John Knox, un héros méconnu de la réforme

John Knox, un héros méconnu de la réforme

Marie-Thérèse COURTIAL*

et intègre, Knox ne fléchit jamais sous la menace. Animé par sa foi inébranlable, il ignorait la peur et la lâcheté.

Les Ecossais vénèrent encore John Knox comme l’instaurateur de la religion réformée dans leur pays et comme le libérateur national contre la tyrannie des Guise et l’occupation des troupes françaises, qui se livraient, sur le peuple opprimé, aux pires exactions.

Mais quelle image reste-t-il de lui dans la France protestante d’aujourd’hui? Son souvenir semble être aussi effacé que ses oeuvres sont introuvables chez les libraires. Tout au plus se rappelle-t-on peut-être qu’il fut l’adversaire de Marie Stuart, un prédicateur intransigeant, voire un puritain fanatique.

Pourtant ce John Knox méconnu était un grand ami de Jean Calvin, comme en témoignent leurs échanges épistolaires, et il fut, dans ce siècle de violence et de haine, un fervent missionnaire qui défendit jusqu’à sa mort la vérité et la justice.

Toute la vie de ce soldat de Dieu a été consacrée au combat pour la conversion de sa patrie à la vraie religion.

John Knox naquit en l’an 1513, où James IV fut tué par les Anglais lors de la défaite de Flodden, quatre ans avant le premier assaut de Luther, à Wittenberg, contre la corruption de la papauté. Il fit ses études à l’Université de St Andrews, encore enténébrée, comme la Sorbonne, par l’enseignement scolastique.

Le martyre, en 1528, de Patrick Hamilton, le premier disciple écossais de Luther et de Melanchthon, allait éveiller les consciences et la nouvelle foi se répandit rapidement dans la noblesse, dans le peuple et dans les ordres religieux. Même le jeune roi James V prêtait une oreille bienveillante aux détracteurs de la perversion du clergé et des pratiques superstitieuses qui dénaturaient le christianisme. Mais le pape acheta son allégeance; la tolérance du monarque, suite à son mariage avec Marie de Guise en 1538, et aux manigances de son chancelier, le cardinal Beaton, se transforma en une implacable répression contre les « hérétiques ». Knox qui, comme tant d’autres jeunes clercs de son temps, avait été ordonné prêtre, se convertit bientôt définitivement et, tel l’apôtre Paul – dont il se ferait relire encore une fois, avant sa mort, l’épître aux Corinthiens -, il se consacra, dès lors, tout entier, à son apostolat, sans jamais faillir à sa profession de foi.

Ulcéré par le martyre en 1546 de George Wishart qu’il vénérait comme un maître, il s’adjoignit aux combattants de St Andrews et, capturé par les Français, il fut envoyé aux galères. Libéré, il s’exila en Angleterre où il aida le roi Edouard VI à édifier, pour son peuple, le Livre du rituel anglican (Book of Common Prayer ) et les Articles de foi. A la mort d’Edouard, fuyant la tyrannie sanglante de la reine catholique, Marie Tudor, il partit pour Francfort, puis rejoignit Calvin à Genève, où il consolida sa formation doctrinale. En 1555, il alla en mission en Ecosse, mais pourchassé par la haine du clergé, il retourna, l’année suivante, à son pastorat genevois, tandis que les évêques faisaient brûler son effigie sur la place d’Edimbourg.

A l’appel des lords protestants réunis dans la Congrégation du Christ, il rentra dans sa patrie en 1559, anima par ses sermons le courage du peuple qui, selon ses propres mots, reprenant ceux de l’Evangile, « chassa les marchands du Temple de Jérusalem », tandis que les troupes anglaises venues à la rescousse repoussaient les mercenaires français.

Sitôt le pays libéré, Knox s’appliqua à construire la nouvelle Alliance avec les lords et les ministres protestants et promulga, dans la liesse générale, les deux textes fondateurs de l’Eglise presbytérienne d’Ecosse: La Confession de foi et le Livre de discipline, abolissant le pouvoir du pape et supprimant le culte catholique.

Mais, en 1561, les nuages obscurcirent à nouveau la sérénité du pays quand Marie Stuart, veuve de François II, accosta sur sa terre natale. Alors débuta pour Knox le temps des épreuves, car ses disciples s’écartèrent de lui, se laissant séduire par leur jeune souveraine, sans percevoir à quel point elle était imbibée, comme dit Knox, « de cette liqueur (de la cour de France) qui resterait en elle sa vie durant pour apporter le fléau à son royaume et pour causer sa propre destruction ». Marie n’était, en effet, qu’un jouet manipulé à distance par les Guise et par la papauté – qui voulaient rétablir le catholicisme en Ecosse et en Angleterre – en faisant miroiter devant elle le droit légitime à la couronne d’Elizabeth.

Ayant ainsi perdu l’espoir de modeler l’Etat chrétien qu’il avait projeté en 1560, John Knox poursuivit néanmoins son ministère dans la lumière de l’Esprit jusqu’à sa mort, le 24 novembre 1572.

* * *

Les historiens, abusés par la figure romanesque de Marie Stuart, ont été très souvent injustes envers Knox, faisant de lui un « loup-garou » hargneux et violent. Au contraire, il était un homme de bien, doté des plus grandes qualités, qui lui valurent l’attachement et le respect de ses proches, de ses amis et du peuple écossais. Nous avons personnellement retenu son courage, sa bonté et son humour.

Courageux et intègre, Knox ne fléchit jamais sous la menace. Animé par sa foi inébranlable, il ignorait la peur et la lâcheté. Au temps où il était aux galères, il subissait son sort avec une sereine abnégation et confortait ses compagnons affligés en leur disant: « Dieu nous délivrera de ces chaînes pour nous élever vers sa gloire, même dans notre vie d’ici-bas. » Quand, accusé de trahison par Marie Stuart et cité au tribunal suite aux désordres causés par deux nobles protestants dans la chapelle du château pendant la messe, il répondit calmement, en guise de défense, à la reine ivre de vengeance: « Si Votre Grâce se plaint que ces actes aient été commis contre son autorité, je répons qu’il en est ainsi de tout ce que Dieu a béni en ce royaume. »

John Knox était fondamentalement bon, sensible et non violent. Un jour qu’il avait vivement admonesté la reine et l’avait fait pleurer, il s’en trouva navré:

Je ne me suis jamais réjoui de voir pleurer une créature de Dieu et j’ai du mal à supporter les larmes de mon fils quand ma main l’a corrigé, mais je dois résister aux larmes de Votre Majesté plutôt que de blesser ma conscience.

Durant la révolution religieuse de 1559, il ne cessa de contenir les excès de la foule contre les sanctuaires car, comme le dit Thomas Carlyle dans son hommage à John Knox (Heroes and Hero-Worship), « il ne voulait pas détruire les édifices de pierre, mais il voulait chasser la lèpre et les ténèbres de la vie des hommes. »

Enfin, ce juge sévère de l’impiété était un homme jovial qui aimait plaisanter en bon Ecossais qu’il était, et son Histoire de la Réforme abonde en traits d’humour, dont nous citerons, ici, quelques-uns. Par exemple, en 1548, quatre vaisseaux vinrent de France pour chercher la jeune fiancée du Dauphin; l’un d’eux, dénommé « Le Cardinal », fut détruit par les Anglais avant d’avoir pu accoster, et John Knox de commenter ainsi le naufrage: « Dieu prouvait bien par là que le pays d’Ecosse ne tolérait aucun cardinal! » Ou encore, commentant l’attribution officielle de la régence à Marie de Guise en 1554, il ajoute que « lorsque la couronne fut posée sur sa tête, on aurait dit qu’on mettait une selle sur le dos d’une vache indocile ».

Knox se complaît à rapporter tous les détails de son altercation à Nantes avec un capitaine des galères qui voulait le forcer à baiser une statue en bois peint de la Vierge. A peine lui eut-on mis de force la statue dans les mains qu’il la jeta dans le fleuve en disant: « Que Notre Dame à présent se sauve elle-même! Elle est assez légère. Qu’elle apprenne à nager! »

Cet humour, qui faisait de Knox un grand meneur d’hommes, est aussi la marque du grand écrivain qu’il fut. Ses nombreux sermons, ses pamphlets, ses essais politiques et théologiques ont été recueillis par David Laing et édités par lui en six volumes à Edimbourg, de 1846 à 1864. Malheureusement, aucune traduction française n’est présentement disponible et il serait souhaitable d’entreprendre au moins celle de son oeuvre magistrale, The History of Reformation within the Realm of Scotland, qui est non seulement une passionnante épopée, haute en couleur, intensément dramatique, avec ses dialogues, ses péripéties et ses personnages bien campés, mais aussi un sermon qui galvanise par son lyrisme et qui instruit par la justesse et la clarté de son enseignement.

* * *

Pour conclure cet hommage à l’un des plus grands fondateurs de la Réforme, nous reprendrons l’éloge que Thomas Carlyle lui décerne dans ses Essais critiques:

Honneur éternel au courageux Knox. La véritable portée de son message était:

Que les hommes sachent qu’ils sont des hommes, créés par Dieu, responsables envers Dieu, construisant à chaque instant ce qui durera dans l’éternité.

Ce grand message, Knox l’a délivré avec la voix et la force d’un homme et il a trouvé un peuple qui a cru en lui.

Note bibliographique

Il existe une excellente édition abrégée de l’Histoire de la Réforme de John Knox, intitulée The Reformation in Scotland (364 pages) avec notes, glossaire et illustrations (Edimbourg: Banner of Truth, 1994).


* Marie-Thérèse Courtial est professeur à Meknès (Maroc)

Les commentaires sont fermés.