RÉFORMER LE CULTE ÉVANGÉLIQUE AU XXIe SIÈCLE

RÉFORMER LE CULTE ÉVANGÉLIQUE
AU XXIe SIÈCLE


Pierre-Sovann CHAUNY
Professeur de théologie systématique
Faculté Jean Calvin, Aix-en-Provence


Il faut bien l’admettre, les cultes dans nos Eglises évangéliques françaises peuvent être très différents d’une assemblée à une autre. Et au sein d’une même Eglise locale, le style du culte peut considérablement varier d’un dimanche à l’autre lorsque les différentes personnes qui conduisent l’office bénéficient d’une certaine liberté. La diversité culturelle de nos Eglises est une très grande richesse et il est normal qu’elle soit aussi reflétée dans les présidences de culte. Mais cette diversité peut aussi engendrer des tensions au sein d’une même communauté. Par exemple, certains n’aiment que les prières d’intercession réfléchies et rédigées à l’avance, d’autres ne jurent que par le « moment de prières libres ». De même, certains aimeraient chanter plus de psaumes de la Réforme et de cantiques des temps héroïques, d’autres ne supportent que le rock chrétien. Ou encore, certains aiment réciter un psaume ou une prière de manière communautaire, d’autres trouvent que « ça fait catholique », voire « secte ». La personnalité et l’arrière-plan ecclésial de chacun joue certainement dans la manière qu’il a d’envisager le culte rendu à Dieu.

J’aimerais dans cet article préciser ma posture liturgique ainsi que la réflexion théologique qui la sous-tend. Pour ce faire, je rappellerai d’abord brièvement ce qui constitue à mes yeux la finalité du culte communautaire chrétien (I). J’exposerai ensuite plus longuement les principes qui, suivant ce que je vois dans la Bible, devraient orienter notre manière de concevoir et de vivre le culte (II). Je replacerai enfin la question dans un cadre plus vaste en soulignant les vertus qu’il nous faut avoir si nous souhaitons à la fois rendre notre culte plus conforme aux exigences divines tout en prenant soin de ne pas brusquer l’Eglise (III).

I. Les objectifs du culte communautaire

Le premier objectif du culte communautaire : glorifier Dieu

« Quel est le but principal de la vie de l’homme ? » Le Petit catéchisme de Westminster répond à cette question sans détour : « Le but principal de la vie de l’homme est de glorifier Dieu et de trouver en lui son bonheur éternel. » (Q. & R. 1) Deux éléments sont ici conjoints : d’une part que nous ne vivons pas d’abord pour nous-mêmes, mais pour faire de notre vie tout entière une expression de notre gratitude envers celui qui nous a créés et sauvés ; et d’autre part que c’est précisément en faisant de notre vie un hommage perpétuel à notre Créateur et Sauveur que nous trouverons le véritable bonheur.

Nous devrions garder à l’esprit ces deux vérités dans tous les domaines de notre vie et cela devrait influencer tout ce que nous faisons, de notre manière de boire notre jus d’orange à notre attitude sur notre lieu de travail, en passant par notre comportement en famille et avec nos amis : tout faire pour la gloire de Dieu et savoir que c’est ainsi que nous serons véritablement heureux.

Si cela est vrai pour nos activités quotidiennes et profanes, à combien plus forte raison devrions-nous appliquer ces vérités au culte que nous rendons à Dieu ! Dans notre culte personnel et familial bien sûr, mais aussi, et c’est ce qui m’intéresse dans cette étude, dans notre culte communautaire. N’est-ce pas là une belle devise pour nos cultes en Eglise : « glorifier Dieu et trouver en lui notre bonheur éternel » ?

La motivation première pour rendre un culte communautaire à Dieu est donc la même que celle qui doit prévaloir dans tous les domaines de la vie : rendre gloire à Dieu. En conséquence, l’activité principale de l’assemblée réunie est tournée vers le Dieu vivant et vrai, centrée sur lui. Il ne s’agit pas, par notre manière de célébrer le culte, de plaire aux hommes en offrant un sympathique spectacle au « public » ou en cherchant à attirer des personnes, notre « cible » marketing. Notre objectif, lorsque nous nous réunissons pour célébrer le jour du Seigneur, est avant tout de montrer « notre gratitude en rendant à Dieu un culte qui soit agréé de lui, avec piété et avec crainte » (Hé 12.28). Il s’agit donc de rendre un culte à Dieu d’une manière qui met en évidence que Dieu est au centre de notre vie communautaire.

Néanmoins, puisque cette motivation première pour rendre un culte à Dieu – le glorifier et trouver en lui notre bonheur éternel – est aussi celle qui doit diriger toute notre vie, il convient de distinguer ce qu’il est approprié de faire pour le glorifier en fonction des situations. Notre volonté de glorifier Dieu ne se concrétise en effet pas de la même manière lorsque nous prenons un repas en famille et lorsque nous animons une réunion au bureau, car la sphère familiale et la sphère professionnelle sont deux sphères distinctes qui sont régies par des lois qui leur sont propres.

De même, le culte que nous rendons à Dieu individuellement, en famille ou en Eglise ne suit pas exactement les mêmes lois puisque la manière dont nous exprimons la relation que nous avons avec Dieu doit correspondre à la sphère dans laquelle nous nous situons : sphère d’intériorité personnelle, sphère d’intimité familiale, sphère ecclésiale plus formelle. C’est en vertu de cette distinction entre les différentes sphères (souvent faite intuitivement) que certaines choses qui sont tout à fait appropriées dans le culte privé paraissent déplacées dans le cadre d’un culte communautaire. Il en est par exemple ainsi de certaines prières très personnelles qui ont leur place dans des réunions de prière en petits groupes – et bien sûr dans la prière faite seul devant Dieu – mais qui, si elles sont faites dans le cadre plus large d’un culte en Eglise le dimanche matin, peuvent devenir une sorte de grand déballage impudique absolument inapproprié. Certaines choses qui glorifient Dieu dans la sphère personnelle ou privée ne le glorifient plus lorsqu’elles sont faites dans le cadre public de la sphère communautaire ecclésiale.

La spécificité du culte communautaire rendu à Dieu au sein de la sphère ecclésiale est, précisément, que nous sommes rassemblés par lui et pour lui. Notre culte communautaire a donc non seulement une dimension verticale, car nous sommes là pour lui, mais aussi une dimension horizontale, car c’est les uns avec les autres que nous sommes là devant lui. Cette horizontalité implique que le culte offert à Dieu par ceux qui sont assemblés en son nom n’a pas la gloire de Dieu comme seul objectif : il s’agit aussi de s’édifier mutuellement.

Le second objectif du culte communautaire :
édifier les saints

L’Eglise rassemblée est le premier « lieu » où les chrétiens peuvent se comporter d’une manière digne de l’appel qu’ils ont reçu (Ep 4.1). Dans l’Eglise, Christ donne aux hommes (Ep 4.8) des ministres de sa Parole (Ep 4.11) afin de « former les saints pour l’œuvre du ministère, pour la construction du corps du Christ » (Ep 4.12). Il est dès lors naturel que la réunion principale de l’Eglise, son rassemblement pour rendre ensemble un culte à Dieu, ait pour finalité d’édifier les membres de l’assemblée.

Ce qui édifie l’Eglise (1Co 12.3-4), ce sont des paroles qui instruisent (1Co 12.19), des paroles qui disent les merveilles de Dieu et qui nous aident à méditer, à mieux comprendre et à mieux vivre la grâce de Dieu. C’est ce à quoi doivent aussi servir nos cultes communautaires.

Lors du culte communautaire, nous nous approchons, avec crainte et tremblement,

de la montagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste ; de dizaines de milliers d’anges ; de la réunion et de l’assemblée des premiers-nés inscrits dans les cieux ; de Dieu, juge de tous ; des esprits des justes portés à leur accomplissement ; de Jésus, le médiateur d’une alliance neuve ; et du sang de l’aspersion qui parle mieux que celui d’Abel. (Hé 12.22-24)

Aussi intimidante que soit cette vérité, c’est en même temps avec une pleine assurance que nous nous approchons en Christ du trône de la grâce. Nous croyons en même temps ce que la Parole de Dieu dit à propos de notre cœur humain corrompu et ce qu’elle dit à propos de l’accès que nous avons auprès de Dieu. Nous sommes à la fois plus mauvais que ce que nous aurions jamais pu penser et en même temps plus aimés que ce que nous aurions jamais osé imaginer ! C’est pourquoi, lorsque nous rencontrons le Sauveur dans cette perspective, nous avons conscience de nos manquements et ressentons cette faim et cette soif pour une justice qui nous fait tellement défaut. Mais nous sommes heureux, parce qu’en venant à lui nous savons que notre désir sera comblé. Le Sauveur satisfait cette faim et cette soif spirituelles en nous donnant le pain de sa Parole et l’eau de son Esprit. Pour cette raison, la prédication de la Parole appliquée au cœur des croyants par l’Esprit est le grand temps fort de l’édification des saints. L’administration des sacrements, le saint baptême et la sainte cène, a également une place de choix puisqu’ils signifient et scellent visiblement ce qui est prêché dans l’Evangile.

Mais c’est le culte tout entier, et non seulement ses temps forts, qui, en tant qu’il est de manière toute particulière rencontre avec le Dieu vivant et vrai, édifie, encourage et réconforte les saints en vue de l’accomplissement de leur vocation dans le monde. Ce deuxième objectif du culte communautaire d’édifier les saints pour qu’ils accomplissent leur vocation entretient une relation étroite avec le troisième objectif principal du culte qu’il reste à présenter – celui de la proclamation de l’Evangile.

Le troisième objectif du culte communautaire :
proclamer l’Evangile

La proclamation du règne du Christ est une bonne nouvelle pour ceux qui, rachetés par le Christ, croient en lui. La mission de l’Eglise consiste en ce que cette proclamation soit entendue jusqu’au bout du monde. Il s’ensuit qu’une partie de la vocation individuelle des chrétiens consiste à s’impliquer chacun à sa manière dans la mission de l’Eglise. Le culte communautaire est le premier lieu où, l’Evangile y étant normalement prêché, des cœurs incroyants peuvent être transpercés (cf. Ac 2.37) et que, « tombant face contre terre », des personnes qui ne croyaient pas encore puissent adorer Dieu « en déclarant : Dieu est réellement parmi vous ! » (1Co 14.25). La prédication de la folie de la croix doit bien sûr se faire hors des murs de l’église pour atteindre ceux qui n’entreraient jamais dans un lieu de culte, mais il va sans dire que les incroyants disposés à participer à nos rassemblements doivent pouvoir y entendre quelle sagesse et quelle puissance, folles aux yeux des hommes, Dieu utilise pour s’acquérir un peuple qui l’adore. Ce n’est pas seulement la prédication qui doit permettre de faire comprendre la folie de la croix : l’ensemble du culte peut être construit de manière réfléchie, dans l’élaboration de sa structure et de son contenu, d’une manière cohérente avec le message même de l’Evangile.

II. Les principes bibliques pour conduire
le culte communautaire

1. Le principe régulateur du culte communautaire

a. Parcours biblique

Ce premier principe, qui est l’application faite au culte communautaire que la Bible est la seule règle infaillible de notre foi et de notre pratique, est classiquement énoncé par la Confession de foi de Westminster (chap. 21, § 1) :

Le vrai Dieu lui-même a ordonné et fixé par sa propre volonté la façon de lui rendre un culte, de telle sorte qu’aucun culte ne peut lui être rendu selon l’imagination et les désirs des hommes, ou selon les suggestions de Satan, sous quelque représentation que ce soit, ou de quelque autre manière que ce soit non prescrite dans la Sainte Ecriture.

Dit plus simplement, ce qui doit se faire dans le culte « est expressément consigné dans l’Ecriture ou doit en être déduit comme une bonne et nécessaire conséquence ; rien, en aucun temps, ne peut y être ajouté, soit par de nouvelles révélations de l’Esprit, soit par les traditions humaines » (chap. 1, § 6, italiques ajoutés).

Ce principe était connu des Israélites. En Deutéronome 13.1, dans un contexte où il est question du culte rendu à Yahvé (Dt 12-13), voici ce qu’il ordonne à son peuple : « Tout ce que je vous ordonne, vous veillerez à le mettre en pratique. Tu n’y ajouteras rien et tu n’en retrancheras rien. » Il s’agit de mettre en pratique tout ce que Dieu a ordonné pour son culte. Il s’agit aussi de ne rien ajouter, de ne pas faire ce que Dieu n’a pas commandé. Cette erreur est celle que commirent Nadab et Abihou, fils d’Aaron : ils « prirent chacun une cassolette, y mirent du feu et placèrent de l’encens dessus ; ils présentèrent devant Yahvé un feu profane, qu’il ne leur avait pas ordonné. Alors un feu sortit de devant le Yahvé et les dévora : ils moururent devant le Yahvé. » (Lv 10.1-2) Il faut noter que le texte ne dit ni que ce châtiment terrible arriva parce que leur démarche manquait de sincérité, de bonnes intentions, ni même que c’est parce qu’ils avaient fait quelque chose d’explicitement interdit dans la Loi. Ils avaient seulement pris la liberté de faire ce qui n’avait pas été ordonné par Dieu. Ce texte confirme donc le commandement de Deutéronome 13.1 : ne pas faire dans le culte ce que Dieu n’a pas ordonné pour le culte que nous lui rendons.

Ce que Dieu n’a pas commandé est donc en fait interdit. Cette équivalence entre « pas commandé » et « interdit » se trouve d’ailleurs dans un texte du prophète Jérémie : « Ils ont bâti des hauts lieux, le topheth qui est dans la vallée du Fils de Hinnom, pour jeter au feu leurs fils et leurs filles, chose que je n’avais pas ordonnée et qui ne m’était pas venue au cœur. » (Jr 7.31) Faire passer ses fils par le feu était, cette fois-ci, explicitement interdit par la Loi de Dieu – mais parce que ce que Dieu n’ordonne pas est exactement équivalant à ce que Dieu interdit, Yahvé peut dire ici par l’entremise du prophète Jérémie que ce qu’il a interdit ailleurs est « une chose qu’il n’a pas ordonnée ».

Cependant, il pourrait être argumenté qu’avec l’accomplissement des lois cérémonielles dans le sacrifice de Jésus, ce principe régulateur du culte communautaire ne concerne pas le culte rendu à Dieu par l’Eglise. Qu’en est-il ?

Le meilleur endroit pour commencer est peut-être le dialogue entre Jésus et la femme samaritaine. Le commentaire de Calvin sur Jean 4.22-26 met particulièrement en évidence que notre Seigneur

divise la somme de son propos en deux membres. Au premier, il condamne de superstition et erreur la forme de servir Dieu, de laquelle les Samaritains avaient usé : mais quant aux Juifs, il testifie qu’ils en avaient la vraie forme et légitime. Et ajoute la cause de la différence, que les Juifs étaient certains par la parole de Dieu, du service qu’ils lui rendaient : mais au contraire, les Samaritains n’avaient rien de certain de la bouche de Dieu. Au second, il déclare que les cérémonies que les Juifs avaient gardées jusques alors, prendraient bientôt fin.

Concernant le premier point, à propos de ce que le Seigneur dit à la femme samaritaine : « Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas » (Jn 4.22), Calvin écrit :

Par quoi toutes les bonnes intentions, qu’on appelle, sont abattues par cette sentence, comme d’une foudre. Car nous savons que les hommes ne peuvent qu’errer, quand ils sont gouvernés par leur propre opinion sans la parole ou le commandement de Dieu.

Autrement dit, Jésus confirme par cet enseignement sur l’adoration due à Dieu la validité du principe régulateur du culte, même si la venue du Christ a de lourdes conséquences sur la forme extérieure des cérémonies puisque les lois cérémonielles étaient sur le point d’être abolies. Ce que souligne bien Calvin à partir de ce passage, c’est que « nous ne différons des Pères qu’en la forme externe seulement, d’autant qu’eux adorant Dieu en esprit, étaient astreints aux cérémonies, lesquelles ont été abolies par la venue de Christ ». Adorer Dieu « en esprit et en vérité » (Jn 4.23) consiste dès lors à « retenir simplement ce qui est spirituel au service de Dieu, ôtant les enveloppements des cérémonies ».

La raison pour laquelle notre culte doit être régulé par ce principe est en fait la corruption de l’homme :

Vu que les hommes sont chair, il ne se faut point ébahir si les choses qui sont correspondantes à leur naturel, leur plaisent. De là advient qu’ils forgent et inventent beaucoup de choses au service de Dieu, lesquelles étant pleines de grande ostentation, n’ont nulle fermeté. Mais ils devaient sur toutes choses considérer qu’ils ont affaire à Dieu, lequel s’accorde aussi peu avec la chair, que le feu avec l’eau. Cette seule pensée, quand il est question du service de Dieu, devait suffire pour refréner la légèreté frétillante de notre nature : à savoir que tant s’en faut que Dieu soit semblable à nous, que les choses qui nous plaisent le plus, lui viennent à contrecœur et dépit.

L’enseignement du Nouveau Testament se situe bien sur cette question de la régulation du culte dans la continuité de celui de l’Ancien. Dieu demande bien « que nous ne lui rendions aucun autre culte que celui qu’il a commandé dans sa Parole »1.

Il s’agit en fait de se méfier de notre propre corruption morale : ce n’est pas parce que nous avons de « bonnes intentions » que ce que nous apportons à Dieu pour l’adorer lui sera agréable. Ce que Paul disait d’une forme de légalisme est tout aussi vrai concernant la tentation qui est toujours la nôtre d’apporter à Dieu un autre culte que celui qu’il a commandé dans sa Parole : « Il s’agit de commandements et d’enseignements humains qui ont, il est vrai, une apparence de sagesse […] mais qui n’ont en fait aucune valeur et ne contribuent qu’à la satisfaction de la chair. » (Col 2.22-23)

b. « Eléments » et « circonstances » du culte

Le culte communautaire doit-il avoir lieu le samedi ou le dimanche ? Faut-il qu’il commence à 10 heures ou plutôt à 11 heures ? Doit-il durer deux heures ou quatre heures ? Le théâtre ou la danse sont-ils des formes acceptables du culte rendu à Dieu ? Que devons-nous chanter ? Avons-nous le droit d’utiliser des micros ou de mettre des chaises dans nos églises ? Devons-nous utiliser pour les chants un recueil ou plutôt un vidéoprojecteur ? Toutes ces questions ne sont pas sur le même plan :

Certains aspects du culte dû à Dieu […] communs à toutes activités et sociétés humaines, doivent être arrangés selon la lumière naturelle et la sagesse chrétienne, dans le respect des règles générales de la Parole qui doivent toujours être observées. (Confession de foi de Westminster, chap. I, § 6)

Il s’agit de ce qui relève des « circonstances » du culte, c’est-à-dire des choix qu’il est nécessaire d’opérer même sur les questions où la Bible n’ordonne rien. Les questions qui relèvent des « circonstances » sont les mêmes qui se posent pour l’organisation de n’importe quelle réunion humaine : à quelle heure la réunion commencera-t-elle ? Combien de temps durera-t-elle ? Faut-il des bancs, des chaises ou laisser les gens debout ? Faut-il utiliser un support visuel écrit ou projeté ?

Cela ne signifie pas que les réponses à ces questions sont indifférentes : il s’agit d’arranger ces aspects du culte selon la lumière naturelle (le bon sens) et la sagesse chrétienne (le renouvellement de l’intelligence). Par exemple, il peut paraître préférable à certains de ne pas projeter le texte biblique à l’écran mais plutôt de demander aux membres de l’assemblée d’ouvrir la Bible. Cependant, si l’éclairage n’est pas suffisant, il faudra tout de même se résoudre à projeter le texte à l’écran.

Il faut en revanche bien distinguer ces « circonstances » des éléments que comprend le culte communautaire. La Confession de foi de Westminster (chap. XXI, § 6) propose une liste de ces éléments qui composent le culte :

Le culte religieux ordinaire de Dieu comprend la lecture des Ecritures faite dans la crainte de Dieu (Ac 15.21 ; Ap 1.3), une solide prédication (2Tm 4.2) et l’écoute attentive de la Parole dans l’obéissance à Dieu, et avec intelligence, foi et respect (Jc 1.22 ; Ac 10.33 ; Mt 13.19 ; Hé 4.2 ; Es 66.2), le chant des psaumes avec la grâce dans le cœur (Col 3.16 ; Ep 5.19 ; Jc 5.13), comme aussi une juste administration des sacrements institués par Christ ; à cela s’ajoutent les serments religieux (Dt 6.13 avec Né 10.29), les vœux (Es 19.21 avec Ec 5.4, 5), les jeûnes solennels (Jl 2.12 ; Est 4.16 ; Mt 9.15 ; 1Co 7.5) et les actions de grâce lors de circonstances particulières (Ps 107 ; Est 9.22), le tout devant être pratiqué, en temps voulu, de manière sainte et religieuse (Hé 12.28).

Cette liste n’est pas forcément exhaustive : il faut peut-être préciser que ce qui est commandé dans le Nouveau Testament est le chant « des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels » et que l’offrande (Ga 2.10 ; 1Co 9.3-12) pourrait aussi faire partie de cette liste.

La structure liturgique, quant à elle, doit certainement être considérée comme une « circonstance » du culte : en fonction de la situation, des temps et des lieux, la forme du culte peut et doit changer. En revanche, l’existence d’un motif récurrent dans les structures liturgiques des cultes rendus à Dieu décrits par la Bible (cf. section suivante) invite, pour le moins, à réfléchir sérieusement aux raisons pour lesquelles nous choisissons de nous éloigner de ce motif, lorsque c’est le cas. Cette question sera traitée en même temps que le deuxième principe qui doit orienter le culte que nous rendons à Dieu : le principe dialogique du culte communautaire.

2. Le principe dialogique du culte communautaire

a. Le principe dialogique et l’alliance

Le « principe dialogique » ne gouverne pas seulement le culte communautaire mais aussi toute l’histoire du salut. L’histoire de la rédemption que raconte la Bible est en effet le récit des interactions entre Dieu et son peuple. Dieu prend l’initiative, il parle à son peuple. Son peuple lui répond et lui obéit ou, malheureusement, l’ignore et pèche. Dieu, à son tour, répond en conséquence, bénissant ou maudissant son peuple. Il s’agit là d’un véritable « dialogue d’alliance ».

Il n’est dès lors pas très surprenant que l’examen des quelques textes relatant les assemblées particulières du peuple de Yahvé en l’honneur de son Dieu révèle que ce « principe dialogique » se retrouve dans la structure liturgique de ces cultes. Le culte communautaire que rend la communauté de l’alliance à son Dieu traduit ce qui est au cœur même de l’alliance : la rencontre avec Dieu. Dans cette rencontre, Dieu redit combien il aime son peuple. L’assemblée, pleine de reconnaissance, loue alors le Seigneur en faisant monter vers lui ses prières et ses chants. Dieu nous parle. Nous lui répondons. Ce « principe dialogique » du culte manifeste au plan communautaire que c’est une véritable relation qui est au cœur de notre spiritualité : il nous parle, nous lui répondons.

b. Parcours biblique

Déjà dans le jardin d’Eden, Dieu avait passé alliance avec l’homme et la femme – alliance que la théologie réformée a appelée « alliance des œuvres ». Le principe dialogique était donc opérationnel avant même la chute, avant le lancement de l’histoire de la rédemption. Adam et Ève avaient reçu une parole de la part de Dieu : il leur fallait se multiplier et soumettre la nature, garder le jardin et le cultiver et ne pas toucher à l’arbre du fruit de la connaissance du bien et du mal. Malheureusement, au lieu de faire confiance à Dieu et de mettre en pratique ce qu’il leur demandait, ils ne gardèrent pas le jardin de l’intrusion du Serpent en le chassant, mais ils l’écoutèrent et transgressèrent le commandement de Dieu. Dieu avait parlé aux hommes, mais les hommes ont répondu d’une manière parfaitement inappropriée – la désobéissance – avec toutes les conséquences que l’on sait…

Un nouvel Adam, Noé, fait bien mieux que son ancêtre : à la parole que lui adresse Dieu lui commandant de sortir de l’arche (Gn 8.15-17), il répond avec une stricte obéissance en sortant de l’arche (Gn 8.18). Sa réponse se prolonge dans le premier acte d’adoration que décrit explicitement la Bible : la construction d’un autel en l’honneur de Yahvé sur lequel il offre des sacrifices d’animaux purs (Gn 8.20)2. Le dialogue se poursuit alors puisque le texte mentionne la réaction de Yahvé au verset suivant : c’est avec plaisir que Dieu reçoit ce sacrifice. Dieu adresse alors à Noé aussi bien des promesses (Gn 8.21-22) et des bénédictions (Gn 9.1-3), que des commandements (9.4-7). Il conclut cette rencontre avec Noé avec une confirmation de son alliance par l’établissement de l’arc-en-ciel comme signe et sceau de cette alliance (9.8-17).

Ou lorsque Dieu choisit d’appeler Abraham et de le mettre à part pour qu’il devienne l’ancêtre du peuple par lequel il sauvera le monde (Gn 12.1-3), que se passe-t-il ? Dieu lui apparaît, lui parle et lui promet que ce pays de Canaan (Gn 12.7), où Abraham est venu, sera donné à sa descendance. Quelle est la réponse d’Abraham à la promesse gracieuse qui lui est faite ? Il « bâtit là un autel pour le Yahvé qui lui était apparu. Puis il leva le camp pour se rendre dans la montagne, à l’est de Beth-El ; il dressa sa tente entre Beth-El, à l’ouest, et le Aï, à l’est. Il bâtit là un autel pour le Yahvé et invoqua le nom du Yahvé. » (Gn 12.7-8)

Le premier culte communautaire relaté dans l’Ecriture de manière détaillée est celui de l’assemblée d’Israël rassemblée au mont Sinaï (Ex 24). Les chapitres 19 à 23 du livre de l’Exode décrivent l’établissement de l’alliance entre Dieu et son peuple. Le chapitre 24, quant à lui, rapporte le culte rendu par Israël à son Dieu au moment de ratifier l’alliance. La structure de ce culte peut être analysée ainsi :

  1. Dieu donne ses instructions (v. 1-3a).

  2. Première réponse du peuple : « Tout ce que Yahvé a dit nous le ferons » (v. 3b).

  3. Deuxième réponse du peuple : un autel est construit sur lequel sont offerts des sacrifices (pour le péché) avant de s’approcher formellement de Dieu (v. 4b-6).

  4. Moïse lit les paroles de Dieu consignées dans le livre de l’alliance (cf. v. 4a) (v. 7a).

  5. Réponse du peuple : « Tout ce que Yahvé a dit nous le ferons et nous l’écouterons » (v. 7b).

  6. Moïse asperge le peuple avec le sang qui sert de signe et de sceau de l’alliance (v. 8).

  7. Les représentants du peuple de Dieu mangent en présence du Dieu de l’alliance (v. 9-11).

Le culte communautaire décrit avec le plus de détails est le culte de dédicace du temple tel qu’il est rapporté en 2 Chroniques 5-7. Ce récit est plus long et plus détaillé que celui d’Exode 24, mais il faut noter qu’au niveau structurel les similitudes sont nombreuses :

  1. Convocation et rassemblement du peuple, préparation au culte (5.2-5).

  2. Sacrifices (pour le péché) offerts à Dieu par le peuple avant de s’approcher formellement de lui (5.6).

  3. Entrée formelle par les prêtres dans la présence de Dieu (5.7-10).

  4. Psaume de louange par les prêtres (5.11-13a).

  5. Manifestation par Dieu de son approbation et de sa gloire : la nuée remplit le temple (5.13b-14).

  6. Proclamation de la Parole de Dieu par Salomon (6.1-11).

  7. Prière d’intercession par Salomon (6.12-42).

  8. Manifestation par Dieu de son approbation et de sa gloire : le feu du ciel consume les holocaustes et la nuée remplit le temple (7.1-2).

  9. Adoration et psaume de louange par le peuple (7.3).

  10. Sacrifices (de communion) offerts à Dieu par le peuple (7.4-9).

  11. Renvoi du peuple par Salomon (7.10).

D’autres textes mériteraient d’être décrits dans le détail et d’être comparés les uns aux autres, notamment : 1 Chroniques 28.1-29.22, 2 Chroniques 29, 2 Chroniques 30, 2 Chroniques 35 ou Néhémie 8.1-12, Néhémie 8.13-18 ou encore Néhémie 9.1-10.40. Pour l’instant, il suffit cependant de constater que, outre le temps de convocation et de rassemblement du peuple au début du culte et la bénédiction et dispersion du peuple à la fin, quatre grands temps se dégagent : (i) l’entrée dans la présence de Yahvé ; (ii) la proclamation de la Parole de Yahvé ; (iii) la réponse du peuple à la parole de Yahvé ; (iv) la communion avec Yahvé symbolisée par un repas. Il apparaît dans tous ces textes un motif récurrent et fondamental selon lequel le dialogue entre Dieu et son peuple suit un certain ordre, même s’il existe au sein de cet ordre une certaine liberté.

Ce motif récurrent disparaît-il lors du passage de l’ancienne à la nouvelle alliance ? Il y a de bonnes raisons de penser que ce n’est pas le cas, même s’il faut d’abord souligner que le Nouveau Testament ne relate jamais les cultes des premiers chrétiens de manière suffisamment détaillée pour répondre de manière convaincante pour tous. Pourtant, il me semble que le livre de l’Apocalypse confirme ce motif récurrent et fondamental selon lequel le dialogue entre Dieu et son peuple suit un certain ordre.

Il faut d’abord remarquer qu’il n’est peut-être pas si anodin qu’il n’y paraît d’abord que la vision qu’a reçue Jean ait été donnée « le jour du Seigneur » (1.10) alors que le Seigneur ressuscité veut précisément communiquer à ses Eglises qu’il marche au milieu d’elles (1.12-13), qu’il est avec les chrétiens tous les jours jusqu’à la fin du monde même dans les difficultés et persécutions. En effet, ce que Jean est appelé à voir et à rapporter constitue une sorte de liturgie céleste qui reprend divers éléments déjà repérés dans les textes de l’Ancien Testament :

  1. Manifestation de la présence de Dieu par des éclairs, des voix et des tonnerres (4.2-4).

  2. Présence de plusieurs cercles d’adorateurs autour du trône de Dieu (4.5-11) qui fait particulièrement écho à 2 Chroniques 5.2-5 et ses cercles d’adorateurs, des plus proches conseillers du roi au peuple tout entier.

  3. Apparition de l’agneau immolé (5.1-7) : le rouleau de l’histoire de la rédemption ne peut être ouvert tant que n’apparaît pas celui qui, seul, parce qu’il est sans péché, est digne de l’ouvrir. Les pleurs de Jean (confession du péché) du verset 4 laissent donc place à l’assurance joyeuse fournie par le lion de Juda messianique, vainqueur du péché et de la mort.

  4. L’apparition de l’agneau permet au peuple de continuer son culte et de s’approcher sans obstacle de son Dieu et de lui manifester sa reconnaissance pour ce que Jésus a fait (5.8-14).

  5. Proclamation de la parole de Dieu dans les sept sceaux (6.1-7.8).

  6. Réponse du peuple : prières de louange (7.9-8.4).

Avec l’ouverture des sept sceaux commence en fait le premier des cinq septénaires qui composent le corps du développement de l’Apocalypse. La structure littéraire de ces cycles étant proches, il n’est pas étonnant de retrouver les éléments suivants qui se répètent :

  1. Manifestation de la présence de Dieu par des éclairs, des voix, des tonnerres, un tremblement de terre (8.5 ; 16.18) et par de la grêle (11.19) ou par de la fumée dans le sanctuaire (15.5-8).

  1. Proclamation de la parole de Dieu dans les sept trompettes (8.6-11.15), les sept visions (12.1-15.1), les sept coupes (16.1-16) et les sept paroles sur Babylone (17.1-18.24).

  2. Réponse du peuple : prières de louange (7.9-8.4 ; 11.16-18 ; 15.2-4 ; 19.1-5)3.

La fin de l’Apocalypse introduit de nouveaux éléments :

  1. Le repas d’alliance des noces de l’Agneau (19.6-10) dont le grand dîner de Dieu donné aux oiseaux qui volaient dans le ciel (19.17-21) est la contrepartie, suite à la victoire du cavalier blanc (19.11-16) qui est, précisément, l’Agneau.

  2. Bénédiction éternelle du peuple de Dieu (21.1-22.7).

c. Quelles conséquences pour le culte chrétien ?

Si l’histoire de la rédemption, décrite dans l’Apocalypse, suit une structure liturgique semblable à celle des cultes de l’Ancien Testament, que faut-il en tirer lorsque nous nous rassemblons le « jour du Seigneur » pour lui rendre un culte ?

Lorsque notre Seigneur institua la sainte cène, il le fit, entre autres, dans une perspective eschatologique (le « jusqu’à ce qu’il vienne » de 1 Corinthiens 11.26). Le culte communautaire que nous rendons chaque dimanche à Dieu ne pourrait-il pas – ne devrait-il pas – nous servir à participer d’ores et déjà à ce culte eschatologique ? Comme dans l’Apocalypse, nous ne pouvons pas nous approcher sans crainte de Dieu si ce n’est par le sang de l’Agneau immolé. Mais puisque par son sacrifice nous avons l’assurance d’un plein accès au sanctuaire céleste (Hé 10.19), il est naturel que le rappel de son sacrifice pour ôter nos péchés et de l’assurance que nous possédons maintenant nous conduisent dans une louange joyeuse de celui qui nous sauve. Dans ces conditions, quoi de plus normal que d’écouter avec la plus grande attention ce que Dieu nous dit dans sa Parole – aussi bien le rappel de sa grâce et de sa fidélité que ses exigences envers nous, qui sommes son peuple de prêtres et qui le représentons sur la terre.

Dans nos cultes, nos prières montent vers le trône de Dieu pour qu’il continue à être fidèle à ses promesses et pour que nous puissions ainsi nous aussi lui être fidèles malgré nos nombreuses imperfections. Nous lui apportons donc non seulement notre louange, mais nous prions aussi pour nous-mêmes, en tant qu’individus et que communauté, et pour notre pauvre monde, avec l’assurance que les prières de ceux qui sont réunis en son nom pour former cette nouvelle humanité qu’est l’Eglise (Mt 18.15-20) seront exaucées : oui, le Seigneur manifeste sa présence, il donne le feu de son Esprit pour bénir son peuple.

C’est pourquoi, dans nos cultes, nous célébrons aussi le repas du Seigneur dans lequel nous nous rappelons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne et par lequel nous recevons l’assurance que

son corps a été offert et rompu sur la croix et son sang versé, aussi certainement que je vois de mes yeux que, pour moi, le pain du Seigneur est rompu et la coupe est donnée ; et qu’il veut nourrir et désaltérer mon âme pour la vie éternelle de son corps crucifié et de son sang répandu, aussi certainement que je reçois de la main de l’officiant et goûte corporellement le pain et la coupe du Seigneur, qui me sont donnés comme signes certains du corps et du sang du Christ lui-même4.

Ainsi renouvelés, nous sommes prêts à recevoir à la fin du culte la bénédiction de Dieu avant de repartir dans le monde y accomplir notre vocation. La perspective de la bénédiction divine de la vie éternelle est de cette manière le contexte dans lequel s’inscrit notre vie quotidienne.

Il est certes vrai que nous vivons au milieu d’une génération perverse et corrompue, mais si nos cultes imitaient un peu plus qu’ils ne le font à l’heure actuelle la liturgie céleste et eschatologique, peut-être serait-il plus facile au quotidien d’avoir véritablement et pleinement conscience que notre unique assurance dans la vie et dans la mort est d’appartenir à Jésus-Christ notre fidèle sauveur qui nous a parfaitement délivrés de tous nos péchés et de toute la puissance du diable, et de vivre toute sa vie à la gloire de Dieu (1Co 10.31) comme un acte d’adoration qui anticipe la félicité éternelle dans l’attente du retour de Jésus dans la gloire. « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! » (Ap 22.20)

3. Le principe corporatif du culte communautaire

Le troisième principe qui doit conduire le culte communautaire est, précisément, qu’il s’agit d’un culte communautaire. Il s’agit de rendre un culte à Dieu qui correspond au fait que nous le faisons en communauté (plutôt qu’en famille ou dans l’intimité d’un culte personnel). Dans la vie de tous les jours, nous nous rendons bien compte que nous ne parlons pas à nos parents ou à nos amis les plus proches en étant seuls avec eux ou lorsqu’il y a du monde. Il y a des marques d’affection et des confidences qui sont parfaitement déplacées en public mais que nous avons la liberté de faire dans un cercle plus restreint et, évidemment, dans l’intimité d’un tête-à-tête. Pour cette raison, le culte communautaire n’est pas le lieu de l’expression particulière des joies particulières et des fautes particulières d’un individu, sauf lorsqu’elles concernent la communauté.

Le fait que nous nous réunissions de manière corporative ou communautaire est une conséquence de l’alliance : Dieu fait alliance avec un peuple. Le culte est l’assemblée solennelle du peuple que Dieu rassemble. Pour cette raison, le culte doit rassembler toutes les différentes catégories qui composent l’Eglise, aussi bien aux plans socio-économique et socio-culturel qu’au niveau des tranches d’âge – aussi bien les « enfants » que les « pères » et les « jeunes gens » (cf. 1Jn 2.12-14). L’intégration des enfants au culte communautaire doit particulièrement être réfléchie – y compris dans les communautés qui ne les considèrent pas comme participant de l’alliance – car, de fait, ils sont là et, pour le moins, sont confiés à la garde de l’Eglise. Ils doivent apprendre avec leurs parents et en les imitant à adorer le Seigneur avec crainte, joie et sincérité. « Réunissez le peuple, consacrez une assemblée ! Rassemblez les anciens, réunissez les enfants, même les nourrissons au sein de leur mère ! » (Jl 2.17) Tous sont concernés !

III. Comment mener la réforme du culte évangélique
du xxie siècle ?

En supposant qu’il est clair à ce stade qu’il faut réformer en notre siècle le culte évangélique, il reste à savoir comment mener cette réforme. L’exemple des grandes réformes du passé tout autant que l’examen de l’enseignement biblique sur les vertus chrétiennes montrent que, s’il faut certainement de l’énergie pour conduire ce genre de réforme, il faut surtout faire preuve d’une grande écoute et d’une grande compréhension. L’Eglise est là où elle en est aujourd’hui. Il est nécessaire de la faire progresser, mais il n’est pas utile (et encore moins efficace) de la brusquer pour y parvenir. C’est en fait un alliage de différentes vertus qu’il faut manifester.

Douceur et patience

Le respect des convictions et des habitudes de chacun est plus que toute autre chose nécessaire. Chacun a de bonnes raisons de penser ce qu’il pense concernant le culte, même s’il ne s’agit pas forcément de raisons scripturaires. La force de l’habitude est elle-même une raison qu’il ne faut pas sous-estimer… et qu’il ne faut pas non plus mépriser. Manifester de l’amour, en l’occurrence pour nos frères et sœurs dans la foi, implique de les respecter même dans leurs convictions les plus folles. Certaines d’entre elles peuvent concerner la manière de conduire le culte, d’autant plus que certaines cultures d’Eglises locales nous habituent à des motifs liturgiques passablement éloignés de ceux que l’Ecriture met en évidence. Face à l’inertie que peuvent recevoir dans ce contexte nos arguments, la meilleure posture est certainement de s’armer de douceur et de patience plutôt que d’une agressivité souvent du plus mauvais goût.

Conviction et persuasion

Le respect de l’autre, une patience véritable à son égard et une douceur certaine dans l’attitude manifestée à son endroit n’impliquent pas nécessairement une démission quant à la transmission de ce que nous recevons comme vérité biblique. Si nous savons que le cœur du peuple de Dieu est dur et que sa nuque est raide (nous sommes bien placés pour le savoir, puisque notre cœur à nous est tout aussi dur et notre nuque tout aussi raide), nous savons aussi que l’Esprit de Dieu est à l’œuvre et que, par son travail et son intercession, des prises de conscience extraordinaires peuvent avoir lieu dans l’Eglise à certaines époques et à certains endroits. Pour cette raison, s’il ne faut pas désarmer de patience et de douceur, il ne faut pas non plus manquer de conviction et de persuasion. Il faut développer notre argumentaire et étudier la Bible avec nos communautés pour les convaincre par la Parole, et donc par l’Esprit, de la justesse de ce que nous recevons comme une vérité biblique.

Confiance et sérénité

Parce que cette œuvre est en dernier ressort une œuvre de l’Esprit, tout ce que nous pouvons faire, c’est attendre : attendre de le voir agir par sa Parole, attendre de le voir changer le point de vue dominant de nos assemblées par le renouvellement de l’intelligence, attendre de le voir transformer nos cultes par la sagesse que nous lui demandons pour comprendre ce qu’il attend de nous. Cette attente se vit dans la confiance et dans la sérénité : c’est Dieu qui est souverain. Il dirige l’histoire. Il la mène à son accomplissement. Et même si nous ne verrons peut-être jamais un tel changement dans nos Eglises concernant la manière de vivre le culte, nous avons l’assurance que, pour l’éternité, nous prendrons part à ce culte céleste – mais sur la terre renouvelée lorsque nous participerons au festin de l’Agneau.


  1.  Catéchisme de Heidelberg, R. 96.↩︎

  2.  Il y a ici une difficulté apparente pour le principe régulateur du culte puisque nous n’avons pas connaissance qu’à l’époque de Noé Dieu avait commandé d’offrir des animaux purs. Cependant, le seul fait que Noé avait conscience qu’il existait des animaux purs et impurs implique de se demander « purs et impurs » pour quoi ? Dans la mesure où il n’est pas fait de mention de restrictions alimentaires dans le contexte (cf. Gn 9.1-3), il s’agit certainement de pureté et d’impureté des animaux par rapport aux sacrifices à offrir à Yahvé. Il faut donc en conclure soit que Noé avait reçu une parole l’enjoignant explicitement de sacrifier ces animaux, soit qu’il avait déduit comme une bonne et nécessaire conséquence de la distinction que Yahvé avait faite entre animaux purs et impurs (Gn 7.2-3) que ces animaux étaient destinés au sacrifice.↩︎

  3.  Dans le contexte des récurrences mises en évidence, l’absence de louanges de la part du peuple lors du cycle des sept coupes est remarquable. Il se comprend cependant aisément à la lumière d’Apocalypse 15.8, qui énonce que personne ne pouvait entrer dans le sanctuaire, et de l’ensemble du chapitre 16 : l’intensité de la colère de Dieu est telle dans ce chapitre que les îles mêmes doivent s’enfuir. Devant une telle dévastation, il n’est peut-être pas opportun pour le peuple de Dieu de manifester une joie ostentatoire.↩︎

  4.  Catéchisme de Heidelberg, R. 75.↩︎

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