Pierre Courthial : Le jour des petits recommencements
(Lausanne: L’Age d’Homme, 1996), 276 p.
Pasteur de l’Eglise Réformée de France, Pierre Courthial, fut professeur d’apologétique, éthique et théologie pratique à la Faculté de théologie d’Aix dès son ouverture en 1974.
Son ministère de pasteur-docteur de l’Eglise se poursuit aujourd’hui sous la forme d’un livre où transparaît la fermeté de sa foi enthousiaste.
P. Courthial propose, avec cet ouvrage, un regard englobant sur l’histoire à la lumière du tout de la Révélation. Cette « synthèse alliancielle », qui met en relief et explicite des thèmes capitaux de l’Ecriture ou de l’histoire de l’Eglise, est présentée chronologiquement: l’ancien puis le nouvel ordre du monde, avec le temps charnière des 70 premières années de notre ère.
– A travers le développement progressif des alliances avec Adam, Noé, Abraham, Moïse, David… est soulignée la continuité du plan divin, l’unité de l’Alliance de grâce. C’est sous cet éclairage qu’apparaît pleinement le sens de la Loi dont sont montrées la cohérence interne et la relation à l’Evangile.
De cet exposé didactique, nous retiendrons, à côté de la profonde pertinence et de la réelle fécondité d’une théologie biblique solidement unifiée, la sensibilité spirituelle qui le nourrit et dont les citations récurrentes des Hymnes de Saint Ephrem le Syrien comme, par exemple, l’allusion à la Trinité au travers du tutoiement et du vouvoiement significatifs d’Abraham (p. 16-17) nous semblent une bonne illustration.
– Avec l’incarnation que présupposaient les étapes historiques de l’Alliance de grâce s’ouvre le tournant des âges, jusqu’à la destruction du temple de Jérusalem. C’est le temps du second Adam pleinement obéissant – le temps de l’accomplissement des promesses par Jésus-Christ, Sacrificateur, Prophète et Roi -, période à laqelle succèdent les « derniers temps », le temps de l’Eglise apostolique – « temps des Nations » où se produisent les signes annonciateurs de la venue du Fils-Juge, venue réelle et spirituelle en 70 -, mais aussi temps d’achèvement du Canon biblique.
Les pages présentant le baptême-onction du Christ (p. 61 ss) nous paraissent particulièrement intéressantes tant dans le contenu qui montre que Jésus reçoit par son baptême l’ordination-consécration en vue de son ministère public de Médiateur, que dans la démarche interprétative où la relation intertextuelle avec l’ensemble biblique est ici particulièrement signifiante.
Il faut aussi remarquer l’argumentation serrée et convaincante, bien qu’originale (citations bibliques explicites, réflexion sur la mission de l’Eglise en Matthieu 28:18-20, étude des sept signes indiqués par Jésus en Matthieu 24 et parallèles – cf. pp. 85 ss) montrant en quoi consiste le temps apostolique des années 30 à 70… même s’il peut paraître souhaitable de laisser plus de place à la possibilité d’envisager un tel accomplissement comme typifiant l’ultime.
– Vient enfin le temps ecclésial, la période qui s’étend de la fin du temps apostolique au retour en gloire du Christ.
Il est alors donné de percevoir au fil de l’histoire de l’Eglise la croissance de la connaissance de la révélation ainsi que l’illustre la formulation des dogmes trinitaire et christique par les premiers conciles, puis des dogmes concernant le salut et l’Ecriture par la Réforme. A ces dogmes fondamentaux et face à la pensée humaniste dont est montrée et combattue la néfaste extension, doit s’adjoindre, en notre temps, le dogme « théonomique » qui promeut la fidélité à la Loi de Dieu dans toute la vie individuelle et sociale.
Outre le précieux emploi des motifs-de-base comme grille de lecture de la pensée, cette troisième partie offre une triple distinction (les lois séparatrices et restauratrices, les lois casuistiques et les lois socio-politiques -cf. pp. 230 ss) fort éclairante quant à l’unicité de la Loi morale de Dieu dans la progression de l’Alliance. On pourra regretter ici, malgré l’ajout d’une note bibliographique, la rapidité avec laquelle est traité le rôle de la Loi dans la conscience et la vie des fidèles (pp. 248-250).
– L’ouvrage s’achève avec un appendice où sont regroupés quelques textes anciens dans la ligne des quatre premiers conciles: confessions de foi, écrits des Pères de l’Eglise, textes liturgiques; puis quelques poèmes de réformés français; enfin, une brève bibliographie sur l’Ecriture.
Riche sélection que l’on ne manquera pas de percevoir trop succincte, mais qui couronne fort bien l’ouvrage en donnant à voir comment, à la lumière de la foi, pensée et sensibilité trouvent leur plein épanouissement.
En avant-propos (p. II), P. Courthial prévient: « Je ne présente pas au lecteur un livre facile. »
L’ouvrage, malgré sa clarté d’exposition, est bel et bien d’un abord difficile, trop difficile sans doute pour qu’un chrétien sans connaissance théologique préalable puisse l’aborder.
Certes l’auteur ne se défait jamais de son souci pédagogique, comme le montre l’explication de certains termes techniques ou de néologismes. Mais le non-théologien aura à la fois à intégrer une lecture élaborée de l’Ecriture, à se familiariser avec des courants théologiques ou philosophiques pour en mesurer les enjeux, à saisir la rigueur de l’argumentation… Tout cela est livré d’un coup! C’est beaucoup! Et c’est bien dommage si l’effort exigé interdit au membre d’Eglise de saisir ce qui porte l’exaltant et exigeant projet auquel chacun est convié et que Pierre Courthial résume ainsi (p. 259) :
Notre Seigneur règne, et agit d’en Haut sur la terre; mais, paradoxalement, il agit en général en partant d’en bas, en partant des diverses petites communautés de la société, en partant de familles, d’Eglises paroissiales, d’entreprises professionnelles ou culturelles qui lui sont fidèles, qui écoutent et suivent sa Loi morale, révélée dans l’Ecriture (qu’est l’Ecriture!). De petites semences sortent de grands arbres parfois. Nous n’avons pas, à la manière des révolutionnaires, à attendre ce que décideront les gens qui voudront ou conquerront le pouvoir, en partant d’en haut; mais à la manière des Réformateurs, nous avons à semer, à planter, en partant donc d’en bas. Humblement. Dans une patiente espérance. C’est le temps, c’est LE JOUR DES PETITS RECOMMENCEMENTS.
Ce mot d’ordre est, en effet, soutenu par toute la cohérence d’une théologie englobante, respectueuse du tout de la Révélation de Dieu.
C’est la force de cet ouvrage que de montrer l’unité intrinsèque des Alliances successives, la continuité entre l’ancien et le nouvel ordre du monde, l’indéfectible lien de l’Evangile et de la Loi, l’harmonie profonde de l’Ecriture Sainte, l’unicité de la Foi exprimée par les premiers Conciles œcuméniques et les confessions de la Réformation, la nécessaire conjugaison entre le dire et le faire …
Si la globalité de cette théologie réformée peut avoir ses inconvénients en s’enfermant dans un certain monolithisme où quelques questions théologiques apparaissent comme d’évidence (par exemple, sur le parler en langues – page 87, ou sur le ministère pastoral des femmes – page 257), elle est surtout l’écho du juste respect porté à l’ensemble du texte biblique.
C’est cette démarche résolument englobante qui revêt l’ouvrage de son caractère novateur et dynamisant, qui fonde sa forte originalité au sein du protestantisme français contemporain. Cette fresque réformée se démarque, en effet, sur bien des points tant du protestantisme évangélique que du protestantisme pluraliste.
Par exemple, en ce qui concerne l’implication dans la cité, P. Courthial va à l’encontre de la démobilisation « évangélique » dans la conquête du monde au nom du Christ, mais il s’insurge tout autant contre les options humanistes incarnées par le protestantisme pluraliste trop souvent à la remorque de l’opinion publique.
Contre la première erreur, il rappelle que l’Ecriture ouvre à la possibilité d’une longue période avant le retour du Christ; contre la seconde, il souligne le danger d’une référence sélective à l’Ecriture. Contre un piétisme alibi qui limite la portée de la Parole de Dieu à la sphère privée ou contre un militantisme idéologique qui éradique l’autorité de l’Ecriture, Pierre Courthial appelle au respect des normes divines dans tous les domaines de la vie.
Cette originalité qui trace un chemin de crête entre fondamentalisme et pluralisme est particulièrement nette pour ce qui est de l’herméneutique.
Contre une lecture littéraliste, faussement naïve, qui, ignorant l’environnement et le contexte des auteurs et des textes ainsi que les genres littéraires, conduit à des interprétations abusives; mais aussi contre une lecture rationaliste critique, faussement objective qui, faisant fi de l’unité scripturaire, édulcore le message, Pierre Courthial réaffirme la nécessité d’une démarche interprétative conforme au statut de l’Ecriture, textes humains communiquant authentiquement la Parole de Dieu. L’approche à la fois historique et symbolique dont il fait usage (cf. par exemple pp. 4 ss) témoigne d’un tel équilibre.
Et c’est du reste une autre force de ce travail que d’appliquer les principes auxquels il renvoie. Ici, connaissance et reconnaissance de Dieu vont de pair.
Gageons pourtant que cet ouvrage qui dérange n’aura pas, au sein du protestantisme français, l’écoute qu’il mérite. Quoi qu’il en soit, sa contribution à la reconstruction à laquelle il appelle est indéniable. Voilà un bon grain parmi les semences de la prochaine Réformation! « Un octogénaire plantait », qu’il en soit vivement remercié!
Daniel et Annie BERGÈSE
Jean Brun: Vérité et christianisme
(Troyes: Edition Librairie Bleue, 1995), 236 p.
Cet essai, dernier écrit du professeur Jean Brun (décédé en 1994), préfacé par Paul Cardinal Poupard, est la deuxième édition du livre paru, d’abord, sous le titre Philosophie et christianisme. Ce changement de titre est significatif de l’élargissement de la perspective de l’auteur et de l’enrichissement qu’il a apporté à son projet primitif. Car dans Vérité et christianisme, il étend son analyse, qui porte en premier lieu sur la philosophie, au-delà d’elle à l’ensemble de la culture, dans ses données contemporaines et les résultats de sa longue histoire, jugés sous le rapport de la vérité qui est la loi discutable de la pensée.
J. Brun procède à une réflexion critique et évaluatrice de la connaissance humaine actuelle, qui est à la fois un héritage du passé et l’effet de ses échecs au regard précisément de la visée finalisatrice qu’est la vérité. Et dans ce livre, il situe le christianisme en position de force par rapport à l’ambition orgueilleuse de l’homme de l’atteindre, qui s’ancre dans la promesse menteuse du tentateur des origines: « Vous serez comme des dieux. » C’est de cette « divinité » que J. Brun fait le procès.
Le livre comporte trois parties entre lesquelles s’organisent neuf chapitres où sont successivement traités: le destin de la vérité; devenir et révélation; libération et délivrance. Ce suivi obéit au mouvement ascensionnel de la pensée radicalement chrétienne du philosophe de Dijon, car il conduit de la non-vérité qui est le produit de la culture à l’unique vérité qui est le Christ; or, cet échec a pour autre nom identitaire le Nihilisme contemporain qui débouche sur le désespoir mortifère, détruisant l’illusion de l’homme de se sauver par lui-même, par la maîtrise spéculative du monde; or, la vérité qui ne vient pas de lui est le seul moyen d’un salut qui est pure grâce de Dieu, manifesté en Jésus-Christ.
En outre, la démarche analytique de Jean Brun est structurée en fonction de types de traitement de la vérité, que l’histoire de la philosophie donne à constater; ils sont au nombre de quatre qui se définissent par les termes d’accession, d’instauration, de dynamisation et, pour finir, de désintégration de la vérité. Ces types correspondent aux âges successifs de la philosophie, dont l’auteur parcourt panoramiquement la durée de Platon à nos jours. Or l’Antiquité, les Temps modernes, l’époque contemporaine mettent en évidence l’indubitable, à savoir: croyant parvenir à la vérité, croyant la circonscrire, la définir, la posséder, l’homme, en définitive, en confond la recherche avec un processus d’autodivinisation qui, par ricochet, rebondit en sa négation pure et simple. La mort de Dieu au profit de cette vérité humaine aboutit à la mort de l’homme, celui par lequel, selon le mot de C. Lévi-Strauss, il n’est rien qui ne reçoive son sens, mais qui lui-même n’a pas de sens. Voulant réaliser son autosauvetage, l’homme s’est perdu, ce qu’atteste la mort du sujet, la mort des valeurs, la toute-puissance de l’absurde qui rejaillit sur l’Histoire dans la destruction physique et morale de l’humanité (à plus ou moins long terme), ultime conséquence du « rien n’est vrai, tout est permis » nietzschéen.
D’où peut venir le salut puisque toute la culture, de la connaissance à la technique, des théories aux pratiques par lesquelles l’homme visait à s’assurer la domination suprême, donne lieu à une relativisation de la vérité, dont la gravité tient à ses effets existentiels, individuels et historiques négatifs?
Pour J. Brun, la réponse est claire: elle réside dans la Révélation. La vérité vient d’En Haut, de Dieu seul: elle est la personne même du Christ Rédempteur, qui est aussi lumière, voie et vie.
Seul, le christianisme, donc, est porteur de vérité, celle qui libère, ressuscite, recrée car, par sa mort et sa résurrection, le Christ a triomphé du péché et de la mort qui en est la conséquence. Non seulement l’homme n’est pas devenu Dieu, mais il n’est plus rien, et seul le Dieu d’amour le sauve de son autoperdition. La foi ne détruit pas l’homme, elle l’affirme dans la plénitude de sa valeur.
On retrouve dans cet essai les idées majeures qui ont traversé toute l’œuvre de Jean Brun. Se livrant à un bilan lucide qui s’origine dans la constatation de la réalité historico-culturelle contemporaine, le pessimisme qu’elle ne peut qu’engendrer est transcendé par une espérance promotrice de joie. De sorte que l’intérêt du livre, son importance s’imposent d’eux-mêmes en notre temps d’incertitudes, de détresses, de malheur que l’homme ne doit qu’à lui-même.
Il y a de la confession convaincue et convaincante dans ce travail philosophique par lequel J. Brun se montre le ferme représentant d’une foi réformée vivante, et le témoin et l’apôtre du Christ Sauveur.
Marguerite BAUDE