Le combat pour le progrès de l’Évangile au cœur de la mission paulinienne

Le combat pour le progrès de l’Évangile au cœur de la mission paulinienne

Gordon CAMPBELL*

Introduction

Sans le thème missionnaire, le Nouveau Testament serait incompréhensible. Car très simplement, conformément aux attentes de l’ancienne Alliance et même, les dépassant, Dieu a envoyé son Fils. Et cet envoi en a provoqué un autre, celui des témoins du Fils. Dans ces deux envois, nous avons la raison d’être à la fois du Nouveau Testament et de l’Eglise de Jésus-Christ. Etre chrétien, aujourd’hui comme hier, c’est partir en mission pour témoigner du Christ, en paroles et en actes, auprès des femmes, des hommes et des enfants de notre temps. Lire le Nouveau Testament sans vouloir reconnaître qu’il est, au fond, le récit de ces deux missions ou envois, ce serait se tromper de lecture.

D’où, déjà, la justification du titre de cet exposé. Celui-ci n’est pas compliqué. Faisant le choix de la mission chrétienne telle que Paul l’a vécue, ce titre nous invite, en effet, à découvrir quelque chose qui se trouve au cœur même de ce ministère apostolique de Paul. Cette chose, cette conviction, c’est que l’activité missionnaire de Paul et de ses associés s’explique, au fond, comme la poursuite d’un objectif précis: celui de faire progresser l’annonce de l’Evangile, ce qui, pour Paul comme ses collaborateurs, implique une lutte constante.

Rien de controversé, ni de très original. Vous qui lisez le Nouveau Testament, et qui connaissez les lettres de Paul et les Actes des Apôtres, vous vous dites spontanément qu’annoncer l’Evangile toujours plus loin est bien le souci premier de Paul et que, d’après ce qu’il dit ou ce que Luc dit de lui, cette visée ne se réalise qu’à travers un véritable combat. Peut-être même pensez-vous à ces paroles de Paul aux Corinthiens qui corroborent et résument ce que nous recherchons:

Nous sommes pressés de toute manière, mais non écrasés; désemparés, mais non désespérés; persécutés, mais non abandonnés; abattus, mais non perdus; nous portons toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans notre chair mortelle. (2 Co 4:8-10 )

I. Les « trois Paul »

Comment allons-nous étudier la mission paulinienne? Faut-il parcourir les lettres de Paul, ramassant au passage, dans ces écrits de circonstance, des morceaux à recoller qui nous permettraient, peut-être, de restituer sa mission telle qu’elle s’est déroulée? Mais à la lecture des seules lettres, il est impossible de replacer les évangélisations, les implantations d’Eglise, les visites renouvelées, les circonstances appelant tôt ou tard une correspondance écrite, dans une chronologie fixe, complète et unanimement acceptée: les indications biographiques des lettres, mêmes toutes rassemblées, ne représentent qu’un apport bien maigre et un puzzle où il manque des pièces essentielles. Par conséquent, les lettres ne suffisent pas, à elles seules, pour reconstituer, étape par étape, le développement de la mission évangélique de Paul et de ses compagnons. Pourtant, sans ce travail préalable, comment, par la suite, répondre à la question: le souci du progrès de l’Evangile est-il, ou non, central pour Paul et sa mission?

Comment contourner ce premier obstacle? Faut-il, plutôt, se laisser guider par les Actes des Apôtres, qui racontent les hauts et les bas de la vie de Paul entre son entrée, aveugle, à Damas et son arrivée, enchaîné, à Rome? L’harmonisation des détails concernant Paul dans le récit de Luc avec les données des lettres de Paul s’avère être un vrai casse-tête. Paul-selon-Paul et Paul-selon-Luc se ressemblent, certes, sur bien des points. Mais la confrontation de ces deux banques de données, si elle offre des réponses à certaines questions, en soulève maintes autres, qui restent sans réponses suffisantes.

Ni Paul ni Luc, d’ailleurs, n’en sont vraiment responsables. Paul n’écrivait pas ses lettres afin que des chrétiens de notre temps puissent faire la chronique de sa vie, de son temps et de ses activités; d’autres que lui, des années après, ont rassemblé ses lettres éparses dans la collection que nous avons. Luc n’écrivait pas non plus avec le dessein de tout nous dire sur vingt-cinq ans d’action apostolique autour de la Méditerranée. Lorsqu’on combine les indices des lettres et des Actes, on met en place des pièces manquantes du puzzle de la mission paulinienne, mais ce faisant, on constate que le puzzle est devenu plus grand qu’on ne pensait.

Se faire une idée précise du déroulement de la mission paulinienne et des stratégies qui lui ont donné sa forme est une tâche difficile. De plus, nous ne sommes pas les seuls à essayer de la réaliser. La réflexion théologique est, en effet, une entreprise publique; et nous avons des partenaires théologiens, lecteurs du Nouveau Testament comme nous, qui compliquent notre recherche par l’addition de deux facteurs:

– D’abord, à propos des treize épîtres de Paul: dans l’état actuel de la recherche, six ou sept seulement des treize lettres, aux yeux de beaucoup de spécialistes, seraient véritablement de la main de l’apôtre; les autres, pour tout un ensemble de raisons, représenteraient, certes, la mémoire authentique de son enseignement, ou même l’écho de lettres lues et relues, mais avec des évolutions dans la pensée dues à l’écoulement du temps et aux changements des circonstances, en gros dans la génération qui suit la mort de Paul. On est convaincu ou non du bien-fondé des diverses objections faites à la paternité paulinienne, par exemple, de Tite ou d’Ephésiens. Ce ne sont là que des solutions proposées, parmi d’autres, à certains des problèmes que posent les textes concernés, lorsqu’on les examine de près. Il convient de tenir compte de ces thèses couramment avancées; il ne s’agit pas forcément d’arguments farfelus, avancés pour miner l’Eglise ou disqualifier son message. Si telle explication est mauvaise, il faut simplement en proposer une meilleure, qui résout mieux le problème.

– L’autre difficulté concerne les Actes des Apôtres et, en un mot, la fiabilité du portrait de Paul qu’on y trouve. Depuis longtemps, en effet, le récit de l’auteur des Actes est considéré comme inadmissible pour la recherche historique du vrai Paul. Ce jugement est la conclusion couramment tirée de la lecture des Actes et de la confrontation des deux sources: lettres et Actes. L’auteur des Actes n’aurait pas personnellement connu Paul ou son activité missionnaire mais aurait décidé, trente ou quarante ans après, d’en faire le récit. Son œuvre serait moins une histoire qu’un roman historique; autrement dit, le principe qui guide Luc serait moins la vérité que la vraisemblance. Et, dans l’Eglise où évolue Luc, on verrait Paul d’un œil trop bienveillant. Ce bilan pessimiste a de plus en plus de détracteurs aujourd’hui, car les recherches récentes ne le soutiennent pas, mais son influence reste très grande; aussi ne peut-on pas l’ignorer.

En résumé, quatre obstacles se dressent sur notre chemin:

– nos connaissances du vrai Paul et de sa vraie mission apostolique se trouvent assez limitées;

– pour mieux connaître l’apôtre, il ne suffit pas d’ajouter Paul-selon-Luc à Paul-selon-Paul;

– certaines lettres de Paul auraient été écrites par d’autres que lui;

– Paul-selon-Luc pourrait être, aux yeux de plus d’un, un portrait tardif et assez partisan de l’apôtre.

Autrement dit, trois Paul au moins seraient à rencontrer dans les pages du Nouveau Testament:

– celui qui écrit quelques lettres (nous l’avons appelé Paul-d’après-Paul);

– celui au nom de qui on écrit des lettres de style paulinien (appelons-le Paul-après-Paul);

– celui qui est le héros honoré des Actes (nous l’avons appelé Paul-selon-Luc).

N’oublions pas, en passant, l’existence d’un quatrième Paul! Celui de 2 Pierre 3:15, 16, où sont mentionnés les passages difficiles de ses lettres, dont les personnes ignorantes et sans formation tordent le sens!

II. Quelle stratégie adopter pour traiter le sujet?

Pour que notre recherche sur la mission de Paul avance et aboutisse, je vous propose une stratégie simple pour franchir les obstacles.

Notre investigation porte sur le combat pour le progrès de l’Evangile qui serait (c’est mon hypothèse) au cœur de la mission paulinienne. Notre stratégie consistera à voir si ce combat existe chez chacun des Paul évoqués: Paul-d’après-Paul, Paul-après-Paul et Paul-selon-Luc. Ce combat apparaît-il comme une trajectoire traversant incontestablement toute la tradition paulinienne? Si oui, cela nous permettra d’y reconnaître quelque chose de central et de capital pour la mission de l’apôtre et de ses collaborateurs.

En clair, il faudra trouver, dans une lettre incontestée de Paul, le souci clairement formulé de l’avancement de la Bonne Nouvelle et l’évocation d’un combat à livrer. Il conviendra, ensuite, que cela apparaisse encore dans une lettre qui porte son nom mais qui serait, pour de nombreux spécialistes de la question, de la main d’un disciple. Enfin, il faudra que le récit de Luc fasse valoir, chez son Paul, ce même souci et, si possible, dans un pareil contexte de difficultés, d’obstacles et de lutte.

III. Paul, Timothée et l’Eglise de Philippes

Je vous propose, maintenant, de confronter trois textes qui remplissent ces conditions:

– La lettre de Paul que nous examinons est celle qu’il a adressée aux Philippiens . Elle est incontestablement de la main de l’apôtre et l’Eglise de Philippes est probablement celle, parmi toutes les Eglises qu’il a fondées, à laquelle il est le plus intimement lié.

– L’épisode des Actes des Apôtres est celui qui raconte l’arrivée des missionnaires Paul, Silas et Timothée à Philippes (Ac 16), premier récit des Actes où l’auteur raconte les événements à la première personne, « nous », c’est-à-dire des événements auxquels lui-même, Luc, a participé (si ce n’est pas, selon l’hypothèse d’un récit tardif, le témoignage oculaire d’une source que l’auteur incorpore à son œuvre).

– La deuxième lettre de Paul (qui, pour beaucoup, serait d’une autre main) est la première épître à Timothée ; je la choisis parce que – nous l’oublions trop souvent – la lettre aux Philippiens est de « Paul et Timothée », celui-ci ayant été probablement le plus proche collaborateur de l’apôtre. Timothée est associé à Paul dans d’autres lettres encore: 2 Corinthiens, Colossiens, 1 et 2 Thessaloniciens (avec Silvain) et Philémon.

Puisqu’il s’agit de vérifier que le combat pour le progrès de l’Evangile est un véritable lien entre les différents Paul du Nouveau Testament, nous laisserons de côté les nombreuses autres références, dans les lettres incontestées de Paul comme dans les autres, à la lutte (au pugilat, au combat), à l’armure, au vainqueur et à la victoire, à la course et aux exercices sportifs. Tout cela appartient, aussi, à notre sujet. Mais, pour le moment, limitons-nous à une Eglise – celle de Philippes, en Macédoine – et à deux membres de l’équipe missionnaire qui y a apporté la Bonne Nouvelle, Paul et son lieutenant, Timothée.

A) La lettre aux Philippiens

Le mot « progrès » (prokope) , mot assez rare dans le Nouveau Testament (neuf fois), ne se trouve que chez Luc (une fois en Lc 2:52) et chez Paul (huit fois: quatre dans ses lettres incontestées 1 ; et quatre fois dans les lettres contestées, les deux adressées à Timothée justement 2 ). Aux Philippiens, Paul parle de leur « progrès et joie dans la foi » (1:25), après avoir employé l’expression « le progrès de l’Evangile » (1:12), qu’il semble avoir inventée pour l’occasion.

Ce « progrès de l’Evangile » a un caractère paradoxal, car Paul, prisonnier, n’avance plus. Au moment d’écrire, il est captif et privé de son libre mouvement d’évangéliste infatigable. En considérant ses chaînes, on pourrait conclure que Paul est hors de combat, que son élan missionnaire est stoppé, frustré, et que la Bonne Nouvelle ne se répand plus. Loin de là! Paul dit en insistant que les choses progressent tout de même: d’une part, parce que « dans le prétoire et partout ailleurs il est devenu manifeste que c’est pour le Christ que je suis dans les chaînes » (1:13); et, d’autre part, puisque les chrétiens du lieu (qui pourrait être Ephèse ou Rome) redoublent d’audace devant ce témoignage en milieu païen et « annoncent sans crainte la parole de Dieu » (1:14).

C’est cet aspect paradoxal du progrès de l’Evangile, malgré les reculs apparents, qui le relie, dans cette lettre, au thème important du combat évangélique et apostolique. Certains frères profitent des chaînes de Paul et annoncent le Christ par « rivalité » (1:17), ce qui est une tribulation pour l’apôtre. Quant à son combat à lui, il peut approcher de son terme: Paul se demande s’il sera condamné et mourra pour gagner le Christ, ou s’il survivra pour continuer à œuvrer pour le progrès des Eglises (1:25). Choisissant l’option de rester et de poursuivre, il appelle les Philippiens à être fermes et à combattre « d’une seule âme pour la foi de l’Evangile », sans être intimidés par leurs adversaires, comme à être prêts à souffrir pour le Christ « en soutenant le même combat que vous m’avez vu livrer et que… je livre encore » (1:27-30).

Lorsque Paul parle d’Epaphrodite, messager et contact entre l’apôtre et l’Eglise, il l’évoque comme un « compagnon d’œuvre et de combat » (2:25, 30) qui a exposé sa vie pour la cause de l’Evangile. Et Paul d’exhorter, par la suite, les Philippiens: « Au point où nous sommes parvenus, avançons ensemble. » (3:16) Pour ce faire, en allant de l’avant, il leur faudra, dit-il, marcher « selon le modèle que vous avez en nous » (3:17). Un petit mot, enfin, aux deux femmes, Evodie et Syntyche, les encourage à se mettre d’accord, et reconnaît que ce sont là deux chrétiennes « qui ont combattu avec moi pour l’Evangile » (4:3). Nous pouvons terminer ce parcours de l’épître en récitant la parole célèbre du militant missionnaire que vous connaissez et qui résume tout: « Je puis tout par celui qui me fortifie. » (4:13)

Si la mort qui le menace et le souci de l’Eglise qu’il porte justifient la place faite par Paul, dans cette lettre, à la lutte pour l’avancement de la Bonne Nouvelle, ils ne l’expliquent pas tout à fait. Il y a, aussi, tout un vécu commun en toile de fond. Si Paul informe les chrétiens de Philippes de son engagement actuel, c’est aussi parce qu’ils y sont particulièrement sensibles. Cela, non pas seulement parce que leur Eglise est la seule, comme il dit, dont la participation avec lui à l’annonce de l’Evangile a été active (4:15, 16). Il y a, en plus, comme une connivence qui transparaît ici et qui demande à être expliquée.

B) Les Actes de Apôtres

Le chapitre 16 du récit des Actes va nous aider à avancer. Car, dans les débuts de l’Eglise de Philippes, tels que Luc les relate, se trouve évoqué ce qui ne l’est pas dans la lettre, parce qu’allant de soi. Empêchée de poursuivre en Asie, l’équipe missionnaire a obéi à une vision de Paul et traversé la mer Egée pour arriver en Macédoine. Précisons, au passage, que c’est là une étape nouvelle, une station plus loin, dans l’aventure que Luc veut décrire et qui fait voyager l’Evangile de Jérusalem à Rome. Parmi les objectifs qu’il fixe dans son ouvrage, il y a certainement

celui de montrer comment, en l’occurrence avec Paul et son équipe, la Parole se répand efficacement, trouve un auditoire de plus en plus étendu dans l’espace méditerranéen et fait de nouveaux disciples comme, par cette multiplication, une Eglise qui croît 3 . Dans ce chapitre 16, les références à la Parole annoncée et reçue sont particulièrement nombreuses 4 .

A Philippes, trois occasions de prédication apostolique sont relatées: la première, faite aux femmes d’un lieu de prière, comprend l’écoute de (et la réponse à) la parole de Lydie, marchande de pourpre; et la troisième aboutit à la conversion, au milieu de la nuit, du geôlier et à son adjonction, avec sa maisonnée, au nombre des croyants. Mais entre ces deux partages du message évangélique, il y a une parole d’exorcisme qui, au nom de Jésus, libère la pythonisse et provoque l’arrestation de Paul et Silas. Au cœur de la mission paulinienne à Philippes, il y a un fracas, un procès et une incarcération. A l’origine de cette communauté de Philippes, dont Luc ne raconte que la fondation, il y a eu des épreuves surmontées et un combat gagné, pour la cause de la Parole.

C’est cette Eglise-là qui, pendant des années, se battra comme un seul homme pour la même cause de l’Evangile et recevra de Paul une lettre, écrite encore d’une prison. L’avance de l’Evangile, en contournant les obstacles qui se présentent, caractérise ainsi, dès ce début, la compréhension qu’aura l’Eglise de Philippes de la vocation et de la mission de son apôtre, comme de la vie chrétienne tout court. Lorsque Paul s’entretient avec les Philippiens sur le combat de la foi, c’est parce qu’ils sont, de toute évidence, bien placés pour comprendre de quoi il s’agit.

Parlons de Timothée maintenant. Selon Luc 5 , ce dernier a été recruté par Paul à Lystre en Asie, pour devenir coéquipier apostolique juste avant l’épisode de Philippes. Au dire de Paul 6 , Timothée « s’est consacré avec moi au service de l’Evangile », comme les Philippiens le savent bien et peuvent l’attester. Timothée est, comme l’exprime Paul aux Thessaloniciens, un « ouvrier avec Dieu pour l’Evangile du Christ » 7 , un collaborateur qui, avec le temps, deviendra, selon Luc encore, « l’auxiliaire » 8 de Paul. Celui-ci confiera à Timothée la charge de plus d’une communauté.

C) La première épître à Timothée

Que trouvons-nous, enfin, dans la première épître à Timothée? Dans cette lettre, il y a plusieurs passages où Paul fait un certain nombre de recommandations à Timothée, détails que ceux qui voient un autre que Paul comme auteur de l’ensemble de la lettre admettent, parfois, comme étant des extraits authentiques de lettres disparues. Parmi ces injonctions à Timothée, certaines paroles nous intéressent: Paul lui recommande de combattre le bon combat, « en gardant la foi et une bonne conscience » (1:18, 19); car si « nous travaillons et luttons » (4:10), ce sera un signe d’espérance en un Dieu vivant; et puis, Paul exhorte Timothée à s’appliquer à son ministère « afin que tes progrès soient évidents pour tous » (4:15). Et Paul de revenir une dernière fois sur le thème de la lutte: « Combats le bon combat de la foi, saisis la vie éternelle, à laquelle tu as été appelé. » (6:12)

L’examen de la deuxième épître à Timothée nous permettrait de confirmer ce que ces quelques énoncés suffisent déjà à montrer, à savoir que Paul, après une quinzaine d’années de collaboration avec Timothée, lui délègue des responsabilités tel un père à son fils 9 , qu’il l’exhorte, étant son lieutenant, à souffrir avec lui, si nécessaire, pour l’Evangile 10 . Ayant suivi son ministère de près, depuis ses débuts dans l’équipe à Philippes même, Timothée, comme les Philippiens, peut comprendre un appel aux armes de la foi.

Conclusion

Nous sommes au terme de notre petite recherche théologique: grâce à la trajectoire Paul, Timothée et l’Eglise de Philippes, qui traverse les lettres de Paul (authentiques et contestées), et au récit de Luc, nous avons pu situer le combat pour le progrès de l’Evangile au cœur même de la mission de Paul. Mais, si cette brève recherche est ainsi menée à bien, la réflexion ne fait que commencer. Car la question se pose maintenant de savoir quelle est l’utilité, quelle est l’importance, pour nous, de ce que nous avons trouvé. Pour nous, dont la mission est aussi, en France et dans le monde d’aujourd’hui, de travailler au progrès de l’Evangile parmi les femmes, les hommes et les enfants de notre temps.

Voici quelques remarques et questions.

Je commence par l’aspect paradoxal et contradictoire du « progrès » qui fait que, là où Paul est emprisonné, son témoignage doit trouver une expression nouvelle, et que le témoignage des chrétiens du lieu, s’inspirant de son exemple, devient plus audacieux. Ce progrès par le recul apparent me conduit à me demander: est-ce que la Parole avance à l’image de la croix? Est-ce à travers l’apparente défaite ou la faillite que la Bonne Nouvelle doit atteindre sa cible? Bref, est-ce que « progrès », spirituellement parlant, est synonyme non pas de « succès » mais plutôt de « lutte »?

Autre question: peut-il y avoir une marche en avant pour l’Evangile, en ce monde, sans qu’il y ait de combat préalable? Face à l’humanité déchue et à la création désordonnée, est-ce comme une loi spirituelle que la Parole, toujours, doit se heurter à une résistance – résistance qui, de la part des témoins de Jésus que nous voulons être, en appelle une autre?

Episode par épisode, Luc met en scène un Paul qui, avec ses compagnons d’armes, triomphe de nombreuses épreuves. Aux Corinthiens 11 , Paul lui-même fait tout un catalogue de souffrances deux fois plus long. Il semble que la vocation apostolique ait été testée, du moins pour Paul et ses associés, au crible de la souffrance. Qu’en conclure pour notre vocation missionnaire? Les dragons du roi et les galères existent-ils encore (sans doute, sous une autre forme, plus dissimulée) pour qui veut témoigner fidèlement de Jésus-Christ?

A Timothée, Paul parle comme à un résistant. Si Paul porte le fardeau quotidien du souci des Eglises 12 , il n’y a que Timothée, dit Paul aux Philippiens 13 , pour partager vraiment cette sollicitude. A Timothée, donc, de combattre le bon combat de la foi 14 . Dans la mesure où chaque chrétien est appelé à poursuivre, à son niveau, l’action apostolique, que signifierait ce combat pour chacun de nous? Quelles armes porter? Quel entraînement subir? Dans quelle force puiser? Comment tenir bon, ne pas lâcher?

Mais, appelons un chat un chat! Nous parlons de combat. S’il nous arrive encore de chanter parfois « Debout, sainte cohorte », avouons que, dans une Europe où nous aimerions avoir définitivement tourné la page de la guerre, et dans un monde où la colonisation du bon vieux temps ne se fait plus, l’image guerrière d’un combat chrétien ne nous parle plus comme, mettons, avant 1960. On est tous pour la paix, même en Irlande! Seulement, aurions-nous en même temps perdu avec cette image militaire vétuste, le sens de notre vie chrétienne et, surtout, celui de notre envoi en mission? Selon le Nouveau Testament, n’avons-nous pas, en tant que témoins du Christ, une vie de résistants à mener et une lutte à livrer? Ou bien le combat ne concernerait-il plus que quelques irréductibles, des fanatiques ou des intégristes?

Et l’Eglise? Dans l’Eglise de Philippes, nous avons vu une communauté solidaire de Paul au point de participer activement à son combat pour le progrès de l’Evangile 15 . Quelles conséquences en tirer pour nos Eglises, nos paroisses, aujourd’hui? Que demandent, dans nos communautés, les exhortations de Philippiens 1:27, 28?

Demeurez fermes dans un même esprit, combattant d’une même âme pour la foi de l’Evangile, sans vous laisser aucunement intimider par les adversaires.

Sommes-nous unis par un même esprit et prêts à nous démener pour que se répande aujourd’hui, en France et en francophonie, la Parole concernant Jésus? Qui sont les adversaires qui nous font (ou nous feraient) taire le message? Quels obstacles, actuellement, nous font hésiter ou achopper? Plus fondamentalement, croyons-nous être, de nos jours, « engagés dans le même combat »? 16

Jésus parlant aux disciples et à la foule, comme Paul écrivant aux chrétiens,

exigent sans relâche qu’on mette en pratique ce que l’un dit et que l’autre écrit. Ainsi, la rencontre avec le Seigneur et avec son apôtre s’avère toujours, disons, contrariante. En un sens, le Nouveau Testament est inachevé; il lui manque sans cesse, en quelque sorte, la réponse souhaitée de la part de celui qui le lit, son lecteur.

Pour nous, répondre « oui » ou « présent » est difficile; et lorsque nous répondons tout de même « oui », restent au moins deux questions: que faire? Et, comment faire? Dans l’Eglise en France ou en Europe, de nos jours, en effet, il n’est pas aisé de discerner clairement la réponse aux questions: qu’est-ce que la mission, et comment la vivre? Pourtant, l’Evangile nous appelle à avoir un comportement, un mode de vie foncièrement missionnaires, à nous sentir envoyés comme des témoins auprès d’autrui. Aussi, si le découragement nous guette, encourageons-nous avec ce mot de Paul aux combattants de Philippes:

Mon Dieu pourvoira à tous vos besoins selon sa richesse, avec gloire, en Christ-Jésus 17 .


* G. Campbell est professeur de Nouveau Testament à la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence. Ce texte est une adaptation de la causerie qu’il a donnée le dimanche de rentrée de cette faculté, le 11 octobre 1998.

1 Ga 1:14; Rm 13:12; Ph1:12, 25.

2 1 Tm 4:15; 2 Tm 2:16; 3:9, 13.

3 Ac. 6:7; 12:24; 19:20.

4 Ac. 16:6, 10, 13, 14, 17, 21, 32.

5 Ac 16:1-3.

6 Ph 2:20.

7 1 Th 3:2.

8 Ac 19:20.

9 2 Tm 2:1.

10 Cf. 2 Tm 1:8.

11 2 Co 11:21-28.

12 2 Co 11:28.

13 Ph 2:20, 21.

14 1 Tm 1:18, 19; 6:12.

15 Ph 1:5.

16 Ph 1:30.

17 Ph 4:19.

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