3. Les noms de Dieu

III. Les noms de Dieu1

A) Les noms de Dieu en général

Si la Bible mentionne plusieurs noms de Dieu, elle parle également du « nom » de Dieu au singulier comme, par exemple, dans les passages suivants:

« Tu ne prendras pas le nom de l’Eternel, ton Dieu, en vain. » (Ex 20:7)

« Que ton nom est magnifique sur toute la terre! » (Ps 8:1)

« Comme ton nom, ô Dieu, ta louange retentit jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ps 48:11)

« Son nom est grand en Israël. » (Ps 76:2)

« Le nom de l’Eternel est une tour forte; le juste y court et s’y trouve hors d’atteinte. » (Ps 18:10)

Dans ces versets, le « nom » désigne la manière que Dieu a de se manifester à son peuple, ou simplement sa personne, de sorte qu’il devient synonyme de Dieu. Cet usage est dû au fait que, dans la pensée orientale, un nom n’était jamais considéré comme un simple vocable, mais comme l’expression de la nature de la chose désignée. Connaître le nom d’une personne, c’était avoir autorité sur elle; les noms des différents dieux étaient utilisés dans les incantations pour exercer un pouvoir sur eux.

Au sens le plus général du mot, le nom de Dieu est son auto-révélation. C’est une désignation de lui-même, non tel qu’il existe dans les profondeurs de son Etre divin, mais tel qu’il se révèle spécialement dans ses relations à l’homme. Pour nous, le nom général de Dieu est diversifié en plusieurs noms, exprimant ainsi les divers côtés de l’être de Dieu. C’est seulement parce que Dieu s’est révélé par son nom (nomen editum) que nous pouvons à présent le nommer par ce nom sous diverses formes (nomina edita). Les noms de Dieu ne sont pas une invention de l’homme, mais ont une origine divine, bien qu’ils soient tous empruntés au langage humain, et dérivés de relations humaines et terrestres. Ils sont anthropomorphiques et indiquent une approche condescendante de Dieu vers l’homme.

Les noms de Dieu constituent une difficulté pour la pensée humaine. Dieu est « l’Incompréhensible », infiniment exalté au-dessus de tout ce qui est temporel; mais, par ses noms, il s’abaisse vers tout ce qui est fini, et devient semblable à l’homme. D’un côté, il nous est impossible de le nommer et, de l’autre côté, il possède plusieurs noms. Comment expliquer cela? Sur quels plans ces noms sont-ils appliqués au Dieu infini et incompréhensible? On devrait se rappeler qu’ils ne sont, ni une invention de l’homme, ni un témoignage de sa perception personnelle de l’être même de Dieu. C’est Dieu lui-même qui nous les donne avec l’assurance qu’ils contiennent, dans une certaine mesure, une révélation de son être. Cela a été possible par le fait que la création est et était censée être une révélation de Dieu. C’est parce que le Dieu Incompréhensible s’est révélé dans ses œuvres que l’homme peut le nommer. Pour se faire connaître à l’homme, Dieu devait s’abaisser au niveau de l’homme, s’accommoder à la conscience humaine finie et limitée, et parler un langage humain. Si le fait de nommer Dieu par des noms anthropomorphiques implique une limitation de Dieu, comme certains le prétendent, alors ceci doit être vrai à un degré bien plus élevé de la révélation de Dieu dans la création. Dans ce cas, le monde ne révèle pas mais dissimule plutôt Dieu; l’homme n’est donc pas en relation avec Dieu, mais forme simplement une antithèse avec lui. Nous en sommes donc réduits à un agnosticisme sans espoir.

Ce qui a été dit du nom de Dieu en général nous permet d’inclure dans les noms de Dieu, non seulement les appellatifs qui le décrivent comme un Etre indépendant et personnel, et par lesquels on s’adresse à lui, mais également les attributs de Dieu – et par voie de conséquence, non simplement les attributs de l’Etre divin en général, mais également ceux qui qualifient les différentes personnes de la Trinité. H. Bavinck fonde sa division des noms de Dieu sur cette large conception, et distingue les nomina propria (noms propres), des nomina essentialia (noms essentiels ou attributs) et des nomina personalia (noms personnels tels que Père, Fils et Saint-Esprit). Dans ce chapitre, nous nous limiterons à la discussion de ceux de la première catégorie.

B) Les noms de l’Ancien Testament et leur signification

1. ‘El, ‘Elohim, et ‘Elyon

Le nom le plus simple par lequel Dieu est désigné dans l’Ancien Testament est le nom ‘El, qui est probablement un dérivé de ‘ul, soit dans le sens d’être premier, d’être seigneur, soit dans celui d’être fort et puissant. Le nom ‘Elohim (singulier ‘Eloah) provient probablement de la même racine, ou de ‘alah (être frappé de peur) et désigne ainsi Dieu comme le fort et le puissant, ou comme un objet de frayeur. Le nom se rencontre rarement au singulier, sauf en poésie. Le pluriel doit être considéré comme intensif et sert donc à indiquer la plénitude du pouvoir. Le nom ‘Elyon est dérivé de ‘alah (monter, être élevé) et désigne Dieu comme celui qui est élevé et exalté (Gn 14:19-20; Nb 24:16; Es 14:14). On le trouve spécialement en poésie. Ces noms ne sont cependant pas des nomina propria au sens strict du mot, car ils sont également utilisés pour les idoles (Ps 95:3 et 5), pour les hommes (Gn 33:10; Ex 7:1) et pour les autorités (Jg 5:8; Ex 21:6, 22:8-10; Ps 82:1).

2. ‘Adonai

Ce nom est relié aux précédents par son sens. Il est dérivé soit de dun (din), soit de ‘adan, qui signifient tous les deux juger, régner et désigne donc Dieu comme le Souverain tout-puissant, de qui tout est sujet, et à qui l’homme est relié en tant que serviteur. Dans les temps primitifs, c’était le nom courant utilisé par le peuple d’Israël pour s’adresser à Dieu. Plus tard, c’est le nom YHWH qui prévalut largement. Tous les noms mentionnés jusqu’ici décrivent Dieu comme celui qui est élevé et exalté, le Dieu transcendant. Les noms suivants indiquent que cet Etre exalté condescend à entrer en relation avec ses créatures.

3. Shaddai et ‘El Shaddai

Le nom Shaddai est dérivé de shadad, être puissant, et fait ressortir le fait que Dieu possède tout pouvoir dans le ciel et sur la terre. D’autres cependant le font dériver de shad, seigneur. Il diffère de manière importante de ‘Elohim, le Dieu de la création et de la nature par le fait qu’il considère Dieu comme assujettissant toutes les forces de la nature, et les subordonnant à l’œuvre de la grâce divine. Tout en soulignant la grandeur de Dieu, il le représente, non comme un objet de crainte et de terreur, mais comme la source de bénédiction et de consolation. C’est le nom sous lequel Dieu est apparu à Abraham, le père des croyants (Ex 6:2).

4. YHWH et YHWH Tsebhaoth

C’est spécialement sous le nom de YHWH, qui a progressivement supplanté les noms plus primitifs, que Dieu s’est révélé comme le Dieu de grâce. On l’a toujours considéré comme le nom de Dieu le plus sacré et le plus distinctif, le nom incommunicable. Les Juifs l’utilisaient avec une très grande crainte, puisqu’ils lisent Lévitique 24:16 ainsi: « Celui qui blasphèmera le nom de yhwh sera puni de mort. » Et donc, en lisant les Ecritures, ils lui ont substitué soit ‘Adonai, soit Elohim. Les massorètes, tout en laissant les consonnes intactes, leur ont attaché les voyelles de l’un de ces deux noms, en général celles de ‘Adonai. La dérivation réelle du nom, sa prononciation originelle et sa signification sont plus ou moins perdues dans la nuit des temps. Le Pentateuque rattache le nom au verbe hébreu hayah, être (Ex 3:13-14). En nous appuyant sur ce passage, nous pouvons supposer que le nom est, selon toute probabilité, dérivé d’une forme archaïque de ce verbe, à savoir hawah. En ce qui concerne la forme, on peut le considérer comme un imparfait qal ou hiphil à la première personne; mais la première solution est probablement la meilleure. Le sens en est donné en Exode 3:14: « Je suis celui qui suis », que l’on peut aussi traduire: « Je serai celui que je serai ». Interprété de cette manière, le nom indique l’immutabilité de Dieu. Cependant, ce n’est pas tant l’immutabilité de son Etre essentiel qui est en question que l’immutabilité de la relation à son peuple. Le nom contient l’assurance que Dieu sera pour le peuple de l’époque de Moïse ce qu’il a été pour ses pères Abraham, Isaac et Jacob. Il souligne que la fidélité de Dieu dans l’Alliance constitue son nom propre « par excellence » (Ex 15:3; Ps 83:19; Os 12:6; Es 42:8), et n’est utilisé pour aucun autre que le Dieu d’Israël. Le caractère exclusif du nom provient du fait qu’il ne se présente jamais au pluriel ou accompagné d’un suffixe. Il en existe des formes abrégées, Yah et Yahu, que l’on trouve en particulier dans les noms composés.

Le nom YHWH est souvent renforcé par l’adjonction tsebhaoth. Origène et Jérôme la considèrent comme une apposition, parce que YHWH ne permet pas d’état construit. Mais cette interprétation n’est pas suffisamment étayée et ne donne guère un sens intelligible. Il est assez difficile de déterminer à quoi se réfère le mot tsebhaoth. Il existe trois opinions à ce sujet:

a) Les armées d’Israël

On peut douter de la justesse de cette interprétation. La plupart des passages sur lesquels elle s’appuie ne prouvent pas grand-chose. Seuls trois d’entre eux contiennent un semblant de preuve – 1 Samuel 4:4, 17:45, 2 Samuel 6:2 – tandis que l’un d’eux – 2 Rois 19:3 – est plutôt défavorable. Si le pluriel tsebhaoth est utilisé pour les armées du peuple d’Israël, l’armée est régulièrement indiquée par le singulier. Ceci contredit donc l’hypothèse que, dans le nom considéré, le terme se réfère à l’armée d’Israël. Du reste, il apparaît clairement, tout au moins dans les Prophètes, que le nom « YHWH des armées » ne se réfère pas à YHWH comme le dieu de la guerre. Et si le sens du nom a changé, qu’est-ce qui a causé ce changement?

b) Les étoiles

En parlant de l’armée du ciel, l’Ecriture utilise toujours le singulier et jamais le pluriel. D’ailleurs, si les étoiles sont appelées l’armée du ciel, elles ne sont jamais désignées comme l’armée de Dieu.

c) Les anges

Cette interprétation est préférable. Le nom YHWH tsebhaoth se trouve souvent en relation avec des passages où des anges sont mentionnés (1 S 4:4; 2 S 6:2; Es 37:16; Os 12:4-5; Ps 80:1, 4ss, 89:6-8). Les anges sont régulièrement représentés comme une armée qui entoure le trône de Dieu (Gn 28:12, 32:2; Jos 5:14; 1 R 22:19; Ps 68:17, 103:21, 148:2; Es 6:2). Il est vrai que, quand on parle des anges, c’est aussi le singulier qui est généralement employé, mais ceci ne constitue pas une objection suffisante, puisque la Bible précise qu’il existe plusieurs divisions d’anges (Gn 32:2; Dt 33:2; Ps 68:17). Bien plus, cette interprétation est en harmonie avec la signification du nom, qui n’a pas de connotation guerrière, mais exprime la gloire de Dieu en tant que Roi (Dt 32:2; 1 R 22:19; Ps 24:10; Es 6:3, 24:23; Za 14:16). L’expression « YHWH des armées » désigne donc Dieu comme le roi de gloire, entouré d’armées angéliques, gouvernant le ciel et la terre dans l’intérêt de son peuple et recevant la gloire de toutes ses créatures.

C) Les noms du Nouveau Testament et leur interprétation

1. Theos

Le Nouveau Testament a les équivalents grecs des noms de l’Ancien Testament. Pour ‘El, ‘Elohim et ‘Elyon, il a Theos qui est le nom le plus courant appliqué à Dieu. Comme ‘Elohim, il peut, par accommodation, être utilisé pour les dieux païens, bien qu’au sens strict, il exprime la divinité essentielle. ‘Elyon est traduit par Hupsistos Theos (Mc 5:7; Lc 1:32, 35, 75; Ac 7:48, 16:17; Hé 7:1). Les noms Shaddai et ‘El Shaddai sont rendus par Pantokrator et Theos Pantokrator (2 Co 6:18; Ap 1:8, 4:8, 11:17, 15:3, 16:7, 14). Cependant, on trouve plus généralement Theos au génitif singulier indiquant la possession (tels que mou, sou, hemon, humon), parce que, en Christ, Dieu peut être considéré comme le Dieu de tous et de chacun de ses enfants. En ce qui concerne la religion, le concept national de l’Ancien Testament a fait place, dans le Nouveau Testament, au concept d’individu.

2. Kurios

Le nom YHWH est parfois expliqué par des variations de nature descriptive, telles que « l’Alpha et l’Oméga », « Celui qui est, qui était et qui vient », « le commencement et la fin », « le premier et le dernier » (Ap 1:4, 8, 17, 2:8, 21:6, 22:13). En ce qui concerne le reste, le Nouveau Testament suit la Septante qui lui a substitué ‘Adonai, et a traduit ce dernier par Kurios, dérivé de kuros, puissance. Ce nom n’a pas exactement la même connotation que YHWH, mais désigne Dieu comme le Puissant, le Seigneur, le Possesseur, le Souverain qui a le pouvoir légal et l’autorité. Le mot n’est pas seulement utilisé pour Dieu, mais aussi pour le Christ.

3. Pater

On dit souvent que le Nouveau Testament a introduit un nouveau nom de Dieu, à savoir Pater (Père). Mais ceci n’est guère correct. Le nom de Père est utilisé pour parler de la divinité, même dans les religions païennes. Il est souvent employé dans l’Ancien Testament pour désigner la relation existant entre Dieu et Israël (Dt 32:6; Ps 103:13; Es 63:16, 64:8; Jr 3:4, 19, 31:9; Ml 1:6, 2:10) tandis qu’Israël est appelé le fils de Dieu (Ex 4:22; Dt 14:1, 32:19; Es 1:2; Jr 31:20; Os 1:10, 11:1). Dans cette optique, le nom exprime la relation spéciale théocratique dans laquelle Dieu se tient à l’égard d’Israël. Dans les passages suivants du Nouveau Testament, il est utilisé au sens général d’auteur ou de créateur (1 Co 8:6; Ep 3:15; Hé 12:9). Partout ailleurs, il sert à exprimer, soit la relation spéciale dans laquelle la première personne de la Trinité se tient à l’égard du Christ en tant que Fils de Dieu, en un sens métaphysique ou de médiation, soit la relation éthique dans laquelle Dieu se tient à l’égard de tous les croyants en tant que ses enfants spirituels.


1 Systematic Theology, chap. IV.

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