine sur le peuple est une démocratisation de l’idéologie royale, datant de l’époque exilique (auparavant Dieu n’était père que pour le roi). Quoique Dieu puisse revêtir aussi des traits féminins dans l’Ancien Testament, il n’est jamais nommé « mère ». Cela s’explique par le contexte socioculturel dans lequel les textes bibliques ont vu le jour. Mais « nous devons nous garder d’enfermer Dieu dans nos conceptions humaines » (p. 53).

Seconde question: Dieu est-il cruel? Dans ce chapitre, Römer analyse quelques passages dans lesquels Dieu exige ou permet un sacrifice humain (Isaac en Gn 22, la fille de Jephté en Jg 11), ou apparaît adversaire de l’homme sans que la culpabilité de celui-ci ait d’emblée été établie (Jacob en Gn 32, Moïse en Ex 4). Le Dieu biblique a, il est bien vrai, un côté inexplicable. Römer insiste en estimant que ces récits sont nés de la confrontation avec des pratiques humaines cruelles. C’est plutôt la cruauté de l’homme qui doit être critiquée (par exemple: il suppose que, derrière l’histoire de Zipporah (Ex 4), se cache une polémique contre l’exclusivisme rigoureux de l’époque d’Esdras, le prêtre opposé aux mariages mixtes).

Dans le troisième chapitre, Römer se demande si Dieu est despotique. C’est le thème du Dieu guerrier et suzerain absolu, attesté surtout par les livres du Deutéronome et de Josué. Römer y voit une reprise d’un modèle assyrien: il s’agit de montrer que YHWH est plus fort que toutes les divinités tutélaires de l’Assyrie (le Deutéronome et le livre de Josué dateraient de la fin de l’époque assyrienne!). Cette image est, cependant, contrebalancée par des relectures qui la critiquent (Ex 14; Chroniques; les histoires des patriarches). Selon Römer, le Dieu de l’Ancien Testament serait un dieu situé entre militarisme et pacifisme.

Quatrième question, enfin: Dieu est-il compréhensible? Comment expliquer l’irruption du mal et la relation entre Dieu et le mal? Le concept de rétribution, évoqué par le livre des Proverbes, ne peut pas suffire, si on le compare avec les idées de Job et du Qoheleth, qui veulent nous apprendre à récuser l’automatisme d’une pensée rétributive. C’est aussi le message de l’histoire de Jonas: Dieu peut changer d’avis, il reste libre.

La lecture de l’étude de Römer est assurément enrichissante. Sur certains points, je suis tout à fait de son avis. C’est avec raison qu’il attire notre attention sur certains éléments de l’Ancien Testament souvent négligés ou même tordus, et qu’il insiste sur le fait que l’Ancien Testament est plus qu’un simple prologue du Nouveau Testament. Je partage également son opinion sur la nécessité d’éviter l’hérésie de Marcion, parce qu’il est hors de doute que le Dieu des évangélistes ou de Paul est le même que le Dieu des auteurs de la Bible hébraïque. Il est impossible de mettre en contradiction le Dieu vengeur de l’Ancien Testament et le Dieu d’amour du Nouveau Testament. Avec Römer, je suis convaincu qu’une lecture sérieuse et précise de l’Ancien Testament supprime bien des point difficiles pour notre pensée théologique. J’apprécie la connaissance vaste et actuelle dont ce livre témoigne. L’étude de Römer est importante et honnête.

Cependant, j’ai une vue tout à fait différente de celle de Römer. Tandis qu’il accentue la nécessité de lire les textes dans leur propre contexte historique, il néglige l’importante notion de l’histoire du salut (Heilsgeschichte). A travers les siècles, Dieu poursuit sa démarche avec le monde en général, et avec son peuple d’Israël en particulier. L’histoire du salut a ses propres temps et ses périodes (Calvin: dispensationes). C’est ainsi que l’Ancien Testament se concentre uniquement sur Israël et ce que cela implique. Dieu est saint; son peuple sera donc saint. Rien ne se déroule en terrain neutre. Tout ce que/qui menace Israël, cette « part d’héritage de l’Eternel » (Dt 32:9), cette « prunelle de son oeil » (Dt 32:10), ou tout ce qui l’attaque, sera puni. L’histoire montre la réalisation de la promesse de Dieu à Abraham: « Je maudirai celui qui te maudira. » (Gn 12:3). Ensuite, Römer ne tient pas assez compte de la réalité d’une histoire de la révélation (Calvin: historia revelationis). Dieu se révèle peu à peu à son peuple; tout n’est pas connu dès le début de l’histoire. C’est pourquoi Römer met en contraste des textes qui, en fait, se complètent et ne sont pas contradictoires. Les énoncés sur Dieu, dans l’Ancien Testament, ont plus d’unité, plus de clarté et plus de consistance que Römer ne veut le croire. Certes, il y a des passages difficiles et obscurs, mais cela n’empêche pas que l’Ancien Testament présente un Dieu absolument digne de foi et de confiance, un Dieu bon et plein de grâce. Des questions et des problèmes demeurent, c’est vrai[1]. Mais il ne faut jamais oublier que Dieu se révèle à la fois comme un roi qui juge et qui pardonne, qui aime et qui se fâche, qui punit et qui délivre (Ex 34:6,7). Tels sont les deux côtés de l’Alliance, qui sont devenus une réalité dans la vie d’Israël (Ps 99:8).

J’ai l’impression que Römer lui-même a de la peine à accepter que, dans les Saintes Ecritures et par conséquent dans notre vie quotidienne, la colère, la sainteté, la vengeance, le jugement, etc., de Dieu soient une réalité. Mais n’est-il pas nécessaire que la Bible corrige nos propres images humaines de Dieu, qu’elles soient d’autrefois ou modernes? Dieu n’est-il pas aussi un feu dévorant (Hé 12:29)? En bref, c’est l’herméneutique de Römer que je critique. Il transforme l’Ancien Testament en un recueil d’opinions théologiques différentes et contradictoires, suscitées par diverses expériences avec Dieu. L’Ancien Testament est principalement, pour lui, un document humain, et le Dieu qu’il présente, dans son livre, a un peu trop de traits humains. N’oublions pas que Dieu est un Dieu qui se révèle, qu’il est beaucoup plus que le produit des idées religieuses que détermine notre contexte historique et culturel.

Après la lecture de ce livre, on se demande toujours s’il est vraiment possible de se fier à ce Dieu de l’Ancien Testament, pendant sa vie et pour l’éternité. La réponse de Römer est assez maigre: en prenant part au dialogue entre les différents discours sur le Dieu vétérotestamentaire, on est supposé participer à la quête de YHWH (pp. 25 s.). A mon avis, les auteurs du Nouveau Testament – qui avaient évidemment moins de problèmes avec l’Ancien Testament que l’homme moderne – nous ont donné une autre réponse, qui s’accorde avec le témoignage de l’Ancien Testament lui-même.

H.G.L. PEELS

est professeur d’Ancien Testament

à l’Université théologique d’Apeldoorn (Pays-Bas)

André Gounelle: Le baptême: le débat entre les Eglises et La cène: sacrement de la division(Paris: Les Bergers et les Mages, 1996, les deux livres).

Le protestantisme, comme les autres confessions chrétiennes, est redevable à André Gounelle, professeur de théologie systématique à la Faculté de théologie protestante de Montpellier, de ces deux livres, qui constitueront, dans les années à venir, des références fondamentales pour comprendre notre passé chrétien et donc, en même temps, pour poursuivre le débat oecuménique.

La Revue réformée, fanion francophone du « calvinisme pur et dur » se mettrait-elle à chanter les louanges d’André Gounelle, « un libéral »? Le monde à l’envers! Serait-ce ici, comme parfois ailleurs, le règne de la confusion?… Pas du tout! Nous remercions A. Gounelle pour ses deux remarquables ouvrages, qui nous aident à bien comprendre le contenu de notre foi. Ils nous éclairent sur l’Eglise, sur A. Gounelle et, surtout, sur notre position réformée confessante…

Grâce à ces livres, chacun peut connaître l’arrière-plan confessionnel de l’Eglise dont il est membre, le contenu de ses textes; chacun peut également apprécier les enjeux théologiques et accéder à une certaine compréhension du débat actuel. L’information ainsi présentée est utile et nécessaire à une époque où les références historiques sont perdues. Nombreux seront les réformés, les luthériens ou les baptistes qui s’étonneront en constatant l’écart qui existe entre ce qu’ils croient aujourd’hui et la foi de leurs prédécesseurs!

André Gounelle écrit de façon claire et pédagogique; il est agréable à lire, et ne fait aucun étalage d’érudition. S’il peut être difficile à suivre quand il entreprend, ailleurs, de nous guider dans les labyrinthes ésotériques de la Process theology, il en va tout autrement quand il se fait historien des dogmes, de la vie des Eglises. Il avance du pas assuré d’un gendarme qui fait sa ronde: il connaît à merveille les boulevards, les rues et les recoins des textes classiques, luthériens, réformés, anabaptistes, catholiques romains. C’est « génial ». Un seul regret: l’auteur ne s’arrête pas sur la Confession de foi de Westminster[2] ou sur celle des réformés baptistes de 1689. Quoi qu’il en soit, ces livres manifestent toute la maîtrise d’un artisan arrivé au sommet de son art. S’ils comportent quelques répétitions – à vrai dire, rarement inutiles – celles-ci tiennent au plan adopté qui est fondamentalement le même, abordant chaque ligne confessionnelle.

Le grand intérêt de ces deux ouvrages tient au fait que André Gounelle a analysé, avec beaucoup de précision, les textes classiques des Eglises et non les écrits des théologiens. Ainsi, il s’est attaqué au point névralgique du passage de la théologie à la pratique, celui où la théologie touche à la vie des membres des Eglises. Ces textes ne sont pas de la théologie en chambre; ils ont servi de cadre de vie et ont guidé la pratique chrétienne jusqu’à aujourd’hui.

Etant donné la perspective réformée qui est la nôtre, nous sommes reconnaissants que André Gounelle ait souligné, en contraste avec la conception des Eglises romaines ou luthériennes, le caractère du sacrement comme sceau et le fait que l’acte sacramentel est considéré dans le cadre de la relation signifiant-signifié (pp. 86, 107). Cette structure confère un aspect « moderne » aux confessions réformées et permet de développer le rapport Parole-sacrement.

Dans son livre sur le baptême, A. Gounelle cerne bien le problème de la grâce. Dans le baptême, reçoit-on la grâce de l’Eglise officiante (la position romaine), parce que le baptisé est justifié et incorporé au peuple de Dieu (la position luthérienne), ou la grâce est-elle attestée de façon pédagogique (la position réformée) ou est-elle liée à la foi dont témoigne le baptisé (la position baptiste)? Ces diverses positions sont bien exposées selon les textes classiques. Il me semble pourtant que l’auteur aurait pu mieux faire ressortir la notion d’alliance présentée dans les textes classiques réformés; même s’il s’y réfère à plusieurs reprises (pp. 81, 115ss, 126), il ne souligne pas assez le caractère du sacrement comme sceau de la promesse de la grâce. En théologie réformée, cela est fondamental: le baptême n’est pas la grâce reçue, mais il scelle la promesse de l’alliance. Quel dommage que A. Gounelle ne se soit pas référé au commentaire classique des auteurs du Catéchisme de Heidelberg (Ursinus et Zanchius) à ce sujet!

Les différences existant entre les positions classiques sont soulignées ainsi que les tentatives modernes pour les rapprocher. Impossible, ici, d’évoquer toute la richesse du livre qui examine aussi les textes contemporains préoccupés de conciliation oecuménique. A. Gounelle se montre réservé à l’égard de ces efforts et ses jugements sont parfois un peu durs: ambiguïtés, compromis, langue de bois… ces mots se trouvent dans ses critiques des textes modernes, qui ne bénéficient que d’une « louange modérée ». Les différences entre les textes du XVIe siècle et ceux du XXe font l’objet d’analyses utiles. Ces derniers sont collectifs, pluralistes, cherchent à unifier et non à fixer des frontières; ils sont universels et contextuels. La recherche d’un consensus n’est pas sans dangers: la tradition oecuménique a tendance à devenir normative (pp.112ss). Pour des protestants attachés au Sola Scriptura, la tentation est de se soumettre à une tradition décollée de l’Ecriture et de renverser l’ordre de la normativité.

Le livre sur la cène est plus riche encore que celui sur le baptême. La section sur le rapport entre la Parole et le signe dans la perspective réformée est capitale et comprend des schémas pédagogiques qui facilitent la compréhension. Les signes ne contiennent pas la grâce de Dieu, mais la présentent ou la représentent. La fonction du sacrement n’est pas de faire ou d’opérer, mais de faire savoir ou de manifester: « ni avant, ni dans, mais avec ». Encore une fois, A. Gounelle se montre un consommateur modéré des textes récents qu’il critique pour leur manque de netteté. Le fameux Baptême, Eucharistie, Ministère (le B.E.M.) ne fait pas exception, comme on pouvait s’y attendre, avec son renversement de l’ordre Parole-sacrements.

Le sens de formules souvent entendues est utilement précisé: « l’hospitalité eucharistique », participation d’un fidèle à une Cène célébrée dans une autre Eglise que la sienne; l' »intercommunion », chaque Eglise reconnaît la Cène célébrée par une autre sans réserve ni réticence (p. 114). A. Gounelle rappelle un point important, à savoir que les catholiques romains ne sont pas autorisés, actuellement, à prendre la cène hors de leur Eglise.

Cependant, de notre point de vue, A. Gounelle est quelque peu décevant dans l’exposé de ses objections et de ses commentaires. Au fil de la lecture, on s’étonne d’apprendre que le baptême n’est pas tellement important et que la pratique actuelle de l’Eglise réformée de France autorisant les pasteurs à ne pas baptiser les bébés relève de la « sagesse » et de la « fidélité à l’Evangile » (ou est-ce de la fidélité à Karl Barth?). Il y a là de quoi réjouir nos amis baptistes, même si ce n’est que partiellement. A. Gounelle a, sans aucun doute, raison lorsqu’il affirme que le pédobaptisme est difficile à « prouver » à partir des textes du Nouveau Testament. Mais il y a deux Testaments: n’y aurait-il aucun rapport entre eux? Un juif du Ier siècle en aura discerné la substance en entendant, le jour de la Pentecôte, que « la promesse est pour vous et vos enfants »? Et celle-ci n’est assurément pas celle que comprend un libéral ou un barthien du XXe siècle. Aussi est-on conduit à se demander dans quelle mesure l’Eglise réformée de France et les autres Eglises, qui ont ainsi pris de la distance par rapport à leurs textes de base classiques et à la discipline correspondante, peuvent encore se qualifier de « réformées ». Ne sont-elles pas plutôt devenues des Eglises « pseudo-baptistes » dotées d’un ordre synodal et d’un épiscopat de fait?

A propos de la cène, André Gounelle remarque que son institution au début de l’ère chrétienne a été très marquée par son contexte culturel et qu’elle n’a pas le même sens dans notre culture actuelle. Il lui semble évident que rien dans la cène ne surpasse l’enveloppe culturelle. Une telle conception ne devrait-elle pas conduire à donner raison aux quakers, qui ont cessé de la célébrer?

Comment ne pas admirer A. Gounelle d’avoir dépensé tant d’énergie et passé tant de temps à expliquer le fonctionnement et la théologie d’actes sacramentels (baptême, cène) qui ne semblent pas revêtir une grande importance à ses yeux? Aussi une question s’impose-t-elle: dans ces actes, institués par Jésus, n’y aurait-il pas une vérité transculturelle, une vérité objective, dont le sens est essentiellement le même pour nous et pour les Apôtres, qui ont baptisé et pratiqué « la fraction du pain », ou aussi pour les Pères de l’Eglise du IVe siècle?

Cette question, impossible à éluder, en soulève une série d’autres. Que signifient l’apostolicité de l’Eglise et la communion des saints si la transmission de l’essentiel de la révélation d’une culture à l’autre ne peut pas se faire? Quelle est la sagesse de notre Seigneur? Pourquoi le logos « fait chair » a-t-il institué des signes de sa grâce, qui ont suscité tant de « divisions » et de « débats » entre les Eglises? Ensuite, ce sont la question de la divinité du Fils de Dieu et celle de la rédemption qui surgissent. Autrement dit, y a-t-il une tradition authentique dans l’Eglise, même si sa transmission et l’interprétation de la Bible sont entachées d’erreurs humaines? A quel moment des notions non bibliques ont-elles été introduites dans la pensée et la pratique de l’Eglise? En quoi consiste l’illumination du Saint-Esprit dans notre compréhension de la Parole?

Toutes ces questions, la théologie classique, qui se veut gardienne de la grande tradition de l’Eglise, ne peut pas les éviter. Plutôt que de contester le caractère transculturel de l’Evangile, il vaut mieux penser que nos divisions sont le fruit de notre faillibilité et de notre péché. Elles sont comme une invitation à l’amour, malgré nos différences d’interprétation, et comme un appel à l’espérance dans le retour de Christ. Alors nous aurons la réponse à nos questions et nous saurons qui a bien lu la Bible. Au Royaume de Dieu, les romains, les luthériens, les anabaptistes, les anglicans et les calvinistes abandonneront, chacun pour leur part, leurs opinions à ce sujet ou à tant d’autres. Car il y a un seul Dieu et une seule foi.

Sur d’autres points d’importance moindre, il est également difficile d’être d’accord avec A. Gounelle, comme, par exemple, sur la question de la nature de la « présence réelle » de Christ dans les sacrements et sur celle du rôle joué par le Saint-Esprit. François Wendel, dans son livre magistral sur Calvin, partage cette opinion. Les sacrements sont importants, parce que l’Esprit y est présent, « scellant » la foi du participant en Christ, un peu comme la bague scelle l’union entre les époux, leur rappelant, dès le jour de leur mariage et toute leur vie, leur engagement et leur union. La notion capitale de l’union avec le Christ manque dans les réflexions de A. Gounelle. Pourtant y a-t-il quelque chose de plus merveilleux que de penser que Christ s’unit à moi et avec tous ceux qui croient en lui, puisque c’est sa volonté de le faire. Et le Christ vivant exprime ainsi sa présence réelle, son amour. Ceci m’assure surtout de mon salut, du salut des autres car, dans les sacrements, Christ fait un pas vers nous.

Beaucoup d’autres points pourraient être évoqués. Dans le livre La cène, la définition du l’extra calvinisticum est discutable (p. 102). Il en est de même lorsque A. Gounelle estime que plusieurs confessions de foi réformées, en interdisant aux femmes de baptiser, font preuve « d’un antiféminisme certain » (Baptême, p. 86). Non, cette interdiction correspond plutôt à une doctrine de l’Ecriture et du ministère. Un réformé confessant, baptiste ou pédobaptiste, ne pense pas autre chose aujourd’hui. Voir les écrits de J.-J. von Allmen.

Enfin, quelques remarques de forme. Il est dommage que des livres d’une telle qualité soient si mal présentés. Le papier et la reliure – celle de La cène a cédé dès la p. 49! – sont médiocres. La marge de gauche, dans le même ouvrage, est de largeur variable (voir pp. 199 à 202) et inférieure à celle de droite. Les numéros en bas de page ne sont pas toujours justifiés et semblent, parfois, « ivres » (voir Le baptême, pp. 115, 117, sans parler de la p. 71).

Paul WELLS


1 Cf. mes travaux: The Vengeance of God. The Meaning of the Root NQM and the Function of the NQM-Texts in the Context of Divine Revelation in the Old Testament (OudTestamentische Studien XXXI), Leiden 1995, et: Wie is als Gij? « Schaduwzijden » aan de Godsopenbaring van het Oude Testament, Zoetermeer 1996 (traduction: Qui est comme Toi? Les « inconvénients » de la révélation de Dieu dans l’Ancien Testament).

2 Disponible en français dans Les textes de Westminster (Aix-en-Provence: Ed. Kerygma, 1988), 1-64.

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