L’engagement politique à la lumière de l’Engagement du Cap : agir en responsable centré sur Christ

L’engagement politique
à la lumière de l’Engagement du Cap :
agir en responsable centré sur Christ


Franck Meyer
Président du Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH), maire de Sotteville-sous-le-Val (Seine-Maritime)


Préambule

L’Engagement du Cap parle-t-il vraiment de politique ? Avant même de commencer notre réflexion, observons que le mot « politique » y est employé à quatorze reprises. Mais qu’entend-on par « engagement politique » ?

On le sait, le mot « politique » tire son sens premier de « la ville ». Ainsi s’occuper des affaires de la ville, c’est au sens propre « faire de la politique ». Ce sens s’est tout naturellement étendu, englobant de manière générale tout ce qui a rapport aux « affaires publiques », c’est-à-dire à celles qui touchent « le peuple » (publius en latin). Et parce qu’on aborde, par ce biais, la « manière de gouverner » et non plus seulement l’objet du gouvernement, l’adjectif « politique » doit être compris comme une manière fine et adroite de parvenir à ses fins !

Dans l’Engagement du Cap, ce n’est pas ce dernier sens qui se dégage, mais bien celui des « affaires publiques » et de la participation aux « affaires publiques ». On y trouve les formulations suivantes, sous forme de substantif : « les politiques publiques », « la sphère des politiques publiques » ; ou bien, en tant qu’adjectif, le mot « politique » est utilisé pour parler du « plaidoyer politique », des « idéologies politiques », de la « vie politique », de la « rhétorique politique » ou encore pour dénoncer « les violences politiques ».

Quel sera le point de vue de mon analyse ? Le regard que je porterai sur mon sujet se fera selon quatre points de vue : celui d’un chrétien évangélique, celui d’un élu local (depuis vingt et un ans), celui d’un membre du Groupe Lausanne France qui a participé au rassemblement du Cap en 2010, et celui du président du Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH), une association issue du Mouvement de Lausanne.

Introduction

« Nous affirmons que l’évangélisation et l’engagement sociopolitique font tous deux partie de notre devoir chrétien. »1

Une telle affirmation rédigée pour la première fois en 1974 par John Stott et Billy Graham, et reprise dans l’Engagement du Cap, a le mérite d’être très claire. Ce n’est pas une annexe de l’engagement à suivre Jésus, pris lors de notre baptême. L’évangélisation et l’engagement politique sont « consubstantiels », si je puis dire, de notre devoir de chrétien ! Et voilà liés pour de bon la proclamation et l’action, la parole et les actes, la foi et les œuvres. Les fins connaisseurs des textes de Lausanne diront que cette citation est tirée d’un paragraphe de la Déclaration de Lausanne qui s’intitule « La responsabilité sociale du chrétien » (chapitre « Nous aimons la mission de Dieu » dans l’Engagement du Cap). Mais la « responsabilité sociale », est-ce vraiment la responsabilité politique ? La Déclaration de Lausanne a-t-elle réellement dit « sociopolitique » ?

Avouez que plus d’un parmi nous est peut-être gêné par la citation que j’ai choisie pour ouvrir mon exposé ! Alors permettez-moi de la répéter : « Nous affirmons que l’évangélisation et l’engagement sociopolitique font tous deux partie de notre devoir chrétien ! »

Et c’est parce que je ne veux rien trahir ou fausser du texte de l’Engagement du Cap sur le sujet de l’engagement politique que, dans une première partie, je voudrais voir ce que signifie passer d’une déclaration (celle de Lausanne) à un engagement (celui du Cap). Dans une deuxième partie, je montrerai quelle lumière apporte l’Engagement du Cap sur tout engagement politique et, en troisième lieu, ce que signifie ou devrait signifier, pour nous tous, « agir en responsable centré sur Christ ».

1. De la Déclaration de Lausanne vers l’Engagement du Cap : histoire d’un cheminement évangélique vers l’engagement sociopolitique des chrétiens

La Déclaration de Lausanne est issue du Congrès international pour l’évangélisation mondiale qui s’est tenu à Lausanne, en Suisse, en juillet 1974, avec une participation de plus de 4000 chrétiens venus du monde entier. Cette déclaration a été rédigée sous la direction des pasteurs John Stott et Billy Graham.

Il s’agit bien d’une déclaration, car parmi les sept premiers chapitres qui la composent, six d’entre eux commencent par ces mots : « Nous affirmons… » Les évangéliques ont eu besoin, nous le savons, d’affirmer leur foi « au Dieu éternel et unique, créateur et Seigneur du monde, Père, Fils et Saint-Esprit, qui règne sur toute chose selon le dessein de sa volonté »2. Cette confession de foi est accompagnée d’une confession de choix ! Et cela nous l’oublions trop souvent. C’est ce que j’appellerai le mea culpa évangélique.

a. Le mea culpa évangélique

A quatre reprises, la Déclaration de Lausanne se fait déclaration de repentance :

Nous sommes poussés à nous repentir de nos manquements et stimulés par la tâche qui nous reste à accomplir dans le domaine de l’évangélisation3.

Nous confessons avec honte que nous avons souvent renié notre vocation et failli à notre mission, car nous nous sommes conformés au monde ou bien nous nous en sommes retirés4.

Nous reconnaissons avec humilité que nous avons été négligents et que nous avons parfois considéré l’évangélisation et l’action sociale comme s’excluant l’une l’autre5.

Nous confessons que notre témoignage a été parfois déprécié par notre individualisme coupable et par une dispersion inutile6.

b. Le constat, le contrat

Ces quatre confessions portent sur « nos manquements » dans le domaine de l’évangélisation, et deux reconnaissent particulièrement le retrait sociopolitique des chrétiens. Le retrait du monde comme la conformité au monde sont des attitudes coupables. Et c’est d’ailleurs parce que Dieu est non seulement le Créateur, mais aussi « le juge de tous les hommes » que

nous devrions désirer comme lui que la justice règne dans la société, que les hommes se réconcilient et qu’ils soient libérés de toutes sortes d’oppressions […] C’est pourquoi chaque être humain devrait être respecté, servi et non exploité. […] Le message du salut implique aussi un message de jugement sur toute forme d’aliénation, d’oppression et de discrimination7.

S’appuyant sur Jacques 2.14-26, la Déclaration de Lausanne affirme que

le salut dont nous nous réclamons devrait nous transformer totalement dans notre façon d’assumer nos responsabilités personnelles et sociales. La foi sans les œuvres est morte8.

C’est forte de cet éclairage biblique et du refus d’une dichotomie impossible entre la foi et les œuvres que la Déclaration de Lausanne passe progressivement du « nous confessons… » et du « nous affirmons… » au « nous nous engageons par une alliance solennelle avec Dieu, et les uns avec les autres, à prier, à dresser des plans et à œuvrer ensemble pour l’évangélisation du monde entier ».

c. Le fruit et non l’appât

Cet appel (ce rappel) à la responsabilité sociale n’est pas une stratégie de séduction pour mieux attirer à Jésus-Christ ceux qui ne le connaissent pas. Non, la « responsabilité sociale » ou l’« engagement sociopolitique », pour reprendre les mots de la Déclaration de Lausanne, sont des fruits et non des appâts !

Lorsque nous transmettons l’invitation de l’Evangile, nous n’avons pas le droit de cacher ce qu’il en coûte d’être un disciple du Christ. Jésus continue d’appeler ceux qui veulent le suivre à renoncer à eux-mêmes […]. L’obéissance au Christ, l’intégration à son Eglise et un service responsable dans le monde sont les conséquences de l’évangélisation9.

La Déclaration de Lausanne contient en elle-même le cheminement évangélique qui, partant de la repentance, passe par l’affirmation de la foi et de ses conséquences pour aller vers l’engagement à évangéliser, dont l’un des fruits est « un service responsable dans le monde ». De même que la foi sans les œuvres est morte, peut-on conclure que l’évangélisation sans l’engagement sociopolitique est morte ? En 2010, l’Engagement du Cap fut l’occasion pour les évangéliques d’approfondir cela.

2. L’engagement politique à la lumière de l’Engagement du Cap

On ne réalise pas suffisamment à quel point l’Engagement du Cap est un texte « engagé », dans le sens où il est non seulement un rappel de la confession de foi évangélique, centré sur l’amour, mais aussi un appel à l’action et au service. La première partie étant de façon évidente l’inspiration de la seconde et la seconde la résultante obligée de la première.

N’est-ce pas toutefois osé de parler d’engagement politique et d’engagement du Cap, même si le premier est présenté à la lumière du second ? Et puis parle-t-on « politique » dans l’Engagement du Cap ? Eh bien oui ! Comme je l’ai rappelé en préambule, le mot « politique » figure à quatorze reprises dans le texte de l’Engagement.

a. Engagement convaincu et mission intégrale précisés par l’Engagement du Cap

L’Engagement du Cap est un texte qui s’inscrit dans la continuité de la Déclaration de Lausanne, on ne s’étonnera donc pas que cette dernière soit citée, et elle l’est très précisément par l’intermédiaire du texte qui a ouvert notre intervention avec, à la même page, une surenchère précise affirmant que

toute notre mission doit donc refléter l’intégration de l’évangélisation et l’engagement convaincu dans le monde, les deux étant commandés et insufflés par la totalité de la révélation biblique de l’Evangile de Dieu10.

b. Lever les objections à l’engagement sociopolitique

On sent bien, face à une telle insistance, qu’il faut ôter des objections face à l’engagement sociopolitique et donc politique des chrétiens. L’Engagement du Cap s’y emploie, citations bibliques à l’appui. Tout d’abord en rappelant le lien indissoluble qui existe entre l’« engagement convaincu » et la « mission intégrale ». L’« engagement convaincu » fait partie de la « mission intégrale » qui

est la proclamation et la mise en pratique de l’Evangile. Il ne s’agit pas simplement de faire en même temps de l’évangélisation et de l’action sociale. Au contraire, dans la mission intégrale, notre proclamation a des conséquences sociales puisque nous appelons à l’amour et à la repentance dans tous les domaines de la vie. Et, par ailleurs, notre implication sociale a des conséquences pour l’évangélisation, puisque nous témoignons de la grâce transformatrice de Jésus-Christ11.

Puis, en dénonçant les effets dommageables de tout partage entre le sacré et le séculier :

Nous déclarons que ce partage entre le sacré et le séculier est l’un des principaux obstacles à la mobilisation de tout le peuple de Dieu dans la mission de Dieu et nous en appelons aux chrétiens du monde entier pour qu’ils rejettent cette idée toute faite qui n’est pas biblique et qu’ils résistent à ses effets dommageables12.

Finalement, ne pas servir Dieu dans le monde, c’est une attitude qui est au service du mal et non du bien. L’Engagement du Cap se fait alors insistant en direction de chaque croyant et, plus particulièrement, des pasteurs et des responsables d’Eglises :

Nous encourageons tous les croyants à accepter et à affirmer que tout travail auquel Dieu les a appelés, quel que soit l’endroit, constitue leur propre ministère et mission journaliers. Nous interpellons les pasteurs et les responsables d’Eglise pour qu’ils soutiennent les personnes engagées dans de tels services – dans la communauté et dans le monde du travail – « pour que ceux qui appartiennent à Dieu soient rendus aptes à accomplir leur service » – dans toutes les parties de leur vie13.

c. La politique fait-elle partie des « travaux » auxquels le chrétien peut être appelé ?

Dans le chapitre intitulé « Nous aimons le monde pauvre et souffrant », l’action politique est désignée comme l’un des moyens possibles, sans être le seul, à l’accomplissement de l’amour de Dieu en faveur des plus fragiles :

La Bible nous dit que le Seigneur a de l’amour pour tout ce qu’il a fait, soutient la cause des opprimés, aime l’étranger, nourrit l’affamé, soutient l’orphelin et la veuve. La Bible nous montre également que Dieu veut faire ces choses en passant par des êtres humains qui se consacrent à de tels actes. Dieu tient tout particulièrement pour responsables ceux qui, dans la société, sont placés à des postes de direction politique ou judiciaire, mais c’est tout le peuple de Dieu qui a reçu le commandement, par la loi et les prophètes, les Psaumes et la Sagesse, Jésus et Paul, Jean et Jacques, de refléter l’amour et la justice de Dieu par un amour et une justice pratiques pour ceux qui sont dans le besoin14.

Face aux victimes de la traite des êtres humains, l’Engagement du Cap adresse d’ailleurs un vibrant appel engageant l’Eglise à se lever et à traiter les facteurs politiques « qui nourrissent ce commerce »15.

Constatant que « les sphères étroitement liées du gouvernement, des affaires et de l’éducation ont une grande influence sur les valeurs de chaque nation et, en termes humains, pour définir la liberté de l’Eglise », l’Engagement du Cap encourage « les disciples du Christ à s’engager activement dans ces sphères, tant dans le service public que dans l’entreprise privée, de manière à façonner les valeurs sociétales et à peser sur le débat public »16.

d. L’Engagement du Cap peut-il inspirer l’action politique ?

Je le crois et nous allons le voir à partir de quelques exemples et citations tirées de l’Engagement.

1)  La lutte contre la traite des êtres humains, comme nous venons de le voir. En France, le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH), dont les statuts s’appuient sur les Déclarations de Lausanne et de Manille, fait partie, avec l’Armée du Salut, du collectif d’associations françaises « ensemble contre la traite des êtres humains »17.

2)  « Faisons tous nos efforts pour parvenir au but : la liberté religieuse pour tous. Il faut pour ceci plaider auprès des gouvernements au nom de ceux qui sont persécutés : les chrétiens comme les personnes qui professent d’autres religions. »18 Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) a d’ailleurs engagé une vaste campagne à ce sujet : « Libre de le dire »19.

3)  « Un tel amour pour la création de Dieu exige que nous nous repentions de la part que nous avons prise à la destruction, au gaspillage et à la pollution des ressources de la terre et de notre complicité à l’idolâtrie toxique du consumérisme. Au contraire, nous nous engageons à la responsabilité écologique urgente et prophétique »20 et nous voulons « user de moyens légitimes pour persuader les gouvernements de placer les impératifs moraux au-dessus de l’opportunisme politique en ce qui concerne les questions de la destruction de l’environnement et du changement climatique potentiel »21.

4)  « Nous qui sommes membres de l’Eglise, nous nous engageons à faire tout notre possible dans l’Eglise et dans la société pour renforcer les mariages fidèles et une vie de famille saine […] résister aux multiples formes de sexualité désordonnée dans la culture environnante, y compris la pornographie, l’adultère et la promiscuité. »22

5)  « Nous qui sommes l’Eglise mondiale, levons-nous pour ce combat au nom du Christ et dans la puissance de l’Esprit Saint. Tenons-nous aux côtés de nos frères et sœurs dans les zones les plus durement touchées par le VIH et le sida, par un soutien pratique, des soins pleins de compassion (y compris la prise en charge des veuves et des orphelins), le plaidoyer social et politique, des programmes éducatifs (en particulier ceux qui autonomisent les femmes) et par des stratégies de prévention efficace appropriées au contexte local. »23

e. Rien sans l’Esprit Saint

Nous ne devons cependant jamais oublier que

notre engagement dans la mission est vain et stérile sans la présence, la direction et la puissance de l’Esprit Saint. C’est vrai de la mission dans toutes ses dimensions : évangéliser, témoigner de la vérité, former des disciples, œuvrer en faveur de la paix, s’engager socialement, agir pour une transformation éthique, prendre soin de la création, vaincre les puissances du mal, chasser des esprits démoniaques, guérir les malades, souffrir et persévérer sous la persécution24.

f. L’esprit critique

Dans ce domaine, il semble que le constat soit sans appel : « Nous acceptons les idéologies politiques et économiques sans jugement critique biblique. »25 C’est pourquoi l’Eglise doit

aider tous et chacun à développer une prise de conscience plus critique vis-à-vis des messages qu’ils reçoivent et de la vision du monde qui les sous-tend. Les médias peuvent être neutres et parfois favorables à l’Evangile. Ils sont cependant utilisés aussi pour la pornographie, la violence et la cupidité. Nous encourageons les pasteurs et les Eglises à aborder ces questions ouvertement et à dispenser l’enseignement et les conseils dont les chrétiens ont besoin pour résister à de telles pressions et tentations26.

De même les évolutions technologiques étant extrêmement rapides et peu soumises à la controverse, l’Engagement du Cap en appelle

aux centres de formation théologique ou pastorale pour qu’ils abordent ces domaines dans leur programme d’étude, afin que les responsables d’Eglise et les formateurs théologiques futurs développent une critique chrétienne éclairée à l’égard des technologies nouvelles27.

Les chrétiens ont donc une obligation morale fondée sur « le respect envers le caractère unique de la dignité et de l’inviolabilité de la vie humaine »28 et, par voie de conséquence, ils doivent

promouvoir des réponses et une action pratique authentiquement chrétiennes dans la sphère des politiques publiques, pour veiller à ce que ces technologies29 servent non à manipuler, déformer et détruire, mais à préserver et mieux accomplir notre humanité, celle d’hommes et de femmes que Dieu a créés à son image30.

L’Engagement du Cap formule un conseil méthodologique précis demandant « aux chrétiens présents dans les secteurs du gouvernement, des affaires, de l’éducation et des techniques » de former « des groupes de réflexion ou des partenariats nationaux ou régionaux, pour discuter en profondeur des nouvelles technologies et apporter leur voix à la formation des politiques publiques, une voix biblique et pertinente »31.

g. La critique politique envers une politique critique

L’Engagement du Cap réinscrit la sphère politique dans le cadre général de la corruption due au péché :

Les effets du péché et de la puissance du mal ont corrompu toutes les dimensions de la personne humaine (spirituelle, physique, intellectuelle et relationnelle). Ils se sont répandus dans la vie culturelle, économique, sociale, politique et religieuse dans toutes les cultures et toutes les générations de l’histoire. Ils ont causé une misère incalculable à l’espèce humaine et des dommages considérables à la création de Dieu32.

Ainsi, quel que soit l’engagement des hommes, celui-ci comporte des marques de corruption, des risques, des dangers, des pièges à éviter.

En voici quelques-uns que mentionne l’Engagement du Cap :

– « La corruption est condamnée par la Bible. Elle mine le développement économique, déforme une prise de décision juste et détruit la cohésion sociale. Aucune nation n’est exempte de corruption. Nous invitons les chrétiens qui sont dans le monde du travail, surtout les jeunes entrepreneurs, à réfléchir de façon créative à la meilleure façon de prendre position contre ce fléau. »33

– Le mensonge : « Au nom du Dieu de vérité, nous refusons de répandre des mensonges et des caricatures sur les autres religions, et nous dénonçons et refusons l’incitation aux préjugés, à la haine et à la peur racistes véhiculée par les médias populaires et la rhétorique politique. »34

– La naïveté : « Nous sommes appelés à être doux sans être naïfs. »35

– La division politicienne qui peut altérer le témoignage des chrétiens, car « une caractéristique puissante et convaincante de la vérité de l’Evangile réside dans le fait que les croyants chrétiens sont unis dans l’amour en dépit des barrières que constituent les divisions invétérées du monde : barrières de race, de couleur, d’appartenance sexuelle, de classe sociale, de privilège économique ou d’obédience politique. Par contre, peu de choses détruisent autant notre témoignage que le fait que des chrétiens reflètent et amplifient les mêmes divisions entre eux. »36

C’est parce que la tâche est difficile que nous devons tout particulièrement

reconnaître, équiper et soutenir dans la prière ceux qui peuvent intervenir, dans l’arène publique, au plus haut niveau intellectuel et public pour apporter une argumentation en faveur de la vérité biblique et la défendre37.

Nous soutenons les chrétiens dont l’appel missionnel particulier est tourné vers le plaidoyer et l’action en faveur de l’environnement, ainsi que ceux dont le mandat est de pourvoir au bien-être et aux besoins de l’humanité par l’exercice responsable de la domination et de la gestion38.

En conclusion, même si nous ne sommes pas tous appelés à servir dans les sphères politique ou de gouvernement,

la Bible nous enseigne à être de bons citoyens, à rechercher la prospérité de la nation dans laquelle nous vivons, à honorer et porter dans la prière ceux qui exercent des fonctions d’autorité, à payer nos impôts, à faire le bien et à chercher à vivre des vies paisibles et tranquilles. Obéissons consciencieusement à l’enseignement biblique. Le chrétien est appelé à se soumettre à l’Etat, à moins que ce dernier n’ordonne ce que Dieu interdit, ou interdise ce que Dieu ordonne. Si donc l’Etat nous oblige à choisir entre la loyauté envers lui et notre loyauté plus haute envers Dieu, nous devons dire Non à l’Etat parce que nous avons dit Oui à Jésus-Christ comme Seigneur39.

3. Agir en responsable centré sur Christ

Un chapitre de l’Engagement du Cap est consacré spécifiquement à ce thème. Pourtant, nous pouvons trouver plusieurs fois ce sujet abordé au fil de l’Engagement. « Agir en responsable centré sur Christ » n’est pas un objectif qui s’adresse à celles et ceux qui font de la politique. Non, ceux qui exercent des responsabilités dans l’Eglise sont les premiers visés, mais le texte généralise et rappelle le devoir d’intercession du chrétien pour les autorités : « Nous renouvelons notre engagement à prier pour nos dirigeants. Nous avons soif que Dieu multiplie, protège et encourage les responsables qui sont bibliquement fidèles et obéissants » et le texte se fait même plutôt audacieux concernant ceux dont le comportement s’est éloigné de la vérité biblique :

nous prions que Dieu reprenne, écarte ou conduise à la repentance les responsables qui déshonorent son nom et discréditent l’Evangile. Et nous prions pour que Dieu suscite une nouvelle génération de responsables-serviteurs, formés à la vie de disciple, dont la passion est par-dessus tout de connaître le Christ et de lui ressembler40.

Selon le document du Mouvement de Lausanne, trois caractéristiques devraient apparaître clairement chez tout responsable chrétien, également appelé « responsable-serviteur », qu’il agisse dans l’Eglise ou hors de l’Eglise : un caractère chrétien, un style de vie biblique et un cœur de serviteur.

Dans le chapitre intitulé « Nous aimons Dieu le Père », l’Engagement du Cap explique que cet amour nous porte à refléter le « caractère » de Dieu et « nous devons faire des œuvres bonnes pour que notre Père en reçoive la louange », et le texte de préciser concrètement en quoi cela consiste :

Nous devons aimer nos ennemis pour refléter l’amour paternel de Dieu. Nous devons pratiquer le don, la prière et le jeûne sous le seul regard du Père. Nous devons pardonner comme le Père nous a pardonné41.

Un tel comportement est désigné comme le « fruit d’un caractère chrétien ».

Dans le chapitre ayant pour titre « Nous aimons la parole de Dieu », l’appel de Jésus à ne pas écouter la « parole » seulement42 mais également à la mettre en pratique, nous est clairement remémoré, détaillant alors en quoi consiste un « style de vie biblique » :

un tel style de vie biblique comprend la justice, la compassion, l’humilité, l’intégrité, l’honnêteté, la vérité, la chasteté sexuelle, la générosité, la bonté, l’abnégation, l’hospitalité, le travail pour la paix, l’absence de vengeance, faire le bien, le pardon, la joie, le contentement et l’amour – le tout combiné dans une vie d’adoration, de louange et de fidélité envers Dieu43.

Enfin, l’Engagement du Cap insiste sur le fait que

les authentiques responsables chrétiens doivent ressembler au Christ, avoir un cœur de serviteur, être revêtus d’humilité, d’intégrité, de pureté, ignorer la cupidité, baigner dans la prière, dépendre de l’Esprit de Dieu et être remplis d’un profond amour pour les êtres humains44.

Le chapitre « Agir en responsable centré sur Christ », dans lequel se trouve détaillé le « cœur de serviteur », s’ouvre sur un constat que l’on sent empreint de tristesse :

la croissance rapide de l’Eglise reste, en beaucoup d’endroits, vulnérable et peu profonde, en raison, en partie, du manque de responsables formés et, en partie, de l’usage par un trop grand nombre d’entre eux de leur position pour exercer une puissance temporelle, asseoir un statut social et s’enrichir personnellement »45

On l’aura compris, l’exemplarité des chrétiens en matière d’exercice du pouvoir est fondamentale pour que la croissance de l’Eglise soit forte et solide. Avions-nous bien pensé à cela ?

L’Engagement du Cap termine le chapitre « Agir en responsable centré sur Christ » par deux utiles recommandations :

Ceux d’entre nous qui sont des responsables chrétiens doivent reconnaître leur vulnérabilité et accepter le don qu’est l’obligation de rendre des comptes au sein du Corps du Christ. Nous recommandons la pratique consistant à se soumettre à un groupe auquel nous devons rendre des comptes46.

Cette dernière obligation me semble essentielle si l’on veut se prémunir des dérives sournoises qui peuvent si facilement emporter ceux qui exercent des responsabilités. Ce devoir de rendre des comptes est un devoir de soumission mutuelle conforme à l’ordre biblique de se soumettre les uns aux autres. C’est ainsi que l’on pourra être un « responsable-serviteur » centré sur Christ.

En conclusion

La lecture et l’étude de l’Engagement du Cap nous montrent que le Mouvement de Lausanne, depuis son origine en 1974 jusqu’à nos jours, a conduit les chrétiens évangéliques à formuler progressivement leur volonté d’engagement sociopolitique, en résistant à la tentation de faire de ce dernier un « appât » pour ceux qui ne connaissent pas Christ. Tout comme l’intégration dans l’Eglise, pour les évangéliques, l’engagement social et politique est la conséquence de l’évangélisation. C’est parce que Christ a changé leur vie qu’ils s’engagent au service de leur prochain et c’est avec le secours du Saint-Esprit qu’ils veulent « œuvrer en faveur de la paix, s’engager socialement, agir pour une transformation éthique, prendre soin de la création ».

L’Engagement du Cap met également en lumière les dérives de la politique (abus de pouvoir, cupidité, corruption, mensonge, luttes fratricides…), sans pour autant délaisser ou condamner le sujet. L’aspiration que l’Engagement contient (« nous avons soif que Dieu multiplie, protège et encourage les responsables qui sont bibliquement fidèles et obéissants ») résonne aujourd’hui plus que jamais dans le cœur des citoyens de notre monde, de nos pays, de nos villes et de nos Eglises. Cette soif-là, je la mesure chaque jour en tant qu’élu, j’en ressens l’urgence quotidienne.

L’Engagement du Cap ne se contente pas de donner aux chrétiens évangéliques de grands objectifs, de fixer un Cap – si je puis dire. Par le devoir de rendre des comptes, qu’il rappelle comme une nécessité biblique, il déploie un garde-fou que nous devons accepter parce qu’il nous est salutaire. Par la nécessité de développer un juste esprit critique, il nous invite à la sagesse. Par l’appel à l’engagement, même politique, il nous invite à servir et à aimer en étant centré sur Christ. C’est cette lumière-là que l’Engagement du Cap peut apporter à tout engagement politique. Cette lumière que je voudrais condenser, au moins en partie, par cette recommandation biblique qui m’est chère : « Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire » (Ph 2.3), ce qui n’a jamais été un encouragement à ne rien faire !

A Dieu revienne toute la gloire, pour les siècles des siècles. Amen.


  1.  Déclaration de Lausanne, section 5.↩︎

  2.  Section 1.↩︎

  3.  Introduction.↩︎

  4.  Section 1.↩︎

  5.  Section 5.↩︎

  6.  Section 7.↩︎

  7.  Section 5.↩︎

  8.  Section 5.↩︎

  9.  Section 4.↩︎

  10.  I, 10, B.↩︎

  11.  Ibid.↩︎

  12.  II, i, 3.↩︎

  13.  II, i, 3, B.↩︎

  14.  I, 7, C.↩︎

  15.  II, ii, 3, A.↩︎

  16.  II, i, 7, A.↩︎

  17.  http://contrelatraite.org/.↩︎

  18.  Ibid., p. 69.↩︎

  19.  http://libredeledire.fr/.↩︎

  20.  I, 7, A.↩︎

  21.  II, ii, 6, B.↩︎

  22.  II, v, 2, B.↩︎

  23.  II, v, 2, E.↩︎

  24.  I, 5, C.↩︎

  25.  I, 2, A.↩︎

  26.  II, i, 4, A.↩︎

  27.  II, i, 6, B.↩︎

  28.  II, i, 6, D.↩︎

  29. Biotechnologie, bio-informatique, nanotechnologies, réalité virtuelle, intelligence artificielle et robotique.↩︎

  30.  II, i, 6.↩︎

  31.  II, i, 6, C.↩︎

  32.  I, 8, A.↩︎

  33.  II, i, 7, B.↩︎

  34.  II, iii, 1, C.↩︎

  35.  II, iii, 1.↩︎

  36.  I, 9, A.↩︎

  37.  II, i, 2.↩︎

  38.  I, 7, A.↩︎

  39.  II, iii, 6, B.↩︎

  40.  II, iv, 3, B.↩︎

  41.  I, 3, C.↩︎

  42.  Matthieu 7.21-27.↩︎

  43.  I, 6, D.↩︎

  44.  II, iv, 3.↩︎

  45.  II, iv, 3.↩︎

  46.  II, iv, 3, C.↩︎

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