Les thérapies modernes
et la foi de l’Eglise1
David Powlison
Directeur de la Christian Counseling and Educational Foundation (CCEF) et éditeur du Journal of Biblical Counseling
Lorsque je suis devenu chrétien, j’étais un fervent partisan de la psychologie moderne. J’avais un diplôme universitaire en psychologie et je croyais que mon désir de me connaître moi-même, de connaître les autres et de leur être utile serait comblé dans le cadre d’une profession orientée vers la santé mentale. Je me suis converti alors que je travaillais dans un hôpital psychiatrique et faisais un doctorat en psychologie clinique. Mes projets ont été radicalement chamboulés lorsque j’ai rencontré le Dieu vivant.
Alors que ma foi grandissait et s’approfondissait, j’ai pris conscience des implications d’une pensée cohérente avec les présuppositions de la foi chrétienne. Les chrétiens ont une compréhension plus profonde et plus large de la nature humaine et de ses problèmes que la psychologie. Il nous faut donc réfléchir attentivement et dans la prière au rapport entre un christianisme biblique et les psychologies modernes.
Commençons par définir le mot psychologie. Lorsque j’utilise ce terme, je ne critique en aucune manière la notion de psychologie en général, l’idée que nous sommes des âmes capables notamment de perception, de réflexion, d’émotion, de volonté, de croyance. Tout croyant devrait être un psychologue dans le meilleur sens du mot. Nous devrions étudier l’âme ; nous devrions connaître les gens et comprendre ce qui les motive. Ce que nous devrions critiquer, ce sont les systèmes psychologiques, les théories de la personnalité qui imposent diverses grilles d’interprétation à l’âme humaine, et les psychothérapies qui appliquent ces théories aux individus. On pourrait dire que les psychothérapies fonctionnent comme des « ministères pastoraux » cherchant à communiquer une « parole rédemptrice » aux personnes troublées.
Dans ce sens, on peut légitimement dire que le christianisme biblique offre une psychologie et une psychothérapie supérieures. Le christianisme soumet ses rivaux à une critique radicale. Commençons à faire cela en examinant le développement historique du débat.
Un tournant historique
Aujourd’hui, le christianisme a un rival autoproclamé et déterminé. Il est entré en scène au xxe siècle et a annoncé, en gros, que les ressources de la foi chrétienne étaient dépassées. Elles ne sont plus convaincantes pour l’homme moderne ; elles ne répondent plus à leurs besoins ni à leurs luttes. Ce qu’il nous faut, disait la psychologie moderne, c’est une vision différente, une vérité différente, un autre texte sacré, un autre ministère pastoral et d’autres praticiens pour prendre soin des âmes. Les chrétiens ne s’étaient pourtant pas montrés particulièrement réactionnaires ou agressifs, mais l’attaque est venue délibérément de l’autre côté, comme le montre ce commentaire de Sigmund Freud :
L’expression « travailleur pastoral séculier » pourrait servir de formule générale pour décrire la fonction que l’analyste, qu’il s’agisse d’un médecin ou d’un laïc, doit accomplir dans sa relation avec le public2.
Pour Freud, le rôle d’un psychothérapeute était celui d’un travailleur pastoral séculier, parce que Dieu n’est plus crédible depuis le Siècle des lumières. Or les gens ont toujours les mêmes problèmes (que les chrétiens appellent le péché ou la déchéance). Il faut que quelqu’un fasse le travail pastoral pour guérir les âmes.
Carl Jung était un disciple de Freud avant de rompre avec lui. Il écrit :
Les patients obligent le psychothérapeute à jouer le rôle d’un prêtre et attendent et exigent de lui qu’il les délivre de leur détresse. C’est pourquoi les psychothérapeutes doivent s’occuper de problèmes qui, à strictement parler, relèvent du théologien3.
Dans son livre Modern Man in Search of a Soul, Jung affirme clairement que les anciennes vérités du christianisme ne font plus l’affaire ; il y a un vide spirituel dans le monde moderne, et le psychothérapeute est celui qui est chargé de remplir ce vide, de délivrer de la détresse, entre autres. La forme jungienne de spiritualité est, d’un point de vue chrétien, sans Dieu, sans Christ, sans l’Esprit et sans la Parole.
Abraham Maslow était un artisan clé de la psychologie humaniste. Il commence son livre le plus important, Toward a Psychology of Being, par l’affirmation suivante : « La nature humaine ne semble être ni intrinsèquement ni initialement ni nécessairement mauvaise. »4 Maslow contredit Ecclésiaste 9.3, qui dit : « le cœur des humains est rempli de mal, et la démence est dans leur cœur pendant leur vie ». Maslow ne veut pas entendre cette sombre description de la nature humaine déchue. Les chrétiens croient qu’il y a chez l’homme une tendance à pécher, une tendance à s’éloigner de Dieu. Même les théories psychologiques sont affectées dans leur développement par cette tendance à s’éloigner de Dieu. Mais Maslow conteste cela.
Le behavioriste B.F. Skinner écrit dans son essai utopique, Walden Two : « Ce que Jésus offrait en retour de l’amour de ses ennemis était le ciel sur la terre, la paix intérieure. »5 La paix intérieure est une conséquence de ce que Jésus offre, mais le Jésus des chrétiens n’offre pas seulement une technologie, un certain nombre d’astuces pour faire de vous un être humain détendu et serein. B.F. Skinner pense qu’une technologie comportementale résoudra le dilemme humain ; il croit pouvoir reconditionner les gens de telle sorte qu’ils soient heureux, productifs et équilibrés. Il propose dans Walden Two une autre église, un autre sauveur et un autre évangile.
Le « psy populaire » John Bradshaw se présente comme un psychologue, mais ses idées sont religieuses, comme le montre cette citation : « Jésus nous appelle à être créatifs et à réaliser notre propre JE-SUIS. Aujourd’hui je sais que je suis au plus profond de moi-même une personne merveilleuse. »6 Le point de vue de Bradshaw est que je suis essentiellement un « JE-SUIS » à l’intérieur et que les expériences douloureuses de la vie empoisonnent en quelque sorte ce JE-SUIS merveilleux que je suis par nature. Mon but est donc de renouer avec mon véritable JE-SUIS et de le réaliser. Ce n’est pas le point de vue d’un scientifique neutre. Tous ces théoriciens sont très consciemment religieux ; Bradshaw est juste un peu plus audacieux.
En résumé, les psychothérapeutes sont des « prêtres séculiers », une expression inventée par Perry London, un historien et commentateur influent de la psychothérapie moderne. Les psychologues les plus honnêtes reconnaissent ce rôle. Je dirais de manière encore plus explicite que ce sont des prophètes-théologiens séculiers. Ils donnent un sens à la vie. Ce sont des prêtres-pasteurs qui prennent soin des âmes. Ce sont des rois-anciens qui gèrent les centres de santé mentale, les cabinets de psychothérapie et les hôpitaux psychiatriques.
Trois niveaux de conflit
Etant donné les intentions énoncées par les psychologues du xxe siècle, on s’attendrait à ce que l’Eglise réagisse et qu’un conflit éclate entre le christianisme biblique et ceux qui se proposent de le remplacer et de l’enterrer. On s’attendrait à un triple conflit concernant la question de la vérité, la question de l’amour et la question du pouvoir.
En premier lieu la question de la vérité : Qui a raison ? Qui a raison dans son diagnostic de la condition humaine ? Est-ce vrai que les êtres humains ne sont pas mauvais à l’origine, mais que, pour suivre Maslow, la ruine de nos âmes et le péché et la misère de nos vies sont le résultat de besoins non satisfaits ? Que nous sommes en quelque sorte malmenés par des forces qui nous sont extérieures, et donc que le mal qui est en nous n’est que le résultat de ce qui nous est arrivé ? Est-ce vrai ou est-ce la vision chrétienne qui est vraie ? On s’attendrait à un conflit fondamental concernant la compréhension des problèmes humains.
Le deuxième domaine de conflit tourne autour de la question : Qui a le droit de s’occuper des gens ? Qui est appelé à aimer ? Qui a la responsabilité d’aider les gens brisés, confus, misérables, perdus et déconcertés ? Qui détient l’autorité sociale ? L’Eglise a toujours dit que c’était notre responsabilité ; les ministères de compassion et de proclamation sont la réponse au péché et à la misère de ce monde.
La troisième question est : Qui peut apporter une solution ? C’est la question de l’autorité pragmatique des intervenants. Qui peut confirmer la réalité de leur pouvoir et de leur efficacité ? Qui peut vraiment faire la différence dans la vie des gens ? On s’attendrait à ce que cette question donne également lieu à un conflit.
L’évolution des professions
Permettez-moi d’observer à ce stade que les rôles sociaux du psychiatre, du psychologue et du travailleur social n’ont pas toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui. Ces vocations ont radicalement changé au cours du xxe siècle. L’idée selon laquelle les professions liées à la santé mentale font une sorte de travail pastoral et se prononcent sur la condition humaine est un développement relativement récent. Il y a cent ans, un psychiatre ne faisait pas un travail thérapeutique ou pastoral.
Un psychiatre était, tout d’abord, un administrateur. Il dirigeait de grandes institutions, et ses principales responsabilités consistaient à assurer la sécurité, fournir trois repas par jour et un environnement agréable à la campagne dans lequel les personnes qui s’étaient écroulées pouvaient échapper au stress de la vie et se réparer. En tant qu’administrateurs, les psychiatres étaient chargés de fournir un milieu propice à la guérison.
En second lieu, ils étaient médecins. S’il y avait un aspect médical à la situation, comme une démence liée à l’alcoolisme, à la syphilis ou à une tumeur au cerveau, un diagnostic médical était prononcé et un traitement pouvait être proposé. Ce n’est qu’après la première visite de Freud en Amérique au début des années 1900 que le rôle psychothérapeutique a commencé à être associé au rôle d’administrateur médical. Fait intéressant, les psychiatres sont retournés ces vingt dernières années dans leur domaine plus médical, somatique et biologique, d’autres praticiens – psychologues, travailleurs sociaux et conseillers pastoraux – ayant contesté leur domination dans le monde de l’« accompagnement pastoral » thérapeutique.
Les significations derrière les étiquettes professionnelles sont changeantes. Il y a cent ans, un travailleur social se rendait dans les quartiers pour s’assurer que les bébés ne seraient pas empoisonnés par un lait frelaté. Les travailleurs sociaux aidaient les femmes enceintes et les mères qui allaitaient aidaient à combattre les injustices, aidaient avec les conditions de logement. Ils étaient essentiellement orientés vers les bonnes œuvres et l’aide aux personnes. Ce n’est qu’à partir des années 1920 que leur rôle a commencé à évoluer vers l’aide psychologique. A l’époque, une controverse est apparue au sein de la profession qui n’a jamais cessé. Les instituts de formation au travail éducatif et social mettent l’accent sur l’un ou l’autre de ces rôles. Certaines écoles orientent leur formation vers la recherche d’emploi, les conditions de logement et la vie associative ; d’autres se concentrent sur le rôle psychothérapeutique.
Il y a cent ans, un psychologue ne faisait rien qui fût lié de près ou de loin à la psychothérapie ou au counseling. Un psychologue était un scientifique, un physiologiste qui faisait des recherches sur des choses comme l’arc réflexe – il piquait votre doigt avec une aiguille et observait comment vous réagissiez. La psychophysiologie et la psychologie expérimentale étaient au cœur du rôle du psychologue.
Pendant la Première Guerre mondiale, leur rôle a commencé à s’élargir lorsqu’ils se sont vu confier la tâche de tester les soldats. Avec quatre millions de personnes appelées sous les drapeaux, comment les militaires auraient-ils pu s’en charger eux-mêmes ? Les tests d’intelligence, d’orientation et d’aptitude ont élargi le rôle du psychologue. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les psychologues sont devenus des psychologues cliniciens et des psychothérapeutes faisant beaucoup de relation d’aide. Ces développements sont liés à des événements historiques. Or les meilleures analyses indiquent que l’évolution des professions liées à la santé mentale vers la psychothérapie est l’inverse de ce qui s’est produit dans l’Eglise. Autrement dit, alors que l’aide psychologique augmentait dans les professions liées à la santé mentale, l’entretien pastoral en tête à tête s’affaiblissait dans l’Eglise.
Le recul de l’Eglise
Les chrétiens ont reçu de riches connaissances concernant un accompagnement pastoral qui comprenne vraiment les gens, creuse patiemment dans leur vie, avec amour, vérité et puissance. Cette richesse a été malheureusement très peu exploitée.
Le côté obscur de cette vérité est que l’Eglise s’est montrée intellectuellement dépendante, structurellement subordonnée et faible dans sa pratique. L’Eglise a eu tendance à penser que le peuple de Dieu avait besoin d’appendre d’Adler, Freud, Skinner, Rogers et Jung. Nous nous sommes laissé persuader qu’ils détenaient la vérité, qu’ils connaissaient vraiment les gens et que nous devions nous soumettre à leurs connaissances. Nous nous en sommes remis à eux intellectuellement.
L’Eglise a aussi été structurellement subordonnée. Dans de nombreux cas, elle s’est contentée de renvoyer les gens vers les « spécialistes ». Elle a donné l’impression qu’on pouvait compter sur elle dans une certaine mesure pour réconforter les personnes en souffrance, mais que dans les cas plus graves son rôle était d’orienter vers des professionnels plus qualifiés. Nous sommes devenus structurellement subordonnés.
L’Eglise s’est également montrée faible dans sa pratique. Sa théologie pratique et ses entretiens en tête à tête ont été généralement défaillants. D’un côté, l’Eglise a tendance à être superficielle et moraliste : « Passe du temps avec Dieu, va à l’Eglise, et tous tes problèmes disparaîtront. » De l’autre côté, on met en avant une sorte de spiritualité de la réparation instantanée : « Aie une expérience extraordinaire avec Dieu, laisse Dieu agir, chasse le démon de colère, et en un instant tous tes problèmes seront résolus. » Tous les problèmes qu’il faudrait traiter entre les deux – se connaître soi-même en profondeur, connaître les autres, les aimer et travailler patiemment avec eux – ont tendance à être confiés aux autres professions, et le rôle de l’Eglise est devenu secondaire.
Le sociologue Andrew Abbott a analysé la façon dont l’Eglise avait reculé alors que les professions psychosociales gagnaient du terrain. Voici ce qu’il dit concernant la fin du xixe siècle :
Les analyses du clergé restent primitives. La reconnaissance progressive des troubles de la personnalité comme catégories légitimes relevant du travail professionnel n’a pas produit d’effort sérieux de la part du clergé pour les conceptualiser. L’incapacité du clergé à fournir un fondement académique à sa pratique concernant les troubles de la personnalité a fini par révéler son incompétence. Si une autre profession devait établir un diagnostic et des systèmes thérapeutiques pertinents, l’autorité culturelle simpliste du clergé serait facilement remplacée7.
C’est exactement ce qui s’est produit dans la période qui a suivi 1880. Abbott estime que les membres du clergé dans les années 1920 avaient perdu toute autorité culturelle concernant les troubles de la personnalité. L’Eglise n’était pas jugée capable d’apporter des réponses profondes et rigoureuses. Elle a été repoussée dans les marges du piétisme et du moralisme.
Analysant la situation des années 1920, Abbott écrit :
C’est pendant cette période qu’est apparu le mouvement d’éducation pastorale clinique, un mouvement de formation pastorale visant à donner aux jeunes membres du clergé une expérience directe avec les troubles de la personnalité récemment définis. Les séminaristes apprenaient les rudiments de la nature humaine des psychiatres, des psychologues et des travailleurs sociaux qui connaissaient ces rudiments ; c’est-à-dire, des professionnels qui maîtrisent actuellement les définitions de ceux-ci [italiques ajoutés]8.
La psychologie séculière faisait des affirmations qu’elle était capable d’étayer ; l’Eglise et la culture y ont adhéré. Les gens qui connaissaient la nature humaine se trouvaient dans les professions liées à la santé mentale. L’Eglise devait désormais consulter les autorités séculières pour apprendre les rudiments de la nature humaine.
La démission de l’Eglise
Bref, l’Eglise du Christ a perdu le cœur de son ministère, la compréhension et le soin des âmes. Ce domaine est devenu celui des professions séculières, et l’Eglise a été repoussée dans les marges.
Vers qui se tourne-t-on lorsqu’il s’agit de comprendre le cœur humain ? La psychologie séculière. Prenez la question de l’auto-séduction. Freud parlait de « mécanismes de défense ». Ce qu’il décrivait était, bibliquement, la séduction du péché, mais les analyses profondes de ce phénomène ont été interprétées pour correspondre à une autre vision du monde, et ce travail n’a pas été fait par les chrétiens. De la même façon, l’impact de nos situations, de nos traumatismes, de nos souffrances, des torts que nous avons subis, ainsi que les influences plus subtiles de l’environnement social sont des choses dont la Bible parle. Ce sont des données bibliques de base ! Mais le monde les a récupérées et reconfigurées.
Ou considérez la question des motivations. Pourquoi les gens font-ils ce qu’ils font ? Comment analyser leur système de croyances ? Leurs envies irrésistibles ? Leurs peurs ? Comment ces choses façonnent-elles l’identité et affectent-elles le fonctionnement de la conscience ? Ici encore, des thèmes et des enjeux intrinsèquement bibliques sont devenus le domaine de personnes extérieures à l’Eglise.
Beaucoup d’autres choses ont également quitté le domaine de l’Eglise : le changement progressif, le conflit interpersonnel, l’éducation des enfants, la communication, les comportements addictifs, toutes les émotions négatives – la culpabilité, l’anxiété, la dépression, la colère, la peur de vieillir, la mort. Ce sont des choses dont parle l’Ecriture, mais elles sont devenues le domaine des professions liées à la santé mentale que la plupart des gens considèrent aujourd’hui comme détentrices de la vérité, de l’amour et du pouvoir. Ces professions « savent » comment les gens fonctionnent. Elles sont chargées d’aimer, d’aider et de prendre soin, et elles semblent faire une différence.
L’Eglise vit en marge des débats importants, sa pratique étant trop superficielle ou trop mystique. Les gens du xxe siècle observent la vie humaine et disent : « La religion ne fonctionne pas ! L’Eglise n’apporte aucune réponse pertinente ! » Seuls les psychologues s’intéressent aux vrais problèmes à l’intérieur de l’âme humaine. Et pourtant la Bible aborde ces problèmes en profondeur.
La responsabilité des chrétiens est de se réapproprier ces questions. Comment revendiquons-nous notre place dans les débats importants au sujet des gens, de leurs problèmes et des solutions ?
Les opportunités actuelles de l’Eglise
Notre époque offre aux chrétiens des opportunités de se réapproprier les questions de la relation d’aide et de la psychologie. Dans notre culture, je crois que les psychothérapies sont maintenant vulnérables à une critique chrétienne réfléchie. Premièrement, il y a eu une fragmentation radicale et croissante des psychologies tout au long du xxe siècle. Cela rend l’idée selon laquelle la psychologie serait la vérité – la révélation et la science de notre temps – de moins en moins défendable. Lorsqu’une discipline a de nombreux systèmes qui se contredisent mutuellement, il faut en déduire qu’il n’y a pas une mais des psychologies. Et s’il en est ainsi, il est difficile de prétendre détenir la vérité. Les principaux théoriciens – Freud, Jung, Maslow, Skinner et d’autres – ne s’accordent pas les uns avec les autres. Leurs successeurs ne croient même plus à la possibilité d’une théorie unifiée et se contentent de proposer des microthéories et des combinaisons éclectiques.
En outre, les professions liées à la santé mentale ont fait l’objet de critiques sévères de la part d’historiens et de philosophes de la science et de la médecine. Même des non-chrétiens se sont inquiétés de la médicalisation des problèmes de la vie. Si le crime, l’alcoolisme ou les problèmes liés à l’enfance sont considérés comme des troubles médicaux et non comme des problèmes fondamentalement moraux, quelles en sont les implications sociales ? Les gens qui réfléchissent à la nature de la justice, de la morale publique et de la vie civile s’inquiètent sérieusement de la médicalisation des problèmes de comportement.
Les historiens de la science ont aussi émis leurs critiques et leurs réserves. Thomas Kuhn et Carl Popper ont été les plus influents ces trente dernières années. Ni l’un ni l’autre ne croyaient que les psychologies étaient de la science. Ils les considéraient comme plus proches du mythe, de la philosophie, de la religion et de la politique. Les psychologies ne sauraient prétendre, selon Kuhn et Popper, au statut scientifique, étant donné qu’elles traitent profondément de vision du monde et de questions morales.
Charles Rosenberg, le plus grand historien américain de la médecine et, dans une certaine mesure, un ami de la psychiatrie, a offert une critique frappante de la légitimité de la psychiatrie au sein de la culture. Il fonde celle-ci sur trois choses. Il dit tout d’abord que la psychiatrie en tant que spécialité médicale est en grande difficulté parce que sa prétention à en être une repose sur le fait d’être considérée comme une science médicale. Or beaucoup de médecins sont très dubitatifs au sein du monde médical. Ils craignent que des sorciers se soient introduits d’une façon ou d’une autre dans le camp des sciences dures. Par conséquent, alors que la psychiatrie a besoin d’être considérée comme de la médecine pour être légitime, elle est sous le feu de ses pairs.
Deuxièmement, Rosenberg souligne une chose très curieuse dans la psychiatrie elle-même. Les aspects de la psychiatrie qui sont les plus proches de la médecine, comme le traitement des psychoses du sida en phase terminale, des tumeurs cérébrales et de la maladie d’Alzheimer – des problèmes comportant des éléments physiologiques évidents – ont le statut le plus bas au sein de la profession. Ce domaine de responsabilité relevant de la « science dure » est relégué aux formes de soins de la maison de repos et de l’hôpital psychiatrique ; ici la psychiatrie n’est pas très différente de ce qu’elle était au xixe siècle.
Quels sont les aspects de la psychiatrie qui ont le statut le plus élevé ? Comme le dit Rosenberg : « Une bonne partie de la littérature psychiatrique la plus influente de notre siècle consiste en affirmations générales sur la condition humaine. »9 Y ont contribué des hommes comme Freud et Jung et des psychologues comme Maslow et Skinner. Rosenberg estime que les revendications de la psychiatrie en tant que théologie et philosophie porteuse de sens sont très douteuses. Vous avez donc une profession qui dédaigne les éléments relevant de la science dure – ceux-là mêmes qui lui donnent une légitimité (« nous sommes une science médicale ») –, et dont la revendication la plus séduisante (être les arbitres de la réalité) est aussi la plus discutable. En fin de compte, les psychologies rivalisent avec les autres religions et les autres visions du monde.
Le troisième point de Rosenberg est que, dans l’ensemble de la société, les professions liées à la santé mentale se sont vu confier un vaste territoire : l’éducation des enfants, la criminalité, la délinquance juvénile et les difficultés de la vie de tous les jours – anxiété, inquiétude, dépression, colère, relations interpersonnelles, conflit. Mais elles ne peuvent pas fournir de solutions. En tant que chrétiens, nous savons qu’elles ne peuvent pas délivrer les gens parce qu’elles ont affaire au péché et à la misère, aux tourments de la vie sur une planète qui vit dans les ténèbres. Rosenberg parle du « gouffre amer » entre les attentes et l’accomplissement, lorsque la société attend de la psychiatrie qu’elle apporte des réponses à la délinquance juvénile, l’anxiété, la dépression et l’insignifiance.
Formuler la solution chrétienne
Si notre culture a longtemps accepté sans réfléchir les affirmations de la psychologie, les choses sont en train de changer. Mais le fait que la foi biblique puisse être formulée de manière positive pour reconquérir le terrain perdu m’encourage encore plus. L’Ecriture aborde tous les aspects de l’expérience humaine. Nous avons l’occasion de présenter une solution distinctivement chrétienne au monde dans lequel nous vivons.
Nous pouvons proposer à notre génération les ressources d’un christianisme cohérent avec ses présuppositions. Prenons la métaphore bien connue des cinq aveugles et de l’éléphant. Chacun décrit ce dernier différemment, comme un mur, un serpent, une corde, un arbre ou une feuille, selon la partie du corps qu’il est en train d’examiner. La parabole a souvent été utilisée pour souligner le rôle des présuppositions dans notre façon de voir les choses.
Mais imaginez que les aveugles ne le soient pas réellement ; ils souffrent d’un rétrécissement du champ visuel et d’un sévère astigmatisme. L’homme qui prend la patte de l’éléphant pour un arbre est tout près de lui. Il s’intéresse aux troncs d’arbres et étudie attentivement la patte. Il produit un traité extrêmement savant sur la nature de l’écorce de l’arbre et des insectes qui y ont élu domicile et semblent causer des dommages. Il décrit le fait qu’enfoncer un objet tranchant dans l’écorce provoque le jaillissement d’une sève rouge. Il ne peut expliquer pourquoi elle s’écoule de manière rythmique, mais il décrit en détail la sève rouge de cet « arbre ». Il a aussi une théorie qui explique pourquoi l’arbre se déplace de temps en temps. Cela semble contradictoire avec ce que nous savons des arbres, et pourtant, on dirait que l’arbre bouge. Il parle de façon très détaillée des cataplasmes qui peuvent être utilisés pour arrêter le flux de sève et des crèmes qui peuvent être appliquées sur l’écorce pour tuer les insectes…
Maintenant imaginez qu’en tant que chrétiens nous nous tenions à une douzaine de mètres de l’éléphant. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit d’un éléphant ! Nous voyons les gens tels qu’ils sont : créés à l’image de Dieu, en révolte contre lui, susceptibles d’être rachetés en Christ et transformés par la puissance du Saint-Esprit. Mais parce que nous nous tenions à distance, nous ne savions pas que les genoux saignaient. Nous ne savions pas que des insectes s’étaient logés dans les plis de la peau. Nous ne savions même pas que la peau avait des plis parce que nous étions trop éloignés. Nous ne connaissions pas les détails du problème de l’éléphant, c’est pourquoi nous n’avons jamais envisagé d’apporter un remède spécifique, une pommade pour les genoux ensanglantés.
Cela illustre bien notre dilemme actuel. En tant que chrétiens, nous nous sentons interpellés par les personnes qui étudient si méticuleusement l’éléphant. Nous n’avions jamais remarqué que du sang sortait des genoux ni que des insectes y avaient élu domicile. Une telle perspicacité nous interpelle, nous reprend, nous oblige à revoir notre copie et à creuser la question théologiquement. Mais nous savons en même temps qu’ils saisissent mal les problèmes et que les solutions qu’ils proposent sont erronées. Nous sommes frappés par l’absurdité de leurs conclusions. « Comment peuvent-ils dire que c’est un arbre ? Ce n’est pas de la sève ; c’est du sang ! Ce n’est pas de l’écorce ; c’est de la peau ! C’est un éléphant, pas un arbre ! » Ce dilemme illustre l’attitude des chrétiens à l’égard des sciences humaines.
Critique radicale et humble service
D’une part, un dialogue chrétien avec notre temps inclura une critique radicale des systèmes psychothérapeutiques et psychologiques. Ils ont tort. Ils sont tous condamnés à se tromper parce qu’ils ne prennent pas en compte la nature pécheresse de l’homme. Notre condition s’explique, d’une façon ou d’une autre, par ce qui nous arrive ou par les choix que nous faisons, indépendamment de toute considération morale. Quand une théorie humaniste dit que vos besoins n’ont pas été satisfaits par vos parents, lorsqu’une théorie psychodynamique affirme que le traumatisme que vous avez subi dans votre enfance a déterminé votre vie, quand une théorie comportementale dit que vous avez été conditionné par des forces socioculturelles ou quand une théorie physiologique explique les problèmes de la vie en termes de génétique, de neurophysiologie et de déséquilibre chimique, chacune d’elles s’efforce de vous apporter une réponse différente du salut en Christ.
Cela fait partie de la tromperie du péché. Les systèmes ne sont pas neutres. Si la Bible a raison de dire que la vie n’a pas de sens en dehors de Dieu, et que je crée par ailleurs un système d’interprétation qui écarte cette vérité, je commets une erreur fondamentale. En tant que chrétiens, nous pouvons critiquer avec force un tel système.
D’autre part, nous devons aussi reconnaître avec humilité que qu’Eglise a échoué. Les chrétiens du xxe siècle se sont avérés incapables de s’intéresser à ce que les gens vivaient réellement. Nous n’avons pas voulu nous salir les mains ni prendre soin des gens avec patience et perspicacité. Trop souvent la foi chrétienne a offert des réponses mystiques ou légalistes aux malheurs de l’humanité.
En quoi consiste un engagement nouveau, profond et pratique ? Tout d’abord, nous voulons comprendre comment le péché influence le travail du psychologue qui écrit son traité sur « les coléoptères et la sève rouge de l’arbre ». Nous voulons être capables de distinguer (1) ce que le psychologue décrit, (2) sa grille d’interprétation et (3) quelles en sont les implications thérapeutiques.
Prenons à titre d’exemple l’ouvrage d’Alfred Adler, Understanding Human Nature. Soixante-dix pages sont consacrées à une des descriptions les plus fines de la corruption humaine que je connaisse. Ce qui est intéressant, c’est qu’Adler ne croit pas à la corruption totale ; il ne croit pas au péché. Mais il analyse les raisons pour lesquelles les gens agissent de manière stupide. Il s’intéresse à la cruauté de la vie et étudie les ruses, le chaos et l’égocentrisme. Il a vraiment à cœur d’aider, mais c’est là qu’on voit les effets trompeurs du péché. Les observations d’Adler ne sont pas de simples idées philosophiquement neutres qu’un chrétien pourrait transférer telles quelles dans un cadre chrétien. Adler se sert d’une grille d’interprétation pour décrire la réalité. Cela a un triple effet même sur les « données » fournies par Adler.
L’effet grossissant
Tout d’abord, les présuppositions d’Adler ont un effet grossissant. Tout se passe comme si la personne souffrant d’un rétrécissement du champ visuel et d’astigmatisme utilisait un microscope. Alors qu’elle observe attentivement les genoux de l’éléphant, elle voit ce que personne d’autre n’a jamais vu auparavant ; elle peut offrir des détails stupéfiants sur la vie humaine. C’est l’effet grossissant.
Supposons, par exemple, que quelqu’un adhère à la théorie selon laquelle tous nos problèmes sont liés aux traumatismes que nous avons subis dans l’enfance. Il observera au microscope tout ce qui nous est arrivé dans notre passé. Il fouillera tel ou tel événement traumatique et douloureux et il trouvera des détails étonnants sur la façon dont les gens ont été blessés, maltraités, dénigrés, abusés, trompés ou égarés. Il y a là une grande richesse descriptive.
L’effet aveuglant
Mais la théorie a aussi un effet aveuglant. Elle ne voit que certaines choses. Si vous vous servez d’un microscope, il y a beaucoup de choses que vous ne voyez pas.
Par exemple, celui qui adhère à la théorie de l’influence déterminante de l’expérience infantile peut voir de nombreux détails chez la personne A, qui est anxieuse, dépressive et irritable, qui abuse de la nourriture et cherche l’amour dans des relations sexuelles sans lendemain, et qui a connu de terribles expériences quand elle était enfant.
Mais le théoricien a des œillères quand il s’agit de la personne B, qui a reçu une éducation très différente mais a les mêmes problèmes que la personne A. Elle n’a que de bons souvenirs, a été très bien élevée et traitée avec gentillesse et respect, n’a pas été trahie. Pourtant elle mange trop, a une sexualité déréglée et manifeste de l’anxiété et de l’irritabilité. Les œillères du théoricien le poussent à exclure des choses qui l’obligeraient à réviser son interprétation.
Et il y a la personne C, qui a été abusée, maltraitée et trahie, mais qui s’en est très bien sortie. Comment intégrez-vous le Seigneur Jésus-Christ et son pouvoir de libération dans une théorie selon laquelle la trahison et l’abus contrôlent votre vie ? Cet effet aveuglant exclut de nombreuses données nécessaires à une bonne compréhension de la vie humaine.
L’effet déformant
L’effet le plus inquiétant est la déformation généralisée. Si mes présuppositions m’amènent à maintenir que je décris des arbres et non des éléphants, cela déformera chacune de mes observations. Mes présuppositions influencent mes descriptions d’une manière fondamentale. Elles ont également une influence sur les implications, la psychothérapie, la manière d’élever les enfants, la méthode de résolution des conflits, entre autres.
Ma manière d’expliquer un problème orientera ma recherche de solutions. Si je dis, à cause de ma grille d’interprétation, que votre problème de colère témoigne de la présence d’un démon de colère, je vous proposerai de le chasser. Si j’estime que votre problème de colère est lié au manque d’amour dont vous avez souffert dans votre enfance, j’essaierai de répondre à votre besoin d’amour. Si je pense que votre problème de colère provient de problèmes cognitifs qui déforment votre interprétation de la réalité, je chercherai à changer votre manière de penser, à changer la façon dont vous interprétez votre univers. Si je pense que la raison pour laquelle vous êtes en colère est que vous êtes Bélier ascendant Sagittaire et que mars est un mauvais mois pour les Bélier, je vous conseillerai de suivre votre horoscope et de faire profil bas.
Votre grille d’interprétation vous oriente vers des solutions qui correspondent à votre diagnostic. Si je pense que vous êtes programmé pour être agressif parce que la colère est une réaction génétique, physiologique et hormonale à n’importe quelle menace, j’en conclurai qu’il est inutile d’espérer le moindre changement. J’essaierai donc de contrôler au mieux la situation en vous privant de liberté ou en vous prescrivant des calmants.
La tâche de réinterprétation
La grille d’interprétation d’une personne contrôle sa description de la réalité et les conséquences qu’elle en tire. C’est ici que nous pouvons, en tant que chrétiens, évaluer les systèmes de croyances de notre culture. Nous pouvons interagir avec les présuppositions et nous engager dans une tâche de réinterprétation. Celle-ci consiste à démonter le cadre de référence de nos contemporains et à leur présenter les choses sous un autre angle. En tant que chrétien, je peux dire :
Les choses que vous avez décrites comme l’écorce et la sève d’un arbre se comprennent mieux s’il s’agit d’un éléphant. En fait, s’il s’agit d’un éléphant, beaucoup de choses que votre théorie ne pouvait expliquer prennent sens, comme l’écoulement rythmique de la sève et le mouvement des troncs d’arbres.
Pour passer de la métaphore de l’éléphant à l’être humain, supposons que vous pensiez que le fait d’avoir des parents instables fait automatiquement de vous une personne instable. Considérons maintenant le fait que certaines personnes qui ont grandi dans une famille instable sont devenues des personnes équilibrées, et que d’autres qui avaient de bons parents sont devenues des personnes instables. Vous devriez enlever vos œillères et regarder les choses sous un angle différent. Cette tâche de réinterprétation est au cœur de la rencontre apologétique et de l’annonce de l’Evangile à ceux qui ont été influencés par la psychologie.
L’exemple de l’estime de soi
Voyons comment la tâche de réinterprétation fonctionne avec l’exemple d’une faible estime de soi. Un scénario typique décrit une personne avec des parents très exigeants qui réagit en ayant une faible estime de soi et tous les comportements qui l’accompagnent. La personne est prête à tout pour se faire aimer de ses parents. Peut-être a-t-elle un comportement sexuellement immoral, ou peut-être fait-elle un usage destructeur de la nourriture, cherchant d’une certaine manière à attirer l’attention de quelqu’un. Ses parents étaient capricieux et manipulateurs ; peut-être étaient-ils violents et ont-ils trahi sa confiance. Elle est prisonnière d’un sentiment d’échec et de culpabilité, essayant de plaire aux gens sans jamais y parvenir.
Notre culture voit ce genre de cas et dit que c’est un problème de « faible estime de soi ». La solution consiste à essayer de créer un sentiment de plus grande confiance en soi. Une clé est de trouver un thérapeute ou un groupe très accommodant dont la règle cardinale est : « Je t’accepterai. » (Carl Rogers utilise l’expression « regard positif inconditionnel », une attitude fondamentale d’affirmation, de validation et d’acceptation totale.)
Supposons qu’une des choses qui pèsent sur cette personne est qu’elle ne gagne que 18 000 euros par an en tant qu’infirmière alors que ses parents voulaient qu’elle devienne médecin et gagne beaucoup plus. Elle s’est efforcée de satisfaire ses parents sans jamais y parvenir. Le thérapeute très accommodant lui dira que ce n’est pas grave si elle ne gagne que 18 000 euros et n’est qu’une infirmière. C’est acceptable. Vous êtes vous-même. Ayez confiance en vous-même ! Affirmez-vous ! Soyez heureuse de ce que vous êtes ! Il lui offre une contrefaçon de l’amour et une contrefaçon de la vérité. Mais ces réponses réveillent de mauvais souvenirs chez cette personne. Elle a été malheureuse et désespérée, remplie de crainte et d’anxiété, peut-être facilement irritable, peut-être même un peu paranoïaque. Soudain, elle se trouve dans une nouvelle situation. On lui dit qu’elle n’a pas besoin de plaire à ses parents. Elle gagne à être connue telle qu’elle est. Elle peut s’accepter elle-même. Le thérapeute l’accepte, et les autres personnes dans le groupe de soutien l’acceptent. Ses critères d’auto-évaluation deviennent plus « réalistes ».
On peut imaginer quel soulagement la personne éprouvera. Elle se sentira mieux ; ses comportements seront peut-être moins compulsifs ; elle développera un certain sentiment de satisfaction, deviendra moins nerveuse et plus confiante, moins facilement irritable, et moins anxieuse. Beaucoup de gens se satisfont de tels résultats.
Que faisons-nous en tant que chrétiens dans une telle situation ? Certaines de nos catégories bibliques fondamentales nous disent, par exemple, qu’il est vrai que nous vivons tous dans un monde qui cherche à nous façonner et à nous inculquer un système de valeurs douteux. Il est également vrai que les autres peuvent nous faire du tort de plusieurs manières.
Notre système nous dit aussi que nos réactions, nos comportements et nos émotions viennent de quelque part. On trouve dans la Bible d’immenses trésors pour comprendre les motivations humaines à la lumière de la chute. Par exemple, on pourrait dire que cette personne est sous l’emprise de ce que la Bible appelle la crainte de l’homme. Cela se traduit de la manière suivante :
J’ai besoin de l’approbation de mes parents. Si je ne peux pas avoir la leur, j’essaierai de l’obtenir de quelqu’un d’autre. Si je dois coucher avec quelqu’un pour obtenir son approbation, je le ferai. Si je ne peux pas l’obtenir, je mettrai de la nourriture dans ma bouche pour combler le vide. J’ai soif d’approbation. Je m’inquiète de ce que ces gens pensent de moi. Ça ne marche jamais parce que je vis pour leur plaire, alors qu’ils sont impossibles à satisfaire, et je suis à bout de nerfs. J’ai aussi un problème avec ce que la Bible appelle l’orgueil. Je cherche à réussir quelque chose afin que ma vie vaille la peine d’être vécue. Je pense que si j’étais médecin et gagnais 80 000 euros par an, ma vie serait une réussite. Parce que la barre est trop haute pour moi, ma vie est un échec.
D’un point de vue biblique, ces réactions sont parfaitement compréhensibles – non comme le produit d’une situation difficile, mais comme le produit de l’interaction entre une situation difficile et trompeuse et un cœur qui réagit aux pressions qu’il subit avec ses propres solutions pécheresses. Ces réactions proviennent d’un cœur dirigé par la crainte de l’homme et l’orgueil.
C’est là qu’une analyse chrétienne devient radicale. Nous voyons le « succès » thérapeutique du psychothérapeute et disons :
Je peux reconnaître que vous avez apporté un certain soulagement à cette personne, mais elle n’a absolument pas changé au niveau des motivations. Elle continue à craindre les gens et à rechercher l’approbation humaine. La seule chose qui ait changé, c’est l’objet de son attention. Au lieu de chercher à plaire vainement à ses parents et d’être à bout de nerfs, elle cherche maintenant son bonheur dans un thérapeute ou un groupe de soutien accommodant. Pas étonnant qu’elle se sente mieux. On pourrait dire que son idolâtrie a été réhabilitée ! L’idolâtrie qui autrefois rendait sa vie misérable l’aide à mieux s’accepter. Elle cherche à s’entourer d’autres personnes accommodantes. Elle passe moins de temps dans des comportements destructeurs et à se comparer aux autres et elle a réajusté ses objectifs de manière à pouvoir les atteindre. Maintenant elle dit qu’être infirmière et gagner 18 000 euros par an est acceptable. Cela n’a rien de déshonorant.
Son orgueil et son autosuffisance ont aussi été réhabilitées.
Le paradigme biblique
D’un point de vue biblique, cette personne souffrant d’une faible estime de soi a été induite en erreur. Elle se sent mieux, mais sa vie a-t-elle été réellement transformée ? Les buts qu’elle s’est fixés sont-ils dignes du projet de Dieu pour ses créatures ? Où est l’amour ? Où est la joie ? Où est la gratitude ? Où est l’obéissance ? Où est l’esprit de sacrifice ? Où est le courage d’aimer ses ennemis ? Où est la croissance à la ressemblance de Jésus ? Une confiance en soi « réaliste » n’est pas un trait de caractère chrétien !
Se sentir mieux dans sa peau, être heureux et avoir confiance en soi sont des buts dérisoires. Il y a des choses beaucoup plus importantes à viser ; en fait, ces choses nous sont données par surcroît lorsque notre cœur est renouvelé par la grâce. Si la crainte de l’homme est remplacée par la confiance en Dieu, et si l’orgueil est remplacé par une humilité qui cherche à plaire au Christ miséricordieux, alors des fruits d’une autre sorte apparaissent. Nous avons un nouveau cœur, de nouvelles valeurs et de nouvelles priorités. Nous avons un nouveau Dieu.
Ce qui se passe en somme même dans une « psychothérapie » réussie, c’est une réhabilitation des anciens dieux, et non une rencontre avec le Dieu vivant et vrai. En tant que chrétiens, nous pouvons nous intéresser à la manière dont les non-chrétiens voient les problèmes humains. Nous pouvons aussi examiner les solutions qu’ils proposent et leur appliquer un nouveau paradigme. Nous pouvons analyser leurs présuppositions, en souligner les incohérences et réinterpréter leur vision des choses d’une manière radicale et biblique.
Nous avons affaire en permanence à des gens influencés par la psychologie. Peu d’entre eux sont des psychologues. Ils sont assis à côté de nous à l’église, ils souffrent d’une faible estime de soi, d’une dépendance sexuelle ou d’un trouble de l’alimentation.
Bien qu’ils soient imprégnés de psychologie, nous pouvons leur venir en aide. En offrant une interprétation plus profonde et plus riche de la réalité, nous avons la possibilité d’édifier l’Eglise et de lancer un défi au monde séculier. Nous pouvons proposer un changement de paradigme qui donne un sens aux choses qu’ils voient. Ce qu’ils appellent écorce, nous l’appelons peau. Ce qu’ils appellent sève, nous l’appelons sang. Ce qu’ils appellent guérison, nous l’appelons repentance et foi en Christ. Notre analyse du problème est plus radicale que la leur parce que nous savons que c’est un problème entre l’homme et Dieu. La solution que nous proposons est plus efficace que la leur parce que nous avons un Sauveur qui a résolu ce problème, qui a subi la colère de Dieu à notre place et nous transforme par le Saint-Esprit.
Le test de la véracité de toute analyse de la condition humaine est sa capacité à présenter le Christ comme la vraie réponse aux besoins humains. Le test de tout dialogue réellement chrétien avec les psychologies et les psychothérapies est sa capacité à les appeler à se repentir de leur vision déformée de la réalité.
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Traduit avec permission de la Christian Counseling & Educational Foundation (CCEF). L’article original est paru dans le Journal of Biblical Counseling (vol. 15, no 1, copyright © 1996) sous le titre « Modern Therapies and the Church’s Faith ». Tout le contenu est protégé par copyright et ne doit pas être reproduit sans la permission écrite de la CCEF. Pour plus de renseignements sur les cours, conférences, formations à distance et autres services, vous pouvez consulter www.ccef.org.↩︎
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Sigmund Freud, The Question of Lay Analysis (1927). Traduit et publié par James Strachey, New York, W.W. Norton, 1959, p. 93. Traduction française, La question de l’analyse profane (Folio-Gallimard, 1985/1998).↩︎
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Carl Jung, Modern Man in Search of a Soul (1933). Traduit par W.S. Dell et Cary F. Baynes, San Diego, Harcourt Brace Jovanovich, p. 241. Traduction française, L’homme à la découverte de son âme (Albin Michel, 1987).↩︎
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Abraham H. Maslow, Toward a Psychology of Being, New York, Van Nostrand Reinhold, 1968, p. 3. Traduction française, Vers une psychologie de l’être (Fayard, 1972).↩︎
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B.F. Skinner, Walden Two, New York, Macmillan, 1948, p. 107.↩︎
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John Bradshaw, Homecoming : Reclaiming and Championing Your Inner Child, New York, Bantam, 1990, p. 274, 276. Traduction française, Retrouver l’enfant en soi (Editions de l’Homme, 2004).↩︎
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Andrew Abbott, The System of Professions : An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, University of Chicago Press, 1988, p. 186.↩︎
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Ibid., p. 309.↩︎
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Charles E. Rosenberg, Explaining Epidemics and Other Studies in the History of Medicine, New York, Cambridge University Press, 1992, p. 252.↩︎