Qui est mon prochain ?Action sociale et amour fraternel…
Charles NICOLAS*
En demandant à Jésus quel est le plus grand commandement de la loi, le pharisien de Matthieu 22 ne semblait pas hypocrite et Jésus lui a répondu directement. Directement, mais avec un décalage cependant, car Jésus cite deux commandements, distincts et semblables, qui mettent presque sur le même plan l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain. C’était là une manière on ne peut plus claire de souligner la très grande importance de ce second commandement, inséparable du premier, plusieurs fois cité dans le Nouveau Testament comme étant l’accomplissement de la Loi (Rm 13.8).
Comment cela se fait-il, alors que beaucoup voient dans cet appel évangélique une des marques principales de la vie chrétienne, qu’il soit si difficile de s’accorder sur la compréhension du terme « prochain » ? Comment obéir à un commandement dont le sens demeure flou, équivoque ? Comment, dans ces conditions, donner un enseignement qui ne soit pas approximatif ? Comment s’assurer que l’on demeure bien dans la ligne de la révélation, que l’on considère la pensée de Dieu et la réalité qui nous entoure avec cette intelligence que Jésus a rencontrée chez le centenier de Matthieu 8, et qu’il a admirée ?
Le fruit de la réflexion que nous proposons, nous l’énonçons ici comme point de départ : quand la Bible parle des « frères », des « saints », du « prochain », elle parle des mêmes personnes. Nous n’ignorons pas que cette affirmation est susceptible de surprendre, voire de choquer, mais nous la croyons juste, avec toutes les précautions qui s’imposent dans la manière de la dire et de la vivre. Nous croyons qu’elle est simplement inacceptable… en dehors de la foi, à la lumière des seules considérations humaines, mais nous constatons aussi qu’elle a de nombreuses incidences, en lien avec des sujets aussi importants que notre relation à Jésus-Christ, l’édification de l’Eglise et le témoignage du Royaume de Dieu dans ce monde.
I. Christ et son Eglise, c’est tout un
A. La finalité, c’est Christ !
Quand Paul dit que la prédication chrétienne est une folie pour les incrédules, ce n’est pas seulement une manière de parler. Christ n’est pas seulement un modèle, il est le chef ; il n’est pas seulement le Sauveur dont nous avions besoin, il est aussi Seigneur du ciel et de la terre ; il n’est pas seulement la porte, le chemin, le berger, il est aussi le but du chemin, le roi dont nous reconnaissons l’autorité et à qui nous apportons nos hommages. L’apôtre Paul ne résume-t-il pas ainsi son ministère : prêcher Christ !
A bien y regarder, c’est là l’entière et unique préoccupation des écrits apostoliques : Christ ! « En lui ont été créées toutes choses… Tout a été créé par lui et pour lui… Il est la tête du corps de l’Eglise… afin qu’il soit avant tout le premier. » (Col 1.16-18) C’est là la « même pensée » qui doit nous habiter et nous mobiliser, qui doit se voir fortement parmi nous, avec une double implication : la sanctification des croyants et l’appel adressé à ceux du dehors[1]… « afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre » (Ph 2. 10).
B. La tête et le corps
« Je suis Jésus que tu persécutes ! » (Ac 9.5) En faisant cette déclaration à Saul de Tarse qui persécutait des chrétiens, Jésus révèle l’unité corporelle qui le lie à ses disciples[2]. C’est là une révélation proprement stupéfiante qui est à même de bouleverser notre regard et notre attitude envers nos frères et sœurs chrétiens, quels qu’ils soient. Ainsi, nous voyons que le mot « Christ » peut désigner la tête ou… la tête et le corps : Christ et les saints, c’est tout un ! « Comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ. » (1Co 12.12) Nous déduisons de cela que ce n’est pas le corps seulement qui est uni directement à la tête, mais bien chaque membre.
C. Le corps et les membres
« Nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps et nous sommes tous membres les uns des autres. » (Rm 12.5 ; cf. 1Co 12.27) Il ne s’agit pas là d’une image seulement, mais bel et bien d’une réalité dont on ne prend conscience que par la foi[3]. Prendre conscience de cette réalité fait apparaître d’innombrables applications immédiates qui constituent une part majeure de la vocation chrétienne. Prendre conscience de cette réalité, c’est rendre indissociables les dimensions personnelle et communautaire de la vie chrétienne. « L’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de toi… » « Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui. » (1Co 12.21, 26) Cette forte dépendance des membres et du corps est marquée à plusieurs reprises par l’alternance des mots « chacun » et « tous » dans les lettres de Paul.
Trois implications pratiques
a. Les ministères sont donnés par Christ pour l’Eglise. Y compris celui d’évangéliste. Cela est dit très clairement au chapitre 4 de la lettre aux Ephésiens. Ils sont donnés « pour l’équipement des saints, en vue du ministère [de l’Eglise] et de l’édification du corps de Christ, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus… » (Ep 4.11ss). L’apôtre Paul le dit ailleurs encore : « Présentement, je vais à Jérusalem, pour le service des saints. » (Rm 15.25) On pourrait traduire ainsi : Christ édifie et prend soin de son Eglise par les ministères (et par les dons répartis entre l’ensemble des membres) ; par son Eglise, Christ rend présents son témoignage et son appel dans le monde. C’est ainsi que l’on peut parler des ministères dans l’Eglise et du ministère de l’Eglise dans le monde, en tant que peuple saint.
b. La notion biblique d’édification est toujours communautaire[4]. Edifier, c’est construire un édifice. Le mot a la même racine que le mot maison. « Edifiez-vous pour former une maison spirituelle… » (1P 2.5 ; cf. Ep 4.16, 25) Il est évidemment nécessaire que chacun « s’édifie » personnellement, comme on l’entend habituellement, en tant que « pierre vivante », mais ce n’est pas la finalité. La finalité, c’est le corps, c’est-à-dire Christ ! Paul le dit ainsi : « En effet, nul de nous ne vit pour lui-même… car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur. » (Rm 14.7-8)
c. L’amour et l’entraide fraternels ont pour cadre l’Eglise. En réalité, c’est le même principe, mais traduit autrement. « … afin que les membres aient également soin les uns des autres, de telle sorte qu’il n’y ait pas de division dans le corps. » (1Co 12.24-25) Nous reconnaissons là le souci du Seigneur pour son Eglise. Nous notons qu’il ne s’agit pas ici de division doctrinale, mais d’une division due au fait que certains parmi les frères sont négligés et donc attristés. La communion est en jeu… Par exemple, des chrétiens prennent la cène ensemble, puis certains vont se retrouver dans l’abondance matérielle ou relationnelle, tandis que d’autres vont se retrouver démunis ou seuls. Si cela engendre de la souffrance, l’unité spirituelle de l’Eglise est en danger, ainsi que sa croissance et son témoignage. C’est pourquoi nous voyons l’apôtre, qui est plutôt un enseignant, consacrer beaucoup de temps aux soins à apporter aux membres faibles des Eglises. « Les disciples résolurent d’envoyer, chacun selon ses moyens, un secours aux frères qui habitent la Judée. Ils le firent parvenir aux anciens par les mains de Barnabas et de Saul. » (Ac 11.29-30)
Cette focalisation de l’amour du Seigneur pour son Eglise étonne ou trouble certains. Elle est simplement comparable à celle de l’amour qu’un homme porte à son épouse, d’une manière exclusive. Cela ne signifie pas que cet homme n’a pas aussi de la considération, du respect et des obligations envers les autres femmes, mais en aucune manière il ne leur devra ce qu’il doit à sa femme et à elle seulement. « C’est ainsi que les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. Jamais personne n’a haï sa propre chair ; mais il la nourrit et en prend soin, comme Christ le fait pour l’Eglise, parce que nous sommes membres de son corps[5]. » (Ep 5.25-31 ; cf. Os 2.18, 21-22)
II. Ce que l’on fait à un membre de Christ…
On pourrait dire qu’il s’agit là d’une quatrième implication : ce que l’on fait à un membre du peuple de Dieu, on le fait à Dieu ! C’est, en réalité, un principe repérable dans toute l’Ecriture, dès la formation du peuple saint. « Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai ceux qui te maudiront », dit Dieu à Abram (Gn 12.3). Nous comprenons que le regard que Dieu porte sur son peuple n’est pas identique au regard qu’il porte sur les autres peuples, et cela indépendamment des mérites. C’est là une réalité permanente, dès l’ancienne alliance. « Qui vous touche touche la prunelle de mon œil », dit Dieu en s’adressant à Israël (Za 2.8).
Dans les évangiles, nous voyons Jésus et ses contemporains appliquer cette règle. Du centenier romain dont le serviteur était malade, les anciens des juifs disent à Jésus : « Il mérite que tu lui accordes cela, car il aime notre nation[6]. » Il y a ainsi une sorte de piété qui se traduit par des égards manifestés – par des croyants ou par des incroyants – en faveur de ceux qui appartiennent à Dieu[7].
C’est là le sens de la fameuse parabole dite « du jugement des nations », en Matthieu 25, si souvent entendue pour justifier on ne sait quel salut par les œuvres : « Toutes les fois que vous avez fait ces choses à un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (V. 40) Qui sont les frères de Jésus ? Les textes parallèles le montrent sans ambiguïté : « donner un verre d’eau à un de ces petits parce qu’il est mon disciple » (Mt 10.42) ; « donner un verre d’eau en mon nom parce que vous appartenez à Christ » (Mc 9.40). Le mot « frère », dans la Bible, désigne toujours les membres du peuple de Dieu : Israël, l’Eglise. Ces textes démontrent la permanence de cette réalité révélée : ce que l’on fait à un membre (du corps) de Christ, on le fait à Christ. « En péchant de la sorte contre les frères et en blessant leur conscience faible, dit l’apôtre Paul, vous péchez contre Christ ! » (1Co 8.12)
Les références bibliques attestant ce principe sont innombrables, évoquant des gestes négatifs : « Lorsque quelqu’un [du peuple] péchera et commettra une infidélité envers l’Eternel en mentant à son prochain… » (Lv 5.21) Ou positifs : « Dieu n’est pas injuste pour oublier votre travail et l’amour que vous avez montré pour son nom, ayant rendu et rendant encore des services aux saints. » (Hé 6.10)[8]
Trois implications pratiques
a. L’unité spirituelle. Le chapitre 17 de l’évangile de Jean nous autorise à comparer l’unité qui existe entre les chrétiens à celle qui unit les trois personnes de la Trinité. Cela laisse songeur. Encore une fois, Jésus ne parle pas de cela comme d’une image mais comme d’une réalité. Cette unité est tout à la fois acquise et appelée à être manifestée. Elle concerne précisément tous ceux qui se réclament de Christ comme leur Sauveur et Seigneur. Elle se traduit, elle aussi, de manière pratique, exigeante, quotidienne. « Va d’abord te réconcilier avec ton frère. » (Mt 5.24)[9]
Le même souci est exprimé par cette expression de Romains 12 : « Par honneur, usez de prévenances réciproques. » (Rm 12.10) Une transcription imagée de cette phrase donnerait ceci : « A cause du prix élevé que vous avez, usez de précaution dans vos contacts ; comme des vases de porcelaine délicats, veillez à ne pas vous ébrécher les uns les autres en vous entrechoquant. Agissez avec douceur. » Le contexte immédiat montre que ce prix élevé n’est pas seulement lié à l’humanité de chacun, mais bien à sa qualité de membre (du corps) de Christ (vv. 4-5).
Ces recommandations, il est vrai, pourraient aussi être entendues dans le cadre des rapports humains en général ; nous y reviendrons plus loin. Mais la visée de l’apôtre, ce sont bien les rapports entre chrétiens, comme le montre aussi le chapitre 14 de cette même lettre : « Mais toi, pourquoi juges-tu ton frère ou pourquoi le méprises-tu ? Si pour un aliment ton frère est attristé, tu ne marches plus selon l’amour : ne cause pas, par ton aliment, la perte de celui pour lequel Christ est mort. » (Rm 14.10, 15)
Dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe, Paul traite de manière très pratique la question de l’unité spirituelle, en évoquant les querelles qui pouvaient exister entre frères (et sœurs) chrétiens. « Un frère plaide contre un frère, et cela devant des infidèles ! Pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt dépouiller ? Mais c’est vous qui commettez l’injustice et qui dépouillez, et c’est envers des frères que vous agissez de la sorte ! » (1Co 6.6-8) Paul s’étonne et déplore cet état de fait, comme s’il y voyait une négation de l’identité chrétienne. Dans ce passage, comme en beaucoup d’autres, il marque la différence de statut qui existe entre les chrétiens et « ceux du dehors », « les injustes », ceux « dont l’Eglise ne fait aucun cas », « les infidèles » (vv. 1 à 6).
b. L’amour fraternel. « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13.34 ; 1Jn 3.16, 4.11) Comme beaucoup d’autres paroles « célèbres » de Jésus, celle-ci a souvent été comprise sur un mode universaliste, comme une manière de préfigurer la Déclaration des droits de l’homme. Qu’il suffise pourtant de se rappeler que l’expression « les uns les autres » s’applique toujours aux relations au sein du peuple de Dieu, Israël ou l’Eglise[10]. D’autre part, le « comme » qui introduit ce verset n’indique pas une imitation mais une conséquence de la grâce reçue. On pourrait transcrire ainsi : « Puisque je vous ai aimés, de cet amour-là aimez-vous les uns les autres, maintenant. » Ou encore : « Démontrez que vous avez reçu mon amour en vous aimant les uns les autres de cet amour-même. » C’est ce qui fait de la vie chrétienne une expérience de la grâce reçue et transmise, une démonstration de la vie de Christ et non une simple morale.
Cela est largement développé par l’apôtre Jean dans sa première lettre : le fait d’aimer les frères chrétiens n’est rien de moins – avec l’obéissance aux commandements – qu’une preuve, une démonstration de la vie nouvelle, de la vie de Christ dans le cœur du chrétien. « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière… Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Si quelqu’un n’aime pas son frère, il demeure dans la mort. » (1Jn 3.10, 14, 23-24, 5.1-4) C’est ainsi que nous retrouvons le principe énoncé dans le sommaire de la loi : l’amour pour Dieu et l’amour pour ceux qui lui appartiennent sont indissociables. « Nous avons de lui ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. » (1Jn 4.21) En un sens, ces « deux » amours n’en forment qu’un !
Enfin, il apparaît qu’il ne peut s’agir là de sentiments seulement ou encore d’intentions, mais bien d’une démonstration visible de quelque chose qui a sa source dans le cœur, par la vertu du Saint-Esprit : « Si quelqu’un possède les biens du monde et qu’il voie son frère dans le besoin et qu’il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurera-t-il en lui ? » (1Jn 3.17)[11] C’est le propre des relations fraternelles : c’est une des vocations primordiales que Dieu accorde aux membres de son peuple ; c’est un des signes actuels les plus tangibles de la réalité du Royaume de Dieu. « A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13. 35) Quand j’aime mon frère chrétien, c’est Christ qui l’aime à travers moi ; et c’est Christ que j’aime à travers lui ! Cela est grand !
c. La sainteté de vie. Ne rien faire qui puisse attrister Dieu ou un frère ; ne pas être pour le frère une occasion de chute. C’est la devise des infirmières : « Premièrement ne pas nuire ! » Ce qui implique de se laver les mains en entrant dans la chambre, par exemple. Paul le dit ainsi, toujours dans le contexte des relations entre chrétiens : « L’amour ne fait pas de mal au prochain. » (Rm 13.10) « Nous sommes membres les uns des autres… [en conséquence] qu’il ne sorte de votre bouche aucune mauvaise parole… Que l’impudicité, qu’aucune espèce d’impureté, et que la cupidité ne soient même pas nommées parmi vous, ainsi qu’il convient à des saints. » (Ep 4.29, 5.3-5 ; cf. Ph 2.1-4)
Le chapitre 6 de la première lettre aux Corinthiens met en évidence les implications communautaires de la conduite personnelle de chacun. En somme, l’inconduite n’est recommandable pour personne ; mais pour ceux qui ont été rachetés, elle devrait être inenvisageable. « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres de Christ ?… Fuyez l’impudicité… Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit ? » (1 Co 6.15, 18-19) Là encore, la raison n’est pas morale seulement, elle est liée à une appartenance, à une sainteté, c’est-à-dire à une mise à part et à une consécration. C’est dans ce contexte que l’on pourrait comprendre l’exhortation de l’épître aux Hébreux : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang en luttant contre le péché. » (12.4)
Nous avons aussi maintes recommandations à trouver notre frère quand il pèche : « Mes frères, si quelqu’un parmi vous… » (Jc 5.19-20 ; cf. Mt 18.15ss) Qui voudrait appliquer cela à l’ensemble des hommes ?[12]
III. Frères, pauvres, petits…
Quand la Bible parle des saints, nous voyons assez précisément de qui il s’agit. Mais de qui parle-t-on quand il est question des frères, des petits, des pauvres, des étrangers ? Pour beaucoup, dans les Eglises de multitude particulièrement, la question ne se pose pas : il s’agit des hommes d’une manière générale, sans distinction, et spécialement des plus pauvres parmi eux. Beaucoup considèrent même que c’est précisément cela l’Evangile : considérer que tous les hommes sont frères, quelles que soient leurs différences, et surtout les plus petits. Est-ce sérieux ?
Les frères
Dans la Bible, sont frères ceux qui ont le même père ! Un certain nombre de fois, il s’agit du frère de sang, par exemple quand Dieu demande à Caïn : « Où est ton frère ? » (Gn 4.9)[13] Quand il ne désigne pas le frère de sang, le terme frère désigne toujours un membre du peuple de Dieu : Israël dans l’Ancien Testament, dans les évangiles et le livre des Actes ; l’Eglise dans le reste du Nouveau Testament. Il n’y a pas d’exception à cette règle.
Dans les évangiles et dans le livre des Actes, une transition s’opère progressivement, avec le mot quiconque par exemple. Ainsi, le Prologue de Jean annonce la possibilité, pour ceux qui reçoivent la Parole (le Messie), de « devenir enfants de Dieu, (…) lesquels sont nés de Dieu. » (Jean 1.12-13)[14] On comprend qu’il y a à la fois un jugement qui s’opère au sein de ceux qui se considéraient comme le peuple de Dieu (seuls ceux qui croiront parmi eux seront enfants de Dieu) et une ouverture qui s’opère au bénéfice de ceux qui n’étaient pas le peuple de Dieu (tous ceux qui croiront deviendront enfants de Dieu). L’apôtre Paul dira de ceux-là que Dieu les a « prédestinés dans son amour à être ses enfants d’adoption par Jésus-Christ » (Ep 1.5 ; cf. Rm 8.15-16). A ses disciples, parce qu’ils n’ont qu’un seul Maître qui est le Christ et parce qu’un seul est leur Père, Jésus dira : « Vous êtes tous frères. » (Mt 23.8-9) Rappelons-nous que même quand il parle à « la foule » ou « au peuple », c’est aux enfants d’Israël que Jésus parle[15] ; et ce sont eux que l’apôtre Pierre appellera tour à tour « hommes juifs », « hommes israélites » et « hommes frères » en Actes 2.14, 22, 33.
Le livre des Actes témoigne du passage entre la réalité du peuple d’Israël et celle de l’Eglise, comme on le voit, par exemple, au verset 23 du chapitre 15 : « Les apôtres, les anciens et les frères, aux frères d’entre les païens. » Enfin, nous voyons ce terme frère être pleinement attribué aux chrétiens, comme synonyme du mot saint : « Paul et le frère Timothée, aux saints et fidèles frères en Christ… » (Col 1.2)
Le pauvre, l’indigent
Si le mot frère désigne toujours le membre du peuple de Dieu, il est assez facile de remarquer que les pauvres dont parle la Bible sont les pauvres en Israël ou de l’Eglise. « Les pauvres de mon peuple en jouiront. » (Ex 23.11) « Si ton frère devient pauvre… » (Lv 25.25) Nous tenterons plus loin de voir ce qu’il en est des autres, mais le fait est que la préoccupation des auteurs bibliques est toujours ou presque le peuple de Dieu et lui seul. « Malheur à ceux qui… refusent justice au pauvre, qui ravissent leur droit aux malheureux de mon peuple », dit le Seigneur (Es 10.1-2 ; cf. 14.32, 49.13).
Concernant la première Eglise, nous lisons qu’« il n’y avait parmi eux aucun indigent » (Ac 4.34), ce qui renvoie à l’injonction du Deutéronome : « Il n’y aura pas d’indigent au milieu de toi. » (15.4, 7) Ce qui est en jeu, c’est la communion qui se trouverait compromise si certains parmi les frères étaient dans l’abondance, tandis que d’autres manquaient du nécessaire[16]. C’est là toute l’importance du ministère diaconal dont l’objectif est, en lien étroit avec le ministère pastoral, de maintenir et de développer l’unité spirituelle et donc l’édification (la stature) de l’Eglise comme un corps vivant. Nous reviendrons sur ce point plus loin.
C’est la raison pour laquelle nous voyons les apôtres consacrer beaucoup d’attention à cette question qui semble ne pas avoir de rapport direct avec l’enseignement ou la direction des communautés[17]. « Je vais à Jérusalem, dit Paul, pour le service des saints… En faveur des pauvres parmi les saints. » (Rm 15.25-26 ; cf. 12.13) « Si un frère ou une sœur sont nus et manquent de la nourriture de chaque jour… » (Jc 2.14-15)
Toutes les fois que le mot « pauvre » est employé, même sans autre précision, il s’agit du pauvre au sein du peuple de Dieu, du frère pauvre, qu’il s’agisse de la pauvreté matérielle ou pas[18]. Il en est de même avec les « petits » et les « faibles ».
Le petit, le faible
C’est le contexte ou encore les passages parallèles qui permettent de comprendre qui est désigné par ces termes. Quand Jésus parle de celui qui « donnera un verre d’eau à un de ces petits parce qu’il est (son) disciple » (Mt 10.42) ou quand il parle de quelqu’un qui scandaliserait un de ces petits qui croient en (lui) (Mt 18.6), il confirme que sa préoccupation n’est pas sociale dans le sens moderne du terme, mais bel et bien en rapport avec la foi et le Royaume de Dieu.
Enfin, nous voyons l’apôtre Paul consacrer beaucoup de temps à convaincre de l’importance de ne pas être une occasion de trouble pour celui qui est faible dans la foi (1Co 8.9-13), c’est-à-dire pour le frère dont la conscience est plus faible, « celui pour lequel Christ est mort » (Rm 14.10-16).
L’étranger
De qui le Seigneur parle-t-il quand il recommande à son peuple d’accueillir les étrangers, en se souvenant que lui aussi « a été étranger sur une terre qui n’était pas la sienne » (Ex 22.21) ? De nombreux passages montrent qu’il est question des étrangers qui se sont ou ont été volontairement intégrés au sein du peuple de Dieu, adoptant ses usages et ses lois[19]. Le cadre, c’est Israël comme peuple de Dieu. « Tu ne délaisseras pas l’étranger, l’orphelin et la veuve qui sont dans tes portes. » (Dt 14.27, 29 ; Jos 8.24-25, 35) « Tu abandonneras la grappe restée dans la vigne au pauvre et à l’étranger. Vous n’userez pas de mensonge les uns envers les autres. Tu n’opprimeras pas ton prochain. Tu ne répandras pas de calomnie parmi ton peuple. Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur ; tu pourras reprendre ton prochain, mais tu ne te chargeras pas d’un péché à cause de lui. Tu ne garderas pas de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Lv 19.10-18) La juxtaposition de ces termes montre qu’ils sont pratiquement (ou parfaitement) synonymes. Cela fait apparaître que la donnée majeure, c’est l’appartenance – à un titre ou à un autre – au peuple saint, ce qui impose des devoirs d’égalité (Lv 20.2ss), de soutien et de réciprocité en accord avec la grâce de l’élection, avec le sacerdoce, avec la présence même de Dieu.
« Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un indigène au milieu de vous ; vous l’aimerez comme vous-mêmes. » (Lv 19.34) Il est tentant, à première lecture, de donner à ce texte une dimension humanitaire, en oubliant qu’Israël est la figure du peuple de Dieu et non celle d’une nation comme les autres. L’application de cette injonction, pour aujourd’hui, est donc ecclésiale et concerne l’accueil de prosélytes dans l’Eglise, quelle que soit leur origine. Dire cela ne contredit pas l’importance d’accueillir les étrangers avec égards dans notre pays, bien entendu ; mais il s’agit là d’une autre dimension, qui n’est pas précisément dans l’intention du texte.
Il apparaît donc que, si la distinction entre le peuple saint et les autres peuples est et demeure capitale, les frontières sont poreuses : non pas pour les alliances ou les usages (Ex 23.32-33 ; Dt 7.2-3 ; Esdras 9.12…), mais pour l’accueil de ceux qui désireront trouver place parmi ce peuple particulier. Ce constat permet d’affirmer que l’attachement au peuple de Dieu, même pour des motivations qui pourraient paraître profanes, s’apparente à une forme de piété envers Dieu – cela conformément à ce principe déjà évoqué : l’attitude manifestée envers le peuple de Dieu touche Dieu directement[20]. L’attitude de Rahab, à cet égard, ou encore celle de Ruth sont particulièrement éloquentes (Jos 2.8-14; Rt 1.15-18).
Dans ce sens, Esaïe parle de « l’étranger qui s’attache à l’Eternel, qui marche au milieu de vous » (Es 56.6-8). Dans ce sens encore, nous avons maints exemples dans les évangiles d’étrangers qui ne sont pas présents en Israël, « par accident », mais par une sorte de piété qui n’est plus très loin de la foi véritable[21]. Ainsi le centenier de Luc 7, dont Jésus admire la foi et dont les pharisiens disent : « Il aime notre nation » (v. 4) ; ainsi le craignant-Dieu Corneille, dont il est dit qu’« il priait Dieu continuellement et faisait beaucoup d’aumônes au peuple » (Ac 10.2).
L’ennemi, l’adversaire
Il s’agit là d’une catégorie de personnes qui pourrait sembler plus difficile à situer. Jésus ne dit-il pas que nous devons aimer non seulement nos amis, mais également nos ennemis ? « Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis. » (Mt 5.44) Ne s’agit-il pas de ceux qui ne nous aiment pas, de ceux qui s’opposent à nous, de ceux du dehors ? Ne concluons pas trop rapidement ; cette question, elle aussi, doit trouver sa réponse dans le texte biblique. Que lisons-nous dans ce même chapitre 5 de Matthieu ? « Quiconque se met en colère contre son frère… Si tu présentes ton offrande à l’autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi… Accorde-toi promptement avec ton adversaire. » (Mt 5.21-25) Le contexte, c’est le culte et l’unité spirituelle requise pour se présenter devant Dieu. N’excluons pas que l’adversaire dont il est question soit aussi un membre du peuple de Dieu.
Il est probable que ce soit dans ce sens-là qu’il faille entendre le fameux « Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l’autre. Si quelqu’un te prend ton anneau, ne l’empêche pas de prendre encore ta tunique… » (Lc 6.27-30) Ce quelqu’un, ce n’est pas n’importe qui ; ou plutôt, c’est n’importe qui appartenant à Dieu comme toi. Nous avons un propos parfaitement semblable au début de 1 Corinthiens 6, où Paul recommande de « se laisser dépouiller » plutôt que d’avoir « des querelles entre frères ». L’enjeu, c’est la communion !
Ce que nous devons comprendre, c’est que le peuple de Dieu est tout sauf un rassemblement d’amis ! Il y a, dans ce peuple, des personnes qui ne se seraient jamais choisies, tellement leurs personnalités, leur éducation, leurs goûts diffèrent. Mais, par vocation, elles doivent manifester l’unité spirituelle et l’amour, au prix de sacrifices si nécessaire, y compris quand de l’inimitié ou des tensions se manifestent. « C’est déjà certes un défaut chez vous que d’avoir des procès les uns envers les autres. Pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt dépouiller ? Mais c’est vous qui commettez l’injustice, et c’est envers des frères que vous agissez de la sorte ! » (1Co 6.7-8)
La recommandation de Jésus concernant « la paille qui est dans l’œil de ton frère » (Lc 6.41) confirme l’importance que revêtent les relations délicates au sein du peuple de Dieu. Notons encore ce que dit Paul au sujet des adversaires : « Le serviteur de Dieu ne doit pas avoir des querelles… il doit avoir de la condescendance pour tous, redresser avec douceur les adversaires… » (2Tm 2.24-25) Il est évident dans ce passage qu’il s’agit de relations à l’intérieur de l’Eglise.
IV. Et le prochain ?
Le bon sens commun associe immédiatement le mot « prochain » à l’homme ou la femme qui se trouve là (ou ailleurs), quel qu’il soit. Le prochain, c’est l’autre. Est-ce si simple que cela ?[22]
Il n’est pas besoin d’effectuer une recherche très savante pour se rendre compte que, dans les textes fondateurs du peuple d’Israël, le prochain est le concitoyen, membre du même peuple. En d’autres termes, la proximité qui fait de quelqu’un un prochain n’est pas seulement géographique : elle est aussi, et même d’abord, liée à l’appartenance. Cela apparaît dès le pays d’Egypte, après que Moïse eut tué un Egyptien qui maltraitait un Hébreu. Voyant, ensuite, deux Hébreux se disputer, il dit à l’un des deux : « Pourquoi frappes-tu ton prochain ? » (Ex 2.11-14) Au verset 11, nous voyons ce mot associé au terme frère… L’Hébreu était le prochain de l’autre Hébreu, pas l’Egyptien.
La loi révélée plus tard confirmera ces dispositions. « Aucun créancier ne pressera son prochain et son frère. Tu te relâcheras de ton droit pour ce qui t’appartient chez ton frère. Il n’y aura aucun indigent chez toi. » (Dt 15.2-3, 23.19, 24, 24.10) Les prophètes agissent de même : « Vous direz, chacun à son prochain, chacun à son frère : qu’a dit l’Eternel ? » (Jr 23.35, 31.34, 34.9-17) Retenons que tous ceux qui étaient comptés comme appartenant au peuple de Dieu partageaient les privilèges et les devoirs, y compris les étrangers assimilés. Tous, mais seulement eux[23].
Le chapitre 19 du Lévitique, qui mentionne pour la première fois l’amour du prochain (v. 18), prend en compte tous ceux qui vivent en Israël avec l’impératif de sainteté qui s’y attache : « Vous serez saints car je suis saint. » (V. 2) Sont compris le pauvre et l’étranger au milieu de vous (vv. 10, 34), le mercenaire (v. 13), le sourd et l’aveugle (v. 14), les enfants de ton peuple (v. 18), la personne du vieillard (v. 33) et, enfin, le prochain assimilé au frère (v. 17) avec l’expression les uns les autres (v. 11) qui caractérise les relations au sein du peuple saint.
Mais que dit le Nouveau Testament ? Il nous semble que le Nouveau Testament conserve cette compréhension du mot « prochain », équivalente au mot « frère ». La nouveauté, c’est que des hommes et des femmes extérieurs au peuple d’Israël pourront être comptés, en plus grand nombre qu’auparavant, comme saints, comme frères, sœurs, prochains. Non par proximité géographique, mais par proximité spirituelle. L’association des termes se retrouve, confirmant la proximité de sens. « Abstiens-toi de ce qui peut être pour ton frère une occasion de chute… Que chacun de nous complaise au prochain pour ce qui est du bien en vue de l’édification. » (Rm 14.21, 15.2, 7) « Ne parlez pas mal les uns des autres, frères, car celui qui parle mal d’un frère ou qui juge son frère juge la loi… Et toi, qui es-tu qui juges le prochain ? » (Jc 4.11-12 ; cf. Jc 2.14-16)
L’utilisation de l’expression « les uns les autres » est également significative. « C’est pourquoi, que chacun de vous parle selon la vérité à son prochain, car nous sommes membres les uns des autres. » (Ep 4.25) Membres les uns des autres ! Peut-il ici être question d’autres personnes que celles qui constituent le corps de Christ ? Assurément pas. La préoccupation de l’apôtre, c’est l’Eglise et elle seulement, et c’est dans ce contexte-là qu’il continue à utiliser le mot « prochain », comme l’ont fait Moïse et les prophètes avant lui.
Les références suivantes nous permettent d’effectuer un pas de plus : « Ne devez rien à personne si ce n’est de vous aimer les uns les autres… Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Rm 13.8-10) « Rendez-vous, par l’amour, serviteurs les uns des autres, car toute la loi est accomplie par cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Ga 5.13-15, 26) Nous retrouvons donc le sommaire de la Loi et ce second commandement, second mais semblable au premier et indissociable de lui. La vérité qui sous-tend ces deux commandements est bien celle-ci, exprimée explicitement par l’apôtre Jean : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Et nous avons de lui ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu, et quiconque aime celui qui l’a engendré aime aussi celui qui est né de lui. Nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu lorsque nous aimons Dieu et que nous pratiquons ses commandements. » (1Jn 4.20 à 5.1)
Ce qui apparaît ici, c’est que l’amour pour Dieu et l’amour pour ceux qui appartiennent à Dieu constituent pratiquement une seule et même attitude, révélant l’une et l’autre l’expérience de la grâce, le don de la vie nouvelle, la dimension du Royaume de Dieu. « Celui qui dit qu’il est dans la lumière et qui hait son frère est un menteur. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière… Mais celui qui hait son frère est dans les ténèbres. » (1Jn 2.9-11) « Quiconque ne pratique pas le bien n’est pas de Dieu, non plus que celui qui n’aime pas son frère… Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie quand nous aimons les frères. » (1Jn 3.10, 14)
Jean est-il le seul auteur à établir cette équivalence de l’amour pour Dieu et de l’amour pour ceux qui appartiennent à Dieu ? Non. Paul cite le sommaire de la Loi avec les mêmes présupposés (Rm 13.8-10 ; Ga 5.13-18), de même que Jacques (2.5-8). Quant à l’auteur de la lettre aux Hébreux, il associe également l’amour manifesté aux frères et l’amour pour Dieu lui-même : « Dieu n’est pas injuste pour oublier votre travail et l’amour que vous avez manifesté pour son nom en ayant rendu et en rendant encore service aux saints. » (6.10) Les frères, les saints, le prochain sont les uns et les autres dans la sphère de l’amour de Dieu et de l’amour pour Dieu.
V. Tous, quels tous ?
La France est marquée par la philosophie humaniste et par la République laïque qui entendent appliquer à la communauté humaine dans son ensemble les privilèges de la fraternité. Elle est également marquée par le catholicisme romain, qui a confondu communion des saints, paroisse et village… Un réel effort est nécessaire pour s’approcher de la mesure biblique, qui est à la fois vaste et précisément définie, comme l’est le dessein de Dieu.
Pour cela, il est utile de nous pencher sur un certain nombre de mots qui, dans le texte biblique, n’ont pas nécessairement le sens que nous leur donnons dans le langage courant. Les notions de communion et de sainteté s’accommodent mal, en effet, de l’approximatif.
Tous[24]
« Que le Seigneur augmente de plus en plus parmi vous, et à l’égard de tous, cette charité que nous avons nous-mêmes pour vous, afin d’affermir vos cœurs pour qu’ils soient irréprochables dans la sainteté devant Dieu notre Père, lors de l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ avec tous ses saints. » (1Th 3.13) Quels tous ? Le premier réflexe consiste à donner à ce terme son sens immédiat : tous les hommes. Or, le contexte démontre que c’est rarement le cas dans le Nouveau Testament. Presque toujours, le mot tous s’applique aux membres de l’Eglise, à ceux qui appartiennent à Christ : tous, mais eux seulement. « Ceux qui pèchent [parmi les anciens], reprends-les devant tous [l’Eglise]. » (1Tm 5.20)[25] « Enfin, soyez tous animés des mêmes pensées, des mêmes sentiments, pleins d’amour fraternel, de compassion, d’humilité. » (1P 3.8) « Saluez-vous les uns les autres par un baiser fraternel. Que la paix soit avec vous tous qui êtes en Jésus-Christ. » (5.14, TOB)[26]
Dans la lettre aux Romains, le mot tous est bien englobant, mais deux humanités différentes sont concernées : une en Adam et une en Christ, qui ne sont pas identiques. « Par un homme, le péché est entré… et tous ont péché ; par un homme, la justice s’étend à tous… Par un seul, beaucoup sont morts ; par un seul, la grâce a été répandue sur beaucoup ! » (Rm 5.12 et 15) Ces versets démontrent que la logique du texte biblique ne correspond pas d’emblée à la nôtre : les mots tous et beaucoup, dans ce même passage, indiquent, tous les deux, un grand nombre de personnes, mais pas les mêmes personnes. Il s’agit bien d’une totalité, mais dans deux ordres distincts : l’ensemble des hommes en Adam, l’ensemble des élus en Christ.
D’autre part, la finalité du dessein de Dieu concernant l’ensemble des rachetés, dans de très nombreux cas, le mot tous, finalement, les désigne eux et eux seuls. « De même que tous meurent en Adam, tous revivront en Christ : Christ comme prémices, puis ceux qui lui appartiennent. » (1Co 15.22). Des autres, il n’est plus question…
S’appliquant à l’Eglise, le mot tous a souvent un sens qualitatif. Il désigne la diversité : petits et grands, riches et pauvres, maîtres et serviteurs. « … ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ et nous sommes tous membres les uns des autres. » (Rm 12.5)[27]
Le chapitre 12 de la première lettre aux Corinthiens développe ce principe en alternant les mots tous et chacun, et en faisant apparaître cette règle de grâce et de responsabilité au sein du peuple de Dieu : pas d’exclusion, pas d’esprit de clan, pas de préférence… Chacun compte ; tous ! « A chacun Dieu donne, pour l’utilité commune. » (1Co 12.7, cf. 1Co 10.1, 12.12, 18).
Dans d’autres passages, le mot tous signifie : Juifs et Grecs ou, plus précisément, chrétiens d’origine juive et chrétiens d’origine grecque. Cela n’allait pas de soi ! « Quelques Grecs étaient montés pour adorer… Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » (Jn 12.20, 32) Le sens est qualitatif et pas seulement quantitatif : des hommes de toutes origines, d’entre toutes les nations, sans distinction de race[28].
Ainsi, plusieurs passages apparemment universalistes trouvent-ils leur sens véritable : le tous qui constitue l’accomplissement des promesses comprend l’ensemble des rachetés, au- delà de toutes barrières. Tous, mais eux seulement[29].
Dans ce sens, nous pouvons comparer ces deux versets : « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance, pour faire miséricorde à tous. » (Rm 11.32) « L’Ecriture a tout enfermé dans le péché afin que ce qui avait été promis fût donné en Jésus-Christ à ceux qui croient. » (Ga 3.22) Le texte de Galates 3 précise le sens du deuxième « tous » de Romains 11.32 : il est bien englobant mais également sélectif. Tous, ce n’est pas tout le monde[30].
Quiconque
Le mot quiconque a exactement le même sens. Il signifie : n’importe qui, dès lors que cette personne croit ! « Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère… » (Mc 3.35 ; cf. 6.10-11) Ce mot annonce à la fois un jugement (au sein du peuple de Dieu) et une ouverture (aux païens), ce qui constitue la grande révélation (révolution !) de la nouvelle alliance et du Royaume de Dieu. Quiconque, c’est n’importe qui, mais en relation avec la porte étroite.
Les païens, les nations
Quand la Bible dit « les païens », elle désigne parfois tous les païens et parfois les chrétiens d’origine païenne. « Ce mystère, c’est que les païens sont cohéritiers, forment un même corps et participent aux mêmes promesses en Jésus-Christ par l’Evangile. » (Ep 3.6)[31] Voilà donc, une fois encore, un mot qui doit recevoir un éclairage spécifique, si nous ne voulons pas appliquer à la Bible une vision qui n’est pas la sienne.
Il en est de même avec « les nations » ou « les peuples ». « Ce sont ceux qui ont la foi qui sont fils d’Abraham. Ainsi, l’Ecriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a d’avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham : « Toutes les familles de la terre seront bénies en toi ! » (Gn 12.3) En sorte que ceux qui croient sont bénis avec Abraham le croyant. » (Ga 3.6-9)[32]
En un sens, la totalité des païens et les nations… est comprise en ceux qui croient (cf. Rm 15.10-12). Cela peut nous surprendre, mais que l’on songe seulement que si le commandement laissé aux disciples par Jésus : « Faites de toutes les nations des disciples… » (Mt 28.19) avait été correctement compris, l’annonce de l’Evangile en Amérique latine et ailleurs aurait été davantage respectueuse des hommes qu’elle rencontrait… et du plan de Dieu.
L’autre…
Un certain nombre de passages utilisent des termes ou des expressions qui peuvent paraître incertaines. « Un homme » en Luc 10.30, « l’autre » en Philippiens 2, etc. Pour chaque cas, le contexte permettra de déterminer de qui il s’agit. Dans la majorité des cas, il apparaîtra qu’il est question d’un membre du peuple de Dieu. Le début du chapitre 2 de l’épître aux Philippiens en donne un exemple. « Que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres. Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ… » (Versets 3-5) Nous reconnaissons que les recommandations exprimées ici peuvent avoir un caractère universel ; mais quelle est l’intention de l’auteur ? Paul parle de la relation que les chrétiens doivent développer entre eux. Entre eux seulement ? En un sens, oui[33], et cela revêt une grande importance. Par extension, cela touchera aussi l’attitude envers les non-chrétiens, bien que dans une autre mesure.
VI. Diaconie et diaconat
Les ministères bibliques ne sont pas une institution humaine facultative ou « modulable » à loisir. Ils correspondent à des dons et des vocations attribués par Dieu, pour les besoins de son Eglise. Les ministères manifestent la sollicitude et les soins du Seigneur lui-même pour son peuple[34]. Nous l’avons déjà dit, les ministères sont pour l’Eglise ; c’est l’Eglise qui a un ministère dans le monde, si l’on peut dire[35].
Avec les réformateurs, nous pouvons retenir que les ministères reconnus sont de nature pastorale ou diaconale. Les ministères de nature pastorale sont attachés à l’enseignement ou à la proclamation de la Parole de Dieu, publics ou privés (les anciens parmi lesquels se trouvent le ou les pasteurs, les docteurs, les évangélistes…). Le ministère diaconal est un ministère de soutien des membres les plus faibles de l’Eglise[36], dont la tâche spécifique est de veiller à ce que ne soit jamais négligée « l’assistance destinée aux saints »[37]. Ces deux types de ministère sont spirituels dans la mesure où ils contribuent à promouvoir ou à préserver l’unité spirituelle, la communion, et donc l’édification et le témoignage de l’Eglise[38].
Ces deux types de ministère sont distincts et indissociables. Il est impossible que, l’Evangile étant proclamé, enseigné, appliqué en paroles et portant des fruits dans les vies, le soutien diaconal ne se mette pas en place immédiatement comme une démonstration que l’on n’aime pas « en paroles seulement, mais en action et avec vérité » (1Jn 3.18). De même, l’action diaconale est impossible sans les soins et la discipline de nature pastorale. Il ne s’agit pas là d’un marchandage ou d’une question de mérites, mais d’une cohérence liée au témoignage du Royaume de Dieu, de discernement, de salutaire exercice de l’autorité ; il s’agit aussi de la survie de l’Eglise en tant que communauté fraternelle et solidaire.
Cette définition du diaconat établit donc une nette distinction entre l’action sociale ou humanitaire et les devoirs fraternels en ceci qu’elle oriente ce ministère prioritairement (peut-être faudrait-il dire exclusivement) vers les membres de l’Eglise et qu’elle se développe en lien étroit avec le ministère pastoral. Cette association apparaît clairement dans le Nouveau Testament[39], et laisse supposer que la discipline pastorale est une nécessité à côté du soutien diaconal. En effet, l’exigence d’assistance est telle parmi les chrétiens[40] qu’elle serait impraticable à l’échelle de la cité[41]. Certes, une œuvre sociale ou humanitaire use également d’une discipline, mais sa nature diffère inévitablement.
Le diaconat comme la diaconie ont pour particularité de constituer un précieux soutien au ministère pastoral[42], de susciter des actions de grâce (ce qui n’est pas sans rapport avec le culte)[43], d’être une manière de servir le Seigneur lui-même[44]. Le service (mutuel) des saints est une preuve de maturité spirituelle de l’Eglise[45].
VII. Et ceux du dehors ?
Et les autres ? Les veuves et les orphelins de la terre ne méritent-ils pas tous la même considération ? Et les étrangers, et les malades, et les sans-abri, et ceux que nous croisons dans la rue ? Chacun n’a-t-il pas sa souffrance qui vaut bien celle des autres ? Chacun n’attend-il pas d’être secouru ? A bien des égards oui, bien sûr. Sous le rapport humain, les chrétiens ne sont ni meilleurs, ni plus méritants que les autres hommes. Sous le rapport des droits de l’homme et de la citoyenneté, aucune différence ne devrait être faite. Sous le rapport du Royaume de Dieu, cependant, d’autres considérations doivent être prises en compte, incompréhensibles pour l’intelligence naturelle, mais capitales dans le cadre de la foi.
Soyons clairs : l’égalité de condition « en humanité » peut et doit être rappelée sans restriction, comme le fait Paul à Athènes[46] : « Dieu a fait que tous les hommes, sortis d’un seul sang, habitent sur toute la terre. » (Ac 17.26) Il est important de rappeler que tous les hommes, sans exception, sont créés à l’image de Dieu et sont, à ce titre, dignes d’honneur, c’est-à-dire estimés à un grand prix. « Honorez tout le monde, aimez les frères, craignez Dieu, honorez le roi. » (1Pi 2.17)
Si cette dernière exhortation indique que personne n’est oublié, elle rappelle en même temps que des regards appropriés sont requis, qui correspondent à des situations (on pourrait dire des sphères d’existence ou d’identité) qui ne sont pas équivalentes, à des engagements distincts… à des espérances différentes[47].
De nombreux textes bibliques, par exemple, introduisent la notion dynamique de priorité[48]. « … nous nous sommes conduits avec sainteté et pureté devant Dieu, dans le monde et surtout [malista = principalement] envers vous… » (2Co 1.12) « Pratiquons le bien envers tous, surtout envers les frères en la foi. » (Ga 6.10)[49]
Nous ne pouvons ni dissocier ni confondre l’ordre de la création et l’ordre du salut, ou encore l’humanité en Adam et l’humanité en Christ. De même, la grâce générale (pour tous les hommes) et la grâce particulière de la rédemption (qui concerne les élus) ont bien la même source, mais pas la même finalité. Une est pour le temps ; l’autre est éternelle. Nous remarquons que l’ordre de la création est rappelé sans cesse : le Dieu qui nous sauve est celui qui a créé le ciel et la terre. Cependant, la vocation principale sinon unique de la révélation biblique est de nous instruire de ce qui touche notre rédemption[50]. Cela explique sans doute que de nombreux passages peuvent donner l’impression que « ceux du dehors » sont comme ignorés. « Ce sont des gens dont l’Eglise ne fait aucun cas que vous prenez pour juges. » (1Co 6.4)[51]
La préoccupation principale de Dieu est et demeure son peuple, que celui-ci soit rassemblé ou dispersé, Israël ou l’Eglise. Cela est visible, paradoxalement, dans deux textes bibliques souvent cités pour attirer l’attention sur la dimension sociale de notre responsabilité. Au peuple de Dieu exilé à Babylone, le prophète donne cette recommandation : « Recherchez le bien de la ville où je vous ai menés en captivité et priez Dieu en sa faveur, car votre bonheur dépend du sien. » (Jr 29.7) A Timothée, l’apôtre Paul demandera de « faire des prières pour tous les hommes, pour les rois et pour ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. » (1Tm 2.1-2) Dans ces deux passages, nous remarquons que la finalité n’est pas le salut ni même le bien-être des hommes en général, mais la tranquillité… du peuple de Dieu !
Et les pauvres ? Nous avons observé déjà que les pauvres dont il est question, dans la très grande majorité des cas, sont ceux qui appartiennent ou se trouvent assimilés au peuple de Dieu. « Refuser justice aux pauvres, ravir leur droit aux malheureux de mon peuple, pour faire des veuves leur proie et des orphelins leur butin… » (Es 10.2) « Ayez l’un pour l’autre de la bonté et de la miséricorde. N’opprimez pas la veuve et l’orphelin, l’étranger et le pauvre, et ne méditez pas l’un contre l’autre le mal dans vos cœurs. » (Za 7.10)[52] Si cela nous paraît surprenant aujourd’hui, nous ferons bien d’en chercher la raison, car, pendant la période apostolique, la chose paraissait si évidente qu’il était superflu de la préciser, comme on le voit encore dans la lettre de Jacques : « La religion pure et sans tâche, devant Dieu notre Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions, et à se préserver des souillures du monde. » (Jc 1.27) Ainsi, nous pourrons nous poser la question des causes de cette évolution actuelle : progrès ou apostasie ?[53]
VIII. L’Eglise dans la cité
Quelqu’un demandera peut-être s’il n’y a pas un risque à circonscrire ainsi notre vision au point de la rendre étriquée, frileuse, exclusive. Le risque existe, bien sûr, et cela constituerait un mauvais témoignage, vu que si l’enseignement de Jésus ou de Paul nous paraissent sévères parfois, ils ne donnent jamais pour autant l’impression d’être étroits.
La Bible nous donne de très nombreuses preuves du souci que Dieu a pour tout ce qui vit, hommes et animaux ![54] Nous voyons également de nombreux exemples d’ouverture à ceux qui n’appartiennent pas au peuple de Dieu et cela dès le tout début de la révélation biblique. Jésus le rappelle clairement : « Il y avait plusieurs veuves en Israël du temps d’Elie, lorsque le ciel fut fermé trois ans et six mois, et qu’il y eut une grande famine sur toute la terre ; et cependant Elie ne fut envoyé vers aucune d’elles, mais vers une femme veuve, à Sarepta, dans le pays de Sidon. Il y avait aussi plusieurs lépreux en Israël du temps d’Elisée le prophète ; et cependant aucun d’eux ne fut purifié si ce n’est Naaman le Syrien. » (Lc 4.25-27) Cela ne semble-t-il pas contredire ce qui a été avancé plus haut ? Que devons-nous en déduire ?
Nous l’avons rappelé déjà, les « quiconque » de l’Evangile constituent tout à la fois un jugement pour le peuple de Dieu et une ouverture pour ceux qui ne sont pas (encore) du peuple de Dieu[55]. L’Eglise dans la ville, ce n’est ni la population tout entière ni un club d’amis. L’Eglise, c’est à la fois le petit reste fidèle et la multitude innombrable de ceux qui confessent le nom de Jésus. Et à ceux-là, nous pouvons associer ceux qui croiront un jour et que nous ne connaissons pas, car cela ne se voit pas encore ; mais Dieu, lui, les connaît !
L’intercession d’Abraham pour Sodome, suscitée par Dieu lui-même, témoigne de la place qu’une ville, aussi incrédule ou corrompue soit-elle, a dans le cœur de Dieu. S’il y a dix justes, Dieu ne détruira pas la ville. Mais ce même épisode démontre la distinction forte que Dieu établit entre son peuple et la ville, car Lot et les siens sont comme contraints de sortir, in extremis. Au sujet de Lot et de sa famille, on peut dire avec l’apôtre Pierre : « Et si le juste se sauve avec peine, que deviendront l’injuste et le pécheur ? » (1 P 4.18)
Oui, Dieu prend les villes en considération comme en témoignent aussi les interpellations nombreuses de la part de prophètes, de Jésus lui-même : Ninive, Jérusalem, Tyr, Sidon, Capernaüm, Bethsaïda… mais aucune de ces mentions n’autorise à attribuer à une ville les promesses adressées au peuple de Dieu.
Comment devons-nous considérer, alors, l’action sociale ou politique et les œuvres humanitaires ? Nous le ferons à la lumière des indications tirées de l’Ecriture, celles qui ont été rappelées ci-dessus et quelques autres encore sans doute. Ces indications sont à la fois restrictives et vastes.
Elles sont restrictives dans la mesure où elles sont peu nombreuses : la grande majorité, la quasi-totalité des commandements bibliques concerne, en effet, les relations au sein du peuple de Dieu, Israël et l’Eglise, cela dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament. Elles sont restrictives dans la mesure où l’Evangile attire notre attention sur la personne de Jésus et sur la rédemption qu’il a opérée, rédemption dont les implications sont nombreuses et pour une part immédiates, mais dont la finalité n’est « pas de ce monde ». A aucun moment, nous ne voyons Jésus se soucier de questions sociales ou politiques, ni les apôtres après lui. En réalité, il n’apparaît nulle part que l’Eglise en tant que telle ait reçu un mandat de Dieu pour s’investir dans le domaine social, politique ou humanitaire.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de dire que ces domaines sont sans importance et doivent nous laisser indifférents. Mais tout aussi légitimes et importants qu’ils soient, comme « le manger et le boire » par exemple (Rm 14.17), ou encore comme la recherche médicale ou l’alphabétisation ou quelque autre engagement professionnel, culturel ou social, ils ne font pas l’objet d’un appel spécifique pour l’Eglise en tant que telle.
A quel titre serons-nous concernés alors ? Il nous semble que la réponse pourrait être double : à titre individuel tout d’abord, en lien avec les circonstances particulières que Dieu permet dans nos lieux de vie et d’activité, le chrétien ne se désolidarisant pas de ce (ni de ceux) qui l’entoure(nt), dans son quartier, sa ville, son lieu de travail, son pays, dans le temps qui est le sien. Ensuite, en fonction de vocations spécifiques que Dieu confie aux chrétiens comme aux non-chrétiens, pour s’investir dans des domaines particuliers, pratiquement sans exception. Ces vocations peuvent être apparentées ou pas à des vocations professionnelles : éducation, soins médicaux ou autres, musique et autres formes d’art, recherche, technologie, action sociale et réinsertion, vie associative, préservation de l’environnement, et ainsi de suite.
La particularité du chrétien, c’est qu’il agira en chrétien dans ces différents domaines, de manière irréprochable, comme un enfant de Dieu irrépréhensible (Ph 2.15), à côté de non-chrétiens, autant que cela sera possible. Des engagements professionnels, sociaux, humanitaires, sanitaires, culturels entre chrétiens sont-ils envisageables ou souhaitables ? C’est une question vaste, délicate, qui touche à ce que nous appelons « les œuvres » de l’Eglise ou à certaines associations[56] ou mouvements politiques. Il nous semble que cela est possible pour constituer un soutien aux chrétiens qui peuvent se trouver isolés dans tel ou tel milieu, ou encore pour mieux pénétrer tel ou tel domaine ou sphère d’activité. Cela est possible et sans doute souhaitable, mais il s’agira là de l’engagement de chrétiens, avec des risques et des limites dont il faudra être conscients, et pas d’une œuvre ou d’un engagement de l’Eglise en tant que telle. Non pas que l’Eglise soit au-dessus de cela, mais ce n’est pas sa vocation.
Ainsi, toutes restrictives qu’elles soient, les implications concernant l’engagement social et humanitaire (ou culturel ou sanitaire, etc.) sont vastes également. Elles sont vastes car elles reflètent la fidélité de Dieu envers sa création tout entière, fidélité qui n’est pas à salut mais qui s’inscrit dans le cadre de sa patience et de sa miséricorde. Ce n’est pas là le tout du Royaume de Dieu et de notre espérance, mais ce n’est pas rien non plus ! Cette fidélité-là, les chrétiens en sont bénéficiaires également, et cela crée une solidarité de condition avec l’ensemble des hommes, qu’il serait insensé de nier. « Votre bonheur dépend du sien. » (Jr 29.7)
Ainsi, il n’est pas vain de parler, comme Martin Luther l’a fait, d’une « double citoyenneté » du chrétien dans ce monde. Qu’il suffise de rappeler que les deux identités du chrétien (membre de l’humanité présente et membre du peuple des rachetés) ne sont pas d’égale importance, qu’elles sont susceptibles de se contrarier mais qu’elles ne le feront pas nécessairement. En d’autres termes, le chrétien ne trahit pas sa vocation de chrétien quand il s’investit dans des domaines strictement terrestres et temporels, tant qu’il n’oublie pas son autre vocation, celle d’enfant de Dieu[57]. Ce chrétien se dira que si cette terre et ce temps sont destinés à cesser d’exister dans leur forme actuelle un jour, ils n’en demeurent pas moins la terre et le temps de Dieu. Il se souviendra que son Sauveur n’a pas prié pour qu’il soit ôté du monde mais préservé du mal et sanctifié (Jn 17.15, 17), ce qui n’est pas la même chose. Il n’y a là aucune autorisation pour la compromission ; il y a là un appel à être sel de la terre et lumière du monde, « au milieu d’une génération perverse et corrompue, parmi laquelle [il est appelé à] briller comme [un] flambeau dans le monde » (Ph 2.14-15).
Ce chrétien n’est pas appelé à quitter son conjoint non chrétien, par exemple (1Co 7.12-16), car le mariage est aussi une disposition créationnelle qui concerne l’ensemble des hommes. Ce chrétien paiera ses impôts (« Rendez à César ») et regardera les magistrats comme serviteurs de Dieu, qu’ils soient chrétiens ou pas, car il n’y a pas d’autorité qui n’ait été instituée par Dieu (Rm 13.4-6). Ce chrétien se souviendra qu’il doit honorer tout le monde (1P 2.17), ce qui signifie, notamment, que les Dix Commandements donnés au peuple de Dieu ont aussi une valeur universelle ; en conséquence, il saisira les occasions qui se présenteront pour rappeler que les indications morales que présente l’Ecriture sont appropriées et, à certains égards, vitales pour tous les hommes. Il se souviendra de cet appel de Jésus, qui a vraisemblablement aussi une valeur universelle : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes. » (Mt 7.12) Ainsi, l’action sociale, l’aide humanitaire sont-elles non seulement possibles mais souhaitables, étant porteuses de la générosité de Dieu lui-même.
Qu’il suffise que ce chrétien ne confonde pas cet engagement avec celui qui le lie à ses frères et sœurs dans la foi, car c’est le témoignage du Royaume de Dieu qui est en question dans cette distinction. Qu’il considère que parmi ces hommes et ces femmes qui l’entourent et qui ne croient pas en Dieu, il s’en trouve qui croiront un jour et qui sont, d’ores et déjà, comptés par Dieu comme des rachetés ; qu’il s’en trouve également qui sont chrétiens mais qui n’en ont pas l’apparence, pour de multiples raisons.
IX. Le débordement de la grâce
Plusieurs craindront que l’Eglise se replie sur elle-même si l’accent est mis sur les relations fraternelles (les droits et les devoirs spécifiques et réciproques des membres du peuple de Dieu) ; ils craindront qu’en se distinguant nettement de la société, l’Eglise se trouve dans l’impossibilité d’accueillir de nouveaux membres et de grandir. Notre constat est plutôt contraire à cela : les Eglises qui ont un discours humaniste et qui investissent dans le social ont sans doute beaucoup de contacts, mais l’assemblée des croyants ne grandit pas réellement. A l’inverse, les Eglises qui grandissent sont celles qui osent dévoiler la spécificité – pour ne pas dire la radicalité – de la vocation et du message chrétiens. Ce n’est pas une preuve, mais c’est un indice intéressant.
La croissance numérique de l’Eglise est en partie conditionnée par sa croissance en maturité, comme cela apparaît dans le livre des Actes. « Les Eglises se fortifiaient dans la foi et augmentaient en nombre de jour en jour. » (Ac 16.5) Cette maturité se démontre notamment par l’attachement à ces trois dimensions de la vie du chrétien et de celle de l’Eglise que nous avons déjà mentionnées :
L’unité spirituelle : « Qu’ils soient un afin que le monde croie. » (Jn 17.21)
L’amour fraternel : « A l’amour que vous aurez les uns pour les autres, tous sauront… » (Jn 13.35)
La sainteté de vie : « Ayez au milieu des païens une bonne conduite, afin qu’ils remarquent vos bonnes œuvres et glorifient Dieu le jour où il les visitera. » (1P 3.12)
Il est facile de constater que ces trois thèmes occupent la majeure partie (quasiment l’intégralité) des écrits apostoliques. La première lettre de Jean en fait le triple signe de la vie nouvelle. On observe également qu’à chacune de ces trois réalités est attachée une promesse : « à cela, tous verront » ; « afin que le monde croie » ; « afin qu’ils glorifient Dieu »[58]. Il apparaît ainsi que si l’expérience chrétienne authentique est susceptible d’étonner, voire de heurter bien des personnes, elle constitue également une démonstration convaincante pour beaucoup d’autres, disons pour ceux qui ont soif et que Dieu appelle.
En outre, la Bible montre clairement que l’amour n’est pas une vertu naturelle, immanente, qui peut être dissociée de la foi et de l’espérance, c’est-à-dire de l’expérience de l’amour de Christ[59]. Quant à l’amour fraternel, il n’est pas dissociable de l’unité spirituelle et de la sainteté de vie[60]. L’apôtre Jean, en effet, nous révèle que l’unité et l’amour qui existent entre le Père, le Fils et l’Esprit caractérisent les relations entre les chrétiens. L’amour du chrétien, c’est l’amour de Christ pour lui et au travers de lui. Quand j’aime mon frère chrétien, c’est Christ que j’aime à travers lui, et c’est Christ qui l’aime à travers moi ! C’est la raison pour laquelle le mot « communion » peut être appliqué à ces deux niveaux de relation.
La croissance par débordement est un fruit naturel de la communion de chaque chrétien avec Dieu et avec ses frères et sœurs dans la foi. Tout chrétien « en bonne santé » désire ardemment cette double communion et se rend immédiatement compte quand elle est « abîmée ».
Si chaque chrétien, aimé de Dieu, aime ses frères et sœurs chrétiens de cet amour et si, en vertu de la réciprocité propre au peuple de Dieu, il est aussi aimé de cet amour, alors une sorte de perfection de la grâce se manifestera, qui sera la démonstration de la présence vivante et agissante du Seigneur au milieu de son peuple[61]. Par une telle démonstration, beaucoup seront touchés à salut, « en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera » (Ac 2.39).
Annexe 1
La communion des saints, d’abord en Dieu
Au lieu de partir « d’en bas », n’est-il pas judicieux de partir « d’en haut » où les réalités premières sont établies, qui doivent ensuite se refléter sur la terre ? C’est ce que nous affirmons avec le Symbole des apôtres : « Je crois la communion des saints. »
a. Dans le Père
Au commencement Dieu. Ce n’est pas seulement la révélation du salut et du Royaume de Dieu qui « descend d’en haut, du Père des lumières », mais c’est leur réalité même, préexistante et manifestée au temps convenable. L’apôtre Paul l’affirme : « En Christ, nous avons été élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui. » (Ep 1.4)
Jésus déjà avait relié les événements présents à une réalité qui existait dans l’intimité qui était la sienne avec son Père, avant le commencement des temps : «Je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire. Et maintenant, toi Père, glorifie-moi de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût. J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde. Ils étaient à toi, tu me les as donnés ; et ils ont gardé ta parole. » (Jn 17.4-6)
Remarquons l’ordre des verbes de la dernière phrase. C’est d’abord en Dieu ! C’est une œuvre si haute, si parfaite, qu’elle ne laisse rien au hasard, qu’elle ne peut être que l’œuvre de Dieu lui-même[62]. « Nous vous écrivons ces choses afin que vous soyez en communion avec nous. Or, notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ », dit l’apôtre Jean[63].
b. En Christ
Ces deux mots « en Christ » définissent le lieu de résidence, la position présente du chrétien et de l’Eglise[64]. Plus qu’un lieu, c’est l’identité du chrétien et de l’Eglise qui est ainsi désignée. Plus même qu’une identité ou une appartenance, c’est d’une double in-habitation qu’il s’agit : lui en nous et nous en lui ! (Jn 15.4). L’évangéliste Jean nous donne le vertige en osant comparer (assimiler peut-être) l’unité spirituelle qui unit les chrétiens entre eux, dès maintenant, à celle qui les unit au Fils et à celle qui unit le Père et le Fils (Jn 17.20-23).
Nous remarquons que cette unité spirituelle – cette communion – est à la fois acquise, établie, assurée, mais qu’elle doit aussi être préservée, et qu’elle est également appelée à se manifester et à grandir de plus en plus par la grâce de Dieu et par l’engagement fidèle et persévérant de chacun. Le « demeurez en moi » de Jean 15 indique bien qu’il s’agit tout à la fois d’une position acquise et à préserver.
c. En Esprit
Le « en Christ » ne peut s’envisager sans l’action et sans la présence de l’Esprit Saint, qui en est à la fois l’agent et le garant. « Que l’amour de Dieu, la grâce de Jésus-Christ et la communion du Saint-Esprit soient avec vous. » (2Co 13.13) Ainsi sont confirmées la dimension établie de notre communion et sa dimension sensible, voire fragile. Le même Esprit, par qui nous sommes « scellés pour le jour de la rédemption », peut également être attristé (Ep.4.30). La présence de Dieu est bien promise et accordée dans le cœur du chrétien racheté comme au sein de la communauté rassemblée ; cependant cette présence ne peut jamais être considérée comme allant de soi, comme si elle n’était liée qu’à une éducation, à un lieu donné, à un rite ou à une formule liturgique. « Si deux ou trois sont assemblés en mon nom… », ce n’est pas seulement être « assis là » le dimanche à 10 h 30 ! Sommes-nous sensibles aux conditions qui permettent à la présence de Dieu d’être manifeste et pas seulement symbolique ?[65]
Notons que la communion dont nous parlons est faite de tout autre chose que des liens de parenté charnelle, d’amitié, d’affection, d’affinité humaine, même si tout cela est bon et jusqu’à un certain point compatible ! « Qui est ma mère, mon frère, ma sœur. Quiconque fait la volonté de mon Père… », a dit Jésus (Mc 3.33). Nous sommes généralement très sentimentaux et Paul qualifie de « psychique » cette dimension commune à l’ensemble des hommes, bien insuffisante au regard de Dieu[66].
Annexe 2
Le Bon Samaritain
Comme la parabole du jugement des nations en Matthieu 25 (« Toutes les fois que vous avez fait ces choses à un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait », v. 40), la parabole du Bon samaritain (Lc 10.25-37) a servi d’innombrables fois à justifier l’amalgame entre amour fraternel et action sociale ou aide humanitaire, ou encore une sorte de salut par les œuvres sans la foi. Que faut-il en penser ?
Les tendances libérale ou moderniste accentuent tellement l’importance du contexte socioculturel des récits bibliques que ces récits n’ont plus grand-chose à nous dire aujourd’hui, si ce n’est quelques rappels moralisateurs. Les évangéliques sont souvent tentés par une autre erreur : ils donnent d’emblée aux récits une portée universelle en oubliant le contexte dans lequel se situe le rédacteur. Dans les deux cas, la Bible est approchée avec des présupposés extérieurs à elle-même, ce qui conduit à donner un sens qui n’est pas réellement celui du texte. C’est dans la Bible que nous devons trouver les clés pour interpréter correctement la Bible !
Une de ces clés, c’est la centralité du peuple de Dieu, Israël-Eglise, indissolublement liée à la centralité de la personne de Jésus-Christ. Genèse 12 le montre déjà : il y est question des étoiles du ciel et du sable sur le bord de la mer, mais c’est la descendance d’Abraham ! Les nations de la terre qui seront bénies en lui, ce sont ceux et celles qui, au sein des nations, manifesteront la foi d’Abraham : il s’agit encore de la descendance d’Abraham. La descendance d’Abraham, ce sont ceux qui croient : c’est l’Israël fidèle, c’est l’Eglise de Jésus-Christ parmi les nations.
Quand, dans l’Ancien ou le Nouveau Testament, il est question de « la foule », ou du « peuple », ou quand nous lisons le mot « tous », nous sommes tentés de le comprendre d’une manière générale, alors que – sans qu’il soit besoin de le préciser dans le texte – il s’agit du peuple de Dieu et de lui seul (Lc 1.77 ; Ac 10.2). Il en est de même quand nous lisons « quelqu’un » (comparer Mc 11.25 et Mt 5.23-24), ou encore au début de la parabole du Bon Samaritain, quand il est question d’un « homme », sans précision (le blessé, ici). Le Samaritain, lui, est en voyage (v. 33), hors de sa contrée, c’est-à-dire en Israël (les lévites et les sacrificateurs ne circulaient qu’en Israël).
Quand le docteur de la loi qui interroge Jésus cite le sommaire de la loi (v. 27), il sait bien qu’il s’agit d’une loi interne au peuple saint, selon Lévitique 25. Quand il demande qui est son prochain, Jésus lui montre au travers de la parabole que ceux qui devraient le savoir et le pratiquer le négligent, et que celui qui n’est pas directement concerné (car étranger au peuple de Dieu) démontre une sensibilité étonnante. Cette sensibilité, ce n’est pas seulement « faire du bien à quelqu’un », mais « c’est montrer de l’égard à un membre du peuple de Dieu » (comme l’ont fait Rahab, Ruth, etc.). Cela apparaît maintes fois dans les évangiles, avec les pierres qui peuvent devenir la descendance d’Abraham (Mt 3.7), la femme samaritaine, le lépreux samaritain, le centenier de Luc 7.2-5, celui de Luc 23.47, la femme syro-phénicienne, le centenier d’Actes 10.2…
A plusieurs reprises, cette attitude accueillante ou bienveillante vis-à-vis du Royaume de Dieu se manifeste par un attachement des « craignant-Dieu » au peuple de Dieu ou à un de ses membres : « Il aime notre nation et c’est lui qui a bâti notre synagogue. » (Lc 7.4-5) « Il faisait beaucoup d’aumônes au peuple et priait Dieu continuellement. » (Ac 10.2) « Il a exercé la miséricorde envers lui. » (Lc 10.37)
Une autre clé se révèle ici : ce que l’on fait au peuple de Dieu, c’est à Dieu qu’on le fait ! D’innombrables passages le montrent tout au long de la Bible[67]. Le lien entre Dieu et son peuple est tel que c’est exercer une forme de piété que de servir son peuple. Jean le souligne dans sa première lettre : le double signe de la vie nouvelle, c’est garder les commandements et aimer les frères. Quand on lit 1 Jean 4.20 à 5.2 (« Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère »), on retrouve, avec d’autres mots, le sommaire de la Loi : aimer Dieu et son prochain !
Jésus montre, en outre, qu’en Israël le prochain n’est pas seulement celui qui est aimé comme un frère, mais c’est aussi celui qui aime de cette manière propre au peuple de Dieu. « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé entre les mains des brigands ? Va et toi, fais de même. » En « exerçant la miséricorde » envers un enfant d’Israël, le Samaritain montre que son cœur est préparé pour le Royaume de Dieu. Il est déjà proche de la communion des saints.
Annexe 3
Dieu aime-t-il tous les hommes ?
Il ne s’agit pas ici de traiter cette question, mais seulement de la poser ; d’oser la poser bien qu’elle paraisse choquante au premier abord. Mais pourquoi est-elle choquante, finalement ? Il ne s’agit pas de demander si « Dieu est amour », car cela est affirmé explicitement dans la Bible. Mais que Dieu doive ou même puisse aimer tous les hommes dans la condition de rébellion qui est la leur, cela va-t-il de soi ? L’homme serait-il réellement aimable devant Dieu ?
Trois schémas de pensée existent dans les Eglises aujourd’hui, qui peuvent être présentés succinctement.
Le schéma humaniste moderne – très présent dans l’Eglise romaine et l’Eglise réformée de France – considère que Dieu aime tous les hommes, ce qui implique le salut de tous les hommes[68]. Il y a là une certaine logique. Comment un homme aimé de Dieu pourrait-il être rejeté par Dieu ?
Le schéma « évangélique » classique – appelé arminien en théologie[69] – considère lui aussi que Dieu aime tous les hommes et que Christ est mort pour tous les hommes, mais cet amour manifesté en Jésus-Christ ne trouve son aboutissement que pour ceux qui accepteront de croire en lui. Les autres « rendent nul à leur égard le dessein de Dieu », pour reprendre ce que Jésus a dit des Juifs incrédules. Dans ce schéma, l’amour de Dieu et le salut sont en quelque sorte dissociés, puisque les arminiens ne croient pas que tous les hommes seront sauvés.
Le troisième schéma, que l’on pourrait appeler « calviniste », garde l’association amour de Dieu ‒ salut (ceux que Dieu aime, il les sauve), mais aussi le principe selon lequel tous les hommes ne seront pas sauvés. L’implication logique est la suivante : Dieu aime et sauve les élus. Le salut n’est pas accompli pour tous et reçu par certains seulement, ceux qui en veulent bien ou qui ont eu la chance de faire une bonne rencontre ; il est accompli entièrement et efficacement pour ceux que Dieu a choisis dans sa grâce pour être ses enfants.
Présentée comme cela, cette compréhension de l’amour de Dieu peut sembler réductrice et difficile à accepter pour la raison. Remarquons que chacun des trois schémas peut paraître réducteur. Le premier fait le choix de l’amour inconditionnel et passe sous silence les exigences de la sainteté et de la justice de Dieu, c’est-à-dire une partie importante de la révélation biblique[70]. Dans le second, c’est la souveraineté de Dieu qui est amoindrie, l’amour de Dieu se heurtant au bon vouloir de l’homme, ce qui revient à accorder une part considérable à un être regardé comme corrompu, incapable de faire le bien. Dans le troisième schéma, la difficulté semble être celle-ci : comment un Dieu d’amour pourrait-il ne pas aimer tous les hommes ? Et s’il aime certains hommes et pas d’autres, pourquoi ceux-ci et pas ceux-là ?
Pour ce qui est de cette dernière question, nous ne sommes pas sans réponse, car elle est posée explicitement dans la Bible, notamment dans le chapitre 9 de la lettre aux Romains : l’homme n’est tout simplement pas en position d’évaluer et encore moins de contester le choix souverain de Dieu. Que Dieu laisse le pécheur sous la condamnation ou qu’il le gracie, il est juste et nul reproche ne peut lui être adressé.
Quant aux destinataires de l’amour de Dieu, il n’est pas difficile de montrer qu’ils sont déterminés, sans rapport avec les mérites, en fonction d’un dessein d’élection arrêté par avance (Ep 1.3-12). En parlant des disciples présents et à venir, Jésus dit à son Père : « Ils étaient à toi, tu me les as donnés, ils ont gardé ta parole. » A la fin de sa prière, Jésus nous fait découvrir que l’amour du Père pour ses disciples est le même que l’amour du Père pour le Fils (Jn 17.23). Le Père aime le Fils et ceux qui sont « en lui »[71].
Il nous semble, en effet, remarquer que le verbe aimer, dans l’Ecriture, n’est jamais utilisé qu’en rapport avec le peuple de Dieu[72]. Ce verbe a toujours un sens fort, lié à une appartenance, un don de soi, comme cela est vécu dans l’union conjugale, entre parents et enfants, ou encore entre le berger et son troupeau : une alliance les lie[73].
Cet amour particulier ne nie pas qu’il y ait aussi des promesses pour l’ensemble des hommes, comme on le voit en Genèse 9, dans le cadre de la grâce générale et de la patience de Dieu (Ac 14.17). Cette disposition autorise-t-elle à affirmer que Dieu aime tous les hommes ?[74] Pas sans définir ce que nous entendons par le mot aimer[75].
C’est ainsi qu’il est demandé à ceux qui ont été ainsi aimés de s’aimer les uns les autres (de l’amour même dont ils ont été aimés, Jn 13.34-35 ; 1Jn 4.11) et de se conduire de manière irréprochable vis-à-vis de ceux du dehors, ce qui n’est pas exactement la même chose[76]. Les implications de cette réflexion, on le voit, sont nombreuses et importantes.
* C. Nicolas est pasteur ; après avoir été aumônier aux armées, il est depuis 2004 aumônier en hôpital à Alès.
[1] 1Co 2.2, 14.24-25 ; 2Co 4.4 ; Col 2.8, 3.24 ; Ap 1.5, 8, 11.15, 12.10, 20.4.
[2] Comparer avec Jean 17.20-21, où Jésus associe l’unité entre les disciples, l’unité entre les disciples et lui et l’unité entre le Père et lui.
[3] « Je crois la sainte Eglise universelle », dit le Symbole des apôtres, après avoir dit : « Je crois en Jésus-Christ. »
[4] Noter que ce qu’un chrétien vit quand il est seul, même en secret, affecte positivement ou négativement la communion des saints, autrement dit la vie de l’Eglise.
[5] Voir l’annexe 3 : Dieu aime-t-il tous les hommes ?
[6] Luc 7.4. En Actes 10.1-2, nous voyons un autre officier romain, Corneille, démontrer sa piété et sa crainte de Dieu par ses prières et ses aumônes au peuple (de Dieu). Deux indices révélateurs de quelque chose qui s’apparente de près à la foi.
[7] En 1Tm 5.4, le mot piété est employé pour parler des relations que les enfants doivent développer envers leurs parents. Notons l’affirmation surprenante de Mt 10.40 et Jn 13.20 : « Qui vous reçoit me reçoit… »
[8] Nous savons que la tendance actuelle, présente dans tous les milieux ou presque, est d’appliquer ce principe à l’ensemble des hommes, faisant souvent de cette application universaliste le cœur même de l’Evangile. Je pense à l’opération récente de la Fédération protestante de France (FPF) : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » au sujet des migrants, ou au slogan du Défi Michée, le 10 novembre 2010 : « Souvenez-vous des pauvres », appliquant cette injonction aux pauvres du monde, quand le texte biblique cité vise les pauvres au sein des communautés chrétiennes (Ga 2.10, cf. Ac 11.29-30).
[9] Cf. Mt 18.19 ; 1Co 1.10, 12.24-26 ; Ep 4.1-3 ; Ph 2.1-2 ; Col 2.2, etc.
[10] Il en est de même pour les expressions les uns les autres, réciproquement, mutuellement, qui s’appliquent toujours aux relations au sein du peuple de Dieu. Appliqués à l’ensemble des hommes, ces principes deviennent utopiques ; appliqués aux disciples de Christ, ils sont impératifs. « Par amour fraternel, soyez pleins d’affection les uns pour les autres. » Rm 12.10, cf. Ep 4.25, etc.
[11] Nous avons l’équivalent de cette mise en garde quand Jésus avertit que ce ne sont pas ceux qui disent « Seigneur ! Seigneur ! » qui entreront dans le Royaume de Dieu, mais ceux-là seuls qui font la volonté de son Père (Mt 7.21).
[12] Exigences et grâce vont ensemble : c’est au frère qui a offensé que Jésus recommande de pardonner soixante-dix fois sept fois (Mt 18.21).
[13] Certains pourraient considérer qu’en Actes 17.26 nous avons une autorisation pour considérer tous les hommes comme frères… en humanité. L’idée est belle, mais est-elle judicieuse ?
[14] On peut lire 1Jn 4.21 à 5.1, où le terme frère est précisément celui qui est « né de Dieu ».
[15] Mt 1.21, 9.36 ; Lc 14.25 ; Ac 4.1-2…
[16] 1Co 11.21, cf. 2Co 8.13-15 ; 1Jn 3.17.
[17] Nous avons vu les responsables du Défi Michée, en octobre 2010, utiliser comme un slogan cette expression de la lettre aux Galates : « Souvenez-vous des pauvres » (2.10) en omettant de préciser que le contexte de ce passage indique clairement la préoccupation de l’apôtre pour « les frères de la Judée » (Actes 11.29-30).
[18] On peut excepter le livre des Proverbes, dont les sentences ont un caractère universel.
[19] Et soumis à une même discipline. Lv 17.8, 10, 18.26-29, 19.8, 20.2, cf. 1R 8.41-43.
[20] Cela est illustré par l’attitude de Rahab. Rahab n’est pas seulement accueillante par simple pitié ou bienveillance : elle a entendu parler du peuple d’Israël et de ce que Dieu a fait pour lui. Par la foi, elle accueille ces émissaires et invoque leur bienveillance en termes de salut.
[21] Voir en annexe l’interprétation que nous proposons de la parabole du Bon Samaritain.
[22] Voir l’annexe 2 sur la parabole du Bon Samaritain.
[23] La règle d’interprétation à suivre, quand deux termes sont ainsi associés, consiste à éclairer le sens du terme le moins facile à comprendre (prochain) par le sens du terme le mieux défini (frère).
[24] Cf. article de H. Blocher dans Ichthus : « Quels tous ? », n° 92, et son cours sur Le péché et la rédemption.
[25] Comparer avec Mt 18.17 : « S’il ne t’écoute pas, dis-le à l’Eglise. »
[26] Remarquer le risque d’un certain usage liturgique (notamment pour les mariages, les obsèques, mais pas seulement) qui conduit à s’adresser à des assemblées composées en grande partie d’incroyants comme s’il s’agissait de croyants. Cela n’édifie pas. Cela est contraire à la vision du Réveil. Deux écueils à éviter :
– garder les meilleurs (tous = les forts et les faibles dans la foi !) ;
– faire croire aux incroyants qu’ils sont croyants (tous = les croyants !).
[27] Dans ce sens encore : « Mes frères, que votre foi en notre glorieux Seigneur Jésus-Christ soit exempte de toute acception de personnes. Supposé qu’il entre dans votre assemblée un homme avec un anneau d’or et un habit magnifique, et qu’il y entre aussi un pauvre misérablement vêtu… » (Jc 2.1-2) Notre réflexe pourrait facilement nous conduire à faire de cela un principe moral universel, ce qui ne serait pas entièrement sans fondement ; nous pourrions aussi être tentés de considérer que le riche est nécessairement un homme du monde et le pauvre un chrétien ! Mais le texte se situe bien, comme l’ensemble des lettres apostoliques, dans le cadre de la communauté chrétienne : il s’agit de deux chrétiens appartenant l’un et l’autre au Seigneur, mais l’un est riche et l’autre pauvre, et c’est pour cela qu’il importe de les regarder l’un et l’autre de la même manière, comme le fait le Seigneur lui-même.
[28] Sur la dimension qualitative du mot « tous », deux versets apportent un éclairage intéressant. Comment, en effet, devons-nous comprendre 1Co 13.7 : « L’amour excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » ? L’amour a beau être le lien de la perfection, il est bien difficile de penser qu’il conduit à croire tout… et n’importe quoi ! Le tout indique bien une totalité, qu’il faut comprendre ainsi : l’amour ne fait pas le tri dans ce qui est juste et vrai (voir le v. 6) ; il croit entièrement tout ce qui est juste et vrai. De même en Ep 4.6, nous lisons qu’il y a « un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et parmi tous et en tous ». Le principe de l’analogie de la foi nous contraint à appliquer cette affirmation à l’ensemble des enfants de Dieu et à eux seuls, même si une partie du verset semble pouvoir être appliquée à l’ensemble des hommes.
[29] « Je rassemblerai le reste de mes brebis de tous les pays où je les avais chassées… Elles n’auront plus de crainte, plus de terreur, et il n’en manquera aucune. » (Jr 23.3-4) Sur la notion de totalité appliquée au peuple de Dieu, voir aussi les paraboles de la brebis et de la drachme perdues (Lc 15.3-10), Jn 10.16 ; Ap 6.10.
[30] Bien des textes bibliques nous contraignent à retenir cette dimension « englobante et sélective » du plan de Dieu et de ce mot « tout » ou « tous ». Voir par exemple 1Co 13.7 où nous lisons que « l’amour croit tout » : le contexte indique qu’il s’agit de « tout ce qui est vrai et juste », et pas tout et n’importe quoi ! Voir encore Ep 4.6 où il est question d’« un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et parmi tous et en tous ». Pour la réflexion, comparer Ps 33.13 et 18, qui associent sans les confondre les dimensions universelle et sélective du regard de Dieu.
Un autre passage qui peut poser une question : « Tout genou fléchira et toute langue confessera » (Ph 2.10) trouve un éclairage intéressant avec un texte parallèle en Rm 14.10-11, où cette mention est appliquée aux frères en la foi.
[31] Cf. Ac 13.48, 28.28 ; Rm 15.9, 16, 21, 27, 16.4 ; Ep 3.6 ; 1Tm 2.7 ; 2Tm 1.11…
[32] « Oui, Dieu aime les peuples ; tous les saints sont dans sa main. » (Ps 33.3) C’est également ainsi que l’on comprend toutes les mentions des peuples qui louent l’Eternel et proclament ses hauts faits (Ps 117.1, etc.). Tous les hommes le font-ils ? Non. Ses saints seulement, dispersés parmi les peuples.
[33] Comme l’atteste le début de 1Co 6.
[34] Ac 20.28 ; Ep 4.10-16 ; 1Tm 3.1-13 ; 1P 5.1-3. Même le ministère d’évangéliste est, strictement parlant, pour l’Eglise.
[35] Ep 4.12 ; Ph 2.14-15 ; 1P 2.11-12, 3.14-17.
[36] Ainsi sont définis les ministères dans la Discipline des Eglises réformées évangéliques (EPREF).
[37] Rm 12.13, 15.25 ; 2Co 8.4, 9.1, 12… Remarquer les deux communions mentionnées en Rm 12.12-13 : « Priez sans cesse. Pourvoyez aux besoins des saints. »
[38] Il importe de rappeler que les ministères agissent pour et avec l’Eglise ; jamais à sa place. Leur objectif est que chaque chrétien soit équipé pour accomplir son propre ministère de chrétien, dans sa vie personnelle, dans sa maison, dans sa vie de tous les jours, dans l’Eglise, et que l’Eglise en tant que communauté accomplisse son ministère communautaire d’accueil et de témoignage. Nous appelons pastorat mutuel le soin d’édification que les membres ont les uns envers les autres. Nous appelons diaconie l’assistance et le soutien que les membres vivent les uns envers les autres (1Jn 3.17). Nous appelons diaconat le ministère des diacres organisé dans l’Eglise en lien avec la tâche pastorale (Ac 6.3-4; Ph 1.1; 1Tm 3.1, 8).
[39] Ac 6.3-4 ; 1Co 12.28 ; Ph 1.1 ; 1Tm 3.1, 8.
[40] 2Co 8.13, 15.
[41] Ac 4.34.
[42] Cf. 1Jn 3.18.
[43] 2Co 9.11-15.
[44] Hé 6.10.
[45] Rm 16.1-2.
[46] Pour autant, l’expression « frère en humanité », nous l’avons dit, introduit un risque de confusion : Dieu est bien le créateur de tous les hommes, mais il est le père de ceux qui, en Christ, ont reçu l’Esprit d’adoption.
[47] Ces distinctions pourraient être contredites par l’appel à « ne pas faire acception de personnes » (Jc 2.1), si nous oubliions que cette dernière obligation trouve son application au sein du peuple de Dieu, c’est-à-dire « en Christ ». Une autre sphère d’existence importante est signalée dans la Bible, c’est celle de la famille avec, là aussi, des devoirs spécifiques (1Tm 5.8).
[48] Ce principe paraît, pour beaucoup, contraire à l’amour. Il est pourtant conforme au principe des alliances par lesquelles Dieu s’engage envers les hommes : l’alliance avec Noé, pour tous les hommes (on parle alors de grâce générale), et l’alliance avec Abraham et sa descendance, c’est-à-dire avec ceux qui croient (au bénéfice de la grâce particulière du salut). Cette distinction paraît discriminante, il est vrai ; en réalité, elle introduit une dimension dynamique responsabilisante. Voir Mt 7.5 ; 1Tm 3.4-5 ; 2Tm 2.2…
[49] Voir l’annexe 3.
[50] Comparer Ps 33.13 et 18.
[51] En 1Co 15.22, une même phrase emploie le mot « tous » pour désigner l’ensemble des hommes sous le registre du péché et de la mort, et pour désigner ceux qui ont part à la résurrection de Christ. Des autres, il n’est plus question. Cette attitude est explicitement celle de Jésus en Jean 17.9 : « Je ne te prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés. »
[52] Cf. Ac 6.1ss ; 1Tm 5.9, 16.
[53] Le mot apostasie peut sembler trop fort. Nous voyons cependant que le principe de sainteté qui distingue le peuple de Dieu des autres est loin d’être un détail de la foi. Cette distinction est hautement significative, porteuse de sens, dans une perspective pédagogique et prophétique. De ceux qui ignorent ou méprisent ce principe de distinction ou de priorité, Paul dira qu’ils sont pires que des infidèles (1Tm 5.8). En d’autres termes, la foi elle-même implique de reconnaître le sens et l’importance des distinctions que Dieu établit lui-même.
[54] Gn 8.1, 9.8-17 ; Ps 36.7-8 ; Jon 4.11 ; Mt 6.26, 10.29…
[55] Jn 3.18-21.
[56] Je mentionne, à titre d’exemples, le Comité protestant pour la dignité humaine (CPDH), qui milite pour la préservation des valeurs chrétiennes dans la société, le milieu politique et les médias, ou encore A Rocha, qui veut promouvoir (dans l’Eglise et dans la société) une vision chrétienne de l’environnement.
[57] Disons que la vocation d’enfant de Dieu prime et qu’elle éclaire les autres sans les remplacer. Cf. 1Co 10.31 ; Col 3.17 ; Hé 13.14. Nous nous souvenons que Luther parlait de chaque profession ou engagement en termes de vocation, c’est-à-dire comme une réponse à un appel, en fonction de besoins concrets et avec des dons reçus de Dieu.
[58] Jn 13.35, 17.21 ; 1P 2.12. On peut d’ailleurs se demander qui sont ces « tous » qui verront, ou que faut-il entendre par « afin que le monde croie ». Une certaine logique voudrait que l’on voie là « ceux qui sont prédestinés à la vie éternelle », selon l’expression d’Actes 13.48.
[59] Rm 5.1-5 ; 1Co 13.13 ; 1Th 3.6 ; 2P 1.3-7…
[60] 1Th 4.9-12…
[61] L’amour fraternel est une des marques visibles de la régénération.1Jn 3.10, 4.7, 21-5.1 ; 1Th 3.12-13 ; 1P 4.8-10.
[62] Nous trouvons une application concrète de cela avec les paraboles de la brebis et de la drachme perdues en Lc 15.3-10. Ce berger, cette femme ne cherchent pas au hasard une brebis ou une pièce de plus : il lui manque une brebis, il lui manque une pièce pour faire le chiffre exact, le nombre complet !
[63] Le risque n’est pas nul d’envisager l’être et le fonctionnement de l’Eglise… sans Christ : avec des statuts, une assemblée générale, des membres inscrits, un budget et même des réunions… mais sans communion.
[64] La doctrine de l’expiation définie affirme que Christ est mort pour les élus, « pour ses brebis » (Jn 10.11, 14-15, 17.3), « pour ses amis » (15.13-15) ; cf. Ap 5.9. Le pasteur et évangéliste suisse César Malan (1787-1864) a exposé cet enseignement dans un livre intitulé Elle est à moi, je l’ai rachetée. Ed. Europresse, 1998.
[65] « Qu’il survienne quelque incroyant ou homme du peuple, il est convaincu par tous, il est jugé par tous, les secrets de son cœur sont dévoilés, de telle sorte que, tombant sur sa face, il adorera Dieu et publiera que Dieu est réellement au milieu de vous. » 1Co 14.24-25.
[66] Voir à ce sujet Marc 3.31-35 ; 2Co 5.16 : « Nous ne connaissons personne selon la chair. »
[67] Mt 10.40, 42, 25.40 ; Mc 9.41 ; Hé 6.10. Cf. Za 2.8.
[68] Jacques Duquesne a achevé de répandre cette pensée qui confond, si on peut dire, Dieu et l’amour : « Dieu est amour, tout amour. »
[69] Du nom du théologien hollandais Jacob Arminius (1560-1609).
[70] Cf. l’article de W. Edgar : « L’hérésie de l’amour et la discipline de l’Eglise », La Revue réformée, n° 137, 1984/1.
[71] Ces remarques sont conformes à la doctrine réformée dite de l’« expiation définie » défendue par le Synode de Dordrecht (1618-1619), selon laquelle Christ est mort pour les élus et pour eux seulement. Cette affirmation ne nie pas la dimension cosmique de l’œuvre de la croix, selon Col 1.20.
[72] On peut lire dans ce sens Jn 13.1 ; Rm 9.10-16, 24-26…
[73] « Comme un père a compassion de ses enfants, l’Eternel a compassion de ceux qui le craignent. » Ps 103.13, 147.11.
[74] Jean 3.16 peut aussi être lu dans ce sens, en appliquant au mot « monde » ce qui a été dit plus haut sur « les nations » ou « les païens ». En d’autres termes, le monde, ce n’est pas « tout le monde », de même que le mot « tous » ne désigne pas toujours tous les hommes. Il en est sans doute ainsi en Jean 13.35 (« Tous connaîtront… ») où le « tous » pourrait bien désigner les élus (cf. Ac 13.48), à comparer avec Jean 17.21, « afin que le monde croie ». Y a-t-il un passage biblique qui laisserait penser qu’un jour tous les hommes croiront ?
[75] Il est intéressant de remarquer que, dans le Nouveau Testament, l’amour est pratiquement toujours associé à la foi, de telle sorte que ces deux réalités paraissent indissociables (Rm 5.1-5 ; 1Co 13.13 ; Col 1.4-5 ; 1Th 1.3, 5.8 ; 1P 1.21-22).
[76] Rm 12.18 ; 2Co 1.12 ; Ga 6.10, déjà cités, mais aussi Ph 2.15 ; 1P 2.12, 3.14-17. Comparer avec 1Co 6.1-6. Cf. 1P 2.17 : « Honorez tout le monde, aimez les frères… »