Deux livres récents

DEUX LIVRES RÉCENTS

Gordon Campbell: L’Apocalypse de Jean. Une lecture thématique

(Cléon d’Andran: Editions Excelsis, 2007)

Le lecteur ne trouvera pas ici un commentaire verset après verset de ce livre. Il ne trouvera pas non plus les classiques explications sur le contexte historique qui essayent de décrypter ce que certains pensent être un message codé. Campbell voit dans cette recherche un pré-texte qui, en donnant trop vite une clé, risque de voiler l’intention du livre biblique. Du coup, il prend aussi une certaine distance vis-à-vis de la méthode historico-critique pour se situer dans la suite des recherches structurelles et narratives tout en les dépassant.

Sa réflexion se fonde sur une lecture thématique: il entreprend d’aborder l’Apocalypse en étudiant un certain nombre de thèmes qui traversent ce livre. Gordon Campbell discerne comme fil conducteur: la fausse divinité, la contrefaçon messianique, le faux culte, l’humanité aux prises avec la propagande, la ville comme épouse fidèle ou infidèle, l’alliance. Cette sèche et rapide énumération cache une riche présentation de thèmes qui s’entrecroisent et se répondent.

On y voit, par exemple, l’importance de la parodie. Ainsi les forces du mal (les deux bêtes, le diable) n’essaient pas de prendre Dieu de front, mais de prendre sa place en l’imitant. L’Apocalypse décrit une parodie de la Trinité, du messie, ou encore du repas du Seigneur. La propagande est une parodie de la Parole de Dieu, une «usine à mensonge», comme le dit Paul Claudel. On pourrait ajouter que cette parodie se trouve aussi dans d’autres passages bibliques comme ce qu’on appelle l’apocalypse synoptique: «De faux messies et de faux prophètes se lèveront et feront des signes et des prodiges pour égarer, si possible, même les élus» (Mc 13.22).

Pour Campbell, l’Apocalypse reprend l’ensemble de l’histoire d’Israël et ceci dès le début, avec les lettres aux sept Eglises qui ne peuvent être dissociées du reste du livre. La Babylone du chapitre 18 n’est pas, pour lui, la description de la vie économique de Rome, mais celle de la corruption de Jérusalem telle que les prophètes l’ont décrite. L’Apocalypse est une histoire derrière l’histoire. Le chaos de l’histoire cache la réalité du dessein de Dieu dans lequel s’insère le messie. Le Christ-Agneau de l’Apocalypse est bien le Jésus-Christ de l’Evangile. Ce livre n’est pas un dernier livre dont on ne sait pas trop quoi faire – Luther et Calvin ont renoncé à le commenter le trouvant trop difficile. Ce n’est pas un post-scriptum qui a eu du mal à entrer dans le canon. C’est au contraire un livre qui se veut le couronnement de l’Ecriture. Gordon Campbell affirme la cohérence de l’ensemble de cette Ecriture, non seulement par les nombreuses et constantes citations de l’Ancien Testament et par l’enracinement dans l’histoire d’Israël, mais aussi par le rappel de l’œuvre de Jésus-Christ.

Mais qu’en est-il pour nous aujourd’hui? Assurément l’Apocalypse nous invite à résister aux propagandes, publicités, slogans, bref à tout ce qui dévalue et pervertit la parole. L’homme est séduit par des forces du mal qui veulent imiter l’action de Dieu. Le mal n’est pas le contraire du bien, c’est ce qui veut se mettre à la place du bien: dans le récit de la chute de Genèse 3, la faute de l’homme n’est pas d’être contre Dieu, mais de vouloir se prendre soi-même pour Dieu.

Gordon Campbell a cette belle phrase: «Si dans cette histoire Dieu a le dernier mot, c’est parce qu’il en a eu le premier» C’est l’invitation qui est adressée au lecteur de tous les temps: savoir discerner où est la Parole de Dieu non falsifiée. Il ajoute: «Notre auteur ne cesse de souligner… les obligations et responsabilités qu’a le fidèle partenaire dans sa relation avec Dieu, sous l’alliance nouvelle scellée par le sang de l’Agneau.» Pour Campbell, l’Apocalypse n’a pas à satisfaire une curiosité plus ou moins malsaine; en revanche, elle nous fait perdre nos fausses illusions: elle nous détourne de valeurs qui nous hypnotisent pour nous tourner vers l’unique vrai Dieu qui seul peut nous sauver.

Ce travail repose sur une documentation étendue où se retrouvent des auteurs anglo-saxons, allemands, français. Parmi ces derniers, on peut citer le père Allo, Brütsch, Prigent (pour la dimension liturgique), et en particulier Jacques Ellul, dont certaines intuitions se retrouvent chez Campbell, notamment sur la propagande.

On peut être reconnaissant à l’Irlandais Gordon Campbell d’avoir donné les fruits de ses recherches – déjà inaugurées dans un travail universitaire – au public francophone. Personnellement je suis toujours rempli d’admiration devant ces amis anglophones qui savent si bien manier notre langue.

Alain G. Martin

Paul Wells: De la croix à l’Evangile de la croix

(Cléon d’Andran, Editions Excelsis, 2007)

Aujourd’hui, des idées nouvelles foisonnent, invitant à «déconstruire» les théologies traditionnelles et, en première ligne, la théologie évangélique de la croix. Considérée comme un produit socioculturel d’une époque dépassée, cette old-time religion serait à remplacer par des perspectives stimulantes et osées, plus diversifiées, plus contextualisées, plus généreuses, moins violentes, moins machistes, moins malsaines et moins juridiques.

La vieille logique «Christ à notre place», celle du glorieux échange, de l’obéissance et du sacrifice, devrait faire place à celle du don, à l’ouverture et à l’accueil de l’autre qui inviteraient à aimer de façon inconditionnelle à l’exemple de Jésus. Et d’ailleurs, pour faire bonne mesure, on prétend qu’il n’y a pas de théologie biblique de la croix! La Bible nous présenterait une pluralité de modèles de Christ qui donnerait à penser et inviterait à agir chacun à sa façon.

Ce que ce livre propose n’est pas à la dernière mode. C’est clair! Ce que Christ a fait sur la croix se comprend mieux si les mots «sacrifice», «substitution» et «pénal» sont utilisés pour le décrire. La victoire et l’exemple de Christ ne sont pas oubliés, bien sûr, et complètent la perspective fondamentale du tableau. Notre époque invite à vérifier en permanence ce que le temps ne peut pas atteindre.

L’enjeu n’est pas insignifiant. La tragédie est non seulement d’accepter une contrefaçon et de la proposer éventuellement à d’autres, mais de penser et de vivre avec une idée qui est ultimement inacceptable pour Dieu lui-même.

«Qui dites-vous que je suis?» Que pensez-vous que Jésus a fait? Nous n’aurons jamais à donner de réponses plus importantes qu’à ces questions-là. Des réponses satisfaisantes procurent la certitude spirituelle de ce que Christ a réellement accompli pour notre salut, c’est-à-dire tout autre chose que ce qui est considéré comme intéressant à chaque instant qui passe.

P.W.

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