Maurice Longeiret : Réformés et confessants, pourquoi pas !
Longeiret éd. 2007, diffusion Excelsis.
Comme le sous-titre le précise utilement, il s’agit là d’une histoire de l’Union des Eglises réformées évangéliques indépendantes de 1938 à 1974. Avec ce second important volume, le pasteur Longeiret nous livre, d’un certain point de vue, une suite à sa publication de 2004 intitulée Les déchirements de l’unité (1933-1938). Mais ici le regard se fait plus sélectif. Il n’est plus question de relater des événements concernant l’ensemble du protestantisme réformé en France, mais de suivre cette fraction minoritaire qui prit le risque de se situer en dehors du «sens de l’Histoire» pour tenter de maintenir une union d’Eglises résolument confessantes.
Ecrire le parcours d’une institution n’est pas chose aisée. Maurice Longeiret, en se justifiant d’un pareil choix, avoue que c’est une histoire «au ras du sol». Dépouillé de tout romantisme, l’objectif du récit vise avant tout à mettre des faits en évidence (d’où le grand nombre des annexes). Et puisque aucun ouvrage n’avait été écrit jusque-là sur ce sujet, le livre a le prix inestimable de l’unique! Il met au grand jour, et avec beaucoup de rigueur, ces «histoires» dont on a peut-être déjà entendu parler, mais qui jusque-là demeuraient dans le flou de traditions orales circulant pour des besoins apologétiques ou polémiques. Mais il ne s’agit pas seulement d’une compilation d’informations. L’auteur, qui a été témoin, voire acteur des événements, parle quelquefois à la première personne, faisant appel à sa mémoire, donnant son avis, présentant ses choix et ses analyses personnels. Il le fait avec sobriété, mais cela suffit pour donner à l’ensemble un petit aspect de «confidence au coin du feu», rappelant au lecteur que toute interprétation de l’histoire est le fait d’un sujet. Ainsi, Réformés et confessants, pourquoi pas! constitue, au-delà de sa remarquable source documentaire, le manifeste d’un croyant qui vit sa foi en symbiose avec son Eglise, et tente de discerner avec elle sa vocation propre au sein des multiples mouvances du christianisme.
La matière est découpée en trois grandes sections, selon un simple schéma chronologique: les années 1938-1946 pour la première partie, puis 1947-1958 pour la seconde et, enfin, 1959-1974 pour la troisième. Ce découpage offre l’avantage d’une présentation synchronique des faits – le lecteur peut ainsi entrer aisément dans l’atmosphère d’une époque avec ses diverses problématiques –, néanmoins, il oblige quelquefois à une petite gymnastique de l’esprit. En effet, certains sujets n’obéissent pas à la grille du découpage chronologique (ainsi en est-il par exemple de la crise financière, de la réflexion sur les ministères, de l’épidémie des désaffiliations ou des relations avec l’Eglise réformée de France), ce qui impose une reprise de ces thèmes dans deux parties, voire dans les trois. Mais reconnaissons que c’est une faiblesse difficile à surmonter lorsqu’on écrit l’histoire d’une société avec ses multiples facettes. Une approche plus thématique aurait pu éviter cette fragmentation, mais elle aurait fatalement fait perdre de vue toutes les interférences typiques d’un milieu et d’une époque.
La première partie nous renvoie donc au temps des origines, dès la décision du synode de Saint-Jean-du-Gard, en août 1938, qui scella l’unité de ces Eglises «réfractaires», c’est-à-dire celles des Eglises réformées évangéliques, qui refusèrent d’entrer dans la nouvelle Eglise réformée de France. On y découvre les personnalités marquantes du temps, leurs options, leurs déterminations et leurs espoirs. Tout était à construire ou à re-imaginer, mais les pionniers d’une œuvre nouvelle sont des gens vaillants qui ne comptent pas leurs sacrifices. Les erreurs de cap côtoient ainsi une consécration largement partagée. Je relève au passage l’histoire – très brièvement racontée – de ce professeur de la nouvelle Faculté de théologie fondée à Aix-en-Provence qui, venant d’Alès, devait, pendant les années de guerre, passer la nuit en gare de Nîmes, dormant dans un wagon… et qui fera le même trajet en vélo après la Libération (300 kilomètres aller-retour)! Ici, le livre de Maurice Longeiret apporte une contribution marquante et déterminante à propos de l’attitude des Eglises réformées évangéliques face au gouvernement de Vichy, à l’Occupation et aux mesures antijuives prises par l’Etat français. Il y montre que si la fascination pour le maréchal Pétain a existé chez quelques-uns (comme ce fut le cas chez de très nombreux Français, y compris dans le protestantisme), ces Eglises furent loin, très loin, d’être des foyers de collaboration, comme une certaine rumeur a voulu le faire croire. La mise au point est claire et bien documentée. Elle est la bienvenue.
La seconde partie traite des années qui furent sans doute les plus difficiles pour la vie interne de l’union. C’est le temps des «crises»: crise doctrinale se focalisant en particulier sur la question du baptême, crise au sein de la Faculté de théologie, et crise financière qui s’aggrave au fil des années. Ces diverses épreuves s’alimentent l’une l’autre et sèment le doute sur le bien-fondé de l’option prise en 1938. Face à une débâcle qui peut sembler inéluctable, certains font le choix personnel de quitter le navire, d’autres entraînent leur Association cultuelle avec eux: c’est la valse des désaffiliations. Elle commence dès 1949 pour ne s’achever qu’en 1962. L’auteur fait cependant remarquer que ces années furent néanmoins fructueuses sur certains plans. Il relève le remarquable travail d’évangélisation de la jeunesse avec l’essor des camps et colonies de vacances, le succès persistant des conventions et la création de nouveaux embryons d’Eglises. Il est aussi fait mention du travail théologique. Moins visible que les actions de «réveil» ou d’évangélisation, la réflexion – poussée par la crise au sujet du baptême – prépare cependant le grand recentrage et l’approfondissement doctrinal validé par les synodes de 1959 à 1962.
C’est cette démarche, à la recherche des fondements de la foi réformée, qui va en quelque sorte initier un nouveau départ pour l’Union des Eglises réformées évangéliques indépendantes. La troisième partie du récit (les années 1959 à 1974) se consacre essentiellement à décrire les étapes de cette reconstruction sur la base des textes fondateurs de la Réforme, en particulier la Confession de foi de La Rochelle et le Catéchisme de Heidelberg. De grands chantiers sont ouverts: il s’agit, tout d’abord, de reconstruire une discipline d’Eglise qui soit clairement établie sur les bases d’une foi réformée confessante. Commencé en 1964, ce chantier ne s’achève pour l’essentiel qu’en 1987. Pour les besoins de la cause, l’auteur déborde ici ses limites chronologiques. Il fera de même d’ailleurs lorsqu’il mentionnera le travail liturgique sanctionné en 2001 par la publication du recueil Matin de promesses, et le chantier sur la catéchèse, non encore achevé en 2007. La coexistence avec l’Eglise réformée de France, une fois de plus reprise, amène l’auteur à des considérations concernant l’unité de l’Eglise. Il constate que l’évolution des mentalités change de manière significative la façon d’aborder le sujet. La question de l’unité institutionnelle – tant recherchée en 1938 – semble bien dépassée. On recherchera aujourd’hui bien plutôt une unité «communielle» se réalisant au travers de niveaux différents: le «groupe», le «réseau» et la «tribu». Cette partie se termine par un chapitre consacré à la Faculté de théologie d’Aix-en-Provence. En 1967, la première Faculté met la clé sous la porte. En 1974, une nouvelle Faculté la remplace (dans les mêmes locaux), une Faculté qui enseigne une théologie résolument réformée, assise doctrinalement sur les articles de la Confession de foi de La Rochelle. L’année 1974, c’est la date choisie par Maurice Longeiret pour achever son tour d’horizon historique. Date symbole! L’orientation de cette Faculté libre (indépendante des Eglises réformées évangéliques indépendantes) vient corroborer les choix effectués une douzaine d’années plus tôt par l’union d’Eglises. Les bases paraissent désormais bien posées pour que se pérennisent en France une pensée, une spiritualité et des Eglises réformées confessantes. C’est en tout cas le vœu de l’auteur!
Maurice Longeiret laisse, ensuite, la parole au pasteur Jean-Raymond Stauffacher, puis au professeur Paul Wells. Le premier, à l’aide des outils du sociologue, lance «Un regard sur l’actualité et l’avenir des Eglises réformées évangéliques». Le second propose au lecteur une postface dans laquelle il apporte quelques compléments d’information ainsi que son point de vue sur la situation du projet réformé confessant au sein des Eglises réformées évangéliques indépendantes.
De nombreuses annexes (31 au total) viennent compléter le récit. On y trouve notamment, outre la publication de pertinents documents d’époque, des analyses et le résultat d’enquêtes menées par l’auteur. Un index des noms, en fin de volume, complète heureusement la table des matières pour tout travail de recherche.
Daniel Bergèse
Pasteur à Lambesc (13)