COMPASSION ET ESPÉRANCE
Paul WELLS*
Compassion et espérance, deux mots correspondant à deux sentiments qui, par rapport à la question de la pauvreté, ont une résonance particulièrement forte. Deux sentiments qui traduisent des émotions certes, mais des émotions guidées par l’intelligence, qui débouchent sur des actions raisonnées et utiles. On n’y réfléchit peut-être pas assez, mais les émotions – qui ont une place immense dans notre vie sociale, qu’elles soient positives ou négatives – peuvent se traduire par des paralysies, des absences face à des situations dramatiques ou, à l’inverse, par un activisme débridé qui donne bonne conscience, mais qui ne répond pas forcément aux besoins dans le court terme comme à terme plus éloigné.
D’autres que moi traiteront cet aspect mieux que je ne pourrais le faire. Ma contribution est d’un autre ordre. Pour l’introduire, j’aimerais vous inviter à une réflexion sur la seconde question du docteur de la Loi qui, pour mettre Jésus dans l’embarras, lui demande, d’abord, ce qu’il doit faire pour hériter la vie éternelle et, ensuite, après s’être entendu répondre par le Sommaire de la Loi, ajoute: «Qui est mon prochain?» Vous connaissez la suite, la parabole du bon Samaritain.
Qui est mon prochain? Ce qui est une manière abrégée de demander: que dois-je faire? Quelle doit être mon attitude à son égard? Par attitude, on évoque toute une palette d’éléments matériels, moraux et spirituels qui concernent tout notre être dans son rapport avec un ou plusieurs autres. Dans ce cadre, les notions de compassion et d’espérance trouvent bien leur place1. Un chrétien le voit sans peine, est-il utile de s’y arrêter?
Pour cheminer vers la réponse à cette question, je vous propose d’écouter un commentaire de Jean Calvin sur la parabole du bon Samaritain:
«Comme sous le nom de prochain, Jésus-Christ montre, dans la parabole du Samaritain, que le plus étranger est notre prochain (Luc 10.29-37), il ne faut pas restreindre l’application du commandement de l’amour à ceux qui ont des rapports de proximité ou d’affinité avec nous. Je ne conteste pas que plus une personne nous est proche, plus nous devons l’aider de façon familière. La simple humanité implique que si nous avons des liens de parenté, d’amitié ou de voisinage, nous nous préoccupions les uns des autres; cela n’offense pas Dieu, dont la providence nous pousse à le faire. Cependant, je dis que nous devons avoir de tel sentiment vis-à-vis de tous les hommes, sans en excepter un seul, sans distinguer entre le Grec et le Barbare, sans regarder s’ils en sont dignes ou non, s’ils sont des amis ou des ennemis. Il faut les considérer en Dieu et non pas en eux-mêmes, car en détournant notre regard, il n’est pas étonnant que nous commettions beaucoup d’erreurs.
»C’est pourquoi si nous voulons cheminer sur la voie droite de l’amour, nous ne devons pas considérer les hommes, car cela nous contraindrait souvent à les haïr plus qu’à les aimer. Il nous faut plutôt regarder à Dieu, qui nous commande d’étendre à tous les hommes l’amour que nous lui portons, et garder ce principe à l’esprit: quel que soit l’homme, il faut l’aimer si nous aimons Dieu.»2
I. La clef pour aborder la pauvreté
Ce commentaire du réformateur n’est pas vraiment surprenant, à la réflexion, mais est-ce bien notre démarche personnelle ou collective? Je me le demande parfois, car il me semble que, particulièrement dans les milieux protestants, on a opéré deux coupures.
La première a consisté à couper le cordon ombilical entre la création et la Loi de Dieu, entre l’ordre créationnel (les «mandats») et les commandements donnés à Israël sous Moïse. C’est souvent le cas à cause d’un rejet de la théologie naturelle de l’Eglise romaine et cela a été accentué par la théologie de Karl Barth. On a oublié ainsi que les Dix Commandements ne sont qu’une répétition, dans une situation de péché, d’une justice établie et souhaitée pour l’humanité par Dieu à l’origine.
La seconde coupure a consisté à séparer les commandements de l’Ancien Testament et la vie du chrétien en Christ, la sanctification, que l’on a réduite à l’amour pur et simple. Dans ce domaine, les évangéliques sont très forts, car l’amour justifie tout ce qu’on fait ou ce qu’on ne fait pas… En négligeant la Loi, dans la vie chrétienne, on peut se trouver dans une situation très confortable3. On peut réduire son obéissance à un individualisme outrancier, à un égocentrisme bien réel sous le couvert de l’amour. En revanche, on peut se lancer dans un humanitarisme irréfléchi et sans limites. Le danger pour les chrétiens est que trop souvent notre service, dans le fond, n’est pas pour Dieu ou les autres, mais pour nous-mêmes. On «se fait plaisir».
En disant que la Loi de Dieu est la clef pour aborder le problème de la pauvreté, je risque d’être pris pour un grand naïf4. Si les hommes ne veulent pas obéir à la Loi de Dieu qu’ils connaissent, c’est parce que, dans leur for intérieur, dans leur conscience, ils n’y voient pas tout de suite la solution à leurs problèmes, y compris celui de la pauvreté.
Pourtant, la Loi divine, dans la deuxième table de la Torah, interdit le meurtre, le vol, le mensonge, la convoitise, le piétinement des droits humains dans le cercle intime – et, réfléchissez-y bien, toutes les situations de pauvreté sont des illustrations du non-respect des droits de Dieu indiqués dans les commandements qui trouvent leur application dans la création et dans les droits des prochains. On ne trouvera pas de situations de pauvreté dans lesquelles des comportements contraires à la Loi de Dieu n’ont pas rendu les hommes esclaves. En revanche, si les humains, croyant en Dieu ou non, arrivaient à vivre selon ces préceptes, la pauvreté se dissiperait comme le brouillard sous l’effet du soleil. Augustin a appelé la Loi de Dieu «la mère et gardienne de toutes les vertus» et la «source et racine de tout bien»5.
La tentation humaine, y compris pour les chrétiens, est de penser qu’il y a d’autres solutions que de mettre en pratique la Loi royale et de la remplacer par toutes sortes de programmes, considérés comme des remèdes, en oubliant l’essentiel. Voici, à ce sujet, un mot de rappel:
«Les êtres humains désirent toujours, en effet, forger des manières d’acquérir la justice sans la Parole de Dieu. C’est ainsi qu’il arrive que parmi les œuvres bonnes, communément estimées, les commandements de la Loi ont la plus mauvaise place, tandis qu’une multitude de préceptes humains occupent le premier rang et jouissent de la meilleure situation (…) la recherche d’œuvres bonnes extérieures à la Loi de Dieu constitue une pollution intolérable de la vraie justice divine.»6
Cela ne veut pas dire que les programmes humanitaires sont à rejeter, bien au contraire, mais que ces programmes, pour répondre aux besoins réels, doivent être appuyés sur la Loi de Dieu et de bonnes motivations du cœur de la part des partenaires participants. Ainsi, on est délivré de la «bête noire» des Occidentaux, à savoir la fausse culpabilisation, qui accuse les autres de ne pas avoir fait ce qu’ils auraient dû, alors que nous ne faisons pas mieux. Tout ce qui nous est demandé par Dieu est que nous obéissions à sa Loi de la façon la plus fidèle possible, et tout le reste est littérature.
II. La pauvreté, résultat du péché
Il y a un rapport étroit entre l’homme et le monde créé. Les actions pécheresses de l’homme ont un impact sur la création et la création, en retour, conditionne la vie de l’homme. C’est ainsi que naît la pauvreté. L’injustice et la pauvreté vont très souvent de pair, troublent la paix et favorisent des guerres qui violentent la nature7. La faim, l’animosité tribale et raciale, l’oppression des pauvres par les riches et les purifications ethniques, entre autres, sont des faits caractéristiques de notre siècle.
Le chrétien ne peut pas éluder la question de savoir d’où vient la pauvreté dans le monde, en particulier celle qui débouche sur la famine. Très souvent, on dénonce la surpopulation. En fait, à y regarder de près, ce n’est pas, semble-t-il, la vraie raison. La pauvreté est profondément liée à la condition pécheresse de l’homme. La surconsommation, les désastres naturels et le changement de climat avec l’avancée du désert, l’oppression politique ou économique, la guerre, la purification ethnique, la paresse, la superstition et l’ignorance sont autant de facteurs qui suscitent des situations plus ou moins complexes, et qui favorisent la pauvreté. La famine est largement le résultat d’actes humains; trop souvent l’aide n’arrive pas aux vrais pauvres ou produit des êtres dépendants qui deviennent incapables de retrouver productivité et dignité8. Dans les dernières années, l’efficacité de la politique d’aide aux pauvres a été de plus en plus remise en question9.
La pauvreté et la famine ont donc des origines spirituelles, même si leur apparence matérielle est plus frappante. Elles proviennent du bouleversement qui s’est produit dans l’alliance entre Dieu et l’homme, dont les effets au deuxième degré ont atteint les relations des hommes entre eux et des hommes avec la nature. La pauvreté a commencé en Eden à cause de la désobéissance du premier couple. Aucun être humain n’a jamais été aussi pauvre qu’Adam et Eve en Eden après la chute. Ils n’avaient rien. Leur dénuement physique reflète leur condition spirituelle; la menace de la mort pèse sur eux. Leur crainte et leur sentiment de culpabilité témoignent, de façon dramatique, de leur état de dénuement spirituel. Au début du récit biblique, la pauvreté qui résulte de la séparation d’avec Dieu est donc étroitement liée à la notion des conséquences de la rupture de l’alliance entre Dieu et la création.
III. La double réalité de la pauvreté
Face à la pauvreté, Dieu propose à l’homme une attitude: il lui ordonne de travailler (Gn 3.14, 17) pour faire face à sa pauvreté matérielle. «Adam, dit Calvin, déjà plus que malheureux à cause du souvenir de son bonheur perdu, a beaucoup de difficulté à vivre pauvrement en travaillant tant qu’il peut.»10 C’est une manifestation de compassion de la part de Dieu; mais c’est uniquement en obéissant à Dieu et en le reconnaissant comme Seigneur que l’homme peut sortir de la véritable pauvreté. Le travail tout seul ne supprime pas la séparation spirituelle. Dieu seul peut accomplir l’œuvre du salut pour l’homme. C’est ainsi que Christ est venu pauvre et méprisé, et qu’il a fait sienne la condition matérielle et spirituelle de l’homme déchu afin d’accomplir l’œuvre du salut: «Christ s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis.» (2Co 8.9) Par son obéissance active à la Loi de Dieu, Christ a montré que, dans l’alliance, la louange envers Dieu et le service selon la Loi constituent la réponse normale de l’homme. La pauvreté matérielle s’en trouve guérie.
Dans la Bible, les liens entre la pauvreté spirituelle et la pauvreté matérielle, bien que très complexes, sont réels11; c’est pourquoi les problèmes de la pauvreté et de la paix n’ont pas de solutions purement matérielles12. Or, nous avons tendance à penser à la pauvreté et à la richesse en termes uniquement matériels. C’est ainsi que certaines idéologies modernes en arrivent à louer «le noble pauvre» et à culpabiliser les riches. Ce type de pensée est plus «rousseauiste» que biblique. Les pauvres, selon l’Ecriture, ne sont pas ceux qui sont démunis seulement de biens matériels, mais tous ceux qui, dans cette condition ou non, espèrent en Dieu (Ex 22.21, 25; Pr 19.17; Lc 4.18). Dieu se soucie des pauvres et les sauve; il s’identifie à eux dans leurs besoins. Les riches, eux, ne sont pas stigmatisés en tant que tels, mais seulement dans la mesure où leur richesse les isole et cause la rupture de leurs relations avec Dieu et avec leur prochain. De façon paradoxale, la richesse matérielle peut être une forme de pauvreté, si la richesse conduit à l’égoïsme, l’oppression de l’autre et à l’appauvrissement spirituel de l’homme. Dans l’Ancien Testament, la littérature sapientiale et les prophètes expriment la colère de Dieu contre ces riches-là.
Dans l’alliance, là où le rapport entre Dieu et l’homme est renouvelé, Dieu donne sa Loi pour le bien de sa créature dans la création. Dieu indique également des solutions à la pauvreté. En ce qui la concerne, la pratique de la justice selon la Loi divine comporte l’obéissance à l’ordre de Dieu de travailler et d’utiliser les fruits du travail pour son service. Nous ne recevons pas nos biens pour nous-mêmes. Ils sont pour le service de Dieu et le service des autres. D’ailleurs, ils ne nous appartiennent pas, mais à Dieu.
Le chrétien est appelé à une reconnaissance de sa responsabilité envers les pauvres et, à l’image du Christ, à sa solidarité avec eux. Ceci s’applique, en premier lieu, aux autres membres du peuple de l’alliance, mais pas exclusivement (Mt 5.45; Ac 2.45; Ga 2.9-10, 6.10). Cette responsabilité doit être assumée avec discernement. La Bible, en particulier dans les Proverbes, distingue entre les pauvres par choix et les pauvres par malheur ou par injustice (2 Th 3.6, 15). La lutte contre l’injustice et la satisfaction des besoins des pauvres sont deux aspects de l’engagement pour Christ. L’apôtre Jean affirme même que notre attitude envers ceux qui sont dans le besoin est un signe de l’authenticité de notre amour pour Christ:
«A ceci nous avons connu l’amour: c’est qu’il a donné sa vie pour nous. Nous aussi nous devons donner notre vie pour les frères. Si quelqu’un possède les biens du monde, qu’il voit son frère dans le besoin et qu’il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurera-t-il en lui?» (1Jn 3.16-17)
Paul, en 2 Corinthiens 8 et 9, dit que l’action caritative est le fruit de la justice du cœur et constitue une incitation pour d’autres à reconnaître la grâce de Dieu (2Co 9.10; Jc 5.16).
IV. Une occasion pour les évangéliques
Les théologies du siècle dernier qui se sont préoccupées des questions sociales ont été fortement influencées par l’humanisme («L’Evangile social»13) ou par le marxisme (théologies de la libération). Elles ont eu un caractère «horizontaliste». La faille de cette approche consiste à ne considérer que sous un seul angle les problèmes de l’injustice, de la pauvreté et des luttes qui en résultent. Ce genre de théologie a peu de place pour le péché14. Les injustices sont analysées à la lumière des problèmes structurels et externes et considérées comme imputables à l’action politique, sociale ou économique des hommes. Il en est ainsi pour l’inégalité entre le Nord et le Sud, l’impérialisme, les excès du marché libre, l’héritage culturel. Aussi, les solutions recherchées sont-elles de la même nature: interventionnisme pour réduire des inégalités, redistribution des biens et, éventuellement, établissement d’un marché mondial contrôlé. En fait, ces explications ne sont que partielles et les résultats ne peuvent qu’être décevants, car la pauvreté a une dimension spirituelle profonde qui, seule, permet de mettre en évidence les mécanismes fondamentaux des injustices.
Les évangéliques devraient proposer des analyses approfondies du problème de la pauvreté et être capables d’en montrer les deux aspects, spirituel et matériel. La structure de l’alliance fait apparaître, en effet, que par la puissance de sa présence en Eden, dans sa Loi et en Christ, Dieu se soucie de ses créatures avec compassion et indique que recevoir l’instruction divine est la seule manière de réduire la pauvreté. Il y a là un problème éthique dont la solution dépend de l’attitude de l’homme face à la Parole divine. Dieu accorde ou retire ses bénédictions selon la réponse de l’homme; l’alliance garantit une espérance, une eschatologie de survie, à l’humanité. Les problèmes de la pauvreté et des abus de la richesse trouveront une véritable et durable réponse dans l’écoute de l’enseignement divin et dans l’obéissance au sein de situations de détresse humaine, en attendant la vraie solution, dans l’avenir, celle du royaume de Dieu.
L’Eglise chrétienne se trouve en situation unique face à la réalité de la pauvreté, car elle peut reconnaître ses deux causes, spirituelle et matérielle. Elle est appelée à répondre aux deux besoins, d’une part, par sa Parole qui libère et par l’instruction de la vérité, et, d’autre part, par ses actes qui soulagent sur le plan de la souffrance matérielle15. Ceci produira un réalisme marqué de vraie compassion et d’espérance.
V. La libération du royaume
La vraie libération, et donc la vraie espérance de l’homme et de la création, est la libération du péché (Romains 8.18-25). Elle est d’abord spirituelle et concerne toute la vie et toute la réalité matérielle. Elle est le résultat de l’œuvre de Christ qui, par son obéissance incarnée, a accompli la justice selon Dieu (Lc 4.14, 21). En dehors de Christ, l’homme ne peut pas espérer de justice. Pourtant, dans le temps présent du «déjà et pas encore», le règne de justice de Christ se manifeste partiellement; il ne sera établi définitivement que lors de sa parousie.
Dans le temps de l’Evangile, la justice est la manifestation du règne de Christ sur les nations. Elle est plus effective si les hommes et les femmes mettent en pratique la Loi de Dieu. Ils pourront y arriver s’ils écoutent l’Evangile dont l’Eglise est la messagère. Dans le mandat missionnaire (Mt 28.20) donné à l’Eglise par Jésus, la nature de la relation entre Christ et son peuple se manifeste dans le service de Christ. Elle prend tout son sens à cause de l’expression «observez tout ce que je vous ai commandé». C’est là l’obéissance de l’alliance. Mais quel est le contenu de cette obéissance? Que commande le Christ? Les apôtres en connaissaient déjà la réponse, car elle leur a été donnée en Matthieu 22.37: «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée (…) et ton prochain comme toi-même.» Ceci exprime le caractère englobant de l’alliance. La nouvelle alliance trouve son accomplissement lorsque l’Eglise, fidèle à sa mission, initie les nations à obéir à Christ en suivant la Loi qu’il a donnée, l’amour du Seigneur et du prochain.
En tant que chrétiens, nous n’avons pas besoin d’un grand système d’idées pour savoir ce que pratiquer la justice veut dire; il suffit d’obéir concrètement à la volonté de Dieu. Dans la Bible, la justice va de pair avec le salut. Elle détruit l’esclavage du péché. Elle implique le sens de la miséricorde, de la compassion, de l’équité et de la responsabilité envers autrui. Elle commence par des balances justes et des poids justes, des rémunérations justes et la pratique de la réciprocité, et elle va jusqu’au don du superflu, de ce qui, comme le dit le Christ, excède les besoins vitaux.
Conclusion
La justice biblique correspond donc, dans un monde déchu, à une action temporaire propre à y limiter les effets du mal et, en conséquence, la pauvreté. Ce n’est pas parce qu’on pense qu’on peut y arriver que l’on va agir ainsi, mais parce que la Loi de Dieu nous exhorte à lutter contre le péché et le mal. Cette lutte est dure, car l’opposition rencontrée est forte; aussi l’obéissance à Dieu ne conduit-elle pas toujours, immédiatement, à des bénédictions terrestres, comme la richesse matérielle ou la paix. Il peut même arriver qu’en ce monde les justes souffrent et les méchants prospèrent, comme en témoignent les psalmistes qui, ne comprenant pas, crient à Dieu et interrogent: «Combien de temps (…)?» Pourtant, le juste a sa consolation, car il sait que cette situation ne durera pas toujours; il sait que Dieu est tout compassion et renverse les puissances, parfois dans le temps, parfois lors de son jugement final. Le dernier mot pour lui, dans la perspective du royaume de Dieu et sa justice transcendante, est donc espérance.
Mais pour que la compassion et l’espérance s’expriment de façon concrète, il faut que nos communautés et les chrétiens qui y sont engagés retrouvent des attitudes de sacrifice et de vocation allant à l’encontre des prétendus «évangiles de la prospérité»: dans ce monde, la prospérité conduit, en bien des cas, aux plaisirs et aux loisirs excessifs, qui sont incompatibles avec la vie sous la croix.
1 Sur la compassion et l’amour, voir mon article «Les différents visages de l’amour dans la Bible», in P. Wells, éd., Bible et sexualité (Cléon d’Andran/Aix-en-Provence: Excelsis/Kerygma, 2005).
2 J. Calvin, Institution chrétienne (IC), II, viii, 46 et 55.
3 Sur la Loi dans la vie chrétienne, voir l’excellent livre de W. Edgar, Les dix commandements (Cléon d’Andran/Aix-en-Provence: Excelsis/Kerygma, 2007).
4 La Loi est «la règle de bien vivre que Dieu nous a donnée et par laquelle il nous fait connaître ce qu’il demande et exige de nous comme un dû». Calvin, IC, II, ix, 4.
5 Augustin, La cité de Dieu, XIV, xii.
6 Calvin, IC, II, viii, 5.
7 Voir plus longuement J. Barrs et P. Wells, Quelle justice, quelle paix pour la société aujourd’hui? (Aix-en-Provence: Kerygma, 1988) et La Revue réformée, 39 (1988:5), 56-67.
8 Voir P.T. Bauer, Mirage égalitaire et tiers monde (Paris: PUF, 1984).
9 Malgré le grand nombre de personnes qui s’y intéressent toujours, à l’image du livre récent de Jeffrey D. Sachs, The End of Poverty (London: Penguin, 2005). Pour un point de vue opposé, voir P. Collier, The Bottom Billion: Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done About It? (Oxford: University Press, 2007); W.R. Easterly, Les pays pauvres sont-ils condamnés à le rester? (Paris: Ed. Organisation, 2006).
10 Calvin, IC, II, x, 10.
11 Sur la souffrance physique et son caractère aliénant, voir notre article «La souffrance physique a-t-elle un sens?», in La Revue réformée, 56 (2005:4), 32-47.
12 Cf. Edgar, Les dix commandements, 232-245.
13 Cf. S. Molla, «Social Gospel», in Encyclopédie du protestantisme, dir. P. Gisel (Paris/Genève: Cerf/Labor & Fides, 2006).
14 Voir le livre publié à l’occasion de la consultation du Conseil œcuménique des Eglises dans les années 1980 sur «Justice, paix et préservation de la création», par C.F. von Weizsäcker, Le temps presse (Paris: Cerf, 1987). Sur le péché, Weizsäcker dit: «La compréhension naïve moraliste du péché comme violation du commandement cache le contenu anthropologique de cette doctrine. Le péché profond est l’autojustification. Les êtres humains qui en font l’expérience sont ceux qui ont faim et soif de justice. Ils seront rassasiés. C’est ce dont parle Paul sous le nom de justification par la foi.»
15 Sur cette complémentarité, voir notre article «Comment témoigner? Par la parole ou par les actes?», in La Revue réformée, 45 (1994:5), 77-90.