LA FORME LITURGIQUE DU CULTE RÉFORMÉ

LA FORME LITURGIQUE
DU CULTE RÉFORMÉ

Paul Wells1

Lorsqu’une conférence se termine par un temps liturgique, cela ne suscite pas d’enthousiasme. Pourquoi ? Parce que d’autres formes d’adoration nous attirent davantage, l’esprit du siècle nous ayant subtilement gagnés. Comme le dit Terry Johnson, du début du xxe siècle jusqu’aux années 1960, les évangéliques ont perdu de vue la tradition protestante, qui remonte à l’Église ancienne en passant par les réformateurs, et, de ce fait, la culture liturgique de l’Église2. Depuis lors, l’influence de la culture populaire et l’essor des Églises orientées vers les personnes en recherche ont suscité un bouleversement du culte. Nos prédécesseurs auraient beaucoup de difficulté à considérer nombre des Églises d’aujourd’hui comme le peuple de Dieu rassemblé pour lui rendre un saint culte, expression étrangère au postmodernisme.

La liturgie est généralement comprise comme une forme de culte prescrite, comme c’est le cas dans la liturgie de Chrysostome, le Livre de la prière commune, ou dans les formulaires utilisés dans la célébration de la liturgie romaine. Le mot « liturgie » vient du grec leitourgia, qui désigne un service rendu à la communauté (manifestation artistique, sportive ou militaire). Dans La Septante, ce terme est appliqué au service des prêtres et des lévites dans le temple. John Owen soutenait que ces cérémonies étaient des ombres charnelles des choses à venir, remplacées, dans le Nouveau Testament, par la liberté de l’Esprit3. Cette association de la liturgie avec les ombres juives permettait à Owen de dire que la liturgie était un arrangement temporaire. Bien que les apôtres aient, à juste titre, renoncé à ces ombres, la papauté est revenue au judaïsme avec ses cérémonies et ses traditions non bibliques. Cette argumentation ne présage rien de bon pour la liturgie dans un contexte non conformiste. La question que de nombreux réformés se posent n’est pas de savoir quelle est la forme de la liturgie, mais de savoir s’il doit y avoir, dans le culte, une quelconque liturgie, considérée comme une obligation envers Dieu.

Comme on pouvait s’y attendre, les discussions sur la forme du culte public ou la liturgie se transforment souvent en un face-à-face entre les avocats de la structure (l’institution), qui souhaitent maintenir sa forme en accord avec la tradition (comme des gardiens), et les défenseurs de la liberté (l’événement) pour qui (comme des aventuriers) la spontanéité est essentielle. De plus, dire que « les évangéliques ne se préoccupent pas des détails formels de l’adoration liturgique » est un euphémisme4. Le mot « liturgie » fait frémir la plupart d’entre eux à cause de l’influence d’Owen qui affirmait que « toutes les liturgies, en tant que telles, sont de faux cultes […] qui s’opposent aux dons promis par le Christ et à l’Esprit de Dieu »5. La liturgie est associée à une spiritualité morte et à des restes d’anglicanisme.

Mais, bien que beaucoup prétendent que « leur Église n’a aucune liturgie », il n’en reste pas moins qu’il y en a toujours une, plus ou moins implicite, composée de moments cultuels, souvent animés par des solistes. Cette forme de liturgie que Gerald Bray appelle « the hymn sandwich pattern » (chant, prière, chant, lecture, chant…)6 s’est récemment transformée en adoration « burger » avec un petit message pour tenir l’ensemble. Comme on pouvait s’y attendre, le résultat est un culte amorphe, agrémenté de chants de qualité douteuse s’il n’est pas sauvé par des conducteurs de louange vedettes qui animent le spectacle. En un sens, on ne peut pas échapper à la liturgie sous une forme ou sous une autre. Il est toutefois permis de se demander si le culte contemporain a quelque chose à voir avec ce que le culte divin devrait être. Après que la maison liturgie fut nettoyée, d’autres démons, pires que les précédents, sont venus s’y installer et son état pourrait bien avoir empiré.

Derrière ces remarques générales se cachent des questions sérieuses comme celles-ci : le Dieu que nous prétendons adorer approuve-t-il ce que nous faisons en son nom ? Lorsque l’objectif du culte est que chacun se sente bien, ne s’expose-t-on pas à des formes subtiles de blasphème ?7

La liturgie devient donc un réel dilemme pastoral, un exercice d’équilibre entre ce que la Bible prescrit et ce que le public demande, parfois pour satisfaire les jeunes.

Dans le cadre de la tradition réformée, les questions liturgiques sont traditionnellement d’une autre nature que celles qui sont évoquées plus haut et portent souvent sur la relation entre le principe dit régulateur ou scripturaire et les adiaphora (des choses qui ne sont ni commandées, ni interdites par l’Écriture). Il y a, d’un côté, ceux qui brandissent le principe régulateur avec l’assurance de Goliath et, de l’autre, ceux qui sont à l’aise avec une plus grande flexibilité liturgique. Cela revient à se demander, en fin de compte, comment l’Écriture fonctionne8. Les formes de cérémonie et de liturgie qui ne sont pas explicitement autorisées par l’Écriture sont-elles légitimes dès lors que celle-ci ne les interdit pas ? Quelle incidence notre réponse a-t-elle sur la forme de la liturgie réformée ? Ces questions ont été soulevées dès le début de la Réforme. Si l’Écriture est l’autorité finale, dans quel sens est-elle la seule autorité ? Luther a encouragé la musique dans les Églises parce qu’il ne voyait aucune règle scripturaire s’y opposant, tandis que Zwingli a enlevé l’orgue de l’Église de Zurich parce qu’il ne trouvait aucune justification biblique à l’utilisation d’instruments de musique dans le culte chrétien9. Plus tard, pour les mêmes raisons, les fleurs ont été bannies de certains lieux de culte ! Aujourd’hui, ceux qui veulent introduire le théâtre et la danse dans le culte affirment que rien dans l’Écriture ne l’interdit.

Dans notre tentative pour expliquer la forme de la liturgie réformée, nous nous efforcerons de respecter le principe régulateur mais pas, cependant, comme Owen l’a fait. Nous proposons de considérer, premièrement, le principe régulateur comme fondement ; deuxièmement, l’alliance et comment elle pourrait structurer une liturgie réformée ; troisièmement, les éléments de la liturgie comme invitation divine et réponse humaine dans le culte ; et, enfin, quelques avantages de la liturgie dans la vie chrétienne.

1. Le devoir et la manière d’adorer

« Nous adorons Dieu parce que Dieu nous a créés pour l’adorer. L’adoration est au centre de notre existence, au cœur de la raison de notre existence », dit Hughes Oliphant Old10. Si l’adoration est notre devoir, la manière d’adorer Dieu n’a pas été laissée à la liberté de l’invention humaine ; elle est régie par la révélation de Dieu dans l’Écriture. Nous nous proposons d’examiner trois théologiens qui, au sein de la tradition réformée, ont réfléchi, à la lumière du principe dit régulateur ou principe scripturaire, sur le devoir et la manière d’adorer et sur les questions liturgiques.

1) Jean Calvin

Le principe régulateur n’est pas une invention puritaine ; il remonte à Calvin et a été adopté par les Églises réformées dans leurs confessions et leurs catéchismes11. Pour la conception réformée, l’Écriture elle-même doit servir de règle pour le gouvernement de l’Église et pour le culte, à la différence des conceptions luthérienne et anglicane pour lesquelles ce qui n’est pas interdit dans la Parole de Dieu peut être autorisé dans le culte12. Les cérémonies cultuelles sont donc indifférentes (des adiaphora). La conception réformée, en revanche, affirme que seul ce qui est prescrit par la Parole de Dieu peut être utilisé dans le culte. Elle considère que l’Écriture est unique et que son autorité, sa suffisance et sa clarté régissent le culte divin. Le principe régulateur est sous-entendu dans la description que fait Calvin de la vraie religion comme « une foi conjointe à une vive crainte de Dieu, crainte pleine de révérence spontanée, accompagnée d’un service volontaire et conforme à la Loi de Dieu »13.

Loin d’être une camisole restrictive, le principe régulateur sert de fondement pour se garder des traditions humaines, d’une Église autoritaire et de l’irréligion inhérente à l’esprit humain qui engendre les superstitions14. Il défend la loi divine contre les manifestations bipolaires de l’antinomisme. Le principe scripturaire, fondé sur la révélation divine, est, en fait, la seule façon de protéger la liberté de conscience, dans le culte et ailleurs, contre le légalisme, les autorités humaines qui ajoutent à l’Écriture, et contre l’anarchie, qui ignore la vérité objective de l’Écriture et la remplace par la subjectivité des idées et des désirs humains15. Le légalisme et l’anarchie sont tous deux des produits dérivés de l’antinomisme, qui est la source de l’hérésie consistant à rejeter Dieu et sa révélation. L’un comme l’autre ont été identifiés, par Calvin et les puritains, comme des manifestations du culte produit par la volonté de l’homme, de la religion autonome, de la pensée humaine dirigée contre Dieu16. Si, à leur époque, l’opposition au principe régulateur est venue d’une Église autoritaire à Rome ou de l’Acte d’uniformité en Angleterre (1662), aujourd’hui, elle vient, probablement, davantage de la culture médiatique autoritaire de l’individualisme subjectif. Mais, comme Calvin nous le rappelle, « il ne faut rechercher chez les êtres humains comment bien servir Dieu, puisque lui-même nous a fidèlement et clairement appris comment nous devons le faire »17.

Le principe régulateur n’est toutefois « en aucune manière facile à appliquer »18, comme les développements ultérieurs de la théologie réformée – dont les travaux de l’Assemblée de Westminster – l’illustrent amplement. Dans ce contexte, il a été courant d’opposer Calvin et les calvinistes19, et le contraste dans le domaine de la forme liturgique est inévitable. Dans La forme des prières et chants ecclésiastiques, avec la manière d’administrer les sacrements et consacrer le mariage selon la coutume de l’Église ancienne, 154220, la référence à l’Église ancienne révèle la main de Calvin. Dans la liturgie de Calvin, les réponses de l’assemblée jouent un rôle, des textes fixes sont présents, comme la confession des péchés, ainsi que des prières fixes comme le Notre Père. Calvin respectait aussi le Symbole des Apôtres, clairement critiqué par certains puritains. Même l’agenouillement n’est pas rejeté. On se demande si Calvin, s’il avait réagi de manière plus détaillée, aurait considéré le Livre de la prière commune comme un « livre imparfait, tiré du fumier papiste du livre de messe, rempli d’abominations »21. Dans sa liturgie, il était influencé par Bucer et Zwingli, mais aussi par Farel, qui avait publié la première liturgie réformée française à Neuchâtel en 1553, et l’avait introduite à Genève en 1537. Dans le culte dominical ordinaire, elle comprenait une prière générale, le Décalogue, la confession des péchés, le Notre Père, le Symbole des Apôtres, une exhortation finale et la bénédiction. Calvin ne voyait aucune contradiction entre ces éléments et une droite adoration de Dieu ou le principe scripturaire, même si on pourrait penser, à la lumière du débat ultérieur, qu’il était plus proche du principe normatif que du principe régulateur22.

2) John Owen

Avec John Owen, les choses se développèrent dans une autre direction et le ton est différent dans ses nombreux écrits contre la liturgie23. On a l’impression que les objections d’Owen à la liturgie ne se rapportent pas formellement, au départ, au principe régulateur, mais découlent principalement de considérations matérielles et, en particulier, de sa doctrine du Saint-Esprit : « Il faut choisir entre Christ et l’Antichrist, entre l’adoration de Dieu ou celle des idoles, entre l’effusion de l’Esprit de Dieu dans son culte ou toutes sortes de superstitions imposées. »24 Owen pensait que les liturgies étaient la meilleure arme de Satan pour neutraliser les dons et les grâces de Dieu, la communion avec l’Esprit et la direction du culte par le Christ, car être touché par l’Esprit, c’est être conduit par le Christ. Les liturgies poussent à négliger les dons de l’Esprit et à s’appuyer sur « une forme ennuyeuse de culte, composée de lectures et ne nécessitant aucun don particulier du Saint-Esprit chez le pasteur »25. L’approche d’Owen est nuancée et montre une certaine tolérance, en particulier dans la pratique de la prière, comparée, par exemple, à celle de John Bunyan ; ce qui est inacceptable, ce n’est pas de lire une prière ou de la composer à l’avance, mais d’imposer une forme prescrite invariable qui doit être utilisée ne varietur26. Comme chez Calvin, la simplicité et la spiritualité sont opposées à la foule des cérémonies romaines.

3) James Bannerman

Enfin, un autre cas peut être ajouté pour faire un triptyque. Au xixe siècle, le théologien écossais James Bannerman, écrivant sur le culte public, affirma que le devoir d’adoration était ordonné par l’Écriture. Ce devoir est naturel, tous étant appelés à adorer Dieu ; l’ordre public du culte est plus particulièrement institué dans l’Écriture, de même que la manière d’adorer27. Si le chemin vers Dieu est fermé pour l’homme pécheur, les conditions et la manière d’entrer dans sa présence doivent être dictées par Dieu lui-même et indiquées dans ce qui est expressément ordonné dans l’Écriture, ce qui limite le pouvoir de l’Église sur la conscience28. Le Christ a indiqué les doctrines et les institutions réglant l’adoration humaine ; les ajouts ne sont pas légitimes. L’Église n’a donc pas une fonction magistérielle ou inventive ; elle a une fonction ministérielle. « Le culte public a été positivement institué et prescrit pour que des pécheurs puissent s’approcher de Dieu et être en communion avec lui. »29 Toutefois, Bannerman poursuivit en ajoutant une distinction entre les questions cultuelles qui sont in sacris et celles qui sont circa sacra. Les premières concernent les cérémonies et les institutions dans le culte que nous devons rendre à Dieu, sur lesquelles l’Église n’a aucun pouvoir et qu’elle est appelée à administrer, selon ce que le Christ a ordonné dans l’Écriture, sous son autorité. Les secondes sont les questions que l’Église se pose au sujet du culte ; à cet égard, l’Église agit à des époques particulières et en différentes situations de manière à ce que « tout se fasse convenablement et dans l’ordre », selon la règle de 1 Corinthiens 14.33, 40. La lumière naturelle et la raison, les lois et les coutumes humaines sont ainsi respectées. De même, ce qui n’est pas « expressément consigné dans l’Écriture » peut « en être déduit comme une bonne et nécessaire conséquence »30. L’Église n’a aucun pouvoir dans le premier domaine, mais elle a des pouvoirs discrétionnaires dans le second.

Bannerman admet que cette distinction suscite la difficulté de tracer « la frontière entre les choses que l’Église a la compétence de régler dans les circonstances de son culte et celles qui sont expressément commandées et qu’elle n’a pas la compétence de régler »31. Cela semble impliquer qu’en ce qui concerne la forme de la liturgie, il est possible, dans une perspective réformée, de prendre en compte la situation humaine et les besoins liés à des circonstances et à une culture particulières, sans compromettre la conformité au principe régulateur32. Cela implique aussi qu’il y a formellement une place dans la liturgie pour une réponse humaine dans la confession, la prière et la louange, dans la mesure où le culte circa sacra ne s’oppose ni n’ajoute à la vérité révélée dans l’Écriture ou aux principes établis pour un culte convenable. À la lumière de ces facteurs, il semble possible de dire que la forme de culte proposée par Calvin, comprenant des réponses, respecte le principe régulateur tout autant que celle d’Owen, malgré les apparences contraires. Dans les deux cas, le principe régulateur serait bafoué si le principe scripturaire était enfreint dans la manière dont Dieu est adoré ou dans le contenu du culte.

Cela conduit à une autre question qui devrait nous intéresser concernant le culte réformé, à savoir que le culte implique deux acteurs, Dieu et l’homme, une invitation et une réponse, ce qui est également la structure formelle des alliances dans l’histoire du salut. Cela soulève d’autres questions. Est-il légitime d’appliquer le principe régulateur de telle manière que la réponse et la participation de l’assemblée sont éliminées du culte ? Cela n’établit-il pas une nouvelle forme de prêtrise, le pasteur-enseignant devenant le seul acteur du culte, avec pour conséquence ce que Nicholas Wolterstorff appelait « la tragédie de la liturgie dans le protestantisme » ?33

2. Le culte réformé comme culte allianciel

Ce qui se passe le dimanche dans un lieu de culte n’est pas l’utilisation d’un bâtiment par tel ou tel prédicateur pour y faire ce qui lui convient, mais c’est très clairement un rassemblement de la communauté dans son assemblée légitime34.

Cette assemblée est convoquée par le Seigneur et est donc « le rassemblement de nous-mêmes » (Hé 10.25) pour rencontrer notre Dieu et lui rendre un culte en tant que communauté réconciliée35. En tant que Sauveur, le Seigneur appelle à l’adoration et, quand son peuple s’approche pour le rencontrer, il laisse le monde derrière lui. « Tout péché, toute activité dans un monde pécheur, toutes les conséquences de péchés antérieurs, tout l’impact sur notre cœur d’un monde démoniaque niant Dieu, tout cela nous sépare de Dieu et laisse un espace vide entre Dieu et notre âme », mais cela disparaît dans la présence bouleversante de celui qui nous appelle. Le culte est donc « un rassemblement de la communauté du Christ, afin de rencontrer ensemble l’Être éternel », et non une réunion visant la propagande, l’évangélisation ou le divertissement36. L’appel de Dieu et sa présence façonnent le culte, la liturgie de l’assemblée. Comme l’a dit Abraham Kuyper : « Toute liturgie est fondée sur l’idée selon laquelle l’Église a autorité sur le ministre et non le ministre sur l’Église en ce qui concerne la manière dont notre culte sera pratiqué dans les rassemblements des croyants. »37 Comment donc l’appel et la présence de Dieu sont-ils régulateurs du culte allianciel ?

Les alliances bibliques sont fondées sur l’appel divin, l’invitation de Dieu, des stipulations et des promesses, et la réponse humaine dans l’alliance : serments et promesses fermes de la part de Dieu et sérieuses obligations de notre part38. « Les diverses alliances bibliques comprennent l’auto-obligation de Dieu (grâce) comme premier mouvement nécessaire, et une obligation que Dieu impose aux êtres humains, qui leur apportera bénédiction en cas de bonne conduite. »39 Cette structure a de profondes implications pour toute la vie humaine, en particulier pour le culte puisque c’est là que nous rencontrons Dieu, notre Créateur et Sauveur, d’une manière fondamentale.

Le culte divin, dans une perspective chrétienne, est une rencontre joyeuse, alliancielle et publique avec le Seigneur ressuscité. C’est le Seigneur lui-même qui nous appelle dans sa présence et, à la fin, nous accorde sa bénédiction ; ce qui se passe entre ces deux moments est une activité cultuelle alliancielle. Celle-ci prend la forme de la liturgie qui exprime les structures de base, l’ordre et la nature de la relation entre Dieu et son peuple. Dans un contexte réformé, la forme du culte répète l’histoire de la rédemption, son fondement messianique et reflète l’ordre du salut40. Elle tourne nos regards vers le ciel, sursum corda, parce que notre autel n’est pas sur la terre, mais dans le ciel, où le grand-prêtre nous représente et nous reçoit. « Il n’est pas nécessaire d’apporter un autre sacrifice, parce que le sacrifice du Christ est parfait. Non seulement le péché a été entièrement expié, mais le Christ nous a également obtenu une justice et une sainteté parfaites. Et le seul sacrifice qui demeure est notre propre abandon à la mort par notre acte de foi parfaite. »41 Par la foi, nous sommes unis au Seigneur ressuscité dont la vie d’obéissance a scellé la nouvelle alliance pour nous.

Comment pouvons-nous donc décrire la fonction cultuellement structurante de l’alliance ? De nombreux exemples bibliques pourraient être utilisés pour illustrer le principe, mais, ici, nous préférons suivre une suggestion faite par le théologien réformé suisse Jean-Jacques von Allmen42. L’ordre du salut dans le cadre de l’alliance peut être décrit comme étant structuré d’une manière sacramentelle et sacrificielle, Dieu nous appelant en Christ à nous présenter nous-mêmes en sacrifices vivants à son service (logikèn latreian, Rm 12.1). Dans le culte, nous rencontrons le Seigneur et son salut, et nous répondons à cet appel43. Ceux qui ont reçu le don du Saint-Esprit le jour de Pentecôte sont devenus une communauté fondée sur l’enseignement des apôtres, la fraction du pain et les prières (Ac 2.42 ; 20.7). Le Seigneur rassemble régulièrement son peuple pour renouveler son alliance avec lui. Le culte a donc un double aspect : il est sacramentel (Dieu proclame le mystère divin du salut) et sacrificiel (nous offrons au Seigneur notre service obéissant). Von Allmen comprend ces termes dans le sens proposé par Mélanchthon dans son Apology for the Confession of Augsburg : « Les théologiens ont à juste titre coutume de distinguer le sacrement et le sacrifice […] Un sacrement, c’est une cérémonie ou une œuvre dans laquelle Dieu réalise pour nous ce qu’offre la promesse jointe à la cérémonie […] En revanche, un sacrifice est une cérémonie ou une œuvre que nous rendons à Dieu, pour l’honorer. »44 Pour le dire autrement, la forme liturgique du culte et son contenu sont structurés par ces deux éléments complémentaires, qui pourraient être appelés plus simplement le don et la gratitude.

Von Allmen estime que cette distinction peut « être appliquée aussi à l’Église qui est tout ensemble sacrement et sacrifice, grâce et action de grâce, don de Dieu et obéissance de l’homme »45. A partir de ces deux aspects de l’alliance, l’acte divin et la réponse humaine, on peut tenter de décrire une forme liturgique possible du culte chrétien. L’action divine et la réponse humaine sont conjointes de telle manière que Dieu se fait connaître à nous et est entendu par nous, et nous confessons qu’il est Dieu et nous lui exprimons notre allégeance.

Il peut difficilement échapper à notre attention que la réciprocité du sacrement et du sacrifice est présente dans la théologie et le langage catholiques romains de post-Vatican II. Le Catéchisme de l’Église catholique déclare : « L’eucharistie est également le sacrifice de l’Église. L’Église, qui est le Corps du Christ, participe à l’offrande de son Chef. Avec Lui, elle est offerte elle-même tout entière. Elle s’unit à son intercession auprès du Père pour tous les hommes. Dans l’eucharistie, le sacrifice du Christ devient aussi le sacrifice des membres de son Corps. La vie des fidèles, leur louange, leur souffrance, leur prière, leur travail sont unis à ceux du Christ et à sa totale offrande, et acquièrent ainsi une valeur nouvelle. Le sacrifice du Christ présent sur l’autel donne à toutes les générations de chrétiens la possibilité d’être unis à son offrande. »46 Mais le problème, comme dans l’étude d’Eduard Schillebeekx, Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, est que le sacrement engloutit le sacrifice, et le sacrifice lui-même devient sacramentel. Cela semble être le résultat de l’interprétation théandrique de Chalcédoine que fait Schillebeeckx : « Le Christ est Dieu d’une manière humaine, et homme d’une manière divine. En tant qu’homme, il vit sa vie divine dans et selon l’humanité. Tout ce qu’il fait comme homme est […] acte de Dieu en manifestation humaine, traduction et transposition d’activité divine en activité humaine. »47 Ainsi, Israël assume un rôle sacramentel dans le salut, le Christ devient le sacrement « primordial » de Dieu pour l’humanité, puisque « le Christ lui-même est l’Église, communauté invisible de grâce avec le Dieu vivant »48 et l’Église devient donc sacrement du Christ ressuscité, la rencontre avec Dieu. Lorsque le sacrement engloutit le sacrifice, la réponse humaine consistant à offrir un culte à Dieu perd sa pleine humanité. L’hospitalité donnée et l’hospitalité reçue sont deux réalités distinctes.

Tout comme Dieu et l’homme existent l’un pour l’autre dans l’alliance, de même dans l’alliance le sacramentel et le sacrificiel sont faits l’un pour l’autre. L’élection et l’appel de Dieu sont sacramentels, pour nous, la réponse de l’homme est sacrificielle pour Dieu, à qui il rend grâces et obéit. Le sacramentel est prioritaire parce que, sans le salut et la présence de Dieu, le sacrificiel dégénère en un culte centré sur l’homme, un mantra, un cri de détresse ou de vaines offrandes superstitieuses. Le sacrement étant donné, le sacrifice devient louange pour la grâce reçue et sainte obéissance de consécration pour servir le Seigneur. Comme le déclare von Allmen, le kérygme, la cène et les commandements divins sont sacramentels ; la foi, l’espérance et l’obéissance dans l’amour sont des réponses sacrificielles à la grâce.

Cette structure implique que l’Église n’est pas libre d’inventer une liturgie en empilant ceci et cela comme les ingrédients du sandwich de Gerald Bray. L’Église n’invente pas, elle répond à l’appel de Dieu ; le sacrifice de l’Église provient de et est soutenu par le sacrement de l’Église, y compris la liturgie49. Le culte n’est pas non plus en constante mutation, parce que les éléments sacramentels appartiennent au Seigneur et demeurent irréformables, in sacris, alors que les aspects sacrificiels du culte, circa sacra, sont réformables à la lumière d’une meilleure compréhension de l’Évangile dans la réponse humaine, de sa contextualisation dans différentes situations culturelles, et évoluent dans leur expression historique. Le culte peut donc prendre des formes différentes en différents endroits, mais les aspects sacramentels de l’Évangile sont les mêmes. Nous croyons la même chose que les témoins et martyrs de l’Église ancienne, mais nous nous exprimons différemment50.

Ces propositions pourraient sembler nous éloigner du principe régulateur et nous rapprocher d’une sorte de principe normatif dans le culte. Nous ne proposons rien de la sorte, mais plutôt la recherche d’une structure cultuelle qui respecte la bipolarité de l’alliance et de la rencontre avec Dieu. Notre réponse alliancielle dans le culte et la liturgie doit être en harmonie avec le traité d’alliance, l’Écriture, même quand il s’agit d’une réponse spontanée. Cela signifie, par exemple, que si le chant des psaumes est la réponse idéale dans le domaine de la musique, ceux-ci ayant été donnés par Dieu lui-même à cette fin (Ep 5.19 ; Col 3.16), d’autres réponses ne sont pas illégitimes, comme les hymnes de composition humaine mais orthodoxes dans leur expression et fidèles à la révélation biblique. Si nos réponses chantées sont imprégnées de la Bible, elles sont légitimes51, et c’est notre responsabilité de ne pas chanter ni prier des contenus hérétiques.

Le peuple de Dieu est constamment appelé, dans son culte, à chercher une adéquation optimale entre le sacrificiel et le sacramentel, afin que Dieu soit adoré « en esprit et en vérité » (Jn 4.24). Dans le sacramentel, nous exprimons la catholicité de l’Église et, dans le sacrificiel, nous exprimons le fait que « l’Église corinthienne faisait les choses d’une autre manière que l’Église de Jérusalem »52. Mais comment et de quelle manière cela peut-il être appliqué à la forme de la liturgie réformée ?

3. La forme de la liturgie de la nouvelle alliance

C’est à l’époque d’Énoch que l’on a commencé à invoquer le nom de l’Éternel, ou à lui rendre un culte (Gn 4.26), et les chrétiens invoquent Dieu au nom de Jésus, qui se tient au milieu d’eux (Mt 18.20 ; 28.20). Cela signifie reconnaître publiquement la présence de Dieu et lui rendre un culte par sa grâce et la médiation du Christ. Dieu fait connaître son nom et s’identifie comme le Seigneur et nous répondons à son initiative. L’invitation et la réponse sont deux aspects complémentaires du culte qui expriment la rencontre divine et humaine dans la communion de l’alliance. Malheureusement cette bipolarité du culte a généralement disparu, même dans les milieux réformés et presbytériens aujourd’hui, et, dans le mouvement évangélique, l’opposition à la liturgie anglicane s’est traduite soit par une crainte excessive de transgresser le principe régulateur, soit par une survalorisation du chant.

Certes, il n’y a pas de forme cultuelle prescrite dans le Nouveau Testament53. L’ordre du culte est sacrificiel et peut varier selon les époques et les situations culturelles. Mais cela ne signifie pas que tous les éléments nécessaires pour réfléchir théologiquement à la forme du culte ne sont pas présents dans l’Écriture. Du début à la fin, le culte devrait être un dialogue vivant entre la Parole de Dieu et notre réponse. Lorsque Calvin a élaboré la liturgie de Genève, je crois qu’il a essayé de faire justice à la fois à l’écoute de Dieu et à la réponse des croyants à sa Parole. Toute rencontre avec Dieu comporte la repentance et le pardon parce que nous sommes pécheurs, même si nous sommes le peuple de Dieu. Une liturgie digne de ce nom suit un mouvement dynamique allant de l’adoration à la confession des péchés, au salut en Christ et à la louange. Tout cela conduit à une confession commune de la foi qui nous prépare à recevoir la parole prêchée et le repas du Seigneur, qui devrait faire partie intégrante de la liturgie de l’Église, et non être un supplément.

Sans prétendre être exhaustif, ce qui suit est une tentative d’indiquer quelques éléments appartenant aux aspects sacramentels et sacrificiels du culte54 :

  1. Dans les aspects sacramentels du culte, nous rencontrons Dieu pour écouter et entendre ce qu’il a fait pour réaliser notre salut. Ils comprennent les éléments bibliques suivants qui façonnent la liturgie de l’assemblée et constituent son squelette :

    • L’invocation (« Notre aide est dans le nom du Seigneur… ») et la salutation exprimant l’accueil bienveillant de Dieu dans sa présence – par exemple « La grâce et la paix… » (et non « Bonjour à tous ! » ou « Saluez les personnes autour de vous ! »). C’est un élément essentiel, mais largement oublié, de la liturgie ; nous nous approchons de Dieu et reconnaissons qu’il est notre Dieu et que nous sommes son peuple. La rencontre de Dieu avec nous est la condition du culte – et cela peut s’exprimer par un psaume (100, 121, 122, notamment), un texte comme 1 Timothée 1.2 ou un des « je suis » du Christ, qui nous invite à l’adoration.
    • L’écoute de la loi de Dieu à partir de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Nous entrons dans la présence de Dieu chaque semaine en tant que pécheurs ayant besoin de pardon. Ce n’est pas du légalisme ; c’est conforme au « troisième usage de la loi » dans la vie chrétienne. La présence de la loi et de la promesse illustre en miniature la structure de l’historia salutis.
    • Dieu parle par l’Écriture, lue dans les deux Testaments.
    • La prédication de la Parole de Dieu (utilisant la lectio continua) est sa parole pour nous lorsque l’Écriture est fidèlement prêchée.
    • Les « paroles visibles » de la cène et du baptême.
    • La bénédiction (celle d’Aaron ou une autre) termine le culte. Il semble important que le ministre ou l’ancien prononce la bénédiction au nom du Seigneur pour être reçue par l’assemblée (les membres de la communauté ne se bénissent pas les uns les autres, comme cela se fait dans certaines Églises). Nous quittons la présence de Dieu renouvelés et emportons sa bénédiction avec nous dans nos activités profanes.
  2. Les aspects sacrificiels du culte sont entremêlés avec les aspects sacramentels et comprennent les éléments bibliques suivants :
    • La confession des péchés en réponse à la loi de Dieu (on pourra utiliser 1 Jean 1.5-10, un autre texte biblique ou un texte comme la confession de Calvin).
    • Prière pour le pardon, prière avant le sermon, prière d’intercession et prière de louange, ainsi que le Notre Père55. Toute prière est offerte avec un contenu biblique, comme suggéré par le Westminster Directory. La prière libre dépend de la situation de l’assemblée.
    • Le chant des psaumes et hymnes56.
    • La confession de foi de l’Église (Symbole des Apôtres, Symbole de Nicée ou d’Athanase, confessions bibliques telles que Philippiens 2, une question du Catéchisme de Heidelberg ou article d’une confession de foi, par exemple)57.
  3. Les anciens de l’Église, agissant en tant que serviteurs de Dieu, conduisent les premiers aspects du culte ; l’assemblée répond collectivement, comme un corps, dans les seconds. L’ordre lui-même peut être ouvert à de nombreuses variantes.

L’agencement de ces éléments en un tout dynamique, structuré et cohérent, dans lequel les partenaires d’alliance jouent leurs rôles particuliers, forme la liturgie réformée. Calvin et d’autres, dont Abraham Kuyper, ont essayé de saisir cet aspect vivant, dialogique et relationnel du culte divin58. La forme liturgique idéale pour Kuyper était la suivante59 :

Tintement de la cloche – chant d’un psaume – entrée du conseil et poignée de main avec le pasteur – invocation – salutation – chant d’un psaume – exhortation à la confession – confession des péchés (prière liturgique, agenouillement) – absolution – Symbole des Apôtres (dit ou chanté par l’assemblée) – chant d’un psaume – lecture de l’Écriture – prière avant le sermon, conclue par le Notre Père – sermon – offrande et chant d’un psaume, prière pour les besoins de la chrétienté – chant d’un psaume – lecture des Dix Commandements – bénédiction.

Deux aspects de cet ordre liturgique sont particulièrement désagréables à notre génération, en particulier les évangéliques. Premièrement, l’idée de Kuyper selon laquelle la liturgie est née de la restriction de la liberté du ministre. Et, deuxièmement, la forme est considérée comme non spirituelle60. Toutefois, dans les deux cas, la forme de la liturgie restreint l’action arbitraire qui dégénère en absence de forme, et donc de mouvement. La liturgie réformée se sert de la forme et la forme est pleine de sens, à cause de l’ordre des actes qui structurent le culte. La liturgie n’est pas un ajout à ce qui a été ordonné et commandé par le Christ et les apôtres, dont certains disent qu’ils ne connaissent rien de la liturgie61. C’est un reflet de la rencontre divino-humaine dans le jugement du péché et le don de la grâce. Lorsqu’elle reflète l’historia salutis, la structure devient un moyen dont le Saint-Esprit se sert pour unir le corps des croyants dans la réalité et l’espérance du salut. C’est un bon antidote contre les orateurs ou chanteurs superstars et contre l’hyperspiritualité subjective qui est si présente dans le culte aujourd’hui.

4. Quelques avantages de la liturgie

Une structure liturgique a également quelques avantages oubliés62. Premièrement, la régularité est importante dans la vie humaine, et la liturgie réformée a l’avantage de la répétition. Ésaïe adresse l’exhortation suivante au peuple de Dieu : « Quand vous venez pour paraître en ma présence […] Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de ma vue vos agissements mauvais, cessez de faire du mal. Apprenez à faire du bien […]. » (Es 1.12, 16, 17). Ces versets reprennent essentiellement la forme de la liturgie réformée : la rencontre avec Dieu fortifie nos liens avec lui et nous détache du monde afin que nous apprenions à faire le bien. En tant que peuple réconcilié, nous devenons des pèlerins, chez nous avec Dieu, et moins chez nous dans le monde63. Comme le dit John Bolt : « Le culte chrétien se distingue de la vie quotidienne au service de Dieu par la liturgie du peuple de Dieu appelé et rassemblé dans laquelle il s’attache à l’histoire du salut et se détache des contre-histoires du monde. »64 La forme de la liturgie structure notre vie, avec pour finalité le sabbat éternel. La régularité même de la liturgie sert à garder cette réalité finale devant nous. C’est l’histoire qui façonne notre existence, et parce que nous oublions facilement, nous avons besoin d’entendre régulièrement que c’est notre fondement et que nous sommes un peuple pèlerin chargé d’annoncer le royaume et n’ayant pas de résidence permanente ici-bas.

Deuxièmement, la mémoire est importante. Avec les textes bibliques, les symboles du culte réformé utilisés dans sa liturgie sont de grande valeur dans les périodes de crise et de détresse, car, par la répétition, ils sont gravés dans notre mémoire, voire dans notre subconscient. Le Notre Père, la confession des péchés, les Dix Commandements, les paroles d’invocation ou la bénédiction et les articles du catéchisme sont des ancres qui demeurent lorsque tout le reste disparaît, et ils nous permettent de garder la tête au-dessus de l’eau quand nous risquons de nous noyer. Qui sait de quoi cette structuration mentale pourra nous sauver à une époque où les êtres humains vivent plus longtemps, du moins en Occident ? Mémorisés, ces textes chrétiens et d’autres deviennent une seconde nature.

Enfin, la liturgie n’est pas juste pour le ressourcement, mais lorsqu’elle est absente, comme le souligne Nicholas Wolterstorff, c’est la vie entière qui en est affectée65. Dans la forme sacramentelle et sacrificielle de la liturgie réformée, Dieu est intégré dans une histoire qui est à la fois la sienne et la nôtre, et dont il est le Seigneur. Nous nous rappelons la promesse que Dieu nous a faite dans le passé, attendons le futur avec espérance et, dans le présent, nous nous attachons et obéissons à la Parole de Dieu. La liturgie donne une structure téléologique à notre vie passée, présente et future, car nous avons reçu la promesse du Seigneur dans le baptême, l’espérance du salut dans la cène et, jour après jour, nous cherchons à vivre de manière sacrificielle à son service. L’ensemble de la liturgie réformée a une valeur symbolique suggestive et nous rappelle les choses essentielles de notre vie chrétienne en tant que nouvelles créatures en Christ66. Le culte dominical illustre la structure de la vie chrétienne qui est, à la fois, souvenir et attente. Ainsi toute la vie est adoration, rien n’est séculier, tout est rythmé par ce que Dieu a fait67. À cet égard, la cène fait partie intégrante de la liturgie réformée. « Tout comme l’Évangile est annoncé symboliquement dans le sacrement, il est annoncé structurellement dans la liturgie. »68 L’un comme l’autre présentent le Christ, qui est notre vie.

Conclusion : la tragédie liturgique ?

Le culte dans les Églises presbytériennes et évangéliques dans le monde occidental aujourd’hui néglige invariablement la réponse de l’assemblée, ce qui pourrait être une des raisons de l’essor des cultes dominés par la musique69. Le chant des psaumes a presque disparu, y compris dans certaines dénominations presbytériennes orthodoxes aux États-Unis70. Les cultes négligent généralement le chant des psaumes, le Notre Père, la confession de foi prononcée par tous, la lecture des deux Testaments et la loi de Dieu (y compris le Décalogue). La suppression à grande échelle des éléments sacramentels du culte contribue à l’appauvrissement de nos rencontres avec le Dieu vivant et conduit à une concentration excessive sur les capacités du prédicateur. Combien de croyants évangéliques auraient du mal aujourd’hui à réciter le Credo, les Dix Commandements ou le Notre Père, sans parler du Te Deum ? C’est une triste perte de repères de foi qui nous lient au Seigneur de l’alliance.

Comment un ordre liturgique est-il créé ? En organisant les aspects sacramentels et sacrificiels du culte pour mettre en avant l’Évangile. À cet égard, la liturgie, comme le dit Michael Horton, « procure des manières de prêcher la Parole avant même que le sermon ne commence »71. Tous les éléments peuvent être directement fondés sur l’Écriture, trouvés dans les textes classiques de l’Église ou au sein de la tradition réformée. La liturgie de Calvin, le Directory of Public Worship des théologiens de Westminster ou même le Livre de la prière commune pourraient nous aider à réfléchir à ce qui convient à l’ordre liturgique.

Si les éléments du culte liturgique sont centrés sur la Bible et christocentriques dans leur contenu, la présence du Saint-Esprit peut être invoquée avec confiance pour animer le reste.


  1. Paul Wells est professeur émérite de la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Ce texte est celui de la conférence qu’il a faite le 3 septembre 2015 lors de la Rutherford House Dogmatics Conference. Traduction Jean-Philippe Bru.↩︎

  2. Terry L. Johnson, Worshipping with Calvin, Darlington, Evangelical Press, 2014, p. 244.↩︎

  3. John Owen, Works, 16, “Discourse on Liturgies”, chap. 1.↩︎

  4. James I. Packer, Among God’s Giants, Eastbourne, Kingsway, 1991, p. 324.↩︎

  5. Ibid., p. 328. Aucune référence indiquée.↩︎

  6. Gerald Bray, God is Love. A Biblical and Systematic Theology, Wheaton, Crossway, 2012, p. 710.↩︎

  7. Johnson, Worshipping with Calvin, p. 75ss.↩︎

  8. Daniel R. Hyde commente ainsi la référence au principe régulateur : « Il devient de plus en plus courant, dans les milieux réformés conservateurs et traditionnels, d’attribuer l’expression ‹principe régulateur du culte› à John Murray. » Hyde présente les contributions récentes au débat dans “‘The fire that kindleth all our sacrifices to God’. Owen and the work of the Holy Spirit in Prayer”, The Ashgate Research Companion to John Owen’s Theology, sous dir. Mark Jones, Kelly M. Kapic, Farnham, Ashgate Publ., 2012, p. 251, n. 10.↩︎

  9. Mark A. Noll, Turning Points, Grand Rapids, Baker Books, 1998, p. 193.↩︎

  10. Hughes Oliphant Old, Worship Reformed According to Scripture, revised and expanded edition, Louisville, Westminster John Knox Press, 2002, chap. 1.↩︎

  11. William Young, The Puritan Regulative Principle of the Church. Initialement publié sous la forme d’une série dans The Blue Banner Faith and Life, vol. 14, n° 2, avril-juin 1959, vol. 16, n° 1, janvier-mars 1961, et “The Puritan Principle of Worship”, in Puritan Papers, I : 1956-1959, ed. D. Martyn Lloyd-Jones, Phillipsburg, P&R Publishing, 2000, p. 141-153.↩︎

  12. Parfois appelé principe normatif par contraste avec le principe régulateur, alors que le principe romain est appelé « le principe inventif ». J’ignore qui a inventé ces termes.↩︎

  13. IRC, I, ii, 2.↩︎

  14. Ibid., II, viii, 17, sur le deuxième commandement. Dans son étude sur les saints et les martyrs, Why Can the Dead Do Such Great Things ? (Princeton University Press, 2013), Robert Bartlett souligne que dans le contexte des religions du monde « seuls, les protestants européens et leurs descendants dans le reste du monde se sont réellement détournés des saints » (p. 637). C’est, sans aucun doute, un fruit du principe régulateur dans le culte.↩︎

  15. Ce sont des manifestations extérieures du rationalisme et du mysticisme critiqués par B.B. Warfield et du rationalisme et de l’irrationalisme critiqués par C. van Til en tant qu’ennemis du théisme chrétien.↩︎

  16. William Ames, The Marrow of Theology, Grand Rapids, Baker, 1997, p. 288, oppose le culte institué et le culte produit par la volonté humaine, inventé par les hommes et illicite. La superstition est un excès de religion par addition. Le culte institué est le moyen ordonné par la volonté de Dieu pour enrichir le culte naturel et est entièrement établi dans le deuxième commandement. Cf. James Bannerman, The Church of Christ, I, Edinburgh, 1869, p. 324, 327.↩︎

  17. IRC, IV, x, 8.↩︎

  18. John R. de Witt, “The Form of Church Government”, in To Enjoy and Glorify God. A Commemoration of the 350th Anniversary of Westminster Assembly, ed. John L. Carson and David W. Hall, Edinburgh, Banner of Truth Trust, 1994, p. 166.↩︎

  19. Hyde, art. cit., p. 251, n. 11-13.↩︎

  20. Calvin, Opera, VI, p. 161-210.↩︎

  21. Hyde, art. cit., p. 255. Calvin disait avec modération que le second Livre de prière edwardien de 1552 contenait multas tolerabiles ineptias (Packer, Among God’ Giants, p. 326). Calvin aurait également désapprouvé la critique faite par les puritains indépendants comme étant « un vieux et mauvais rafistolage ». James H. Nichols, Corporate Worship in the Reformed Tradition, Louisville, Westminster John Knox Press, 1965, p. 105.↩︎

  22. Comme certaines critiques à l’encontre des écrits de John Frame sur le culte (Worship in Spirit and Truth and Contemporary Worship Music, Phillipsburg, Presbyterian and Reformed, 2012) l’ont récemment affirmé. Voir The Regulative Principle of Worship. A report adopted by the Association of Reformed Baptist Churches of America, March 8, 2001.↩︎

  23. Cf. Nichols, Corporate Worship in the Reformed Tradition, chap. V, sur le puritanisme et le mouvement antiliturgique.↩︎

  24. Owen, Works, 9, p. 402, cité par Hyde, art. cit., p. 252, n. 21. Dans une étude plus détaillée, les remarques d’Owen sur la liturgie auraient été replacées dans le contexte de sa théologie des appropriations trinitaires. On rend un culte au Dieu trinitaire par l’entremise des personnes : le Père, péché et confession ; le Fils, pardon et union ; l’Esprit, communion.↩︎

  25. Hyde, art. cit., p. 258.↩︎

  26. Iain H. Murray, “On the Directory for Public Worship”, p. 185-189, in To Enjoy and Glorify God, indique que le souci des théologiens de Westminster n’était pas les prières fixes ou les prières spontanées ; il était de prier d’une manière qui soit biblique, réfléchie et édifiante. Cf. aussi Nichols, Corporate Worship in the Reformed Tradition, p. 98-105.↩︎

  27. Bannerman, The Church of Christ, I, p. 340-343.↩︎

  28. Cf. Confession de foi de Westminster, Kerygma, Aix-en-Provence, 1988, XX, 2.↩︎

  29. Bannerman, The Church of Christ, I, p. 348.↩︎

  30. Confession de foi de Westminster, I, 6.↩︎

  31. Bannerman, The Church of Christ, p. 354, fait référence à trois critères permettant de distinguer entre in sacris et circa sacris, décrits par George Gillespie dans Dispute Against the English-Popish Ceremonies Obtruded upon the Church of Scotland (1637). Les cérémonies et les circonstances sont distinguées comme suit : i) les circonstances n’appartiennent pas à l’essence du culte ; ii) les circonstances ne sont pas directement déterminables par l’Écriture ; iii) l’Église gère les circonstances mais pas les éléments du culte. Il est clair que d’autres considérations pourraient être ajoutées.↩︎

  32. Je ne dis pas que Bannerman l’aurait vu lui-même de cette manière.↩︎

  33. Nicholas Wolterstorff, Justice et paix s’embrassent, Genève, Labor et Fides, 1988, chap. 12. Cf. les commentaires d’Abraham Kuyper sur l’Église devenant une salle de conférence au lieu de l’assemblée des croyants (Our Worship, Grand Rapids, Eerdmans, 2009, p. 15, 189).↩︎

  34. Kuyper, Our Worship, p. 6, 8.↩︎

  35. Ibid., p. 9-10, 13, 16.↩︎

  36. Ibid., p. 14, 15.↩︎

  37. Ibid., p. 6.↩︎

  38. Deutéronome 10.10-22. Cf. Ames, The Marrow of Theology, p. 278-279. Les mots « pour toi-même » dans les commandements et dans l’Ancien Testament impliquent la réciprocité de l’alliance.↩︎

  39. William J. Dumbrell, Covenant and Creation, Milton Keynes, Paternoster, 2013, p. 2.↩︎

  40. Von Allmen, Célébrer le salut, p. 12-36.↩︎

  41. Kuyper, Our Worship, p. 22, et sur l’autel, p. 20-23.↩︎

  42. Dans ses livres : Une réforme dans l’Église, Grembloux, Duculot, 1971, p. 13-16, et Célébrer le salut, Labor et Fides/Cerf, Genève/Paris, 1984, p. 46-50.↩︎

  43. Von Allmen, Célébrer le salut, p. 47-50, parle de la nuptialité de la rencontre avec le Christ qui révèle ce qu’est l’Église en tant qu’épouse du Christ.↩︎

  44. Ibid., p. 46-47, et Une réforme, p. 13, citant Mélanchthon, Die Bekenntnisschriften der evangelisch-lutherischen Kirche, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1930, p. 354. Le langage du sacrement et du sacrifice a très souvent été utilisé dans le débat sur l’eucharistie. Cf. Daniel Brevint, The Christian Sacrament and Sacrifice (1673, dont John Wesley a présenté une version abrégée qui a eu une grande influence sur le méthodisme : http:anglicanhistory.org/england/brevint (consulté le 15/08/2015).↩︎

  45. Von Allmen, Une réforme, p. 13.↩︎

  46. Catéchisme de l’Église catholique, Paris, Mame/Plon, 1992, p. 294, § 1368. Cf. Vatican II, Lumen Gentium, I, 13.↩︎

  47. Edward Schillebeecks, Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, Cerf, Paris, 1960 (traduction française) et 1997 (1959 pour l’original), p. 22.↩︎

  48. Ibid., p. 21.↩︎

  49. Von Allmen, Une réforme, p. 14.↩︎

  50. Von Allmen (ibid., p. 16) met en garde contre le monophysisme en ecclésiologie, où le sacrement dévore le sacrifice et la réforme devient impossible, et une sorte de nestorianisme en ecclésiologie dans lequel la relation du sacrificiel au sacramentel est rompue et l’Église s’amuse à opérer constamment des changements. Si le second est la tentation des Églises libérales, le premier pourrait être celle du culte évangélique conservateur coincé dans le passé.↩︎

  51. Johnson, Worshipping with Calvin, p. 129-148.↩︎

  52. Nicholas Wolterstorff, “The Reformed Liturgy”, in Major Themes in the Reformed Tradition, ed. D.K. McKim, Grand Rapids, Eerdmans, 1992, p. 277.↩︎

  53. Oscar Cullmann, Early Christian Worship, London, SCM Press, 1953.↩︎

  54. Nous n’abordons pas la question de savoir si tout le service devrait être conduit par le ministre, ni quand l’assemblée devrait se lever, s’asseoir ou s’agenouiller.↩︎

  55. Kuyper, Our Worship, p. 35, fait référence à quatre aspects de la prière : confession, adoration, action de grâce et supplication.↩︎

  56. Sur la disparition de la psalmodie dans le protestantisme, voir Johnson, Worshipping with Calvin, p. 128-138.↩︎

  57. Les annonces et les offrandes font-elles partie du culte chrétien ? Les offrandes ont un plus grand appui biblique que les annonces. Les annonces peuvent être données avant le début du culte, et on peut permettre aux croyants de laisser leur offrande à la sortie plutôt que de la recueillir pendant le culte.↩︎

  58. Le mouvement et la téléologie sont généralement absents du culte évangélique moyen. Contre le culte informe, le Livre de la prière commune n’est pas sans avantages formels.↩︎

  59. Kuyper, Our Worship, xl.↩︎

  60. Ibid., p. 10-11, 24-27.↩︎

  61. Comme dans Owen, Discourse on Liturgies, p. 48-58.↩︎

  62. Johnson, Worshipping with Calvin, p. 225-239.↩︎

  63. Kuyper, Our Worship, p. 14-15.↩︎

  64. John Bolt, “All life is worship ?”, in Kuyper, Our Worship, p. 326, les italiques sont de Bolt.↩︎

  65. Wolterstorff, Justice et paix s’embrassent, p. 149ss.↩︎

  66. C’est l’inverse des approches phénoménologiques actuelles du culte où la culture et l’expérience humaines sont traitées comme un large champ symbolique transmettant le mystère et le divin par lesquels « Dieu continue à affecter l’ensemble de la vie ». Cette approche propose un nouveau modèle pour comprendre la religion dans laquelle « la révélation continue à grandir et se développer sous Dieu au sein des traditions de la communauté » qui sont réceptives à des influences extérieures dans un processus d’écoute et une ouverture d’esprit. En fait, il est suggéré qu’il peut y avoir de meilleures compréhensions de Dieu en dehors de la tradition qu’à l’intérieur. Voir, par exemple, comment ces affirmations sont développées par David Brown, God and Mystery in Words. Experience Through Metaphor and Drama, Oxford University Press, 2008, p. 270ss.↩︎

  67. Wolterstorff, Justice et paix s’embrassent, p. 154.↩︎

  68. Bryan Chapell, Christ-Centered Worship : Letting the Gospel Shape out Practice, Grand Rapids, Baker Academic, 2009, p. 84.↩︎

  69. Wolterstorff, Justice et paix s’embrassent, p. 158-159, sur les dangers que le culte réformé devienne un « didacticisme ».↩︎

  70. Johnson, Worshipping with Calvin, p. 218ss.↩︎

  71. Michael Horton, A Better Way. Rediscovering the Drama of God-Centered Worship, Grand Rapids, Baker, 2002, p. 142.↩︎

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