Une triste histoire de compromission

Une triste histoire de compromission

A l’heure du bilan, au début du IIIe millénaire, l’héritage socio-économique du christianisme n’est pas brillant.

L’Eglise a toujours tenu un même langage – celui de la justice, de la fraternité et de l’amour – sans nécessairement agir en conséquence. Le dire sans le faire, dans de trop nombreux cas, a réduit l’impact rénovateur de l’Evangile. Le christianisme a perdu de sa crédibilité, mais aussi de son efficacité comme mouvement historique.

Difficile d’agir en ce monde alors que l’on appartient, en principe, à l’autre. Christ nous en a avertis: « Mon Royaume n’est pas de ce monde. » Si son Royaume l’était, ses serviteurs pourraient prendre l’épée ou être des hommes d’affaires!

Le domaine socio-économique est celui de la création. Mais la vocation de l’Eglise est prioritairement de se préoccuper de la nouvelle création, insérée déjà dans l’histoire. Dans leurs actions, souvent bien intentionnées, les chrétiens et les Eglises en sont parfois arrivés à confondre « refaire le monde » et « le monde nouveau » que seul le Christ fera paraître.

Comme J.-Y. Naudet l’exprime, dans la conclusion de son article, les chrétiens, l’Eglise, ont souvent confondu les moyens et la finalité, le technique et les principes. C’est ainsi qu’il arrive que les domaines du matériel, du spectaculaire et du pouvoir éclipsent, dans les préoccupations, la vocation et la vie de l’Eglise, la vision de Dieu et de son Royaume.

A cause de cette tentation et lorsque l’Eglise, par conséquent, s’est sentie à l’aise dans ce monde, les compromissions néfastes sont apparues avec pour effet de réduire la radicalité du message chrétien et de ramener le ROYAUME au niveau de ceux de ce monde. Quand l’Eglise inverse l’ordre de ses priorités, elle en souffre dans sa vocation et le monde souffre de l’affaiblissement, de l’absence d’un témoignage prophétique.

Les échecs de ce « mondisme » qui s’est insinué dans le comportement de l’Eglise chrétienne s’accumulent dans la casse de l’histoire. En effet, le christianisme a toujours perdu en jouant au casino de la puissance politico-économique. Les dérapages de la chrétienté sur fond économique sont connus de tous:

– le développement d’une hiérarchie de puissance dans l’Eglise;

– les effets néfastes de l’économie « spirituelle » monastique, à part;

– les luttes de puissance entre Rome et Constantinople, entre papes et rois;

– le fait que le Vatican soit un Etat parmi les autres, que le pape prétende être roi des rois et que l’Eglise de Rome soit devenue un des propriétaires les plus riches du monde;

– les agressions que constituent les croisades, les conversions forcées, l’Inquisition, le pouvoir colonial, toutes bénies par les Eglises;

– le refus d’écouter les appels de Jan Hus, de Pierre Valdo, des réformateurs spirituels, l’intolérance contre les puritains ou à l’égard de scientifiques comme Galilée;

– le scandale de la traite des esclaves dans une civilisation dite chrétienne, les injustices perpétrées contre des populations autochtones « païennes » pour des gains matériels;

– l’exploitation, lors de l’industrialisation, des femmes et des enfants par des patrons nominalement chrétiens;

– la « mésalliance » entre l’Eglise et le capitalisme (l’époque victorienne, de progrès, qui s’est soldée, sur le Vieux-Continent chrétien, par deux guerres mondiales), ou entre l’Eglise et le marxisme (le COE entre 1960 et 1990).

Bref, il semble que, dès lors que l’Eglise s’est préoccupée du mandat culturel en ce monde, la tentation de la puissance a obscurci la finalité de sa mission évangélique et les conséquences en ont été lourdes. Faisons-nous mieux, aujourd’hui, face aux tentations et aux problèmes de notre temps? Agissons-nous mieux que nos prédécesseurs? La faiblesse de notre réflexion concrète risque de nous inciter à désespérer. Que pouvons-nous faire?

L’heure est, sans doute, à l’humilité et à la modestie. Du moins, la nature du problème nous apparaît de façon claire. Si, par le passé, l’Eglise a trop souvent échoué à cause de sa mondanité, à cause de ses jeux de puissance économico-politique, la réaction inverse – celle de se retirer du monde dans un cocon de spiritualité détachée de l’actualité – constitue un danger aussi grand. La vocation de l’Eglise et des chrétiens ne consiste pas à imaginer qu’ils sont déjà dans le Royaume. Notre tâche est plutôt de nous interroger et de chercher à vivre, de façon créatrice et novatrice, la tension qui existe, pour l’Eglise-institution et ses membres, entre faire partie du Corps du Christ, appartenir au Royaume, et accomplir la tâche que Dieu a confiée à ses créatures dans l’univers. Pour nous guider dans cette entreprise, chose trop souvent oubliée, Dieu nous a donné sa Loi afin que nous sachions vivre une vie nouvelle dans une création ancienne.

La Loi et l’Evangile demeurent, avec la puissance d’une parole « autre », une « alternative » aux évidences de ce monde. La foi en Christ change des vies et l’obéissance à sa Parole transforme des attitudes sur les plans économique, social et politique. Eventuellement, cette Parole est une force de régénération des cultures. Le message de la Loi et de l’Evangile libère de l’esclavage du monde et de ses formes de puissance. Il aide à attendre avec espérance l’autre monde où règne la justice et la paix, la réconciliation. Cette espérance a le pouvoir de tout transformer dans la vie présente, y compris la relation à l’argent.

Paul WELLS*

* P. Wells est professeur de théologie systématique à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.

 

Les cassettes audio du carrefour « Argent sur table »

sont disponibles

auprès de Studio 2, Radio Evangile, BP 1, F-26100 Romans

Conférences

Michel Johner « Le chrétien à l’épreuve de l’argent »

Pierre Berthoud « Pauvreté et richesse dans la Bible »

Harold O.J. Brown « 1. L’originalité et l’actualité de la pensée économique de J. Calvin »

« 2. Politique et économie: perspectives chrétiennes »

Frédéric de Coninck « Libéralisme et mondialisation, chances et risques »

Jean-Yves Naudet « Des fondements religieux à l’éthique en entreprise »

Ateliers

1. Frédéric de Coninck « Justice et abondance; une expérience professionnelle personnelle »

2. Marie de Védrines « De la possession à l’offrande: que faire de mon argent? »

3. David Sauter « L’humanitaire et l’amour du prochain: quel humanitaire aujourd’hui? »

 

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