Peut-on croire encore aujourd’hui
à l’inerrance de la Bible ?
Paul WELLS*
La vérité est capitale dans tous les domaines de la vie, religieux ou non, car la vérité nous lie à la réalité. Les idées, même les plus agréables, sont trompeuses, quand elles ne sont pas amarrées au réel.
Pour un très grand nombre de nos contemporains, il va sans dire que la Bible est truffée d’erreurs. Pour eux, la question ne se pose même pas, parce qu’ils pensent que les textes bibliques sont comme des contes de fées. La critique historique de la Bible a, sans doute, contribué à favoriser cette attitude. Beaucoup de chrétiens aussi ont un peu la même idée ; pourtant, ils retiennent de la Bible un noyau de vérités, comme, par exemple, l’existence d’un Dieu qui est amour. Soyons-en conscients, il n’y a, aujourd’hui, que les catholiques romains orthodoxes et les évangéliques qui parlent de l’inerrance de l’Ecriture et, pour un nombre croissant d’évangéliques, non sans un certain embarras.
Le mot « inerrance » appartient au jargon théologique et paraît obscur : on ne le trouve pas dans les dictionnaires courants et il fait penser au mot « inhérent », qui a un tout autre sens ; en fait, il signifie tout simplement « sans erreur » et, appliqué à la Bible, il exprime qu’elle est exempte d’erreurs et que ce qu’elle affirme est garanti.
1. Des questions
Depuis presque un siècle, les attaques se multiplient contre la notion de vérité biblique et des doutes apparaissent aujourd’hui jusque dans les milieux évangéliques. Cette question ainsi que celle de l’humanité de la Bible font « chavirer » de jeunes théologiens évangéliques ou même des théologiens renommés sur le plan international, comme Clark Pinnock, mort en 2010.
C’est ainsi que certains croyants éprouvent un malaise dans leur lecture de la Bible dès qu’ils doivent envisager qu’elle puisse être « sans erreurs ». Trois questions précises les empêchent de croire à l’inerrance biblique.
En premier lieu, l’inerrance est suspectée de rationalisme et accusée de remplacer une rencontre vivante avec Dieu par une lettre morte. La pensée d’Emil Brunner, au milieu du XXe siècle, a beaucoup contribué à établir une dichotomie entre l’expérience d’une vérité personnelle et une vérité impersonnelle, écrite dans un texte[1]. André Gounelle a dit que le texte biblique est comme la confiture, alors que la vérité personnelle est comme le fruit vivant sur l’arbre. L’idée d’une révélation divine écrite ne serait-elle pas complètement dépassée ?
Ces auteurs donnent l’impression que l’inerrance de l’Ecriture remplacerait l’autorité personnelle du Dieu vivant par l’autorité abstraite et impersonnelle d’un code. L’autorité personnelle de Dieu et l’autorité d’une révélation écrite sont considérées comme s’excluant mutuellement. Certains ajouteraient même qu’en acceptant l’inerrance de la Bible, les évangéliques courent le risque du légalisme.
Toutefois, la vérité, c’est-à-dire l’inerrance de l’Ecriture, n’est pas le fruit d’un rationalisme démodé ; elle s’accorde parfaitement avec la nature de la foi chrétienne, de tout ce que nous croyons. Rien de ce que nous croyons n’est susceptible, en effet, d’être l’objet d’une démonstration rationnelle acceptable par la plupart des non-croyants que nous fréquentons. Pensez simplement à la naissance virginale, à la résurrection ou au fait que la nouvelle naissance n’est pas simplement une expérience psychologique. Croire à l’inerrance n’est certainement pas plus difficile que croire à la divinité de Christ !
En deuxième lieu, on prétend que la foi en l’inerrance ne peut pas subsister face à certains faits de la Bible, dont certains apparaissent problématiques et ne pourraient être qu’historiquement inexacts. Les émissions de Mordillat et Prieur[2] à la télévision et leurs livres ont beaucoup contribué au développement de cette opinion. Et l’on en vient à penser que croire à l’inerrance de l’Ecriture est l’expression d’une foi aveugle, d’une foi sans appui réel, qui serait en opposition avec la nature même de la Bible et avec ses origines historiques. Selon ce point de vue, penser que certains textes de la Bible évoquant son inspiration ou sa vérité peuvent s’appliquer à tous, sans exception, est inimaginable. Pour cette raison, de nombreux croyants, y compris parmi les évangéliques, adoptent et défendent une théorie de l’inspiration limitée de la Bible et, en conséquence, une inerrance limitée qui concernerait seulement les enseignements principaux de l’Ecriture. Le reste des textes bibliques manquerait d’intérêt…
Enfin, les débats portent sur les mots infaillible et inerrance, utilisés pour qualifier ce qui est « vrai ». Récemment, ces mots, presque synonymes, ont généré beaucoup de discussions, certains préférant le premier, d’autres le second[3]. Ne serait-il pas suffisant de dire tout simplement que la Bible est vraie ? Personnellement, je préférerais de beaucoup ne parler que de la vérité de l’Écriture, me contentant des mots mêmes des textes de la Bible, comme, par exemple, ceux de Jean 17.17 : « Ta parole est la vérité[4]. » Ce texte, comme beaucoup d’autres du même genre, indique que la parole de Dieu, à savoir, dans le cas de Jean 17, le témoignage de l’apôtre Jean, reçu de Jésus, est absolument digne de confiance. La Bible contient donc une vérité inébranlable.
Ultimement, la question de l’inerrance n’est pas vraiment compliquée. Si la vérité est d’une importance capitale, car elle nous lie à la réalité, et s’il y a un Dieu derrière la réalité que nous connaissons, pourquoi penser quand il nous parle, même à travers des hommes, qu’il serait impossible qu’il nous informe sans erreur, sur lui, sur ses actions dans l’histoire, sur notre situation humaine et sa solution ? La Bible est qualifiée de sainte car c’est par son enseignement que Dieu nous fait retrouver le sens de la réalité. En dehors d’elle, nous ne pouvons qu’aller à la dérive.
2. Chicaner sur les mots ?
Si la Bible était un mélange de vérités, de vérités partielles et d’erreurs, elle ne serait, en définitive, qu’une collection de contradictions. Son témoignage ne tiendrait pas debout. La véracité de l’Ecriture est capitale pour assurer la qualité et l’unité de son message.
Certains sont effrayés par les notions d’infaillibilité ou d’inerrance. Ces mots ne sont pas bibliques tandis que le mot « vérité » répond de manière adéquate à nos besoins. La vérité est un attribut de Dieu et l’utiliser à propos de l’Ecriture établit un lien direct entre Dieu et sa parole. Pour cette manière de penser, aller au-delà de la notion de « vérité » est peu souhaitable. De plus, la vérité est un concept positif, alors que l’infaillibilité et l’inerrance ont une consonance négative et donnent l’impression que la vérité de l’Ecriture est enfouie dans une sorte de bunker. Les motifs de cette réticence sont compréhensibles. En adoptant une position semblable à celle qui est exposée dans la Déclaration de Chicago sur l’inerrance biblique, on court le risque de discréditer la vérité de l’Ecriture en allant trop loin et en défendant des positions inutilement rationnelles et extrêmes. L’inerrance est associée au fondamentalisme anglo-saxon et aux attitudes belliqueuses affichées dans les titres de livres comme La bataille pour la Bible[a].
On ne peut que regretter cette contre-publicité défavorable à l’inerrance, qui est bien accueillie sur le continent européen, en particulier dans la tradition théologique de l’Eglise catholique romaine. Un important article sur ce thème tiré d’un dictionnaire catholique français est intitulé « Inspiration et inerrance ». Impossible donc d’affirmer que l’inerrance est née dans les cercles fondamentalistes.
Dans sa section intitulée « Exposé », la Déclaration de Chicago dit : « L’Ecriture sainte, Parole inspirée de Dieu, témoignage autorisé rendu à Jésus-Christ, sera justement dite infaillible et inerrante. Ces mots négatifs sont particulièrement précieux, car ils sauvegardent explicitement des vérités positives d’importance cruciale. »
L’inerrance signifie être libre de tout mensonge et de toute erreur. Elle protège donc la vérité selon laquelle l’Ecriture Sainte est entièrement vraie et digne de confiance dans toutes ses affirmations. L’inerrance atteste que la vérité de l’Ecriture s’étend à chacun des faits et des détails qu’elle rapporte. Aucune inexactitude ne peut être trouvée dans les affirmations du texte biblique. A l’inerrance correspond l’idée qu’il n’y a jamais d’erreur dans les faits et dans les détails tels que l’Ecriture les rapporte, ce qui nous oblige à défendre l’idée que la Bible a raison quand elle dit que Mathusalem a vécu jusqu’à l’âge de 969 ans.
On est ainsi conduit à considérer l’inerrance comme un aspect de l’autorité biblique. Cette doctrine, soutenue par l’Ecriture, fait partie du témoignage divin sur sa vérité.
3. L’inerrance et l’autorité divine
De nombreux chrétiens affirment admettre une certaine sorte d’autorité biblique. Toutefois, seul le christianisme évangélique (en plus de quelques courants traditionnels du catholicisme) soutient que cette autorité est inerrante et que l’Ecriture témoigne elle-même de ce fait. Voilà pourquoi l’inerrance est importante pour les évangéliques. Elle fait également l’objet de critiques et d’idées fausses.
L’inerrance est un type de l’autorité biblique perceptible surtout dans les informations et les faits présents dans l’Ecriture. L’information qui se trouve dans l’Ecriture a une autorité propre parce qu’elle est exacte et fiable. Plusieurs remarques importantes peuvent être faites sur l’inerrance :
- Premièrement, elle correspond à une absence d’inexactitude provenant d’erreurs humaines.
- Deuxièmement, elle est le fruit de l’inspiration divine des paroles de l’Ecriture, laquelle est un témoignage véridique de la révélation de Dieu à l’homme, qui aboutit à Jésus-Christ.
- Troisièmement, l’autorité de l’Ecriture associée à l’inerrance appartient en fin de compte à Dieu. L’idée que la Parole de Dieu ne serait pas entièrement vraie contredit le caractère même de Dieu.
- Finalement, l’inerrance est compatible avec l’idée que la nature humaine est limitée, faible et pécheresse et que l’homme est enclin à commettre des erreurs. Elle s’applique aux situations où l’inspiration spéciale de Dieu a été à l’œuvre.
L’inerrance signifie deux choses à propos de la Parole de Dieu : Dieu en est l’autorité suprême et l’Ecriture contient des empreintes de sa nature et de son origine, ce qui nous encourage à nous fier à elle.
4. L’Ecriture se décrit-elle comme inerrante ?
Actuellement, la plupart des personnes interrogées à ce sujet répondraient soit par la négative, soit en affirmant que cette question n’a aucun intérêt. Pourtant, il y a une foule d’éléments qui permettent de soutenir l’idée que la Bible se décrit comme inerrante (ce que nous appelons son auto-attestation). A ce sujet, voici quelques points à considérer :
- Dans l’Ancien Testament, le peuple de Dieu et la parole de Dieu apparaissent en même temps. Dieu parle à son peuple (Dt 27.9-11). L’Ecriture est canonique car elle en détermine les conditions de vie.
- La parole écrite de la Loi que Dieu donne à son peuple est présentée de façon surprenante avec des attributs qui appartiennent à Dieu seul (Ps 119.7, 9-11, 86, 129-130, 137, 142 ; Es 55.10-11).
- Jésus atteste la véracité de l’histoire de l’Ancien Testament et de l’accomplissement de ses prophéties. C’est ainsi qu’il affirme que l’on reconnaît son peuple au fait que celui-ci reçoit sa parole comme une vérité (Jn 17.6, 16-19) ; il utilise l’Ancien Testament pour interpréter sa résurrection (Lc 24.25, 44).
- Les apôtres attestent la véracité de leurs propres enseignements (Ga 1.6-10 ; Ep 3.2-5).
- Aucun passage de la Bible ne suggère qu’une autre partie de celle-ci serait erronée ou incertaine, même s’il y est reconnu que ses auteurs peuvent se tromper et sont dans l’erreur en certaines circonstances.
L’Ecriture n’affirme nulle part : « L’Ecriture est inerrante. » Mais l’attitude de Jésus et celle des auteurs de la Bible envers leurs propres écrits comme envers ceux des autres sont tout à fait cohérentes avec ce fait. Leur attitude serait incompréhensible s’ils pensaient que l’Ecriture était faillible comme toute autre parole humaine.
5. Quid des difficultés et des erreurs ?
Affirmer que la Bible est inerrante ne rend pas aveugle et n’empêche pas de voir les nombreuses difficultés pratiques suscitées par cette affirmation. Impossible d’éviter la question des prétendues erreurs de l’Ecriture.
Une « erreur » peut correspondre à une faute de jugement s’intercalant entre un fait observé et ce qui en est dit. Dans le cas de l’Ecriture, l’inerrance implique l’absence d’erreur en général, non seulement au niveau des détails, mais aussi de ses propositions plus larges. On n’y relève ni contradiction interne, ni contrevérité quant à la nature de Dieu, de l’homme et du salut, ni même aucune contradiction avec des faits connus grâce à d’autres sources que la Bible, des sources scientifiques, historiques, notamment. Par exemple, la Bible ne suggère jamais que Dieu n’est pas une Trinité ou le Créateur, que Jésus n’est pas divin ou humain, qu’il ait dit des mensonges ou qu’il ne reviendra pas en gloire, que ce monde est éternel ou qu’il n’y aura pas un jugement dernier. Aucune source en dehors de la Bible ne peut contester ces enseignements. La façon dont s’accordent tous les enseignements est remarquable étant donné la durée de la période d’écriture de la Bible et le nombre des auteurs qui ont participé à sa rédaction.
Une autre explication des prétendues erreurs contenues dans la Bible pourrait être la suivante : l’Ecriture, pour être inerrante, n’est pas appelée à répondre à toutes nos règles actuelles d’exactitude. Tout dépend du contexte. Dans certains cas, trop de précision nuit à la communication, tandis que, dans d’autres, la précision est capitale.
La Bible ne prétend pas à la précision absolue dans ses affirmations. Son langage est familier, naïf, souvent approximatif et ne vise pas l’exactitude dans le détail. Elle suit les conventions de son époque pour des pratiques que nous observons toujours : récits non chronologiques, citations imprécises, télescopages historiques, chiffres ronds, langage peu raffiné ou encore descriptions préscientifiques de l’origine et du fonctionnement de la nature. L’objectif global de l’Ecriture est d’inciter à la foi en Dieu et en Christ comme Jean l’a formulé : « Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom. » (Jn 20.31) Il ajoute dans le chapitre suivant : « Nous savons que son témoignage est vrai. » (21.24) Le langage et la présentation de la Bible sont adaptés à cet objectif fondamental de vérité.
Cependant, il serait incorrect de réduire l’objectif de la Bible à faire connaître la vérité dans chaque situation, comme si l’Ecriture ne pouvait pas donner également des informations sur l’histoire ou sur le monde naturel. Le contexte permet de déterminer la façon dont l’Ecriture accomplit son propre objectif.
6. Problèmes majeurs et détails
La Bible ne peut pas être accusée d’être dans l’erreur si elle ne répond pas à toutes les questions que nous souhaiterions poser. Elle ne peut pas être taxée d’insuffisance si elle ne nous dit pas comment utiliser un ordinateur ou comment conduire une voiture. Nos normes en tous domaines ne peuvent pas non plus lui être imposées. La Bible doit être reçue pour ce qu’elle est. Cette question peut être abordée selon trois niveaux d’informations :
Les détails
Nous devrions chercher à réconcilier les contradictions apparentes que nous rencontrons dans la Bible, par exemple celles que nous trouvons dans les généalogies de Jésus, dans les différents récits des évangiles à propos de l’expulsion des marchands du temple ou dans les chronologies de l’Ancien Testament. Il y a plusieurs manières de résoudre ces difficultés. Par exemple, les divergences apparentes entre passages parallèles reflètent, chez leurs auteurs, des perspectives ou des objectifs différents. Les détails disponibles ne permettent pas de tout expliquer et, bien des fois, la solution se trouve dans une lecture plus pointue du texte. Il arrive même qu’un problème puisse être lié à un manque de compréhension volontaire ou coupable de notre part. Parfois, il nous faut attendre des années avant de trouver la solution à un problème particulier. Dans certains cas, nous devrons peut-être accepter qu’aucune solution ne surgisse.
Les grandes lignes
L’inerrance concerne les enseignements de la Bible relatifs aux « grandes questions ». Peut-être avons-nous été, en tant qu’évangéliques, trop restrictifs en limitant le débat sur l’inerrance aux questions de détails. La Bible dit que Dieu est amour, que Dieu a créé le monde ex nihilo, que l’homme est tombé dans le péché à un moment précis, que l’exode s’est effectivement produit, que David a existé, que Jésus était l’homme-Dieu, qu’il a effectué des miracles, qu’il est revenu d’entre les morts, qu’il habite les croyants par son Esprit et qu’il vit éternellement. Ces choses sont-elles vraies ? Elles sont, à la fois, essentielles et opposées à notre mode de pensée, limité à ce que nous observons maintenant dans le monde qui nous entoure. Nombre de nos réticences à propos de l’inerrance concernent les miracles et la notion moderne selon laquelle nous habiterions un univers fermé.
Si nous croyons ce qu’affirme la Bible, c’est uniquement grâce à la confiance que nous avons en son témoignage. En effet, les affirmations bibliques sont éloignées historiquement de nous et aucune d’entre elles ne peut faire l’objet d’une démonstration rationnelle. Elles sont du domaine de la foi et non du domaine de la vue. Elles ne sont pas irrationnelles, mythiques ou fausses. Dans un système chrétien de pensée, elles sont parfaitement cohérentes et raisonnables.
La vision du monde[5]
L’inerrance est liée à la vision chrétienne du monde, qui est tout à fait différente des autres perspectives. En fin de compte, la vision chrétienne ne s’intéresse pas à des faits isolés mais à l’harmonie entre les différents aspects de la réalité. Ces aspects sont ce qu’ils sont grâce à Dieu, leur auteur. L’inerrance de l’Ecriture est l’expression de notre relation avec Dieu et de notre dépendance vis-à-vis de lui pour connaître la vérité. Dans la révélation biblique, nous voyons le Dieu créateur et Sauveur[b] d’une manière qui correspond à nos aspirations les plus profondes. L’inerrance implique la confiance suprême en Dieu.
7. Une illustration : l’importance de l’harmonisation
La critique biblique moderniste évoque invariablement, de façon méprisante, les tentatives d’harmonisation biblique, en particulier en ce qui concerne les récits des évangiles. Pourtant l’harmonisation des informations est une méthode de recherche reconnue et honorée dans toutes les disciplines scientifiques. De plus, cette approche est une application de l’herméneutique qui consiste à comparer « l’Ecriture avec l’Écriture ».
La réflexion biblique se doit d’être plus positive à ce sujet, comme le suggère Vern Poythress dans son livre L’inerrance et les évangiles[6]. Voici une illustration que donne Poythress. Dans les deux récits de la guérison du serviteur du centurion, il semble y avoir une contradiction flagrante ; en effet, en Matthieu, le centurion vient auprès de Jésus en personne, alors qu’en Luc c’est par l’intermédiaire d’amis qu’il fait appel au Seigneur.
Matthieu 8
5 Un centenier aborda Jésus.
7 Jésus lui dit : J’irai le guérir.
8 Seigneur, dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri.Luc 7
2 (Le centurion) entendit parler de Jésus et lui envoya quelques anciens des Juifs
pour lui demander de venir sauver son serviteur.
4 Ils arrivèrent auprès de Jésus et le supplièrent.
6 Jésus s’en alla avec eux.
Les deux récits sont tellement proches qu’il est difficile de conclure qu’il s’agit de deux incidents différents, comme c’est le cas pour la purification du temple par Jésus.
Une solution proposée par le commentateur Norval Geldenhuys consiste à y voir un incident se déroulant en deux temps successifs. On harmonise les deux récits en disant que le centenier envoie d’abord des anciens des Juifs et puis qu’il se présente lui-même après cette première approche.
On peut, en effet, imaginer qu’après avoir envoyé ses amis, le centenier se soit présenté lui-même. Le sérieux de la situation et son fort désir d’aller vers Jésus lui-même, malgré son sentiment d’indignité, ont surmonté sa pudeur initiale. Les deux évangiles se complètent…[7]
Cette explication est tout à fait possible et satisfaisante, mais elle n’est pas la seule, car Augustin et Calvin font une autre suggestion. Dans leurs Harmonies des Evangiles respectives, ces deux théologiens proposent que le centenier a suivi la pratique habituelle d’envoyer une délégation représentant son autorité et mandatée comme si elle était ses ambassadeurs. Quand la délégation parle, c’est comme représentante du centenier. R.T. France et C. Blomberg n’ont pas de peine à adopter cette interprétation[8]. Blomberg émet une idée supplémentaire à titre d’illustration : en Matthieu 27.26 et Marc 15.15, on lit que Pilate a fouetté Jésus, mais personne n’imagine qu’il l’ait fait lui-même : il l’a accompli par l’intermédiaire de soldats délégués par lui pour cette tâche !
Choisissez la solution qui vous plaît ! Ce qui est certain, c’est qu’il est exagéré de parler ici d’erreur ou de contradiction. Vern Poythress, dans son étude de ce passage, ajoute une information qui soutient cette complémentarité et explique pourquoi il existe deux versions différentes de cet incident. Matthieu, dit-il, met l’accent sur le centurion, qui est un païen, alors que Luc cible son humilité. Les deux disent quelque chose d’important à propos du royaume de Dieu, selon une perspective différente. Le premier montre que le royaume inclut les païens qui viennent par la foi, alors que les Juifs incroyants s’excluent ; et le second récit montre que l’humilité est nécessaire pour entrer dans le royaume, car nous sommes tous indignes du salut que Dieu offre. Il y a donc une belle complémentarité des deux récits : forme et fond.
L’harmonisation ne s’accommode pas de la paresse friande de solutions faciles et elle pousse à sonder l’Ecriture avec pour résultat une explication satisfaisante pour la plupart des difficultés bibliques.
8. Discernement spirituel
En soulevant la question de l’inerrance de l’Ecriture, nous ne nous interrogeons pas uniquement sur la Bible en tant que norme ou sur son contexte historico-culturel. Nous posons une question sur nous-mêmes, sur nos aspirations et sur ce qui fait que notre vie est ce qu’elle est. Sont-ils compatibles[c] avec l’enseignement de la Bible ?
Pour savoir comment bien utiliser la Bible, nous avons besoin de sagesse spirituelle. Notre intelligence doit être formatée spirituellement afin que nous puissions recevoir la vérité de l’Ecriture. Est-ce parce que notre intelligence ne l’est pas que tant de personnes ne peuvent pas aller au-delà de la première « erreur » qu’ils pensent discerner dans l’Ecriture ? Dieu aurait-il donné à l’Ecriture son aspect quelque peu compliqué et énigmatique pour, précisément, nous rappeler que le message de l’Ecriture doit être discerné spirituellement plus encore que naturellement ?
Ephésiens 4.17-24 présente un contraste frappant entre les païens à l’esprit futile, peu instruit et endurci et ceux qui, ayant connu Christ, ont une nouvelle attitude et une nouvelle nature créée par Dieu dans la justice et dans la vérité.
Grâce à l’Esprit de Dieu, la vérité et l’harmonie de l’Ecriture, en pénétrant dans nos vies, nous transforme à l’image du Christ et nous fait connaître sa pensée[9].
Conclusion
Les sujets de l’inerrance et de la vérité objective de la Bible peuvent décourager à première vue. Ils semblent négatifs et restrictifs alors qu’ils sont positifs et constructifs. Ils permettent de bâtir une foi solide et d’avoir un esprit de confiance qui repose sur Dieu et sur sa Parole.
Celle-ci est vérité et s’il arrive que nous pensions y trouver une erreur, que notre réaction soit à la fois de nous dire « La Bible ne se trompe pas » et « Quels moyens ai-je à ma disposition pour arriver à surmonter cette difficulté ? »[10].
A l’instar de la foi, la vérité de l’Ecriture doit toucher tous les aspects de la vie pour que la grâce de Dieu les affecte tous.
* P. Wells est professeur émérite de la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.
[1] E. Brunner, Dogmatique, I, Genève, Labor et Fides, 1960, chap. IV.
[2] G. Mordillat, J. Prieur, leurs livres et coffrets médiatisés sur les origines du christianisme, Jésus contre Jésus, L’apocalypse, notamment. Ces auteurs, qui se présentent comme étant à la pointe de la critique, sont à la remorque d’hypothèses modernistes courantes depuis un siècle.
[3] Voir en particulier le livre d’A.T.B. McGowan, The Divine Authenticity of Scripture : Retrieving an Evangelical Heritage, Leicester, IVP Academic, 2008.
[4] Approche suggérée, il y a longtemps déjà, par le catholique O. Loretz, Quelle est la vérité de la Bible, Paris, 1970.
[5] Voir V.S. Poythress, Inerrancy and Worldview : Answering Modern Challenges to the Bible, Wheaton, Crossway, 2012. Disponible en ligne, http://www.frame-poythress.org/.
[6] V.S. Poythress, Inerrancy and the Gospels : A God-Centered Approach to the Challenges of Harmonization, Wheaton, Crossway, 2012. Disponible en ligne, http://www.frame-poythress.org/.
[7] N. Geldenhuys, Commentary on the Gospel of Luke, Grand Rapids, Eerdmans, 1950, 220 ; G.L. Archer, Encyclopedia of Bible Difficulties, Grand Rapids, Zondervan, 1982, 322.
[8] R.T. France, « Inerrancy and New Testament Exegesis », Themelios 1 (1975), 17 ; C.L. Blomberg, The Historical Reliability of the Gospels, Downers Grove, InterVarsity, 2007, 176.
[9] Sur l’inerrance et l’interprétation, voir « Inerrance et herméneutique », La Revue réformée, 34 (1983:4), 187-205.
[10] D’excellents outils peuvent aider : Gleason L. Archer, Enclyclopedia of Bible Difficulties, Grand Rapids, Zondervan, 1982, et l’ouvrage important d’Alfred Kuen, qui s’en est inspiré, Encycopédie des difficultés bibliques, Saint-Légier, Editions Emmaüs, dont huit volumes sont parus.