La haine du monde

La haine du monde

Pierre MARCEL*

Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous (…). Parce que vous n’êtes pas du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, c’est à cause de cela que le monde vous hait. (Jn 15:18-19)

Dans son dernier entretien avec ses disciples, la nuit qui précède sa mort, Jésus suit un plan rigoureux.

En lavant les pieds de ses disciples, Jésus leur révèle que l’humiliation du Messie est la cause effective de notre purification et de notre salut. Sa mort sur la croix met le comble à sa gloire et à la gloire du Père. La glorification du Christ implique la séparation d’avec ses disciples, la disparition de sa présence visible. Mais cette séparation inaugure le chemin que les disciples doivent suivre désormais: un chemin d’amour, à l’image de celui que le Christ a lui-même parcouru: « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jn 13:34-35) Jésus fixe le but de notre vie humaine: l’union avec Dieu dans la maison du Père et il en précise le chemin: « JE SUIS le chemin, la vérité et la vie: nul ne vient au Père que par moi. » (Jn 14:4) Il faut croire en lui. Cette foi est puissante en oeuvres; elle rend la prière efficace. Absent en raison même de sa gloire, le Christ est présent, en chaque disciple, par l’union mystique qu’accomplit le don du Saint-Esprit, attestée par la sainte Cène.

C’est alors que Jésus peut préciser, à l’intention de chacun de nous, deux relations distinctes:

– La relation réciproque qui unit chaque disciple à son Seigneur. C’est l’image du cep et des sarments, qui dépeint l’essence de la vie de l’Eglise: porter des fruits à la gloire du Père, en demeurant en Christ, dans son amour; garder ses commandements et, avec une joie pleine et solide, en tant qu’amis du Christ, pleinement initiés au sens de sa mort, accomplir la mission pour laquelle il nous a choisis et établis; porter un fruit qui demeure jusque dans la vie éternelle.

– Mais pour porter du fruit, en tant que disciples, nous ne sommes pas seulement en relation avec notre Sauveur comme le sarment avec le cep, nous sommes aussi en relation avec le monde. En préciser les termes pour dépeindre ensuite la mission du Saint-Esprit dans le monde par la prédication de l’Eglise et le témoignage de chacun, et la victoire finale des croyants, voilà ce que Jésus veut encore faire avant que monte vers le Père sa dernière prière de consécration et d’intercession.

Le dernier mot que le Christ a prononcé pour qualifier nos relations avec lui et avec nos frères dans l’Eglise était AMOUR. Le premier qu’il prononce quant à nos relations avec le monde, c’est la HAINE. Quel contraste!

« Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui; mais parce que vous n’êtes pas du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, c’est à cause de cela que le monde vous hait. »

La marque de l’Eglise, c’est l’amour; la marque du monde, de ceux qui ne sont pas renouvelés par le Saint-Esprit, c’est LA HAINE DE L’AMOUR, la capacité de haïr. La haine implacable du monde pour les « amis » de Jésus est le signe de la vérité, de l’authenticité de cette amitié. Notre initiation au mystère de la mort du Christ implique que nous soyons également initiés à la haine puissante du monde qui décida sa mort. L’amour de Dieu et la haine du monde doivent l’un et l’autre nous être révélés. Ce sont les deux mystères de notre existence. L’amitié pour Jésus déclenche l’inimitié du monde. Le monde hait le Christ, il ne peut donc que haïr ses amis; l’esprit du monde n’accepte et ne reçoit que ce qui vient du monde, ce qui lui semble homogène avec sa manière d’être, de penser et d’agir: tout ce qui lui est hétérogène, il le rejette, il le hait. Car le monde est perdu!

L’oeuvre du Christ est très exactement de choisir les siens, ses disciples « du milieu du monde » (15:19); c’est « du milieu du monde » (17:6) également que le Père les « donne » à son Fils. Cet appel et ce choix, ce don au Christ déclenchent la haine du monde et font des disciples des « objets de haine » (15:19). « C’est à cause de cela que le monde vous hait », dit Jésus. Le Maître n’étant pas du monde, ceux qu’il choisit ne sont pas non plus du monde (17:14-16); ils sont envoyés « dans le monde ». S’ils étaient encore du monde, le monde aimerait ce qui est à lui. Le monde ne pourrait les haïr, comme il ne pouvait pas haïr les propres frères du Christ qui ne croyaient pas en lui (7:5-7).

Etre chrétien – tiré du monde, séparé – et, en même temps, être du monde, être aimé de lui, est une contradiction. Christ a témoigné que les oeuvres du monde étaient mauvaises (7:7). Les disciples ne peuvent que prêcher la même parole et être impliqués dans la haine du monde! Nous avons à nous rappeler sans cesse l’enseignement de Jésus: « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’envoie. » (Jn 13:16) Après le lavage des pieds, cette affirmation est appliquée d’abord à la nécessité de l’amour mutuel parmi les disciples et à l’humilité de cet amour; maintenant le Christ l’applique à l’humiliation dans la persécution :

Il suffit au disciple d’être comme son maître, et au serviteur d’être comme son seigneur. S’ils ont appelé le père de famille Béelzébul, combien plus appeleront-ils ainsi ceux de sa maison. NE LES CRAIGNEZ DONC POINT. (Mt 10:24-25)

Ainsi l’attitude du monde à l’égard de Jésus conditionne son attitude à l’égard de ses disciples. Ceux qui l’ont persécuté, persécuteront aussi ceux qui parlent en son nom, et ceux qui ont gardé sa parole garderont aussi celle de ses disciples.

Mais d’où vient cette réjection de Jésus, sa persécution par le monde et la haine dont il est l’objet? DU PÉCHÉ, qui provient de l’ignorance du Père qui a envoyé le Christ. En fait, la haine du monde est inimitié contre Dieu. La venue du Christ n’était pas qu’une simple présence corporelle; elle était accompagnée de paroles et d’oeuvres. Le Fils a été envoyé par le Père pour le salut du monde (Jn 3:17), les paroles qu’il prononça, les oeuvres qu’il accomplit, sont, étaient les paroles et les oeuvres du Père:

Les oeuvres que le Père m’a donné d’accomplir (…) rendent à mon sujet le témoignage que le Père m’a envoyé. Et le Père qui m’a envoyé m’a lui-même rendu témoignage. Vous n’avez jamais entendu sa voix, vous n’avez jamais vu sa face, et sa parole ne demeure pas en vous. (Jn 5:36-37)

Les paroles que je vous dis, ce n’est pas de moi-même que je les prononce. C’est le Père demeurant en moi qui accomplit ses propres oeuvres. (Jn 14:10)

C’est pourquoi la haine du Fils est haine du Père. « Ils ont haï et moi et mon Père. » (Jn 15:24)

Le rejet de Jésus est un péché, différent de tous les autres péchés. Il est inexcusable, parce que le monde est tenu pour responsable de discerner la vérité quand la vérité lui est présentée. Mais il refuse de voir, d’entendre et de comprendre!

Quiconque nie le Fils n’a pas non plus le Père. Celui qui confesse le Fils a aussi le Père. (1 Jn 2:23)

Celui qui a le Fils a la vie; celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie. (1 Jn 5:12)

L’apostasie du monde est l’accomplissement de la prophétie: « Ils m’ont haï sans cause! » Sans autre cause que le péché, l’endurcissement dans le péché.

L’amour du péché conduit à la haine de l’amour, parce que seule la haine du péché donne l’amour de l’amour.

C’est pourquoi, à travers toute l’histoire du monde, deux grands courants agissent au coeur de l’existence humaine et s’opposent sans cesse comme l’eau et le feu:

i) Le premier est dû à l’action du Saint-Esprit. Par la puissance agissante de la Parole de Dieu incarnée en Jésus-Christ, il redirige vers son Créateur la création qui, par la Chute, s’était séparée de sa véritable origine. Entre l’homme et le Père céleste, l’Esprit saint établit une relation de filialité. Ce courant régénérateur est celui de la révélation de la Parole de Dieu, avec ses thèmes fondamentaux, à savoir: la création, la chute et la rédemption par Jésus-Christ dans la communion du Saint-Esprit .

ii) Le second courant est celui de l’esprit d’apostasie. Il cherche à éloigner l’homme et à le séparer du seul vrai Dieu. Formidable puissance religieuse, il domine le coeur de l’homme et le conduit à la déification de la créature, à l’idolâtrie de soi.

Cet esprit d’apostasie, cette haine du monde à l’égard du Christ et de ses disciples, qui est une haine contre Dieu, se manifeste non seulement entre gens du monde et disciples de Jésus d’une manière directe, mais dans toutes les activités humaines, qui ne veulent tenir compte ni du Christ ni de Dieu. Dans la fausse science, les philosophies, les idéologies, la politique, les conceptions historiques, dans le droit, dans les arts, dans la morale, la littérature, la radio, le cinéma, la télévision, etc., l’industrie, le travail, la publicité, etc. RIEN N’Y ÉCHAPPE! Chrétiens, nous sommes quotidiennement assaillis par le mépris du Christ et de Dieu, par d’innombrables voies convergentes, comme un îlot battu par la tempête… Nous ne pouvons éviter ce combat! Pour discerner l’esprit du monde de l’esprit du Christ, nous devons sans cesse rester en éveil, travailler avec acharnement, réfléchir, résister et tenir… Aucun chrétien, ici, n’a droit au repos. Aucun ne peut esquiver ce combat. S’il ne combat pas, c’est qu’il est du monde, ennemi du Christ et de Dieu.

Mais chacun reçoit deux consolations, témoin de la puissance de la Parole de Dieu. « S’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre », qui accomplit – quotidiennement pour ceux qui ont la foi capable de discerner les fruits de la foi – des choses merveilleuses: l’alliance de grâce, l’évangélisation et la mission. L’Eglise du Christ s’édifie, se réforme, s’accomplit, se remplit dans l’attente de la venue de son Epoux.

Voici la seconde consolation. Comme seuls nous ne pouvons rien, Christ nous apporte une promesse: la présence, l’illumination, la consolation, la communion du Saint-Esprit nous sont données. Esprit de prophétie, Esprit de force, Esprit de joie, Esprit de paix: l’Esprit de victoire sur le monde! C’est par là que le Christ terminera cet ultime entretien.


* P. Marcel (1910-1992) a été pasteur de l’Eglise Réformée de France et fondateur de La Revue réformée.

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