LE REGARD DES RELIGIONS SUR LA QUESTION
DE LA PAUVRETÉ ET DU DÉVELOPPEMENT
Udo MIDDELMANN*
Mon propos est de vous encourager, de vous inciter peut-être à réfléchir sur ce thème assez important de la relation qui existe entre les religions à la pauvreté. Comment voyons-nous les problèmes d’aujourd’hui dans ce domaine de la pauvreté, quelles sont les attitudes et les propositions de la Bible, du christianisme, du judaïsme pour la condition humaine, dont la pauvreté fait partie?
Aujourd’hui, bien des gens sont troublés par la pauvreté, mais pour des raisons très différentes. Il y a ceux qui sont gênés par le fait que des inégalités existent, par la souffrance réelle d’une grande partie de l’humanité. Il y a ceux qui ont des idées de partage en raison de leur compassion, de l’amour pour le prochain. Certains sont influencés par l’enseignement biblique et s’appuient sur des textes bibliques, comme la parabole du bon Samaritain, pour inciter à l’action. On a proposé une action sociale…
Je me souviens très bien de l’ancien président de la République française François Mitterrand, qui a souhaité, en même temps, que les industries et les banques soient nationalisées pour qu’il y ait des choses à partager, mais qu’il y ait, d’abord, une société, un système capitaliste pour avoir quelque chose à partager. Son gouvernement a duré quelques années jusqu’à ce que, tout étant partagé, il faille créer de nouvelles ressources… Nombreux sont ceux, aujourd’hui, qui fuient la réalité pour chercher dans d’autres religions une façon de voir autrement la situation des gens pauvres.
On admire beaucoup, parfois, la vie sociale entre familles et tribus du continent africain. Un des cinq piliers de la foi de l’islam consiste à pratiquer l’accueil de l’étranger, du prochain. J’ai moi-même profité, plusieurs fois, de cet accueil lorsque nous avons vécu au Liban: être admis parmi des gens qu’on ne connaît pas du tout, mais qui nous ont acceptés pour un repas, pour partager tout ce qu’ils avaient. C’est là quelque chose qui est admiré dans notre société où les distances créées sont maintenues et où la règle est la non-intervention dans la vie des autres. On s’attend à ce que l’Etat fasse quelque chose et, ainsi, le problème sera peut-être résolu.
En Suisse, où j’habite à présent, on admire beaucoup la mentalité bouddhiste, la sérénité envers la pauvreté, c’est-à-dire la volonté de vivre avec rien ou très très peu. Les bouddhistes arrivent à être contents dans un désengagement de la réalité avec toutes ses difficultés, les déséquilibres, la pauvreté, la maladie, et ainsi de suite. Ils éprouvent, semble-t-il, une sorte de sérénité face aux situations présentes. Nous connaissons la parole de Jésus: «Vous aurez toujours les pauvres avec vous.»
Ma première question est la suivante: voyez-vous l’existence des pauvres comme quelque chose de normal ou d’anormal? Vous souhaitez évidemment traiter ce thème dans une perspective influencée par le message de la Bible, pour qui la pauvreté est une réalité terrible. On peut s’imaginer en situation de pauvreté, on peut voir, lire, vivre afin de bien mesurer et comprendre ce qu’il y a à traiter, à réparer, à corriger parce qu’on la regarde dans une perspective de normalité. La vie a besoin d’un certain nombre de calories tous les jours. Notre existence exige la sécurité. L’air que l’on respire doit être pur… Nous regardons la situation de tout le monde, y compris celle des pauvres, comme anormale. Mais cette appréciation est rare, car elle est influencée par la mentalité biblique qui existe parmi les juifs et parmi les chrétiens.
Afin de prolonger la question, examinez-vous la situation dans une perspective de normalité ou d’anormalité dans d’autres domaines? Dieu dirige-t-il toutes choses? Ou bien y a-t-il une déchirure entre ce que Dieu a voulu et la réalité vécue aujourd’hui? Est-ce que la pauvreté est méritée, ou appelle-t-elle une action? Est-elle le destin de certains, ou est-elle un défi? Est-elle justifiée ou est-elle une cause d’embarras qu’il convient de corriger? Est-ce qu’on laisse aller ou bien intervient-on pour corriger? La façon de répondre à ces questions différencie les religions. Mais il en existe d’autres, comme la mort, l’injustice, notamment.
La pauvreté considérée comme normale, comme voulue par Dieu, comme bien méritée, comme étant la destinée de certains, et donc qui n’appelle aucune modification… tout cela est la perspective que l’on trouve dans presque toutes les religions du monde. Telle est la réalité qui, en définitive, est bonne, parce qu’elle est voulue, inévitable, méritée. Cela est illustré par la mentalité des religions africaines. Il existe plusieurs livres qui décrivent l’attitude de beaucoup d’Africains face au malheur, à leurs politiciens, à la mort, à la justice, à la souffrance, comme si toutes ces choses arrivent seulement parce qu’elles sont justifiées, disons méritées sur le plan personnel.
C’est aussi la perspective du bouddhiste, en Thaïlande, qui accepte que sa situation dans la vie soit telle et telle, qu’il est impossible d’intervenir sauf au travers de quelques pratiques religieuses, comme donner de la nourriture aux esprits qui nous entourent, partager la vodka avec les esprits dans les parties mongoles de la Russie, afin de ne pas troubler encore plus la situation. Donc, on accepte avec sérénité, on se soumet à la situation.
Il existe différentes causes à la pauvreté, ou au malheur, à l’injustice. Il y a, d’abord, la pauvreté naturelle. On habite quelque part où il fait trop froid, ou trop sec, où la géographie impose certaines limites à l’existence, où il est impossible d’espérer ou d’attendre certaines choses de la vie. C’est là une pauvreté naturelle. Il y a un manque de ressources naturelles. La Suisse, par exemple, est un pays pauvre du point de vue de la nature. Elle n’a qu’une ressource naturelle, la neige, et, jusqu’au milieu de XIXe siècle, on ne savait pas que faire avec tant de neige! Il n’y avait pas de barrages pour produire de l’électricité, il n’y avait pas de touristes pour venir skier, il était donc difficile de vivre en Suisse. C’était un pays pauvre qui est devenu riche, à cause du comportement des gens, de leur façon d’organiser la société, de regarder la vie, de leur créativité, sans ressources naturelles, ni pétrole, ni charbon, ni or, ni quoi que ce soit. A part le paysage, qui est très beau, il n’y avait pas grand-chose en Suisse.
Mais à partir du moment où les Anglais ont pu remplacer le travail des mains humaines, d’abord par des ânes et des chevaux, puis par la machine à vapeur, l’électricité et, à la fin, par le moteur à explosion, ils ont pu récolter plus d’argent qu’ils n’en ont utilisé pour leur survie; et avec un peu plus d’argent, à partir de l’industrialisation, et un peu plus de temps, parce que les machines ont travaillé pour eux, ils ont été les premiers touristes en Suisse. Ils ont été à l’origine du tourisme, qui est aujourd’hui la troisième industrie suisse. C’était là une situation de pauvreté de circonstance, une pauvreté naturelle à cause du climat, de la géographie, du manque de ressources connues alors. Il y en a peut-être encore, mais elles sont inconnues pour le moment.
On trouve aussi une pauvreté sociale, là où le pouvoir règne, où tous n’ont pas les mêmes obligations et les mêmes droits, où quelques personnes seulement, dans une tribu, dans une société, ont accès au droit, bénéficient de la protection du droit. Dans ce type de pauvreté, la vie est totalement imprévisible, on est exposé au pouvoir seul, à l’imagination plus ou moins mauvaise de mon prochain, parce que aucune règle n’ordonne, ne décrit les relations entre les êtres humains. Cette pauvreté sociale se manifeste aussi dans les relations hommes-femmes, pouvoirs publics et citoyens, vieux et jeunes… Telle est la pauvreté sociale.
Une troisième pauvreté est celle du marché, celle qui découle de l’accès au marché. Au Moyen Age, en Europe, les juifs ne pouvaient pas participer à la vie économique, aux échanges sur le marché. L’Eglise avait décidé que seuls les catholiques le pouvaient. Elle a fait quelque chose de tout à fait positif en veillant à ce que les poids soient corrects, comme cela est ordonné dans la Bible. Parfois, on est allé un peu trop loin en fixant le prix des choses. En effet, le prix dépend de l’offre et de la demande. Mais les poids et mesures étaient exacts, ce qui était tout à fait positif. Le côté négatif était justement l’accès au marché, la circulation des marchandises, qui demande la protection du droit, la possibilité d’avoir des prêts, de telle sorte que ce qui était acheté à Venise puisse être vendu à Cologne.
Je suis convaincu que, en Afrique, il y a des éléments de pauvreté dus justement au fait que l’accès au marché est empêché par la distance entre villes, par le manque de protection pour ceux qui voyagent d’une ville à une autre, et par l’impossibilité de pouvoir anticiper ce qui sera demandé sur le marché le lendemain: on vit au jour le jour, on n’anticipe pas, on ne sait pas ce qui arrivera demain, ce qui peut se vendre demain. Lorsque j‘ai travaillé avec une œuvre de développement en Amérique du Sud, j’ai remarqué qu’au marché il y avait toutes les femmes du village, chacune avec son petit sac de blé à vendre. C’était un magnifique lieu d’intégration sociale, parce que là toutes les informations passaient d’une oreille à l’autre mais, en même temps, quelle énorme perte de temps! Il faut surveiller son sac, par crainte de vol; d’où une multitude de gens ayant chacun un petit sac plein des choses à vendre. Pendant ce temps, à la maison, rien ne se fait.
Il existe aussi une pauvreté liée au marché tel que nous le connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire un certain déterminisme de l’échange entre l’offre et la demande; le prix, la participation au profit, notamment, tout est déterminé seulement par l’échange, et pas par des considérations d’ordre social à l’égard de mon prochain. Aujourd’hui, on emploie les gens en fonction des lois du marché, sans considération du prochain, ce qui peut entraîner une énorme pauvreté, car quelqu’un d’autre est toujours prêt à travailler pour le salaire minime que vous offrez.
En dehors de ces pauvretés naturelles, de circonstances climatiques, géographiques, des pauvretés sociales, des relations entre les membres de la société, et de la pauvreté causée par le marché, l’ignorance, la maladie, il existe aussi une pauvreté qui se base sur la compréhension, une pauvreté spirituelle, intellectuelle, de connaissance, de vie. Si on vit simplement d’un moment à l’autre, d’un jour à l’autre, on regarde ce qui arrive comme étant mérité, comme «mon destin». Dieu ou l’histoire veut qu’il en soit ainsi à ce moment-là et on ne réfléchit pas plus loin. Comment pourrait-on éviter la répétition d’hier ce matin ou demain matin? En tant que chrétiens, nous devons avoir une relation particulière avec la pauvreté et l’injustice.
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Je me propose maintenant de comparer l’attitude des différentes religions avec l’enseignement biblique. Avant de citer des versets bibliques, que nous connaissons bien, il faut avoir, d’abord, une perspective biblique globale. Il faut lire toute la Bible avant de savoir de quoi parle Paul ici et là. Il faut comparer les phrases, les versets car, à mon avis, la Bible ne nous est pas donnée uniquement comme un livre religieux, mais plutôt comme un ouvrage qui va nous éduquer. De quel Dieu parlons-nous? Qui est ce Dieu? Comment a-t-il créé le monde? Qu’en pense-t-il? Comment veut-il que nous nous y comportions? Il nous faut apprendre comment vivre en créatures de Dieu dans la réalité qui nous entoure.
Toutes les religions du monde, comme un ami hindou me l’a expliqué un jour, à New Delhi, sont un effort pour nous aider à échapper à la douleur. Telle est la fonction de la religion: non pas nous permettre de comprendre la réalité, mais plutôt éviter la douleur. Telle serait la caractéristique de toutes les religions, en dehors de la prédication biblique, de la Parole de Dieu, qui n’invite pas à éviter ou à éliminer la douleur, mais plutôt à la reconnaître, et à comprendre que, malheureusement, nous vivons aujourd’hui dans un monde qui est dans une situation anormale, tout sauf normale. Eliminer la douleur, c’est nier que la douleur existe, c’est découvrir un moyen pour éviter notre réaction devant la douleur, c’est-à-dire, si on parle de la pauvreté, donner un moyen au pauvre afin qu’il ne dise plus: «C’est comme ça, c’est voulu, c’est mérité, c’est la volonté de Dieu, il en a toujours été ainsi.»
L’écrivain V.P. Naipaul évoque dans ses livres les racines de sa famille hindoue. Il raconte comment il est rentré en Inde pour découvrir un peu le contexte culturel de ses parents, lui-même étant né dans les îles américaines. Il décrit un contexte dans lequel on est toujours entouré par la mort, par la souffrance et par la boue: comment pourrait-on échapper à la répétition de toutes ces choses? Sur quelle base avoir une espérance, une espérance qui permette d’éviter ce qui est jugé normal, qui arrive à tous, qui est mérité car, au travers des réincarnations, il y a toujours la justice. Vous souffrez, vous l’avez mérité; vous vous plaignez, ce sera pire la prochaine fois. Donc, acceptez la situation dans laquelle vous vous trouvez. Il ne faut rien changer, il faut savoir vivre avec la souffrance, éliminer la douleur, en se disant: «C’est mérité, ça doit être comme ça, ça va m’aider dans une vie ultérieure après une réincarnation.»
Toutes les religions font un effort pour éliminer la douleur et la souffrance de la vie. Cette opposition entre la vie et la mort, entre l’espérance et la déception, entre l’imagination et la réalité vécue… les religions aident à éliminer la souffrance née de cette tension. Elles vous attirent vers une plus longue durée, l’éternité si l’on veut, vers une plus grande réalité que votre petite vie… Les religions proposent cette attache au travers d’une vision de quelque chose de plus grand, qui explique pourquoi vous êtes dans cette situation. C’est ce que fait l’enfant avec ses parents; il découvre le monde, la pensée et même le langage de ses parents afin de s’adapter, de s’accrocher à ce qui est là. Les religions proposent de vous accrocher à quelque chose de plus grand, d’une durée plus longue.
Cela peut être Dieu, un dieu; cela peut être des traditions, comme dans la culture africaine. Cela peut être un passé qui vous a formé, ou quelque chose qui doit être approuvé, et répété tous les jours. Dans les religions africaines, les morts vous regardent entre vos épaules, pour voir si vous faites exactement comme ils ont fait, eux. Vous n’osez donc pas faire autrement, parce que le monde dans lequel nous vivons est dangereux, et vous ne voulez pas risquer de troubler les esprits de vos ancêtres. Donc vous répétez, vous participez à une société de répétition, vous faites la même chose. Cela a toujours été ainsi.
Lorsque j’ai enseigné en Russie, il n’y avait pas d’Africains, pas de religion, c’était le matérialisme… pourtant, philosophiquement, c’était exactement la même chose. Il n’y avait pas un dieu ou des esprits, mais il y avait l’histoire, ou la matière, ou les étoiles qui dirigent votre vie. Ce que vous vivez est mérité. Ce que vous vivez doit être vécu. Ce que vous vivez s’inscrit dans un processus d’amélioration. Comme Hegel propose, Marx l’a annoncé de façon révolutionnaire, pour arriver à un objectif qui réclame votre sacrifice, de ne plus penser à vous-même, de ne plus discuter la nécessité des événements, de travailler, de voyager au travers de ce développement historique dans la collectivité où l’on répète les mêmes phrases, les mêmes «cantiques», qui a les mêmes drapeaux que la génération précédente. Donc, de nouveau, la vie est contrôlée, on s’attache, on a l’espoir qu’un jour il y aura une humanité juste, égalitaire, glorieuse. Mais, pour le présent, il n’y a rien à changer. Chacun fait comme tout le monde.
C’est la même chose dans l’islam. Vous obéissez, vous récitez le Coran. Vous honorez et respectez les cinq piliers qui expriment la foi du musulman. Vous ne discutez pas le texte. Vous le répétez dans la langue sainte d’Allah, qui n’est probablement pas la vôtre. On ne peut pas traduire le Coran. Une traduction, c’est une sorte de trahison des paroles. Est-ce que je comprends correctement? Traduire dans mes termes pour comprendre mieux, mais peut-être faussement… On trouve beaucoup de musulmans influencés par leur propre humanité, par la souffrance de leur propre vie et, peut-être encore, par l’enseignement du Siècle des lumières européen, qui réfléchissent par eux-mêmes: ce sont des personnes très sympathiques, tout à fait comme nous! Pourtant, dans le contexte islamique, il y a une parole qui est la vérité, elle est comme ça, il faut la répéter, en collectivité, cinq fois par jour, tournés dans la même direction, de la même façon.
Qu’il s’agisse de religion spirituelle, surnaturelle, comme l’islam, ou de religion traditionnelle comme les religions africaines, ou de la religion de l’athée matérialiste marxiste, ou du naturaliste – qui voit la nature comme cette grande idée ou réalité à laquelle il faut s’accrocher –, ce qui est commun à toutes ces philosophies, à toutes ces perspectives, c’est leur conception de la normalité: ce n’est pas anormal, c’est normal.
C’est ce que disent aussi les hindous, avec leur enseignement sur le karma, mais ce qui est aussi, malheureusement, enseigné sous certaines formes extrêmes du calvinisme, dans nos contextes chrétiens. Tout est la volonté de Dieu. Dieu l’a voulu. Sous l’enseignement de la souveraineté de Dieu, on entend souvent dire, aujourd’hui, que, quoi que ce soit qui arrive dans notre vie, c’était en définitive la volonté de Dieu. Cela n’est pas le christianisme!
J’ai écrit un livre à ce sujet, L’innocence de Dieu, afin de libérer Dieu de l’accusation qu’il est derrière toutes les choses qui nous arrivent et pour montrer que, selon la Bible, il y a plusieurs acteurs: il y a Dieu, il y a l’homme, il y a les anges, il y a le diable, et nous avons des voisins qui nous maltraitent, des gouvernements qu’il faut remplacer, des pasteurs qui ne parlent pas toujours, et même pas souvent, de la vérité. La Bible nous apprend que nous ne pouvons pas accepter ce qui nous arrive comme étant nécessairement la volonté de Dieu. C’est pourquoi nous prions que la volonté de Dieu soit faite, parce qu’elle n’est pas toujours faite sur terre de la même façon qu’elle était déjà faite au ciel. C’est pourquoi, d’ailleurs, les prophètes sont venus pour corriger le comportement d’Israël.
C’est pourquoi Abraham et Isaac ont creusé un puits pour avoir plus d’eau, après la chute, en Genèse 26, afin d’améliorer leur situation, et non pour répéter ce qui est naturel, pour accepter ce était imputable à la géographie. Et Abimelek le fou devient jaloux, il chasse Isaac loin de là. Il dit: «Si tu ne pars pas, il y aura des bagarres.» Et Isaac, sage comme il l’est déjà, part – il n’est pas toujours sage, mais à ce moment-là, il l’est – et le roi, Abimelek le fou, remplit le puits; il rétablit la situation dans un état naturel pour endurer les conséquences de la nature déchirée par la chute.
«Chaque situation a sa justification», telle était la phrase que l’on entendait toujours sous l’enseignement marxiste, c’est-à-dire il n’y a pas de critique morale. Toutes les situations observées, les prétendus camps de travail, d’extermination, de Staline, de Lénine et des autres ont été nécessaires pour raison d’Etat. Et on s’est accroché à cela en ne se plaignant pas, en n’accusant pas, puisque, si le parti l’a demandé, c’était nécessaire. Il faut rapprocher cela de l’attitude d’Elie, qui vient vers le roi et lui dit: «Tu as péché, tu seras puni, il ne pleuvra pas pendant trois ans.»
Dire que chaque situation a sa justification n’est pas la perspective biblique, mais la perspective des religions. Tout est mérité, tout est déjà bon, tout est déjà résolu, tout est déjà voulu, tout est finalement nécessité. Tel est l’effort des différentes religions pour résoudre les problèmes de la souffrance, de la pauvreté, de l’injustice. Rien n’est fautif à l’extérieur dans la création, dans l’histoire, dans le comportement du prochain, du gouvernement, du roi, du prêtre, du prophète.
L’enseignement biblique est totalement le contraire de ce que les religions enseignent, les religions spirituelles, les religions matérielles et même les religions idéologiques, comme le fascisme, le communisme, le culte de la démocratie – comme si la démocratie garantissait un bon gouvernement! C’est à travers la démocratie qu’on voit si un gouvernement est bon et on teste cela à plusieurs niveaux, car on n’accepte pas la situation dans laquelle on se trouve. On va chez un deuxième médecin, on s’instruit ailleurs, on va à la bibliothèque, on écoute ici et là, on discute, on parle de politique et des idées philosophiques. On écrit des romans pour envisager des alternatives à notre vie, et cela parce qu’on refuse d’accepter comme définitives les situations de notre vie.
Tout cela est nourri, encouragé, semé par la prédication de la bonne nouvelle du royaume de Dieu, Dieu au ciel, pas dans la nature, Dieu qui dirige l’histoire, qui intervient dans l’histoire, mais qui souffre aussi l’histoire créée, influencée par le péché de l’homme, qui s’engage à bouleverser la normalité en indiquant clairement que beaucoup de choses qui arrivent sont tout à fait inacceptables. Voilà pourquoi Jésus guérit les malades, il discute avec les pharisiens; voilà pourquoi il n’accepte pas l’invitation du roi Hérode à manger avec lui, à faire un petit miracle pour amuser ses hôtes. Voilà pourquoi il prend ses amis pour leur dire la parole de Dieu. Et là, vous vous souvenez, Jean, chapitre 6, il leur donne à manger, et quand ils reviennent le jour suivant, le lendemain, il ne leur donne pas à manger, et dit: «Je ne suis pas venu pour apporter un nouveau système de distribution sociale, mais vous devez manger du vrai pain qui est venu du ciel et c’est moi.»
Manger le pain qui est le Christ, ce n’est pas seulement le repas du Seigneur, ni seulement croire en Christ pour son salut, le pardon, qui nous est offert, mais c’est aussi comprendre qui est ce Dieu qui a créé le monde et quelle est sa pensée, se demander de quoi il parle, comment il nous incite à réagir autrement, pas sur un plan religieux, pour savoir comment accepter, éliminer la douleur en se disant «ce n’est pas si grave que ça», ou bien «c’est mérité», ou bien «tout le monde souffre comme ça», mais pour être informés sur le plan de notre compréhension, dans le sens où nous avons une révélation de l’Esprit de Dieu, qui connaît l’Esprit de Dieu, la mentalité de Dieu, la réflexion de Dieu, qu’il nous a communiqué pour que nous sachions comment comprendre la vie dans laquelle nous vivons.
Donc, la prédication de la bonne nouvelle du royaume du Christ se centre sur la proclamation: «Ecoutez, ce n’est pas la nature qui nous a créés, il y a un Dieu qui est bon, qui est spécifique, qui a un caractère, qui aime, qui pense, qui réfléchit et qui réagit, qui est furieux et qui vous aime.» Ce n’est pas que je me sens bien avec «mon Jésus», mais nous vivons dans un monde où il y a un Dieu qui est troublé par ce que le péché a créé, qui n’accepte pas la finalité des choses, mais qui s’engage à intervenir. Regardez, tout au début, lors de la création, la chute arrive, Adam se rebelle, Adam et Eve, et puis, tout de suite, ce n’est pas Dieu qui tourne le dos à sa création et, de temps en temps, décide d’agir avec la grâce.
Mais c’est un Dieu plein de grâce qui, immédiatement, court après Adam et qui dit: «Toi, tu as honte maintenant. Pourquoi te caches-tu? Sors, il y a encore du travail à faire. Mets tes mains dans la boue. Arrête de te bagarrer avec ta femme.» Parce que Adam, vous vous souvenez, accuse immédiatement Dieu d’avoir créé la femme qui, elle, lui a donné le fruit de l’arbre. Et Dieu lui dit: «Arrête tout ça, il vous faut travailler ensemble maintenant. Il faut avoir des bébés, parce que, autrement, il n’y aura pas de femme pour donner naissance au Messie.» Il faut lutter contre la mort, ce qui est exprimé à travers toute l’œuvre de Dieu dans l’enseignement prophétique de l’Ancien Testament, dans les miracles, dans son Fils qui est venu pour nous montrer l’existence réelle de Dieu et qui s’engage à payer pour notre culpabilité, qui nous délivre de la mort en nous proposant la réalité de la résurrection. Cela commence avant même la chute.
Les religions enseignent de faire avec, d’accepter cela, de tolérer et de se soumettre à tout ce qui est normal maintenant. Seulement la Bible nous dit des choses totalement différentes. On peut commencer par parler du Dieu de la Bible, qui est différent d’Allah. Ce n’est pas le même Dieu, l’islam n’est pas le christianisme sans Jésus. Il faut justement ajouter Jésus, c’est un Dieu qui est totalement différent par son caractère, sa volonté, son existence même.
La création, selon la Bible, se déroule pendant sept jours, six jours de création, dont j’ignore la longueur. Mais il y a ces six périodes de création avec un début et une fin, un soir et un matin, le premier jour. Donc il y a la création à partir de rien, de rien à quelque chose. Dieu existe toujours. Il crée quelque chose à l’origine. Cette création devient de plus en plus différenciée. D’abord, c’était le tohu-bohu, le chaos, c’est-à-dire la contradiction, quelque chose qui n’a pas de définition plus précise, mais c’est quelque chose. Et la définition devient plus précise dans la différentiation entre nuit et jour, eau et terre, êtres organiques et inorganiques, des êtres humains qui sont tout à fait différents, parce qu’ils sont faits à l’image de Dieu. Ce qui est important, c’est de voir que Dieu a pris son temps pour créer. Et cela ne doit pas être changé.
Dieu lui-même crée quelque chose et il le change. Il intervient pour définir plus précisément, pour différencier et, après avoir fait l’homme et la femme, Adam et Eve, il leur confie des mandats: créer, différencier davantage, faire des choses que Dieu ne peut pas faire, des bébés par exemple, ou se marier. Il les faits homme et femme et leur laisse définir leur relation, leur mariage. Il n’est pas dit comment cela doit se passer, qui gagne l’argent, qui lave le linge, ou qui fait la cuisine ou le ménage. Cela n’est pas décrit, c’est à vous de créer: création de vie, création de ressources, création de situations pour lesquelles Dieu nous donne la liberté, et même un mandat. Exercer le pouvoir sur la terre, ne pas la détruire, mais ordonner, commander les choses. C’était avant la chute.
Dieu donne à l’homme cette responsabilité d’être à son image par laquelle il a été créé, afin de créer lui-même des situations. Et, après la chute, il y a un mandat supplémentaire, un mandat de réparation: «Faites quelque chose contre ce qui est maintenant déchiré, contre la mort, contre la pauvreté, contre la sécheresse, contre l’injustice, contre les mauvais rois. Discernez les mauvais prophètes, ne croyez pas que parce que quelqu’un est roi, il dit la vérité. Soyez sages, différenciez-vous!» Car, ce que l’homme et les anges, le diable, peuvent créer, c’est le désordre, le péché, la rupture, le noir, le désordre…
Dans tout le débat sur le chrétien et la pauvreté, beaucoup de chrétiens se basent sur certaines phrases, certains versets du Nouveau Testament ou de l’Ancien Testament, sur l’année du jubilé, où il faut rendre. Evidemment, il faut partager, il faut donner, il faut marcher avec l’autre un kilomètre ou deux, lui donner son deuxième vêtement! Il arrive même que des gens soient tout à fait prêts à prendre votre vêtement sous forme d’impôts et d’en redistribuer le produit ailleurs: tel n’est pas le commandement biblique.
Mais il est exact qu’il faut faire des choses et, en même temps, créer des richesses. On ne doit pas se borner à les trouver, il faut les créer. Et si j’ose revenir à la Suisse, ce pays est devenu riche non pas seulement par les dépôts de «mauvais argent» venant d’Afrique, mais aussi par une façon de vivre, de régler la vie, de gérer la politique, la civilisation, la culture, qui, à présent, est en voie de disparition; une nouvelle génération apparaît qui ne se rend pas compte de ce qui a été fait au début. La préoccupation de créer quelque chose fait partie de l’attitude biblique.
Cet après-midi, on nous a rappelé l’exemple magnifique (Actes des apôtres 2 et 4) de la vie de l’Eglise primitive, dont les membres ont tout partagé; par amour, ils se sont rassemblés et ont partagé. Ce n’était pas l’idéal non plus, si l’on pense à Ananias et Saphira, mais ils étaient tellement heureux qu’ils ont distribué tout ce qu’ils avaient. Peut-être la collecte que Paul a faite ailleurs, dans d’autres Eglises, a-t-elle été nécessaire, parce que ceux de Jérusalem ont distribué, et pas recréé de nouvelles ressources à distribuer l’année suivante. La Parole de Dieu ne dit pas seulement comment être bon dans l’amour et le partage, mais aussi dans le travail de création de ressources, dans le domaine du gouvernement, dans le secteur social, dans le domaine de la formation et de l’éducation.
Il manque souvent aujourd’hui la connaissance, «le grand narratif» dans lequel nous nous trouvons. Toute la prédication, souvent, est centrée sur moi et mon besoin d’être sauvé, au lieu de mettre la lumière sur la continuité de la création, la chute, cette désastreuse rupture avec ce que Dieu avait fait bon, et qui, maintenant, est mauvais, mal, malsain. Tels sont les nombreux problèmes à la résolution desquels nous devons travailler pour limiter le mal, pour contredire le naturel, pour créer le culturel, c’est-à-dire quelque chose qui rende la vie humaine un peu plus facile, un peu plus belle, un peu plus consistante.
Je veux aussi vous apporter, en dehors de mes idées personnelles, ce que l’on trouve, par exemple, dans la première lettre de Paul à l’Eglise de Thessalonique. Tout y est. Lisez le chapitre 17 des Actes: Paul a été à Thessalonique pendant trois sabbats. C’est tout. Après cela, il a été chassé de la ville, parce que les juifs se sont plaints qu’il y ait là une atteinte contre les Romains. Paul a dû quitter la ville et a écrit une lettre à cette Eglise. Il dit que les membres de l’Eglise ont compris quelque chose qui a changé leur vie. Il y a eu, en effet, une transformation culturelle – ce qui est politiquement incorrect aujourd’hui –, mais cela est arrivé à la suite de la prédication de la bonne nouvelle: il y a un Dieu, il y a l’homme qui a de la valeur, il y a la chute, qui est très triste, mais tout n’est pas sans espoir, il faut travailler pour le bien. Cela ne vient pas automatiquement. Si toi, tu ne le fais pas, qui le fera? Si tu ne le fais pas aujourd’hui, quand le feras-tu?
Il faut faire quelque chose, parce que la vie compte. C’est par obéissance à ce trésor de la vie que tu fais quelque chose, pour toi-même, pour ton prochain, pour la société. Paul évoque ce changement culturel qui a eu lieu à Thessalonique, après trois sabbats de prédication. Imaginez-vous ce changement: abandon des idoles, et maintenant foi en un Dieu vivant et vrai! Plus de dieux, d’idoles, de ce qui ne peut créer que du chaos, parce qu’on ne sait pas ce qu’il faut faire pour pacifier toutes les autres idoles, les autres esprits. Les Grecs ne savaient jamais qui était contre eux. On parle souvent de l’influence grecque sur la science. Aristote voulait découvrir le monde, mais cette découverte des certitudes scientifiques sur le monde n’a jamais eu de conséquences sur la vie des Grecs. Pour tout le monde, c’était une sorte de jeu intellectuel, parce qu’on ne savait pas si cela serait encore vrai demain.
C’est le même problème avec l’hindouisme et ses 3000 dieux. C’est le grand chaos. A qui se confier? Imaginez que vous les ayez. J’ai lu récemment qu’il y avait une déesse appelée Echo. Elle a été jugée parce qu’elle était mauvaise: elle n’a pu dire que la deuxième partie de la phrase prononcée par quelqu’un. Cette déesse est toujours là, si vous allez dans les montagnes. Les Grecs voyaient des esprits derrière toutes les choses, comme c’est le cas dans les religions africaines aujourd’hui. Il y a quelqu’un derrière chaque événement: le tonnerre, la chaleur… En abandonnant cette incertitude, cette angoisse, cette ignorance, vous vous êtes confié à un Dieu. Quel soulagement de savoir qu’il y a un Dieu!
Et ce Dieu n’est pas un dieu ignoré, ignorant, qu’on ignore, c’est un Dieu vrai et vivant. Vrai, parce qu’on peut parler avec lui comme Moïse l’a fait, Jérémie, Job, Jésus-Christ même, on peut lui demander: «Est-ce que tu es vrai, est-ce que tu es bon? Comment peux-tu dire que tu es bon vu la situation dans laquelle nous nous trouvons? Explique-toi.» Comme Job l’a fait, avec ses amis qui, à la fin, sont vraiment ses ennemis. Avec des amis comme ça, qui a besoin d’ennemis? Vous voyez, c’est un Dieu vrai, et non parce que je le crois. Mais je le crois, parce qu’il se manifeste comme vrai. Il est vivant parce qu’il nous a donné la vie; il nous a créés êtres humains. Il se manifeste à travers les prophètes. Il est venu en chair en Jésus-Christ. Il est vivant, ce n’est pas une abstraction.
Et Paul ajoute: «Vous attendiez Jésus, vous vous êtes convertis à Dieu en abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et vrai. Vous attendiez des cieux son Fils qu’il a ressuscité des morts, Jésus, et qui vous délivre de la colère à venir.» (1Th 1.9-10) Paul mentionne aussi, comme confirmation de ce qu’il a enseigné, que dans les contextes religieux païen, grec, l’histoire est circulaire. Toutes les choses se répètent: vous êtes nés, vous allez mourir. C’est normal. Les eaux de la mer montent et redescendent. De même pour les saisons de l’année. Tout est circulaire. Votre vie ne mène nulle part. Vous êtes condamnés à vivre les expériences des dieux, à souffrir les expériences des dieux. Et, à la mort, c’est fini. Et Paul dit: «Ecoutez, vous avez changé de perspective. Maintenant, vous savez que l’histoire est linéaire, elle mène quelque part. Dieu l’a créée et elle va quelque part. Et chaque événement, chaque choix que vous faites a des conséquences éternelles. Il est donc important de vivre, de ne pas supporter les situations dans lesquelles vous êtes. Vous attendez son Fils, Jésus, qu’il a ressuscité des morts. Révolution!»
Dans la perspective grecque, il n’y a pas de résurrection de l’être humain. Les dieux existent depuis toujours, mais l’homme, à sa mort, n’existe plus. J’ai assisté récemment aux funérailles de mon oncle, décédé à 101 ans en Allemagne. On l’a incinéré. Pas un mot sur Dieu, ni d’espoir, ni de vie… Quand il était vivant, il avait une immense capacité intellectuelle, une énorme joie de vivre, mais la matière est décédée, et c’est tout. Eh bien, non! Nous aurons une vie éternelle parce que Jésus est ressuscité. Vous pouvez demander où cela est arrivé et à quelle époque, a dit Paul. Et vous avez cette confiance en lui qu’il va vous délivrer de la colère à venir. Il y aura, dans l’histoire, un jugement. Il y a une morale absolue. Tout ce que vous pensez ou faites, tout ce que vos dictateurs font… tout sera jugé un jour. C’est sur cette idée que toutes les sociétés influencées par le christianisme et la pensée juive ont basé la nécessité d’un droit égal pour tout le monde, afin d’éliminer cette pauvreté sociale dont j’ai parlé.
La Genèse nous invite à la différenciation. Dieu a créé une création ouverte, pas terminée mais en situation eschatologique. A la différence, Allah a créé quelque chose, et maintenant, cela doit se maintenir, par l’obéissance, par la répétition, tout le monde se soumettant à cette répétition, à la différence du chrétien et du juif, qui savent qu’ils sont faits à l’image de Dieu, qu’ils sont sortis de la nature par la parole de Dieu qui leur est adressée, qui nourrit leur pensée, leur réflexion. Cette parole nous apprend que nous vivons dans un monde qui n’était pas voulu ainsi par Dieu. Nous sommes après la chute. Par cette parole, nous savons que Dieu s’est engagé à réparer ce monde, qui lui est précieux. Cela prendra du temps. Dans mon livre, j’indique que l’idée selon laquelle «Dieu est hors du temps» est une idée grecque, pas du tout juive, pas du tout biblique. Ce Dieu s’est engagé à restaurer, et il veut que nous participions à ce redressement du monde après la chute, que nous fassions des études de médecine, de droit, de n’importe quoi, de géologie… afin d’accomplir le mandat qu’il nous a confié d’être créatifs à l’image du Créateur.
Ceux parmi nous qui parlent de la nécessité du partage en disant que vous mangez trop et qu’il en reste peu pour les autres, n’ont pas compris que l’enseignement biblique est plutôt: «Si vous n’avez pas assez à manger, créez des choses à manger! Cherchez, imaginez, essayez, risquez, créez des situations où votre travail sera protégé par la loi, où votre gouvernement sera en danger s’il est corrompu, où l’éducation doit vous amener à une plus grande connaissance de la réalité, qui n’a pas été créée par une multiplication de dieux qui se contredisent toujours, mais par un Dieu qui, par son caractère, est consistant, qui a créé quelque chose à découvrir, qui reste vrai et vivant!»
Le chrétien est celui qui admet la réalité de la pauvreté, de l’injustice, de la cruauté de l’homme envers l’autre, de l’égoïsme, de la négligence… Il sait aussi qu’il y a la volonté de ne pas savoir, de ne pas vouloir voir les problèmes qui existent, de se couvrir par des idéologies, par des religions, par des perspectives tout à fait personnelles… Mais la réalité est, en conséquence, que, depuis la chute, il y a la souffrance. Il faut s’engager, il faut faire des choses. On ne peut pas, comme les idéologues le proposaient, nettoyer la terre une fois pour toutes, en éliminant tous les Juifs, ou tous les Roumains, ou tous les bourgeois, ou tous ceux qui, comme sous Pol Pot, portent des lunettes… parce que ceux-là pensent par eux-mêmes, parce qu’ils veulent connaître précisément le texte. Il faut donc les éliminer. Non, car ce sont des solutions utopiques dont le prix est une énorme cruauté.
Il faut faire quelque chose et ce n’est pas seulement apporter de l’aide, nécessaire certes, au jour le jour, parce que l’homme doit manger, dormir dans une situation assez sécurisée, mais, à la longue, il faut transformer l’homme, sa perspective. Il faut lui dire: «Ecoutez, on vous a trompés, on vous a menti, on ne vous a pas dit la vérité sur la réalité. Vous vous êtes cachés dans votre religion, tel est votre problème. Vous croyez des choses irrationnelles et inhumaines finalement: accepter la situation telle qu’elle est en disant qu’elle est tout à fait normale, que cela a toujours été comme cela, que c’est voulu, que c’est la volonté de Dieu…» Tout cela n’est pas seulement malhonnête envers le Dieu de la Bible, c’est malhonnête envers notre prochain, laissé dans sa croyance et dans son malheur.
Le développement de l’homme était à la racine de la prédication de la bonne nouvelle. C’est ce qui a transformé le continent européen en quelque chose d’un peu plus humain. C’est pourquoi il ne s’y trouve plus les Lombards, les Saxons, les Goths. En France, on trouve encore quelques Mérovingiens… Mais, à part cela, grâce à la prédication, avec ses hauts et ses bas, ses conséquences, l’Europe n’est plus ce champ de fouilles où l’on recherche la brève vie des Lombards… Tout a été transformé par la prédication qui a commencé avec Paul lorsqu’il est venu à Thessalonique.
Et, si vous poursuivez la lecture de sa lettre, il dit: «J’ai essayé de vous apporter toutes ces paroles avec tous les moyens psychologiques, comme votre père, comme votre frère, comme votre mère… mais, à la fin, vous avez conclu que ce n’est pas la parole d’un homme, c’est la parole de Dieu. Telle est votre confiance.» Et plus loin, il ne dit pas que le Saint-Esprit les enseignera… Non, il dit: «Le Saint-Esprit nous a déjà enseignés que la relation intime entre un homme et une femme doit être protégée, parce que c’est précieux. Dieu nous a créés pour être humains, privés, au sens intime. Et le niveau suivant de la relation sociale concerne le prochain. Comportez-vous selon la Parole de Dieu!» Et le troisième niveau est la façon de vivre. Le quatrième est: «Examinez tout ce que vous entendez, et gardez ce qui est bon. Ne soyez pas comme ceux qui vivent juste comme ça, avec légèreté, ou sous la pression idéologique, mais soyez sages, vigilants…»
Nous vivons dans un monde triste. Nous allons tous mourir, nous devons pleurer parce que tout n’est pas comme Dieu le veut, mais nous ne pleurons pas sans espoir. Il n’en sera pas toujours ainsi. Et chaque étape de l’accomplissement de notre mission, aider les pauvres, éduquer les ignorants, aider les faibles, lutter pour la justice, exprimera ce que nous avons compris de l’Evangile, en attendant que le Seigneur fasse infiniment mieux.
* U. Middelmann est conférencier et écrivain; directeur de la Fondation F.A. Schaeffer, à Gryon (Suisse); ancien membre de l’International Institute for Relief and Development.