« Texte et historicité »

« Texte et historicité »

Brèves réflexions au fil d’un colloque

(4 décembre 2004)

Le 4 décembre dernier s’est tenu à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence un colloque universitaire sur le thème: « Texte et historicité ». Plusieurs spécialistes venus de près ou de loin, Alain Besançon (Membre de l’Institut), Henri Blocher (Faculté libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine & Wheaton College, aux Etats-Unis), Daniel Bourgeois (Grand Séminaire d’Aix-en-Provence), Zsolt Gereb (Institut de Théologie protestante de Cluj en Roumanie), William Edgar (Westminster Theological Seminary à Philadelphie, Etats-Unis) et Carsten P. Thiede1 (Universités de Paderborn, Bâle et Beer-Sheva), auxquels se sont joints les professeurs de la Faculté, Ronald Bergey, Pierre Berthoud, Gordon Campbell et Paul Wells, se sont penchés sur divers aspects de la question fondamentale de l’historiographie.

Qu’est-ce que l’histoire? Quelle est la fiabilité de documents prétendant faire le compte-rendu de « ce qui a eu lieu »? En quoi les écrivains bibliques représentent-ils la façon dont l’antiquité concevait l’historiographie? Comment aborder, dans le contexte qui est le nôtre, les questions et les enjeux de l’historicité des récits bibliques? Voilà quelques-unes des questions auxquelles se sont confrontées les différentes interventions.

Dans les lignes qui suivent, mon propos n’est pas de faire le compte-rendu des conférences qui ont composé le colloque mais d’esquisser, librement et très simplement, quelques aspects de cette importante thématique. Précisons que les Actes de ce colloque seront publiés prochainement, ce qui permettra, à tous ceux qui souhaitent approfondir leur réflexion, de se pencher sur l’ensemble des textes et d’avancer ainsi sur un terrain parfois mouvant mais toujours passionnant.

L’importance du thème en question m’apparaît revêtir deux aspects. Le premier consiste à remarquer le fait que le rapport entre les récits bibliques, d’une part, et les événements tels qu’ils ont eu lieu dans l’espace et le temps, d’autre part (le sous-titre du Colloque était: « Récits bibliques et histoire ») nous place au cœur de la foi chrétienne. En effet, que ce soit dans son expression ecclésiale (dimension communautaire) ou dans la vie du fidèle (dimension personnelle), la foi chrétienne se fonde sur ce que Dieu a dit et fait dans l’histoire. Enlevons l’« agir » du Dieu trinitaire des méandres de l’histoire humaine et tout s’écroule! A moins de faire reposer (mais n’est-ce pas là un « repos » bien trompeur ?) la réalité de la foi sur la perception subjective que l’on en a et sur sa propre expérience intérieure.

En second lieu, l’importance du thème a été mise en lumière par sa dimension interdisciplinaire. Voilà le terrain par excellence où le théologien se doit de rencontrer l’historien, le philosophe, le philologue, l’archéologue et peut-être d’autres encore… Regards croisés d’où surgissent parfois des surprises: « Mais pourquoi les théologiens (ou en tous cas certains d’entre eux!) sont-ils si suspicieux là où les historiens (idem?) sont prêts à accorder leur confiance? ». Un autre trait se dessine: malgré tout l’apport de certaines approches philosophiques concernant le « texte », sa « réceptivité », son – ou plutôt ses ­- « sens » et « l’événement qu’il crée à chaque lecture », le texte reste, avant tout, en lien avec son contexte d’origine, et les questions se rapportant à son auteur et à ses motivations restent souvent décisives. Cela implique que notre attitude première soit – en tous cas pour un temps – d’accepter le texte tel qu’il se présente à nous. Comme l’a dit l’un des intervenants: « Le bénéfice du doute doit être accordé au texte; c’est aux arguments soulevés contre la valeur et l’historicité du texte que revient le devoir d’être réellement déterminants! »

D’autres contributions ont exprimé fort bien le fait qu’« historicité » ne signifie pas « neutralité » ou absence de point de vue et elles ont montré qu’au contraire la qualité littéraire du texte est au service de la transmission du message et de l’intention de l’auteur, sans pour autant porter atteinte à la fiabilité historique. La « métaphore » a reçu également une attention particulière et tout un cheminement a été tracé parmi différents courants philosophiques lui accordant une place et des fonctions diverses.

Cela a été aussi l’occasion d’aborder la difficile question de la terminologie: quelles définitions et quelles frontières donner aux termes « récit », « fiction », « mythe », « histoire »? A propos de ce dernier terme, remarquons la polysémie qui est la sienne dans la langue française, puisque « histoire » désigne, à la fois, le cours des événements, le récit qui en est fait ainsi que la simple fiction.

Sur le plan plus spécifique de l’histoire au sens de history (et non pas de story), un tel thème nous rappelle qu’il ne faut jamais perdre de vue que nous ne connaissons jamais les événements en eux-mêmes. Nous sommes confrontés aux événements, nous les re-lisons et ils nous façonnent. Ainsi notre regard n’est toujours que partiel. Aucun historien, pas même le meilleur n’échappe à cela; et qu’il soit de l’antiquité ou des temps modernes n’y change rien (même s’il est évident que, de façon générale, les écrivains bibliques ne font pas de l’histoire au sens de l’historiographie moderne). L’histoire telle que nous la percevons est toujours relative et implique celui qui cherche à l’écrire, à la lire. Mais cela veut-il dire que le récit cesse alors d’être crédible et digne de confiance?

L’histoire – et donc le texte qui se propose d’en rendre compte – serait-elle, par excellence, le lieu du soupçon?

Au contraire. Dans la pensée biblique (puisque nous nous intéressons, ici, avant tout au texte biblique), l’histoire est le lieu privilégié de la révélation de Dieu. Dieu est le Dieu de l’Alliance. Il parle à et chemine avec son peuple. Parler de l’histoire, c’est parler de cette relation et de ses méandres. C’est pour cela que la distinction entre récit historique et fiction est importante et que l’enjeu est de taille. En effet, dire qu’un récit biblique est une fiction, c’est dire qu’il présente la manière par laquelle Dieu pourrait agir dans l’histoire. Le recevoir comme récit historique, s’il se présente comme tel, c’est reconnaître que Dieu a agi ainsi dans l’histoire et que le texte se fait porte-parole de l’« agir » divin.

Finalement, le thème « Texte et historicité » nous a rappelé également que le monde – et donc le cours des événements – n’est pas un système clos dans lequel aucun acte fondamentalement nouveau ne pourrait avoir lieu. Il a été aussi l’occasion de préciser, au milieu de toutes les voix qui s’élèvent, de toute part, pour crier qu’il est devenu impossible de croire en l’histoire, qu’effectivement, nous ne sommes pas appelés à croire en l’histoire mais en Dieu, le Dieu trinitaire, Souverain Maître de l’histoire et du monde qu’il a créé.

Il y aurait, bien sûr, encore d’autres choses à dire, avec plus de finesse, de rigueur, en mentionnant les auteurs qui, lors de ce colloque, ont été cités, commentés, voire convoqués! Mais je m’arrête là, espérant que ces « libres pensées » vous auront donné envie de vous plonger dans les Actes, qui vous donneront les indications et la science que vous n’avez pas trouvés ici.

Frédéric Hammann

1 A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous apprenons le décès subit du professeur Carsten P. Thiede, survenu le 14 décembre 2004, à l’âge de 52 ans. Au nom du Conseil des Professeurs de la Faculté, nous exprimons notre vive émotion suite au départ de ce grand spécialiste des questions qui étaient au cœur du Colloque et qui était aussi un homme d’une grande humanité. Que ce soit en papyrologie, au sujet de la datation des textes de la communauté de Qumran ou encore sur diverses questions relatives à la naissance du Nouveau Testament, la contribution de celui qui était Directeur de l’Institut de recherche épistémologique fondamentale de Paderborn (Allemagne) est et restera incontournable.

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