Des livres à lire
Marianne Carbonnier-Burkard et Patrick Cabanel: Une histoire des protestants en France (Paris: Desclée de Brouwer, 1998)
Je ne sais s’il s’agit d’une demande du public ou d’un besoin des historiens ou des sociologues, mais il y a ces temps-ci beaucoup de livres sur l’histoire protestante française, concernant essentiellement les Réformés. Quelques-uns sont médiocres ou inintéressants, la plupart sont très bons et quelques-uns excellents. Chacun d’eux a une approche particulière qui lui donne sa spécificité et son intérêt.
Une histoire des protestants en France est un livre très bien fait, qui présente l’avantage de proposer, d’une part, une histoire événementielle classique, et d’autre part, sous forme d’encadrés intercalés et disséminés au fil des pages, une série de documents qu’on n’arrive pas facilement, en général, à se procurer, ou quelques commentaires sur tel ou tel événement, ou série d’événements marquants, du protestantisme français.
J’étais réticent à lire ce livre qui me semblait embrouillé justement à cause de ces documents encadrés. Arrivé au bout du livre, je me suis surpris à regretter qu’il soit fini si rapidement. J’ai eu beaucoup de plaisir à le lire. Je ferai toutefois plusieurs remarques.
1°) Ce livre me semble particulièrement adapté au grand public, c’est-à-dire à des non-spécialistes. Ce choix aurait nécessité un prix bien plus modeste pour le public qu’il veut toucher. En outre, pourquoi ce livre concernant les Réformés français n’a-t-il pas été publié par Les Bergers et les Mages? Cette maison d’édition appartenant à l’Eglise réformée de France (ERF) n’aurait-elle pas pu publier un ouvrage de cette qualité concernant l’histoire des Réformés français?
2°) Ce livre porte un titre qui n’est pas parfaitement adapté à son contenu. Personnellement, je l’aurais plutôt intitulé: Une histoire des Réformés en France. Curieusement, il n’existe pratiquement pas de livre portant ce titre. Presque tout le monde fait l’amalgame entre protestant et Réformé dans « la France de l’intérieur ». C’est compréhensible pour les XVIe et XVIIe siècles, déjà en partie faux à la fin du XVIIIe siècle, avec l’apparition des Moraves, et complètement faux dès le XIXe siècle.
Aujourd’hui, cet amalgame pose problème, car les Réformés, toutes unions d’Eglises confondues, ne représentent plus guère que la moitié des protestants, même hors Alsace. Il me semble important de veiller à ne pas intensifier cette dérive sémantique. Celle-ci me paraît dangereuse au moment où une autre dérive sémantique tend à distinguer « protestants » et « évangéliques ». Il nous faut impérativement garder le terme « protestant » pour qualifier l’ensemble des Eglises issues de la Réforme. Je suggère donc aux deux auteurs de changer le titre de leur livre pour ses éditions ultérieures, que je souhaite nombreuses.
3°) La marche vers la reconstitution d’une Eglise réformée unie en France, reconstitution qui ne réussira pas totalement, va s’étaler sur trente années, entre la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1906 et la constitution de l’Eglise réformée de France (ERF) en 1938. Ces trente années vont être dominées par « une mystique de l’unité » qu’il aurait été intéressant de faire apparaître plus nettement.
Personnellement, j’aurais développé en quelques pages cette marche vers l’unité, véritable cheminement œcuménique intraprotestant jamais mentionné avec le respect qu’il mérite. Et j’aurais ajouté quatre documents encadrés en caractérisant les étapes importantes:
i) le début du texte de constitution de « l’Union de Jarnac » en 1908, union manifestant le refus de l’éclatement de l’Eglise réformée;
ii) « L’appel des aumôniers militaires » en 1916;
iii) un texte sur le Réveil de la Drôme et de Gardonnenque dans les années 20 et 30;
iv) enfin, le début du texte de constitution de l’Eglise réformée de France en 1938.
4°) En ce qui concerne la période de l’occupation nazie, il aurait été intéressant de faire figurer en encadré le texte exact du communiqué du Conseil national de l’Eglise réformée de France (ERF) lu en chaire par les pasteurs de cette Eglise, le dimanche 22 septembre 1942. Il serait, du reste, intéressant de savoir pourquoi quatre pasteurs de Paris sur cinq figurent parmi les pasteurs qui n’ont pas lu ce texte en chaire. Le danger était-il trop grand à leurs yeux pour eux et (ou) leurs paroissiens? On sait, d’autre part, que certains pasteurs de Paris et de sa banlieue ont participé activement à la Libération de Paris. S’agissait-il des mêmes? Cela serait intéressant de le vérifier.
Certains textes qu’on pourrait presque dire « fondateurs », et au moins « précurseurs », ne se trouvent nulle part, comme si on les avait oubliés ou qu’ils étaient trop longs pour être repris en notes. Dans ce livre, ils auraient trouvé naturellement leur place en encadré.
5°) Je me permets de rectifier une erreur de la page 109: Elisabeth Schmidt (1908-1986) est bien la première femme à avoir reçu la consécration pastorale dans l’Eglise réformée de France (ERF). Cependant, elle n’est pas la première femme à avoir reçu une délégation pastorale dans une Eglise réformée en France. Les premières semblent avoir été, d’une part, Mme René Pfender, née Marguerite Gueylard (1889-1976), qui fut pasteur des Eglises réformées évangéliques à Troissy-en-Champagne, puis à Choisy-le-Roy entre 1916 et 1919, son mari étant mobilisé comme aumônier (elle rentra dans le rang, si l’on peut dire, au retour de son mari et n’en sortit plus jusqu’à sa mort), et d’autre part, Mme Bourquin, qui remplaça son mari, mort pour la France, comme pasteur à la tête d’un poste de la Société chrétienne du Nord, filiale de la Société centrale évangélique (SCE).
Elisabeth Schmidt ne fut pas non plus la première femme consacrée au ministère pastoral en France, puisqu’une luthérienne le fut en 1926 dans l’ECAAL, en Alsace. Ce rectificatif n’ôte rien, bien sûr, à la compétence et à la vocation d’Elisabeth Schmidt, reconnue, en 1949, par le Synode national de l’ERF. On peut également rappeler le rôle si important des assistantes de paroisse, véritables pasteurs féminins avant la lettre. Il ne faudrait pas non plus oublier les délégations pastorales accordées à plusieurs femmes (par exemple, Myriam Garnier, veuve d’un officier des FFL et pasteur à Marennes) durant la Seconde Guerre mondiale.
Ces quelques critiques n’ôtent rien à la valeur du livre de Marianne Carbonnier-Burkard et Patrick Cabanel. Je lui souhaite une longue carrière dans les librairies et les bibliothèques.
Claude Lasserre: Le Séminaire de Lausanne (1726-1812), instrument de la restauration du protestantisme français, étude historique fondée principalement sur des documents inédits (Bibliothèque historique vaudoise, 1997)
Ce livre raconte l’histoire du Séminaire de Lausanne de sa fondation, en 1726, à sa fermeture, en 1812. Ce séminaire, appelé aussi « l’Institut Antoine Court », ou encore « l’Ecole des martyrs », a formé la très grande majorité des pasteurs français de la période dite du « Désert », entre 1726 et l’Edit de tolérance de 1787, puis pendant la période révolutionnaire et presque toute la période de l’Empire. Ainsi, pendant près de quatre-vingt-dix ans, Lausanne a été la ville de référence des pasteurs français.
Pendant la soixantaine d’années qui va de 1726 à 1787, bien que beaucoup de gens connaissent l’existence du séminaire dans les Eglises de France et en Suisse, en Grande-Bretagne et jusqu’au Danemark et en Suède, en passant par les Pays-Bas, le secret fut si bien gardé que ce n’est qu’en 1787 que l’évêque de Fribourg, titulaire aussi de l’évêché de Lausanne, apprit son existence.
Le livre nous explique comment Antoine Court et Benjamin du Plan ont fondé le Séminaire de Lausanne entre 1726 et 1729. Puis, c’est toute la vie du séminaire qui défile devant nous tout au long du livre. On participe à sa mise en place, à son évolution, qui passera par plusieurs étapes. Nous assistons aux séances des comités qui le soutiendront pendant toute son existence, celui de Lausanne, qui administre le séminaire, et celui de Genève, qui tient les cordons de la bourse.
On voit Benjamin du Plan, gentilhomme d’Alès, prédicateur du « Désert », puis émigré à Lausanne, se démenant avec Antoine Court pour obtenir l’installation du séminaire à Lausanne. On le voit prendre son bâton de pèlerin pour aller récolter des fonds dans toute l’Europe. Il se ruine aux trois quarts et, lorsqu’il demande une pension pour sa vieillesse, on la lui mégote. Il se brouille avec son ami Antoine Court, puis finit heureusement par se réconcilier avec lui.
On nous présente aussi le comité de Hollande, qui récolte les dons des Eglises wallonnes des Pays-Bas, et aussi celui de Londres, qui administrera, en accord avec l’archevêque de Cantorbéry, une « bénéficience » royale des souverains britanniques, qui durera jusqu’au moment de la Révolution française et qui ne cessera qu’à la demande du comité de Genève.
Nous suivons les échanges épistolaires entre les différents comités, entre ceux-ci et les Eglises réformées du « Désert », entre Antoine Court et les uns et les autres, etc. Le mythe des Eglises sous la croix devient vie et, parfois, on aimerait qu’il reste mythe. En effet, nous découvrons, avec quelque effarement, que ces Eglises persécutées trouvaient, malgré le danger, le moyen de se disputer et même de créer des schismes (un en Bas-Languedoc qui dura quatorze ans dans la première moitié du siècle, et un en Agenais qui dura dix-sept ans à la fin du siècle).
Le séminaire a été installé à Lausanne et non pas à Genève, parce que celle-ci, alors indépendante et simplement associée aux cantons suisses, craignait, si elle abritait un institut de formation pour les pasteurs français clandestins, de subir les foudres de la France. Et même le canton de Berne fait tout pour maintenir le secret par rapport à la cour de France, par crainte de représailles de celle-ci. De son côté, la France semble n’avoir rien dit de peur de perdre l’alliance des cantons suisses qui lui garantissait une frontière étanche sur son front centre-est. Ainsi le minuscule séminaire de formation théologique des Eglises réformées sous la croix mena une vie aussi secrète que paisible à l’ombre de l’alliance entre le grand royaume de France et les cantons suisses.
La vie au séminaire est parfois surprenante, c’est le moins que l’on puisse dire. Là aussi, on découvre que le mythe du pasteur du « Désert » pieux, intrépide et d’une sanctification à toute épreuve, bascule parfois dans l’horreur, non des potences du roi de France mais des disputes et des calomnies et jalousies entre séminaristes et le ridicule des suffisances de certains de ces messieurs en formation accélérée. Heureusement qu’il en est ainsi, car l’œuvre accomplie par ces hommes a été magnifique, et nous risquerions un peu vite de les canoniser. La réalité nous apparaît toute nue: des hommes, et rien que des hommes ordinaires, ont été utilisés par notre Seigneur pour accomplir une grande œuvre riche en bénédictions et en souffrances de toutes sortes. Des hommes, parfois mêmes des hommes insuffisants, sont devenus des modèles pour nous, uniquement par l’action du Saint-Esprit. Quel encouragement pour chacun de nous!
Parvenu au bout de ce livre, je m’aperçois que le mythe des Eglises sous la croix n’est plus mythe mais qu’il est devenu exemple de confiance dans les hommes chrétiens si imparfaits qu’ils soient et donc confiance, c’est-à-dire foi, en notre Dieu. En effet, les Eglises qui, apparemment, vivaient dans les persécutions et l’isolement le plus complet, étaient en réalité soutenues, discrètement ou ouvertement, par presque toute l’Europe protestante. Des rois et des humbles, des nobles et des bourgeois, des savants et des ignorants ont fait des dons, ont prié et ont consacré beaucoup de leur temps à les aider à survivre. Quelle magnifique épopée que celle du séminaire français de Lausanne!
L’intérêt du livre de Claude Lasserre tient dans sa progression rédactionnelle: le premier chapitre traite de la restauration du protestantisme en France. L’auteur en déduit alors la nécessité de former des pasteurs pour permettre cette restauration, d’où un deuxième chapitre sur le parcours du séminariste. De là, l’auteur passe à la description et à l’évolution des études au séminaire. A la fin des études se pose la question de la consécration des séminaristes; en effet, celle-ci posait des questions théologiques, mais aussi diplomatiques, étant donné que les séminaristes étaient formés dans un pays allié de la France et retournaient travailler clandestinement en France, où il n’était pas toujours facile, ou même possible, de les consacrer selon les formes. Claude Lasserre étudie, ensuite, le financement des études et le paiement des bourses et du salaire des professeurs avec beaucoup de détails sur l’origine des fonds qui ont permis ce financement. Enfin, dans un dernier chapitre, l’auteur nous raconte la fin du séminaire et l’ouverture de la Faculté de Montauban.
De nombreuses annexes donnent des documents concernant le règlement intérieur du séminaire, les noms des membres des comités de Lausanne et de Genève, et la liste de tous les séminaristes de Lausanne ainsi qu’un certain nombre de statistiques à leur sujet.
Il s’agit d’un très beau livre pour ceux que l’histoire du protestantisme français intéresse, car il raconte comment ont été formés un certain nombre de ceux qui feront cette histoire et même, pour certains, l’histoire de France tout court, tels Rabaut Saint-Etienne ou Jean-Bon-Saint-André. Ce livre appartenant à ce que j’appelle les livres « brise-légende » est formellement déconseillé à ceux qui préfèrent la légende à la réalité. Les autres trouveront beaucoup d’intérêt à le lire.
François Bayrou: Ils portaient l’écharpe blanche (Paris: Grasset & Fasquelle, 1998)
Voilà un excellent livre sur l’épopée huguenote des origines à la Révolution, en passant par l’Edit de Nantes en 1598 et sa révocation en 1685. Le récit est vivant; l’insertion de l’histoire huguenote dans l’histoire de France, dont elle est inséparable, est faite avec beaucoup de talent. François Bayrou nous avait déjà donné une excellente biographie d’Henri IV; il la complète avec cet ouvrage qui entoure, explique et prolonge l’Edit de Nantes.
François Bayrou, qui est catholique, en profite pour nous éclairer sur le travail intense de rénovation de l’Eglise catholique en France après le Concile de Trente, en particulier dans la première moitié du XVIIe siècle. Cela ajoute à la valeur de son livre une dimension qu’on n’est peu habitué à rencontrer avec cette précision dans des livres sur les huguenots.
Je crois qu’il n’y a pas grand-chose de plus à dire, si ce n’est recommander chaudement ce livre à tous ceux qui sont intéressés, à un titre ou à un autre, par l’histoire protestante en général et par l’histoire des huguenots français en particulier. Ils ne seront pas déçus. Il y avait longtemps que je n’avais pas lu un aussi bon livre sur la question.
Bernardde Visme, aumônier militaire