Justice de Dieu et expiation rédemptrice selon Jean Calvin

Justice de Dieu et expiation rédemptrice selon Jean Calvin

Henri BLOCHER*

Les avis peuvent diverger quelque peu sur la méthode calvinienne, mais une chose est sûre, et nul expert n’y contredira : la doctrine de Calvin n’a rien à voir avec un système déductif, où tout se tire more geometrico de deux ou trois propositions, axiomes, définitions ou théorèmes fondateurs. A telle procédure, Calvin est peut-être plus étranger qu’aucun autre des grands noms de l’histoire de la pensée. Il est d’abord un bibliste et un prédicateur. S’il s’efforce, certes, de l’exposer en bon ordre, il livre les fruits d’une exégèse exceptionnellement docile, voire ductile. Il serre le sens objectif du texte original de plus près que ne l’avait fait aucun commentateur avant lui. Il respecte les diversités scripturaires, y compris celles qui lui présentent des éléments difficiles à combiner rationnellement, à penser ensemble. Du coup, on a pu qualifier sa doctrine de complexio oppositorum, et, non sans hyperbole oratoire, Emile Doumergue pouvait écrire : « L’arc [d’une ogive], pour être l’arc, a besoin de deux poussées dites contraires, et la pensée de Calvin n’est la pensée de Calvin que grâce à ses contrariétés[1]. » Je parlerai volontiers de thèses complémentaires ou antagonistes, au sens où sont dits antagonistes (et complémentaires) les muscles qui nous permettent de bouger le bras ! Wilhelm Niesel évoque le modèle chalcédonien: Jésus-Christ est Dieu mais homme, en deux natures mais une seule personne[2]. On peut se rappeler le fameux « et pourtant », et tamen, du symbole Quicumque, dit d’Athanase.

Un antagonisme qui influence tout le calvinisme de Calvin mérite qu’on le souligne. Il associe le motif religieux de la crainte de Seigneur et le motif éthique de la justice. La parole de Calvin frémit de la crainte du Seigneur, du frisson sacré devant la Majesté qu’il dit « épouvantable », c’est-à-dire apte à faire sentir la bassesse de la créature (poudre et cendre) et l’infinie supériorité du Dieu transcendant; Calvin est de ceux « qui tremblent à la Parole de Dieu » (Es 66.2 ; cf. Esd 9.4 et 10.3). Mais Calvin n’est pas moins attaché à la teneur éthique de l’Instruction divine, l’ensemble des valeurs et des normes que la révélation nous inculque, et par lesquelles, les ayant intériorisées (écrites sur le « cœur »), nous sommes appelés à devenir « les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés ». Je crois l’entrelacs des deux motifs biblique – sans préjuger du bon dosage – et il faut souligner, chez Calvin, la solidarité qui lie les deux: rien de plus impie, de plus attentatoire à la majesté divine, que l’idée d’un Dieu indifférent à l’éthique ou qui violerait les préceptes moraux ; réciproquement, il ne saurait être question d’une éthique indépendante, d’une éthique qui ne serait pas religieuse dans son origine et sa profondeur.

Je propose de garder à l’esprit cette dualité complexe pour tenter de discerner les équilibres, et peut-être les tensions, des vues de Calvin sur la justice, et la dimension qui correspond à la justice, dans sa doctrine de l’expiation rédemptrice. Sans prétendre au traitement exhaustif, j’espère dégager un aperçu intéressant, et même utile[3].

Dans l’œuvre volumineuse du réformateur, où chercher ? La plupart, pour s’informer, vont à l’Institution (de la Religion chrétienne). Ils font bien. Calvin désigne lui-même l’ouvrage, en juillet 1559, comme « le livre qui entre tous mes travaux dépasse tous les autres et occupe le rang le plus remarquable[4] », l’édition finale (1559 et 1560) se prêtant le mieux à la référence courante. Mais Calvin laisse d’abondants écrits, de diverses catégories: outre les catéchismes, les commentaires et les conférences ou leçons bibliques (d’abord en latin), les sermons (en français), les traités, et les lettres ! Sur le sujet de l’expiation rédemptrice, il ne semble pas que les lettres fassent grande contribution (j’avoue ne pas avoir mené de recherche digne de ce nom dans les lettres en latin, les plus nombreuses), et les traités non plus: ils sont généralement polémiques, et le point n’était pas controversé. Les commentaires et les sermons sont plus riches. Quiconque en est familier reconnaîtra la même doctrine que dans l’Institution – disons sans circonlocution que l’auteur se répète beaucoup, ainsi qu’il était inévitable dans les conditions de son ministère –, mais on rencontre ici ou là une formulation plus pleine ou plus forte, une audace significative, peut-être un embarras symptomatique: il vaut la peine de le signaler[5].

I. LA JUSTICE DE DIEU, UNE ET DOUBLE

Qu’enseigne Calvin sur la justice que Dieu déploie dans toute son action, et, spécialement, dans l’expiation rédemptrice ? (Il ne s’agit pas ici de la « justice de Dieu » au sens de Romains 1.17, au sens que le réformateur attribue à la formule dans ce verset, c’est-à-dire comme le don fait au croyant et mis à son compte.)

Sous l’influence du grand libéral Albrecht Ritschl, certains auteurs ont rapproché Calvin de Jean Duns Scot, qu’ils caricaturaient du même coup, et des nominalistes auxquels Scot avait ouvert la voie. Le même accent sur la volonté, le décret souverain, leur suggérait une convergence substantielle: pour le réformateur comme pour les nominalistes, le bien et le juste auraient été déterminés par la libre décision de Dieu, auraient dépendu de sa puissance absolue – ce qui aurait frappé leur définition de contingence et permis d’imaginer une définition différente. La conséquence fait vaciller, dans le cœur des humains, le sentiment éthique.

Les meilleurs calvinologues ont pulvérisé cette erreur de lecture[6]. Calvin attaque plusieurs fois la conception nominaliste. Après avoir dit que « le Seigneur se défendra assez par sa justice, sans que nous lui servions d’avocats », il ajoute : « Toutefois en parlant ainsi, nous n’approuvons pas la rêverie des théologiens papistes, touchant la puissance absolue de Dieu », et il insiste : « Car ce qu’ils en gergonnent est profane, et pourtant [pour cette raison] doit nous être en détestation. Nous n’imaginons point un Dieu qui n’ait nulle loi (exlegem en latin), vu qu’il est loi à soi-même. » (IRC, III,xxiii,2; cf. I,xvii,2) Richard Stauffer cite dans le même sens plusieurs sermons sur Job (le 64e, le 88e), et le 21e sur Jérémie[7].

Au-delà de ce rejet, un souci se marque constamment chez Calvin. Il n’en lâchera rien, jamais : il faut reconnaître que le Juge de toute la terre agit selon le droit (pour reprendre les termes d’Abraham en Genèse 18). C’est le souci éthique. Il est très net dans son commentaire d’Ezéchiel 18 : « Rien ne serait plus indigne que d’accuser Dieu de dominer de façon quasi tyrannique parmi les hommes[8] », car « sa justice est la règle très parfaite de toute justice[9]. » Evoquant Genèse 18 et Job 34, Calvin écrit en commentant Romains 3 : « Si entre les hommes souvent il se trouve des juges iniques, cela advient pource que contre droit et raison ils usurpent la puissance (…) Mais en Dieu, il n’y a rien de tout cela. » il explique : « Puis donc que de nature il est juge, il ne peut être aussi qu’il ne soit juste, vu qu’il ne peut se renoncer soi-même » et il enfonce le clou : « c’est folie et contre toute raison d’accuser Dieu d’injustice, lequel a cela propre et nécessairement conjoint avec son essence, de gouverner le monde en droiture[10]. » Quand il traite de la visitation du péché des pères jusqu’à la troisième et la quatrième génération parmi leurs descendants (et de la bénédiction étendue jusqu’à mille!), Calvin a grand soin d’écarter toute apparence d’arbitraire et de rappeler la responsabilité morale de chacun: si Dieu « les punit tant par calamités temporelles, que par la mort éternelle, ce n’est point pour les péchés d’autrui, mais pour les leurs » (IRC, II,viii,20). La justice que doit rendre le prince selon le cœur de Dieu inclut « récompense des actes vertueux, et punition des forfaits », et cela vaut à coup sûr de la justice divine[11].

La formation juridique du jeune Calvin le prédisposait sans doute à cette vigilance, à l’importance pour lui d’un ordre « bien compassé » ; il ne faudrait pas, cependant, y réduire sa notion de la justice, et encore moins son christianisme. Je déplore ce jugement d’Emile-G. Léonard (il n’aimait pas Calvin, et multiplie à son endroit les pointes antipathiques[12]) : « Si, chez Luther, l’Amour est l’attribut essentiel de Dieu et chez Zwingle, la Sagesse, c’est l’Ordre chez Calvin…[13] » Warfield se montre bien plus exactement au diapason des textes quand il écrit :

« (…) avec tout l’accent qu’il met sur la souveraineté de Dieu, Calvin souligne encore davantage son amour ; sa doctrine de Dieu se distingue entre toutes les doctrines de Dieu de l’époque de la Réforme par la place déterminante [commanding place] qu’elle donne à la paternité divine. ‹Seigneur et Père› – souverain paternel et Père souverain – telle était sa conception de Dieu. »[14]

Calvin s’affranchit avec audace d’un juridisme étroit. Il peut dire du droit positif d’Israël, ce miroir inférieur de la justice divine, que « leur loi judiciaire ne tend[ait] à autre fin qu’à la conservation d’icelle même charité qui est commandée en la Loi de Dieu », et, un peu plus loin, que « la liberté est laissée à toutes nations de se faire telles lois qu’ils aviseront leur être expédientes, lesquelles néanmoins soient compassées à la règle éternelle de charité » (IRC, IV,xx,15; italiques ajoutées).

Comment minimiser le motif éthique chez Calvin ?

Et tamen ! On ne peut pas davantage ignorer l’interférence de l’autre motif, l’intime enlacement des deux. Plusieurs des passages déjà cités affirment la justice de Dieu face au doute, dont les apparences fournissent l’occasion : c’est une affirmation de la foi qui dépasse la vue[15]. Et Calvin ne se contente pas d’avertir contre l’erreur attachée aux apparences : il exalte l’altérité de la justice de Dieu. Il va jusqu’à prêcher la justice de Dieu double : « Je confesse qu’au livre de Job, il est fait mention d’une justice plus haute que celle qui est située en l’observation de la Loi » ; c’est « sa [de Dieu] justice secrète, laquelle surmonte tous sens » ; cette justice est « incompréhensible » (IRC, III,xii,1).

La dualité de la justice s’articule sur celle de la volonté divine, décrétive et préceptive. Elle permet à Calvin de pousser sa logique jusqu’à poser que les créatures les plus pures, les anges demeurés fidèles, sont « souillées et contaminées » au regard de Dieu, « ne peuvent porter la justice » et méritent le reproche divin (ibid.). Le 16e sermon sur Job développe le thème[16]. Trois versets de ce livre semblent avoir vivement impressionné Calvin, 4.18, 15.15 et 25.5 : ce sont les seuls qu’il cite à l’appui de son dire. Il n’a pas noté qu’ils proviennent des discours des amis de Job (Eliphaz, et Bildad pour le troisième) – or ceux-ci n’ont pas reçu du Seigneur une si bonne note pour leur dissertation théologique (Job 42.7) ! L’absence d’autre preuve scripturaire (du genre dont Calvin est si généreux d’ordinaire) est éloquente. On peut se demander si le désir d’exalter la Transcendance divine ne conduit pas à frôler le dualisme métaphysique, en rapprochant dangereusement finitude et culpabilité…[17]

II. LA LOGIQUE DE LA JUSTICE DANS L’EXPIATION

Quoi qu’il en soit de la justice « incompréhensible », la justice ordinaire, avec sa normativité éthique et la logique de ses exigences, joue un rôle éminent dans la doctrine calvinienne de l’expiation rédemptrice.

Au centre de l’Evangile, comme le proclame Calvin, nul ne peut manquer le « Il est mort pour nos péchés, selon les Ecritures ». L’efficacité de la mort du Christ pour régler le « problème » de nos péchés est dite en deux langages qui s’entremêlent sans cesse (comme dans l’Ecriture elle-même) : le langage « sacrificiel » de la propitiation et de l’expiation ; le langage judiciaire de l’imputation, de la punition, de la satisfaction et de la justification comme fruit pour les bénéficiaires. Le langage du rachat (par rançon) leur est associé, et subordonné. Ils se traduisent l’un dans l’autre. Calvin définit le sacrifice propitiatoire ou expiatoire comme « celui lequel est fait pour apaiser l’ire[18] de Dieu, satisfaire à sa justice » (IRC, IV,xviii,13).

Les exemples surabondent, et quelques échantillons devront suffire – un par genre littéraire principal ! L’Institution propose ce résumé entre plusieurs (II,xvii,4) :

« Or quand nous disons que la grâce nous a été acquise par le mérite de Jésus-Christ, nous entendons que nous avons été purgés par son sang, et que sa mort a été satisfaction pour effacer les péchés. (…) Si la vertu et effet du sang épandu, est que nos péchés ne nous soient point imputés, il s’ensuit qu’il a été satisfait par ce prix pour récompense [compensation] au jugement de Dieu. (…) il nous a appointés [réconciliés] avec Dieu, en se chargeant de la punition à laquelle nous étions obligés. (…) le fardeau de damnation a été mis sur Jésus-Christ, pour nous en alléger. »

Le commentaire sur Daniel 9.24 énonce que le Christ « s’est présenté en victime expiatoire, et par le sacrifice de sa mort a satisfait à Dieu, afin qu’ainsi il nous absolve de notre culpabilité [a reatu][19]. » Les sermons attestent la même compréhension. Sur Esaïe 53, Calvin prêche : « Voilà donc Jésus-Christ qui était chargé de toutes nos fautes et iniquités: non pas qu’il en fût coupable, mais il a voulu que le tout lui fût imputé, et qu’il en rendît compte, et fît le paiement[20]. » Il précise que le Christ « a comparu devant le siège judicial de Dieu, que là il a répondu en notre nom, que là il s’est soumis à porter la charge que nous avions méritée », jusqu’à être « comme maudit en notre personne[21]. » Les divers langages se recouvrent tout naturellement.

La présentation polémique, qui célèbre la victoire de Jésus-Christ sur l’ennemi (spoliatio hostium) est bien présente (IRC, II,xii,2, par exemple), mais nullement comme un thème rival, ni même un thème indépendant. Calvin discerne le ressort du paradoxe : comment la faiblesse de Jésus, son apparente défaite ignominieuse, a dépouillé le péché, la mort, le diable, de leur pouvoir. C’est la satisfaction de toutes les exigences de la justice rétributive qui les prive de leur emprise. Calvin a bien compris Colossiens 2.14s. : « S. Paul dit qu’ils [les diables] sont désarmés, tellement qu’ils ne peuvent rien produire contre nous, vu que l’attestation de notre coulpe est abolie[22]. » C’est l’effet du sacrifice si « le diable maintenant n’a nul droit ni appartenance sur nous[23]. » 

La vigueur avec laquelle Calvin loge au cœur de la rédemption-réconciliation-expiation ce qu’on appelle la « substitution pénale » (c’est par ces mots qu’on désigne l’interprétation qu’énoncent les citations offertes) ne caresse pas très agréablement les oreilles de nombreux théologiens. La substitution pénale les choque. Leur admiration pour Calvin les pousse à l’en exonérer. En général, ils reconnaissent que bien des passages semblent enseigner la doctrine réprouvée, mais ils trouvent une raison pour la mettre à distance du réformateur.

Deux exemples suffiront. Robert S. Paul reconnaît, des images sacrificielles, qu’il « est clair qu’elles sont souvent employées dans un sens proche de la substitution pénale[24] »; après avoir cité l’Institution II,xii,3, il commente :

« Ce passage et d’autres semblables pourraient être extraits de Calvin et tissés ensemble pour constituer une théorie pénale de l’expiation très stricte, dans laquelle notre Seigneur est volontairement (ou par ordre du Père ?) devenu la victime de la colère de Dieu contre le péché, si bien que l’expiation qu’il a pourvue est vue entièrement en termes de satisfaction rendue à la Justice Divine par sa Passion et sa Mort substitutives[25]. »

Mais selon lui, Calvin s’écarte de cette théorie en comprenant que, si « la dette a été payée, dans une certaine mesure, par la souffrance », la logique de Calvin implique qu’« à un niveau beaucoup plus profond, elle doit avoir été payée par l’obéissance de notre Seigneur[26]. » L’autre différence principale est la place faite à l’amour de Dieu, « la base même de la conception qu’il propose de l’initiative de Dieu en Christ », de telle sorte que « ce fut la miséricorde de Dieu le Père qui seule a rendu possible l’action du Christ[27]. » Mais bien sûr ! On reste médusé de voir qu’un théologien compétent comme R.S. Paul ait pu ignorer à quel point les traits relevés appartiennent à la grande théologie évangélique de la substitution pénale ! Celle dont il veut artificiellement séparer Calvin n’est qu’un épouvantail à moineaux fabriqué par les adversaires. Certes, Calvin a sans doute souligné plus fort que beaucoup de successeurs l’obéissance de Jésus-Christ (nous reviendrons au sujet dans un instant) – dont c’est myopie que d’opposer le caractère volontaire et le commandement du Père (Jn 10.18 !) – mais sa présence nécessaire, essentielle, dans le sacrifice a bien été reconnue.

Pierre Gisel, dont Le Christ de Calvin offre en général une présentation sérieuse et stimulante, discerne la dramatique judiciaire, et que, pour Calvin, le Christ « reçoit la malédiction ‹en sa personne› et, eo ipso, la dissipe[28] » ; il rappelle les représentations juridiques de la tradition et il évoque s. Anselme, reconnaissant : « Calvin ne semble pas rompre avec les termes théologiques historiques qui se tiennent derrière ces schèmes de représentations. Il les reprend même de façon tout à fait centrale[29]. » Mais le théologien de Lausanne dilue et déforme le sens en suggérant que le Christ a porté les péchés en s’incorporant leurs effets, en les laissant s’investir sur lui et ainsi se dissiper[30] – schème étranger à Calvin comme à l’Ecriture (pour qui « porter les péchés » signifie subir la peine correspondante). « Il ne saurait notamment être question, ose P. Gisel, chez Calvin, d’une sorte de compensation, de type cosmique ou judiciaire et qui se jouerait dans la mort du Christ[31]. » Manque de chance ! Calvin use expressément du mot de compensatio, qu’il traduit « récompense » ! « Il y a eu, dit-il, paiement et récompense [solutio enim vel compensatio] pour nous délivrer de damnation. » (IRC, II,xvii,5) Et ce n’est pas la seule occurrence, même si Calvin dit, ordinairement, dans le même sens « prix » et « satisfaction » : dans le 8e sermon sur la Passion (Mt 27.55-60), il remarque « comme le sang qui est découlé du côté de notre Seigneur Jésus-Christ nous est témoignage que le sacrifice qu’il a offert est la récompense de toutes nos iniquités, en sorte que nous en sommes acquittés devant Dieu[32]. » Non seulement toute « cavillation » devrait cesser sur la présence de la doctrine chez Calvin, mais on pourrait plaider que son influence, historiquement parlant, a été le facteur principal de la promotion de la « substitution pénale » au centre de la prédication évangélique de la Croix, jusqu’à nos jours.

Trois observations renforcent encore ce qui est solidement établi. Il est remarquable que, pour Calvin, la logique de la substitution pénale rende compte de la fonction expiatoire des sacrifices lévitiques : « Car qu’est-ce qu’ils faisaient en sacrifiant, sinon qu’ils se confessaient être coupables de mort, vu qu’ils substituaient en leur lieu la bête pour être tuée ? » (IRC, II,vii,17) En outre, Calvin estime que la mort corporelle de Jésus n’eût pas suffi (car la substitution n’aurait pas été complète) : « Il était besoin qu’il portât la rigueur de la vengeance de Dieu en son âme, pour s’opposer à son ire, et satisfaire à son jugement. » (IRC, II,xvi,10) D’où son interprétation originale de la clause du Credo, « Il est descendu aux enfers ». Il ne s’agit pas pour Calvin d’une étape postérieure à la Croix et concernant le séjour des morts, mais de l’équivalent de la damnation dans la Passion et la mort (IRC, II,xvi,8-11). Enfin, Calvin, voyant en Pilate le représentant du Juge divin, pense tellement indispensable la dimension judiciaire de la mort de Jésus qu’il ose lancer l’hypothèse : « Si les brigands lui eussent coupé la gorge, ou qu’il eût été lapidé et meurtri par sédition, il n’y eût point eu pour satisfaire à Dieu. » (IRC, II,xvi,5) Pour que sa pensée s’engage sur pareils chemins, il fallait qu’elle fût profondément gouvernée par le schème pénal – qui repose lui-même sur cette conviction : l’exercice de la justice « ordinaire », solidaire du motif éthique, est essentiel à l’expiation rédemptrice.

III. LES « RETOUCHES » APPORTÉES À CETTE LOGIQUE

Et tamen ? Il ne faut pas dire trop fort « et pourtant », car les textes ne le permettent pas. On ne trouve pas vraiment de thèses « antagonistes » dans la ligne du motif religieux. On note cependant des retouches symptomatiques. Elles peuvent s’interpréter d’une certaine relativisation de la justice « ordinaire ».

L’une des premières controverses qui ait mis aux prises les théologiens réformés entre eux, après Calvin, concerne l’obéissance rédemptrice du Christ : active ou passive ? On éclaire son sens, en rapport avec notre sujet, quand on observe que la logique éthico-juridique conduit à privilégier la mort du Christ, donc l’obéissance passive (la mort n’est-elle pas l’ultime passivité ?), comme la cause de notre salut, ce qui efface les péchés, ce qui satisfait la justice. Plus on élève le Seigneur au-dessus de cette logique, plus on sera porté à chercher d’autres composantes dans l’œuvre de la rédemption.

Comment Calvin s’oriente-t-il d’avance dans un débat qu’il n’a pas connu comme tel ? Il choisit la nuance. Il refuse d’exclure l’obéissance active (celle de toute la vie du Christ). Mais le centre de gravité de son enseignement reste la mort de la Croix: neuf fois sur dix, il la mentionne seule, et il met en valeur le châtiment supporté. Le 4e sermon sur l’épître aux Ephésiens reflète le dosage qui lui semble juste:

 « Il est vrai que notre Seigneur Jésus s’est bien constitué pour rançon en toute sa vie : car l’obéissance qu’il a rendue en ce monde à Dieu son Père a été pour réparer l’offense d’Adam, et toutes les iniquités dont nous sommes redevables. Mais saint Paul notamment parle ici de son sang, pource qu’il nous faut adresser à sa mort et passion, comme au sacrifice qui a la vertu d’effacer toute iniquité[33]. »

Ô sage et biblique Calvin ! Je trouve à peu près ce même dosage dans l’Ecriture: celle-ci fait ressortir la continuité entre l’obéissance de Jésus-Christ en tout son service et celle de sa Passion (Mc 10.45 et parallèles; Ph 2.7-8), mais elle concentre à la Croix le service qui nous sauve[34]. Pour l’analyse, les deux obéissances ne se séparent pas. L’obéissance parfaite de toute sa vie (dite active) est absolument nécessaire à la constitution de la victime: une seule tache, et l’Agneau n’était plus apte au sacrifice ! Et toute obéissance accepte de subir. J’ai d’ailleurs suggéré que l’originalité de Calvin consiste à mettre en valeur la passivité dans l’obéissance « active » du Christ – toutes les souffrances, tous les jours, patiemment endurées – et l’activité dans l’obéissance « passive » : c’est librement que Jésus marche à la mort et donne sa vie, afin de la reprendre.

La seconde controverse est d’une autre magnitude ! Elle concerne la référence de la substitution et son étendue. Les enjeux ne sont pas minces. Les débats sur le choix fidèle à l’Ecriture et à la saine doctrine, universalisme hypothétique ou expiation définie, ne sont pas clos[35]. Les expert ne s’accordent pas sur le choix de Calvin lui-même, et Pieter L. Rouwendal a récemment tenté d’en renouveler la lecture[36]. Il dépasserait le cadre du présent travail de s’engager dans une recherche systématique, y compris des positions calviniennes. Un résumé relativement « impressionniste » devra suffire, du seul point de vue historique (à propos du réformateur), et dans le prolongement de l’enquête menée jusqu’à ce point. Il semble commode de partir de la thèse de Rouwendal.

Le théologien néerlandais se réclame d’un grand compatriote, Gisbertus Voetius, qui, en 1650, identifie trois et non pas deux positions « orthodoxes » : outre la position particulariste (celle de l’expiation définie) et l’universalisme hypothétique (d’Amyraut et Saumur), la position que Rouwendal dénomme « classique ». La différence de celle-ci avec la position particulariste se trouve dans la réponse à la question : « Le Christ est-il mort en un sens [in any sense] pour tous les hommes ? » Les particularistes répondent « non », et les tenants de la position classique « oui »[37]. On a malheureusement oublié cette tierce possibilité et enfermé Calvin dans l’alternative des deux premières options, Théodore de Bèze ou Moïse Amyraut! Rouwendal plaide pour un Calvin « classique ». Calvin admettait la formule qui remonte à Pierre Lombard, l’œuvre rédemptrice du Christ suffisante pour tous, mais efficace pour les seuls élus, tout en montrant chaque fois son insatisfaction[38]. Il n’a pas enseigné l’universalisme hypothétique, mais il n’a pas pour autant professé la doctrine particulariste[39].

J’avoue douter que l’autorité de Voetius suffise à imposer sa typologie. L’impression que je retire de la tradition réformée serait que les représentants majeurs du particularisme (expiation définie) n’ont pas exclu une référence à tous, au genre humain. Rouwendal lui-même relève que Théodore de Bèze, tout en critiquant, en latiniste raffiné qu’il était, le latin barbare de Pierre Lombard, estimait que sa proposition, « bien comprise, était vraie »[40]. Les concepts de suffisance et d’efficacité sont tellement élastiques que tout théologien agile peut les accommoder à sa guise. Dans ces conditions, la frontière n’est plus guère étanche entre l’expiation définie et la position « classique ». (Rouwendal reconnaît aussi que Th. de Bèze « n’a pas eu un grand pas à faire », did not take a very great step, pour se distinguer de Calvin[41].)

Ces observations, cependant, ne règlent pas la question du positionnement calvinien. Face à cette question, des impressions plus ou moins antagonistes se mêlent… D’un côté, le dossier autrefois réuni par Roger Nicole, avec la finesse méticuleuse qui le caractérise[42], est un formidable arsenal d’arguments pour la lecture particulariste. Calvin n’interprète pas de façon hypothétiquement universaliste les textes dont se réclament Amyraut et ses amis, comme 1 Jean 2.2 ; il associe étroitement les deux éléments de l’office sacerdotal, l’expiation et l’intercession, et souligne (avec Jn 17.9) que le Christ ne prie pas pour le monde; les successeurs immédiats de Calvin, proches collaborateurs de son vivant, ont professé l’expiation définie, un désaccord étant d’autant moins plausible que le sujet avait été discuté dans la tradition ancienne[43]. Rouwendal écarte d’ailleurs la lecture amyraldienne. De l’autre côté, on peine à trouver une seule affirmation univoque de l’expiation définie. La fameuse phrase de la Déclaration naïve de la saine doctrine de la vraie participation de la chair et du sang de Jésus-Christ en la sainte Cène, pour rabattre les fumées de Heshusius, « découverte » par William Cunningham, semble régler la question: réfutant la doctrine luthérienne de la manducation de la chair du Christ par les impies qui reçoivent le pain du sacrement, Calvin objecte : « Je voudrais bien savoir comment mangent la chair de Christ les méchants, pour lesquels elle n’a point été crucifiée, et comment ils boivent le sang, qui n’a point été répandu pour effacer leurs péchés[44]. » Il est clair, cependant, comme le fait valoir Rouwendal[45], que le débat ne porte pas sur l’étendue de la substitution, et qu’on peut, à la rigueur, comprendre les formules de Calvin soit dans un sens subjectif – « à ce qu’ils estiment eux-mêmes »[46] – soit par référence à l’effet de la grâce obtenue[47]. Rouwendal suggère que la parole la plus positive en faveur de l’expiation définie serait celle du Traité de la prédestination éternelle de Dieu: « Christ a tellement été ordonné à salut à tout le monde, qu’il sauve ceux qui lui ont été donnés du Père[48]. » Comme il le voit, ce texte n’est pas décisif: le propos de Calvin concerne l’élection spéciale au salut, maintenue conjointement avec l’offre universelle de la grâce, comme par tout vrai calviniste après Calvin[49]. Je confesse ma frustration : cent fois, Calvin s’engage dans la déclaration nette et précise de la portée de la Croix, quant à ses bénéficiaires, cent fois il se crée l’occasion de se prononcer sur l’expiation définie, et chaque fois il glisse au plan de l’application (de l’efficacité dans la vie des humains). A titre d’échantillon, on peut citer le commentaire de Romains 5.18:

« Il fait la grâce commune à tous les hommes, pource qu’elle est présentée à tous : non pas que par effet elle s’étende sur tous. Car combien que Christ, ait souffert pour les péchés de tout le monde, et soit offert par la bénignité de Dieu indifféremment à tous : si est-ce néanmoins que tous ne l’appréhendent pas[50]. »

Sur l’abolition des péchés de « plusieurs » en Hébreux 9.28, Calvin ose affirmer « Il dit plusieurs, pour Tous », mais Calvin passe aussitôt à l’application : « Il est bien vrai que la mort de Christ ne profite pas à tous : mais ceci se fait pource que leur incrédulité les empesche. Combien que cette question serait ici débattue pour néant, d’autant que l’Apôtre ne dispute point si la mort de Christ profite à peu ou à plusieurs[51]. » Le 4e sermon sur l’Epître aux Ephésiens livre un passage significatif; il pose la question

« … à savoir si tous communiquent à ce bien qui nous a été acquis par notre Seigneur Jésus-Christ ? Non: car les incrédules n’y ont ni part ni portion. C’est donc un privilège spécial pour ceux que Dieu recueille à soi. Et aussi saint Paul montre que la foi est requise, ou Christ ne nous profitera de rien. Combien donc que Christ soit en général Rédempteur du monde, si est-ce que sa mort et passion n’apporte nul fruit sinon à ceux qui reçoivent ce qui est ici montré par S. Paul[52]. »

Une telle constance dans l’évitement n’est sans doute pas due au hasard, que le motif en soit conscient ou inconscient. Tout se passe comme si Calvin se retenait d’exprimer ce qui paraît la conséquence de sa doctrine de la grâce, de l’élection et de la rédemption (le particularisme). S’agit-il de prudence en l’absence de preuve scripturaire incontestable ? Le motif « religieux », exaltant la transcendance et la justice « incompréhensible », joue-t-il un rôle ? On peut imaginer que ce motif, chez lui, ait enlevé de sa force à la logique « juridique » de l’expiation définie, et que le sens du mystère divin, qui surpasse tout sens, lui ait fait considérer la question comme trop spéculative. Ce motif n’est pas sans lien avec la méfiance de Calvin envers les raffinements scolastiques et la prédominance, dans toute sa théologie, de l’intérêt pastoral, voire « existentiel ».

La troisième « retouche », après l’accent sur l’obéissance et la réticence sur l’étendue de la substitution, concerne la nécessité de l’expiation rédemptrice par la mort du Christ. Dans la présentation des manuels, l’affaire est réglée : Calvin a nié la nécessité pour Dieu, contrairement à la tradition calviniste après lui (Fr. Turretin reconnaît l’écart). Comment en douter ? Le 1er sermon sur la Passion l’énonce sans ambiguïté : « De fait il [Dieu] nous pouvait bien retirer des abîmes de la mort d’une autre façon : mais il a voulu déployer les trésors de sa bonté infinie, quand il n’a point épargné son Fils unique[53]. » On repère aisément le désir d’élever le Très-Haut infiniment au-dessus de toutes les logiques à nous accessibles…

Il ne s’agit pourtant, à mon avis, que d’une « retouche », car la situation est plus complexe qu’on ne la résume souvent. A côté de la déclaration citée, et de quelques déclarations parallèles, on en rencontre des dizaines qui emploient le langage de la nécessité – apparemment sans restriction. « Il fallait… », « Il était besoin… », « sans cela il était impossible… » « Or il n’y a qu’un seul moyen de l’apaiser : à savoir par la satisfaction qui se fait au sang[54]. » « Jusqu’à tant, donc que nos péchés soient effacés, il est impossible que nous puissions espérer que Dieu nous porte ni faveur ni amour[55]. » La solution serait trop facile qui rattacherait simplement la nécessité au décret de Dieu (dans la ligne de l’IRC, II,xvii,1), car elle se rapporte souvent aux attributs de Dieu (non pas à sa seule volonté), particulièrement à sa justice. La raison donnée pour la dernière affirmation citée est la suivante : « Il faut que Dieu, qui est la fontaine de toute justice et droiture, déteste le mal qu’il voit en nous[56]. » Il prêche sur Esaïe 53 : Dieu «  est notre ennemi jusques à ce que nos fautes soient ensevelies, d’autant qu’il ne peut aimer l’iniquité, lui qui est fontaine de justice[57]. » Il commente 2 Corinthiens 5.19 en ces termes : « Tant que Dieu nous imputera nos fautes, il faut nécessairement qu’il nous haïsse. Car il ne peut être ami ni propice aux pécheurs[58]. »

Détecterions-nous une contradiction dont Calvin ne se serait pas rendu compte ? Son langage frôle tellement l’embarras qu’il doit avoir éprouvé la présence de la difficulté. Un sermon sur Esaïe 53 réaffirme : «  sans nul moyen Dieu nous pouvait bien sauver » et ajoute aussitôt « mais nous avons toujours à présupposer qu’il fallait que la vie nous fût acquise par Jésus-Christ[59]. » Il nous faut affirmer une chose et nous efforcer de ne pas la penser ! Et pire encore : « Il est vrai que Dieu par un autre moyen nous pouvait bien retirer de la mort : mais il ne l’a pas voulu, et n’était pas bon aussi[60]. » Le choix par Dieu d’un moyen qui n’aurait pas été bon est, à coup sûr, une pensée problématique.

Il convient d’assouplir l’antithèse trop rudimentaire entre la nécessité et son contraire. Depuis saint Augustin, en passant par saint Anselme et saint Thomas d’Aquin, la tradition avait travaillé la notion, et il faut en tenir compte pour bien comprendre Calvin. La nécessité connaît tous les degrés. La plus forte s’imposerait à Dieu avant tout décret, elle marquerait l’enchaînement d’une logique interne à Dieu même : Dieu aurait besoin de la rédemption pour s’accomplir pleinement, pour être lui-même; une telle nécessité est exclue pour l’orthodoxie (peut-être saint Anselme ne l’a-t-il pas assez repoussée, par maladresse plutôt que par intention délibérée). Une fois la rédemption librement décidée, se pose la question du moyen. La nécessité de celui que Dieu a mis en œuvre peut être stricte (pas d’autre moyen concevable pour Dieu s’il ne peut se renier lui-même), ou peut être de congruence (convenance), plus ou moins marquée. Calvin s’est contenté d’un degré plus bas que la tradition réformée (qui a voulu, ici, suivre l’Ecriture plutôt que le réformateur) ; il ne l’a pas fait sans qu’une vive tension se trahisse – tension qui me semble relever de l’antagonisme des motifs éthique et religieux.

La leçon pour nous ? Calvin nous est peut-être un plus précieux modèle par la rigueur et la loyauté de son combat avec la difficulté que s’il avait su la masquer habilement ou la négocier dans un parfait équilibre ! La dualité des motifs est aussi biblique. Nous sommes aux prises avec elle. Nous pourrons, à la lumière de l’Ecriture, sondée grâce aux outils que nous lèguent les générations passées, et dans notre contexte, déplacer un peu le « curseur », par rapport aux choix de Calvin – mais, restons lucides, nous n’y arriverons pas sans profiter de l’aide et de l’exemple de notre frère et père en la foi, le réformateur Jean Calvin.


* H. Blocher est professeur de théologie systématique, responsable du cycle doctoral à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine.

[1] Le Caractère de Calvin, Paris, Ed. de Foi et Vie, 1921, 49. Un moment, Doumergue semble imputer à Calvin de réelles contradictions : Calvin part de l’expérience religieuse, prolonge les lignes, « ces lignes, il s’efforce de les faire converger vers un point central. Mais l’effort est vain. Le plus logique des logiciens aboutit à une banqueroute de la logique. Sur tous les points, son système finit par se contredire. » (p. 46) Mais il affirme ensuite énergiquement que les contradictions ne sont qu’apparentes (pp. 47s.); Doumergue associe malheureusement sa célébration des contrariétés à une opposition suspecte entre la logique des concepts et celle « de la vie » (p. 48).

[2] Die Theologie Calvins, Einführung in die evangelische Theologie VI, Munich, Chr. Kaiser, 1938, 235s.

[3] Pour une part, le présent essai recoupe mon chapitre « The Atonement in John Calvin’s Theology », in Charles E. Hill & Frank A. James III, dir., The Glory of the Atonement: Biblical, Historical and Practical Perspectives, Essays in Honor of Roger Nicole, Downers Grove, IL, InterVarsity Press, 2004, 279-303.

[4] Lettre 3083 dans la numérotation des Calvini Opera, comme citée par Philippe Janton, Jean Calvin, ministre de la Parole, 1509-1564, Paris, Cerf, 2008, 303.

[5] Dans les citations des œuvres publiées en français au XVIe siècle, par les soins de Calvin ou sous son contrôle (y compris pour l’Institution), je prends le parti de moderniser l’orthographe, mais seulement l’orthographe : pour ne pas léser l’art de Calvin jouant, parfois, des sonorités, de la musique de la phrase. L’Institution (IRC) est simplement citée selon la méthode ordinaire (livre, chapitre, section); les Commentaires du Nouveau Testament (CNT), en version française, selon l’édition de 1854, Paris, Ch. Meyrueis, 4 volumes ; les autres écrits, sauf indication différente, tels qu’ils apparaissent dans les volumes des Calvini Opera (CO), publiés sous dir. G. Baum, E. Cunitz & E. Reuss, Brunswick & Berlin, Schwetschke, 1863-1900, et je les traduis s’ils ne sont pas en français.

[6] B.B. Warfield, Calvin and Augustine, éd. par Samuel G. Craig, Philadelphie, Presbyterian and Reformed Pub. Co., 1971, 155s. (le chapitre, republié, était un article de la Princeton Theological Review de 1909).

[7] Dieu, la création et la Providence dans la prédication de Calvin, Basler und Berner Studien zur historischen und systematischen Theologie, 33, Berne, Peter Lang, 1978, 113-116.

[8] CO, 40, 424; faute d’avoir accès à une traduction française, je traduis du latin : nihil esse indignius, quam Deum trahi in crimen quasi tyrannice domineratur in homines.

[9] Ibid., 450. Cf. Steven Coxhead, « John Calvin’s Interpretation of Works Righteousness in Ezekiel 18 », Westminster Theological Journal, 70, 2008, 304-6, article qui m’a conduit au passage du commentaire.

[10] CNT, III, 51.

[11] Commentaire des Psaumes (le volume que j’ai est du XVIe siècle mais manque la page de titre), 298, sur le Ps 45.8, dont Calvin plaide qu’il « tend plus haut, qu’à la figure d’un royaume terrien », avec l’argument que le titre Elohim n’est nulle part ailleurs attribué à un individu unique. De la droiture du règne, il commente qu’elle « n’est pas moins sévère à faire vengeance, qu’à maintenir Justice » et encore (avec référence positive à Platon) : « La bonne conduite donc et droit gouvernement consiste en ces deux points, que ceux qui ont la domination répriment avec sévérité et punissent les méfaits, et maintiennent soigneusement et de courage justice et intégrité. » Cf. 547 sur le Ps 82.14.

[12] R. Stauffer, L’Humanité de Calvin, Cahiers théologiques, 51, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1964, 13 n. 40, a bien relevé de Léonard « qu’aucune sympathie naturelle ne portait vers le Réformateur de Genève ».

[13] Histoire générale du protestantisme. Tome I, La Réformation, Paris, Presses Universitaires de France, 1961, 269.

[14] Calvin and Augustine, 176.

[15] Ainsi, sur Ez 18, CO, 9, 451 : « Même si Dieu paraît renverser tout ordre de justice dans ses œuvres, nous devons toujours nous laisser retenir par cette bride, qu’il est juste, et que si nous sommes ainsi conduits à désapprouver ce qu’il fait, c’est par erreur et ignorance. »

[16] Stauffer, Dieu, la création et la Providence, 191s.

[17] La proximité de la tentation dualiste se perçoit également dans le choix de termes assez péjoratifs pour caractériser l’état originel de l’être humain, avant la chute. Dans sa réponse aux calomnies De occulta providentia Dei, CO, 9, 291, Calvin dit de l’homme qu’il fut créé infirmus, et ad defectionem flexibilis, et parle de faiblesse, hanc debilitatem. Certes, infirmus n’est pas nécessairement « infirme » (mais « non ferme »), et Calvin maintient que la faiblesse était « très bonne », mais la thèse tend à réduire l’écart entre la condition de créature et celle de pécheur. La traduction française, dans le Recueil des Opuscules, c’est-à-dire, Petits Traités de M. Jean Calvin, Genève, Baptiste Pinereul, 1566, 1784, porte que l’homme a « été créé infirme et prompt à révoltement, que cette débilité était fort bonne »… Un tel langage n’est pas fréquent chez Calvin (pour la création même) ; à ma connaissance, il se rencontre deux ou trois fois.

[18] Calvin explique l’attribution biblique de colère à Dieu comme un exemple d’anthropopathie : Dieu en punissant se montre comme courroucé, Commentaire sur Rm 1.18, CNT, III, 25.

[19] CO, 41, 181.

[20] CO, 35, 623s.

[21] Ibid., 624.

[22] CNT, IV, 86.

[23] Sermon sur Es 53, CO, 35, 676.

[24] The Atonement and the Sacraments : The Relation of the Atonement to the Sacraments of Baptism and the Lord’s Supper, New York, Abingdon, 1960, 98s.

[25] Ibid., 99. « Expiation » traduit Atonement, dont l’usage est plus fréquent et le sens plus large en théologie anglophone. L’ambiguïté la plus critiquable dans la phrase de R.S. Paul concerne l’adverbe «  entièrement » (wholly); s’il veut dire que la satisfaction de la justice est centrale, affirmée sans réserve, dans la doctrine de Calvin et l’orthodoxie évangélique, la formulation est exacte; mais s’il exclut par là d’autres composantes dans l’œuvre d’expiation-rédemption, il vise une doctrine de la substitution pénale tronquée et défigurée !

[26] Ibid.

[27] Ibid., 105.

[28] Le Christ de Calvin, coll. Jésus et Jésus-Christ, 44, Paris, Desclée, 1990, 115 (113 pour dramatique judiciaire).

[29] Ibid., 122.

[30] Ibid., 126.

[31] Ibid., 127.

[32] Dans l’édition des Sermons faite par Albert-Marie Schmidt, Œuvres de Jean Calvin, III, Paris/Genève, Je Sers/Labor, 1936 (orthographe modernisée), 230 (correspond à CO, 46, 934). Pour citer un autre genre littéraire calvinien, la Supplication et remontrance sur le fait de la chrétienté, et de la réformation de l’Eglise faite au nom de tous amateurs du règne de Jésus-Christ, à l’Empereur et aux Princes et Etats tenant maintenant journée impériale à Spire, in Recueil des Opuscules, 532 : nous « ne reconnaissons aucune satisfaction, sinon celle que Jésus-Christ a faite, quand il a effacé nos péchés par le sacrifice de sa mort (…) nulles récompenses ne viennent en compte quant à cela, d’autant que le Père céleste, se contentant de la seule satisfaction de Jésus-Christ, n’en requiert nulle de nous ». (Dans les deux cas, j’ai ajouté les italiques.)

[33] CO, 51, 286.

[34] Les textes sont multitude ! Je me borne à un seul exemple qui me frappe. Dans le grand « cantique » christologique de Colossiens 1, Paul a déjà dit que Dieu a tout réconcilié en Christ, tout pacifié par le sang de sa croix (v. 20), et on attendrait au verset suivant qu’il se contente d’affirmer «  maintenant, il vous a réconciliés dans le corps de sa chair » : mais il se sent obligé d’ajouter, dans une incise que sa gaucherie syntactique rend d’autant plus éloquente, dia tou thanatou, « par la mort » ; on croirait qu’il veut prévenir spécialement toute atténuation du crucicentrisme !

[35] Un livre collectif devrait paraître en 2010, consacré au sujet, auquel j’espère contribuer.

[36] « Calvin’s Forgotten Classical Position on the Extent of the Atonement: About Sufficiency, Efficiency, and Anachronism », Westminster Theological Journal, 70, 2008, 317-335.

[37] Ibid., 323.

[38] Ibid., 324s.

[39] Ibid., 332s.

[40] Ibid., 319.

[41] Ibid., 325.

[42] « John Calvin’s View of the Extent of the Atonement », Westminster Theological Journal, 47, 1985, 197-225.

[43] C’est une considération vigoureusement développée par Raymond A. Blacketer, « Definite Atonement in Historical Perspective », in The Glory of Atonement, op. cit., 304-323.

[44] Recueil des Opuscules, 1717 ; le latin se trouve en CO, 9, 484.

[45] « Calvin’s Forgotten Classical Position », 330s.

[46] A la page précédente (1716), Calvin a écrit : « Ils ne prisent rien l’agneau du sacrifice par lequel les péchés du monde ont été effacés, et les hommes réconciliés à Dieu. » La logique de l’argument calvinien serait faible, toutefois, dans la mesure où Heshusius ne dirait pas autre chose.

[47] La phrase qui précède immédiatement énonce : « Il est besoin en premier lieu de montrer comment Christ se rend présent aux incrédules, en tant qu’il est la viande spirituelle des âmes, et finalement la vie et le salut du monde. »

[48] « Calvin’s Forgotten Classical Position », 332, qu’il cite en latin, CO, 8, 298, et que je cite dans la traduction française du Recueil des Opuscules, 1255.

[49] Pour Rouwendal, ibid., la phrase « s’accorde [fits] parfaitement avec la position classique » ; je dirais qu’elle est tout à fait compatible avec elle, mais aussi avec la position « particulariste », et pourrait être admise par Amyraut ! Le point sensible concerne l’intention divine.

[50] CNT, III, 96.

[51] CNT, IV, 464. Sur le logion de la rançon (Mt 20.28 et parallèles), il précise que le mot plusieurs « comprend tout le genre humain », mais, quant à la mort du Christ, que « la vertu et le fruit d’icelle est fort bien exprimé » – toujours le glissement sur le plan de l’application – sans indiquer le rapport aux réprouvés, CNT, I, 515.

[52] CO, 51, 287s.

[53] Dans l’édition d’A.-M. Schmidt, 72.

[54] Sur Hé 9.22, CNT, IV, 461.

[55] Quatrième sermon sur l’épître aux Ephésiens, CO, 51, 283. Cf. 284 : « Il ne s’est point trouvé autre prix, sinon au sang qu’il a épandu. »

[56] Ibid.

[57] CO, 35, 622. Cf. 625 : « Il est impossible que Dieu nous soit pitoyable, et que nous soyons assurés de trouver grâce devant lui » car il est juste.

[58] CNT, III, 577. Cf. IRC, IV, xvii, 2 : «  D’autant que Dieu est la fontaine de toute justice, il est nécessaire, pendant que nous sommes pécheurs, que nous l’ayons pour ennemi et juge. »

[59] CO, 35, 666.

[60] Ibid., 659.

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