Le message de Jésus face aux idéologies de son temps

Le message de Jésus
face aux idéologies de son temps

Donald COBB*

Aborder la question du « message de Jésus face aux idéologies de son temps » nous met d’emblée en face d’un double problème : tout d’abord, un problème de définitions. En effet, si une idéologie peut se présenter de façon explicite, bien souvent elle est plutôt latente. Les idéologies se dissimulent fréquemment derrière des réflexions et des actions qui, a priori, n’ont pas de rapport direct avec le discours explicite. Ce n’est pas pour rien qu’une des définitions que le Petit Larousse donne au mot « idéologie » est « système de pensée, d’idées vagues et nébuleux » !

Deuxièmement, en lisant les évangiles, nous pourrions avoir l’impression que Jésus ne cherche pas vraiment à combattre des idéologies. Jésus guérit des malades et chasse des démons, il montre l’hypocrisie des pharisiens et d’autres autorités religieuses de l’époque, il parle de sa propre mort et de sa résurrection. Mais il n’est pas d’emblée évident de voir en quoi il s’élève contre des idéologies. Pourtant, nous poser la question que soulève le titre de cet article n’est pas inutile, car la réponse peut nous aider non seulement à mieux comprendre le message de Jésus, mais encore à mieux formuler celui de l’Eglise au XXIe siècle.  

Je propose d’aborder ce sujet en essayant, dans un premier temps, d’esquisser quelques aspects de la situation historique, ce qui peut permettre de voir à quelles idéologies Jésus pouvait être confronté dans son ministère. Dans un deuxième temps, je tenterai de voir en quoi ce ministère pouvait constituer une prise à partie de ces idéologies. En conclusion, je proposerai quelques pistes de réflexion en rapport avec nos situations aujourd’hui.

I. Le contexte historique : le peuple de Dieu à l’heure de l’oppression

Une première remarque sur le plan de l’histoire : une des conséquences majeures de l’époque des Lumières et de la modernité a été la tendance à séparer radicalement politique et religion ; si les deux peuvent bien coexister, dit-on, il convient pourtant de les garder distinctes l’une de l’autre de façon à éviter tout empiètement réciproque. Il faut savoir que cette séparation – qui a d’ailleurs quelque chose d’assez artificiel, même aujourd’hui – aurait été totalement incompréhensible à l’époque de Jésus : dans l’Antiquité, religion et politique étaient inséparablement liées[1]. Ce fut le cas à Rome, où César était considéré comme divi filius (« fils d’un dieu »). Mais c’était vrai en particulier en Israël, où le vrai Roi était – ou devait être – Dieu lui-même, comme proclame le psalmiste : « Dites parmi les nations : C’est le Seigneur qui règne ! […] Il juge les peuples avec droiture » (Ps 96.10) De ce fait, toute croyance, tout acte religieux avait des implications pour la vie de la cité et de la nation. A l’inverse, tout acte politique avait des répercussions au niveau religieux. En nous penchant sur la situation politique en Israël, nous risquons donc de nous trouver « nez à nez » avec des actions, motivations et aspirations profondément religieuses. De même, il nous faut être conscients que le message de Jésus touchait aussi, et cela de façon irréductible, à la pensée politique de ses interlocuteurs.

Ayant dit cela, comment résumer la situation d’Israël au moment du ministère de Jésus ? En nous en tenant simplement aux évangiles, nous pourrions avoir l’impression que la vie en Palestine à l’époque s’apparentait, en quelque sorte, à « un long fleuve tranquille » : il y est rarement question de tensions sociales ou politiques. Pourtant, dès que nous commençons à regarder les ouvrages extrabibliques de l’époque, nous nous apercevons que cette période de l’histoire était tout sauf paisible[2].

A. L’occupation romaine, un problème religieux

On le sait, à l’époque de Jésus, la Palestine était sous la domination de l’Empire romain. Il est vrai que, jusqu’en l’an 6 de notre ère, Hérode le Grand, puis son fils Archélaüs exerçaient un pouvoir royal sur la Judée. Cela pouvait donner une certaine illusion d’autonomie, mais il faut se rappeler qu’Hérode n’était en réalité qu’un « roi-client », un pantin soumis à Rome, dont les intérêts – lorsqu’ils n’étaient simplement personnels – le mettaient plutôt du côté de l’empire que du côté du peuple[3]. Or, cette situation d’occupation romaine n’a cessé de poser des problèmes, tout au long du Ier siècle.

Un exemple illustre bien cela. Au moment où Hérode a rénové le Temple de Jérusalem, il a fait mettre un aigle d’or au-dessus du portail principal[4]. Flavius Josèphe, historien juif du Ier siècle, raconte que, plusieurs années plus tard, alors qu’Hérode était pratiquement sur son lit de mort, deux hommes appelés Mathias et Judas, et qui étaient « très estimés par toute la nation »[5], rallièrent un nombre important de Juifs en « expliquant les lois » : entendre par là « en appelant Israël à la fidélité à la Torah ». Sachant qu’Hérode était mourant, Mathias et Judas annoncèrent que « c’était le moment propice d’administrer la vengeance pour Dieu et de renverser les ouvrages érigés contre les lois ancestrales (para tous patrious nomous) »[6]. Josèphe raconte que des jeunes hommes se mirent donc sur le portail du Temple devant une foule assemblée et qu’ils abattirent l’aigle avec des haches[7]. Lorsque quarante d’entre eux furent arrêtés, Hérode – malgré son état physique – ordonna qu’ils soient mis à mort comme des « impies », avec les enseignants qui les avaient poussés à l’acte[8]. En revanche, dès la mort d’Hérode, ces hommes furent célébrés par le peuple comme des martyrs, morts « pour les lois ancestrales et pour le temple (huper tôn patriôn kai tou naou) » (GJ 2.6). Pour disperser la foule rassemblée à Jérusalem pour l’occasion et qui semblait sur le point d’ameuter la ville, Archélaüs, fils d’Hérode, envoya une cohorte romaine qui ne massacra pas moins de trois mille personnes.

L’incident est révélateur : la motivation que Josèphe allègue pour la destruction de l’aigle est l’interdiction des images dans les Dix Commandements. Ce qu’il ne dit pas, mais qu’il faut comprendre dans cet événement, est que l’aigle était le symbole de l’Empire romain. Or, mettre ce symbole au-dessus du portail principal du Temple, c’était d’abord communiquer le message que l’on pouvait bien adorer le Dieu d’Israël, mais que le peuple d’Israël, le culte d’Israël – et, finalement, le Dieu d’Israël – étaient soumis au vrai kurios (« Seigneur »), César[9]. C’était aussi une façon de montrer à qui voulait le savoir de quel côté penchait la fidélité d’Hérode lui-même. Mais il est également intéressant de se poser la question : renverser ce symbole de la domination romaine, était-ce un acte politique ou un acte religieux ? Clairement, les deux choses sont indissociables. S’opposer à l’institution qui prétend se soumettre le peuple de Dieu et Dieu lui-même est un geste profondément religieux. Notons, enfin, que si l’acte fut le fait de quelques personnes – une quarantaine (tout de même !) – la réaction d’une partie importante du peuple montre qu’il ne s’agissait pas d’un geste « sans contexte » ; au contraire, s’en prendre à un tel symbole reflète clairement un état d’esprit plus largement partagé. Le massacre de pas moins de trois mille personnes le souligne à souhait.

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que cet incident reflète des tensions qui se sont fait sentir tout au long du Ier siècle. Dans un autre passage, Josèphe parle de deux insurgés à l’époque d’Archélaüs, un certain Judas de la ville de Gamala et Saddok qui, significativement pour nous, étaient pharisiens[10]. Ces hommes, dit-il, « incitaient la nation à la liberté », en proclamant que Dieu viendrait à son secours à la seule condition que les citoyens se mettent ensemble et soient zélés pour « de grands exploits » (megalôn). Josèphe poursuit avec ce commentaire :

[…] il n’y eut pas de mal qui ne fût engendré par eux et dont le peuple ne fût accablé plus qu’on ne saurait le dire : guerres dont nul ne pouvait éviter la violence continuelle […], énormes brigandages, meurtre des hommes les plus importants, et tout cela sous prétexte de redresser les affaires communes […]. De là naquirent des séditions et des assassinats politiques […] ; des prises et des destructions de villes, jusqu’à ce qu’à la fin cette révolte ait livré le Temple même de Dieu au feu de l’ennemi. […] Judas et Saddok, en introduisant et en éveillant chez nous une quatrième secte philosophique[11] et en s’entourant de nombreux adhérents, remplirent le pays de troubles immédiats et plantèrent les racines des maux qui y sévirent plus tard […][12].

Il est fort douteux que l’on puisse ramener l’ensemble des conflits en Israël, tout au long des deux premiers tiers du Ier siècle, à l’influence de ces deux hommes ! La remarque de Josèphe est surtout intéressante en ce qu’elle montre que les tensions qui se sont exprimées à la mort d’Hérode, c’est-à-dire peu après la naissance de Jésus, ont continué jusqu’au moment de la guerre juive, en l’an 66[13]. Notons également que Josèphe relève, dans un autre passage, que ce qui a conduit à la révolte juive fut, avant tout, l’attachement à la prophétie messianique, entendue dans un sens politique et militaire : « Ce qui les avait surtout excités à la guerre (to d’eparan autous malista pros ton polemon), c’était une prophétie ambiguë trouvée […] dans les Saintes Ecritures, et annonçant qu’en ce temps-là un homme de leur pays deviendrait le maître de l’univers[14]. » En d’autres termes, au cœur de la guerre juive se trouvait, tout d’abord, l’espérance en un messie, envoyé et oint par Dieu, qui rétablirait la liberté et la bénédiction.

B. Gros plan sur un cas particulier : la communauté de Qumrân

Il est intéressant de faire un bref détour par la communauté que nous font connaître les manuscrits de la mer Morte. D’abord, parce que les écrits de Qumrân, tout en représentant un mouvement minoritaire au sein d’Israël, nous renseignent sur certains aspects typiques de la mentalité juive de l’époque. Ensuite, parce que la communauté de Qumrân passe souvent pour être une secte juive pacifique, plus attachée à des questions d’obéissance à la Torah qu’à la situation politique contemporaine (c’est d’ailleurs ainsi que l’on se représente souvent aussi les pharisiens). De fait, ces questions d’obéissance, de pureté rituelle et de la volonté de se mettre à l’écart d’une société impie pour constituer une communauté à part sont centrales. Toutefois, ce qui surprend en lisant les écrits de Qumrân, c’est la perspective à la fois très ethnocentrique que l’on y découvre et l’attente des membres de la communauté de participer à la guerre eschatologique, imminente, contre les Juifs infidèles et les nations étrangères. Nous voyons cela, par exemple, dans l’ouvrage important intitulé 1QM, ou Règlement de la guerre, qui s’ouvre par ces mots :

La conquête des fils de lumière sera entreprise en premier lieu contre le lot des fils de ténèbres, contre l’armée de Bélial, contre la bande d’Edom et de Moab et des fils d’Ammon et la multitude des fils de l’Orient et de la Philistie, et contre les bandes des Kittim d’Assour et leur peuple, qui seront venus au secours des impies de l’Alliance, fils de Lévi et fils de Juda et fils de Benjamin. La Déportation du désert combattra contre eux ; car la guerre sera déclarée à toutes leurs bandes, quand la Déportation des fils de Lumière sera revenue du désert des peuples pour camper dans le désert de Jérusalem[15].

Ce passage s’éclaire dès que l’on se rend compte que les « les fils de lumière » et « la déportation du désert » sont des références à la communauté de Qumrân. Le terme « Kittîm », quant à lui, est un nom codé que l’on retrouve ailleurs dans les manuscrits… pour désigner les Romains. Le Règlement de la guerre envisage donc le moment où les fidèles d’Israël, conduits par le Messie, s’élèveront contre Rome et établiront une paix définitive dans le pays[16]. Nous pouvons d’ailleurs relever des points de ressemblance entre Qumrân et bon nombre de pharisiens : contrairement à ce que l’on affirme souvent, la pureté rituelle que les pharisiens s’imposaient ne visait pas simplement à s’assurer les bonnes grâces de Dieu et à se constituer « un trésor de mérites » dans le ciel. C’était, tout autant, pour obtenir une délivrance – présente – pour tout le peuple car, d’après une certaine lecture de la Torah, c’était seulement lorsque Israël se serait repenti et serait revenu à l’obéissance à la Loi que Dieu interviendrait pour le salut. La pureté et la conformité aux détails de la Torah étaient dans cette perspective une condition pour reprendre possession du pays promis.

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Certes, tous les Juifs n’avaient pas une attente identique vis-à-vis d’un messie et d’une participation dans la guerre qui mettrait Rome et les autres nations à genoux. Les sadducéens – la couche aisée, voire souvent très aisée de la population –, ainsi que certains pharisiens souhaitaient plutôt maintenir le statu quo ou, en tout cas, pouvaient s’en accommoder. Mais pour beaucoup de Juifs pieux, la domination romaine représentait non une situation d’oppression politique seulement, mais un affront à la foi en Dieu. Une des bénédictions du Deutéronome était que Dieu allait mettre Israël à la tête des nations et non à la queue (Dt 28.13). La situation que l’on voit à l’époque de Jésus et jusqu’à la destruction de Jérusalem en l’an 70 a été tout le contraire ; cela a évidemment des implications sur la façon dont les Juifs au Ier siècle se voyaient et voyaient leurs contemporains non Juifs. Un témoignage intéressant à ce sujet se trouve dans le livre non canonique de IV Esdras :

Seigneur, […] tu as déclaré que c’est pour nous que tu as créé le monde. […] Et maintenant, Seigneur, voici que ces nations, qui sont comptées pour rien, dominent sur nous et nous dévorent. Et nous – ton peuple, celui que tu as appelé ton Premier-Né, ton Unique, l’objet de ta jalousie, ton Bien-Aimé – nous sommes livrés entre leurs mains. Si le monde a été créé pour nous, pourquoi n’entrons-nous pas en possession de ce monde qui est notre héritage ? Jusques à quand en sera-t-il ainsi ? (IV Esdras 6,55-59) 

II. Le message de Jésus

Si ce que nous venons de voir reflète une certaine idéologie « politique » et « ethnocentriste », l’idéologie étant définie ici plutôt comme un « système d’idées vagues et nébuleux », comment le message de Jésus se situe-t-il à son égard ? C’est à cette question que j’aimerais tenter d’apporter quelques éléments de réponse.

A. Un message messianique… inhabituel

1. Les béatitudes 

Un point de départ utile pour comprendre le message de Jésus est le Sermon sur la montagne et, plus précisément, les béatitudes. On prend souvent ce texte comme une sorte de « charte du bonheur » : si quelqu’un – quel qu’il soit – suit les indications données dans ces versets, il sera heureux. Il faut noter toutefois, comme plusieurs commentateurs l’ont fait, que ces béatitudes s’appuient sur l’Ancien Testament et, plus précisément, sur la prophétie d’Esaïe 61 qui livre un portrait du Serviteur du Seigneur, l’oint qui annoncera la libération aux captifs[17] :

Es 61.1-3 (LXX)

Mt 5.3-7

1 L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a donné l’onction. Il m’a envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres (euaggelisasthai ptôchois) ; pour guérir ceux qui sont brisés de cœur, pour proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le recouvrement de la vue ; 2 pour proclamer une année favorable de la part de l’Eternel et un jour de récompense ; pour consoler tous ceux qui sont dans le deuil (parakalesai pantas tous penthountas) ; 3 pour accorder aux endeuillés de Sion (tois penthousin Siôn) la gloire à la place des cendres, une huile de joie à ceux qui sont dans le deuil (tois penthousin), un vêtement de gloire au lieu d’un esprit d’indifférence. Ils seront appelés race de justice (klêthêsontai geneai dikaiosunês), plantation du Seigneur, pour servir à sa gloire.

1 Voyant la foule, Jésus monta sur la montagne, il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui2. Puis il ouvrit la bouche et se mit à les enseigner :

3 Heureux les pauvres (oi ptôxoi) en esprit, car le royaume des cieux est à eux !

4 Heureux ceux qui sont dans le deuil (oi penthountes), car ils seront consolés (paraklêthêsontai) !

5 Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre !

6 Heureux ceux qui ont faim et soif de justice (dipsôntes tên dikaiosunên), car ils seront rassasiés !

7 Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde !

D’un côté, l’oint de Dieu vient annoncer la bonne nouvelle – l’Evangile ! – au pauvres ; de l’autre, Jésus proclame : « Heureux les pauvres […] ! » D’un côté, Esaïe annonce le Serviteur qui consolera ceux qui sont dans le deuil (trois fois) ; de l’autre, Jésus dit : « Heureux ceux qui sont dans le deuil, car ils seront consolés ! » Nous voyons la même démarche, sous une forme différente, en Luc 4.14ss : au début de son ministère public, Jésus entre dans la synagogue de Nazareth, il lit ce passage d’Esaïe 61 et dit : « Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture, que vous venez d’entendre, est accomplie. » (Lc 4.21)[18] Dans un cas comme dans l’autre, Jésus se présente donc comme le Serviteur qui a reçu l’onction divine pour proclamer l’Evangile : « Heureux les pauvres ! » Pourquoi ce bonheur ? Parce que le moment est venu où les « endeuillés de Sion » vont recevoir la consolation et la justice promises ![19] 

Cependant, en annonçant la victoire messianique, Jésus lui donne une tournure inattendue : ceux qui hériteront le pays (ou la terre)[20] ne sont pas les violents mais « les doux » (verset 5). Le grec suggère même une certaine exclusivité : « Heureux ceux qui sont doux, car ce sont eux [= et pas les autres] qui hériteront le pays[21]. » De même, seront appelés « fils de Dieu » (verset 9) non pas ceux qui prennent les armes, mais les « artisans de paix[22] ». Ou encore, ceux qui « verront Dieu » ne sont pas ceux qui s’attachent à la pureté rituelle en vue d’une délivrance nationale mais « ceux qui sont purs de cœur (hoi katharoi tê kardia) » (verset 8). En d’autres termes, sans que ce soit dit en toutes lettres, Jésus propose à ses disciples une autre façon d’agir en temps d’oppression, une autre façon en définitive d’être le peuple de Dieu, liée à la vocation d’être « sel et lumière de la terre[23] ».

Une illustration concrète de ce que cela peut impliquer se trouve en Matthieu 5.41, où Jésus donne la consigne suivante : « Si quelqu’un te force (aggareusei) à faire un mille, fais-en deux avec lui. » Dans ce verset, le verbe « forcer » (aggareuô) veut dire très précisément « réquisitionner ». Il vient de la pratique de la poste persane qui réquisitionnait les chevaux de ses citoyens pour délivrer des dépêches royales[24]. A l’époque du Nouveau Testament, on l’utilisait à propos des soldats romains, qui avaient l’habitude de désigner, de façon arbitraire, des personnes dans la foule pour leur faire porter des charges. C’est le même verbe que l’on trouve en Matthieu 27.32 et Marc 15.21, où les soldats « réquisitionnent » Simon de Cyrène, le forçant à porter la croix de Jésus. C’est certainement le sens qu’il faut retenir ici ; face à ceux qui, au nom de la religion, cultivent une « haine » des Romains, Jésus appelle à un comportement qui confond par sa générosité, allant au-delà même de ce que l’occupant exige[25].

2. Jésus et l’ethnocentrisme juif

Il est également intéressant de constater la différence qui existe entre l’enseignement de Jésus et les tendances ethnocentriques dans les écrits juifs de l’époque. On voit cela notamment dans l’utilisation des termes opposés de païen et de frère. Dans le judaïsme, « les païens » étaient ceux qui ne faisaient pas partie d’Israël. Dans nos Bibles, « païen » traduit généralement le même mot que « nation » (ethnos) : les « païens » – c’est-à-dire les goï (ou goïm) – étaient les non-Juifs, les gens des nations[26]. Face à tous ceux-là se tenait Israël qui, lui, était le peuple de Dieu, d’où la nécessaire séparation d’avec les non-Juifs, ainsi que l’aspiration à la liberté dont parle Josèphe et qui, comme nous l’avons vu, est d’ordre religieux, tout autant que politique. Or, à plusieurs reprises, Jésus parle des « païens » dans un sens contraire. De qui s’agit-il ? Ce sont ceux qui ne font pas confiance au Seigneur, ceux qui cherchent l’approbation des hommes plutôt que celle de Dieu. Nous lisons en Matthieu 6.32-33 que les vrais « païens » – qu’ils soient Juifs ou non-Juifs – sont ceux qui disent : « Que mangerons-nous ? Que boirons-nous ? De quoi serons-nous vêtus ? » Comme le précise Jésus : « Car tout cela, ce sont les païens qui le recherchent[27]. »

Cela devient plus clair encore lorsque Jésus pose la question : « Si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens aussi n’en font-ils pas autant ? » (Mt 5.47) Il ne faudrait probablement pas comprendre « frères » ici comme « frères dans la foi » ; Jésus semble plutôt y mettre le sens que nous voyons souvent dans l’Ancien Testament : « frère de sang », « celui avec qui on est lié par une ascendance commune », c’est-à-dire le Juif[28]. Face au mépris que quantité de ses contemporains vouaient à l’occupant romain, Jésus avertit que celui qui réserve son accueil à ses concitoyens et refuse de traiter l’oppresseur comme un être humain créé à l’image de Dieu se rabaisse, en réalité, au niveau d’un simple « païen »[29].

A l’inverse, Jésus transfère ce langage familial et ethnique à la communauté des disciples. L’exemple le plus saisissant est sans doute en Matthieu 18.15-17 : « Si ton frère a péché, va et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. » Dans ce passage, le frère est précisément un membre de la communauté messianique. Fait remarquable, car cela implique que Jésus redéfinit les notions familiales et ethniques non en rapport avec la consanguinité d’abord, mais avec ceux qui se rassemblent autour de sa personne. Ce renversement des rôles se confirme au verset 17 : « […] S’il refuse aussi d’écouter l’Eglise, qu’il soit pour toi comme un païen (ethnikos) et un péager. » Le païen n’est désormais plus le non-Juif, mais celui qui rejette la communauté des disciples.

Disons un mot au sujet de la fréquentation des « péagers » chez Jésus[30]. On le devine aisément dans les évangiles, le péager est le « pécheur » par excellence. Cependant, il ne l’est pas en raison seulement de sa malhonnêteté notoire. Le métier de péager était particulièrement méprisé parce qu’il était tenu par des hommes qui, bien que Juifs, percevaient les taxes que Rome exigeait de ses sujets, connues du reste pour être lourdes au point d’être écrasantes. En plus de cela, les péagers profitaient de cette situation pour s’enrichir eux-mêmes sur le dos de leurs concitoyens, en fixant le montant des taxes à leur guise. S’ils avaient mauvaise réputation, ce n’était donc pas seulement à cause de leurs pratiques peu scrupuleuses. Cela tenait tout autant à un motif politique : les péagers étaient des collaborateurs des Romains[31]. En se mettant à table avec de telles personnes et en leur offrant, en conséquence, le salut messianique[32], Jésus faisait un geste aux implications à la fois religieuses et politiques. Le message que cela communiquait était clair : la délivrance n’était pas pour les Juifs attachés à la Torah et à la liberté par rapport à Rome seulement, mais pour tous ceux qui discernaient en lui la présence du royaume. Cette remarque nous amène à notre point suivant.

B. Jésus, héraut du royaume et Serviteur

1. L’idéal du royaume

Si Jésus ne parle de la situation politique contemporaine que de façon indirecte, il a, en revanche, beaucoup à dire sur le règne ou le royaume de Dieu. Affirmer que ce thème de règne de Dieu a des implications politiques est, bien sûr, une lapalissade. Mais quelles sont-elles précisément ? Pour beaucoup des contemporains de Jésus, Dieu se mettrait à régner en chassant l’ennemi du pays. Or, un des points les plus saisissants du message de Jésus est que les disciples qui se réunissent autour de lui entrent dans la réalité de ce règne, dans la situation présente, encore caractérisée par la domination de Rome. En d’autres termes, le règne de Dieu a des implications politiques ; mais, en même temps, ce règne se tient au-dessus de la situation politique qui, elle, est par définition passagère.

C’est en particulier le sens des paraboles dites « du royaume » (Mc 4 et parallèles) : ces paraboles parlent tour à tour d’un semeur qui répand une semence susceptible de tomber dans des endroits où elle ne portera pas de fruit (Mc 4.3-20) ; d’une semence qui ne mûrit que progressivement (Mc 4.26-29) ; d’un grain de moutarde qui, au début, est « la plus petite des semences de la terre » (verset 32) ; de l’ivraie mêlée au bon grain, qui ne sera arrachée qu’au moment de la moisson (Mt 13.24-30,36-43) ; du levain « caché » (enekrupsen) dans la farine et qui fait lever – petit à petit – toute la pâte (Mt 13.33) ; du trésor dissimulé dans la terre, et ainsi de suite. Quel est le fil conducteur dans ces paraboles ? Le règne de Dieu, présent dans le ministère de Jésus, ne va pas exercer son influence en balayant d’un revers de main les réalités politiques en place. Ce royaume sera à l’œuvre, au contraire, au milieu du monde, de façon discrète, voire cachée, et ne se confondra pas avec les aspirations politiques du moment, notamment celles qui cherchent à évincer l’occupant romain par une action militaire fulgurante. Les voies du royaume ne sont pas celles de la violence, de la force ou de la domination armée[33].

Cela est, en fait, vrai parce que, comme le montrent les évangiles, le vrai adversaire – le vrai ennemi du peuple de Dieu – ce n’est pas Rome mais Satan[34]. Le signe de la présence du royaume ne se trouvera donc pas dans la mise sur pied d’une opération militaire, mais dans le fait que les démons soient chassés (Mt 12.25-28). C’est pour cette raison aussi que ceux qui seront grands dans le royaume ne ressemblent pas aux grands « de ce monde » et que celui qui veut recevoir le royaume doit le faire non pas par des moyens politiques ou militaires, mais en « devenant comme un enfant » (Mt 18.3-4 ; 19.14 et parallèles).

2. Le roi serviteur

Cette dernière remarque nous conduit à un des passages fondamentaux pour comprendre le ministère de Jésus. Alors que Jésus et ses disciples sont aux abords de Jérusalem, Jacques et Jean – qui faisaient déjà partie du « cercle intérieur » des douze – s’approchent de Jésus et demandent de pouvoir prendre place près de lui, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, quand il sera « dans sa gloire » (Mc 10.35-37)[35]. Il s’agit là non de la gloire céleste, mais du règne glorieux qu’il exercera – tel un nouveau Salomon – à partir de Jérusalem, une fois l’ennemi vaincu[36]. Suit un échange où Jésus montre que ces disciples ne savent pas ce qu’ils demandent. Ce qui est particulièrement intéressant, ce sont les versets 42-43 :

Jésus les appela et leur dit : Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands abusent de leur pouvoir sur elles. Il n’en est pas de même parmi vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous sera votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, sera l’esclave de tous. (Marc 10.42-43)

Notons que, dans cette traduction, l’action des « chefs des nations » et des « grands » est considérée de façon clairement négative (« tyranniser » et « abuser de leur pouvoir »). En réalité, les verbes employés ici signifient simplement « commander ou dominer », et « exercer une autorité », respectivement. La connotation peut être négative, selon le contexte, mais positive aussi[37]. Jésus ne parle donc pas nécessairement d’un abus d’autorité mais de l’exercice du pouvoir politique tout court. Non pas qu’il prône un désengagement par rapport à la vie de la cité ; là n’est pas son propos. Mais l’activité de la communauté messianique ne se définira pas en termes d’autorité ou de domination politiques. Au contraire, Jésus monte à Jérusalem pour établir un règne qui s’instaurera, paradoxalement, par le service en faveur d’autrui.

Cette énigme d’un règne qui vient non par la domination mais par le don de soi s’éclaire au verset 45 : « Car le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » Puisque l’ennemi véritable est un adversaire spirituel et que le problème fondamental relève de l’état du peuple lui-même – c’est-à-dire de l’homme déchu – c’est à ce niveau-là que la solution devra se trouver. Elle consistera à régler ce qui pose problème devant Dieu, à savoir le péché humain. La situation politique est nécessairement un reflet et une manifestation de ce problème. Elle n’en est pas la cause. Le règne que Jésus rend présent par sa personne et son activité devra donc prendre d’autres chemins, comme devront le faire aussi l’activité de ses disciples et celle de la communauté qu’il suscitera par son sacrifice.

Quelques conclusions

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de cette proclamation de Jésus face aux idéologies de son temps ? Il me paraît important de souligner que le message des évangiles n’implique pas le désengagement des chrétiens à l’égard du domaine politique, bien qu’il doive assurément nous rendre lucides par rapport aux limites inhérentes à toute activité à ce niveau. La démarche politicienne peut encadrer l’action de l’homme déchu et contenir certains débordements inacceptables ou trop nuisibles. L’amour pour le prochain trouvera donc, là aussi, une expression importante. Par contre, le Politique est puissamment incapable d’effectuer un changement radical du cœur.

Le message de Jésus nous met également en garde contre toute idéologie, sous forme d’une philosophie explicite ou comme système de pensée « vague et nébuleux », qui risquerait de prendre en otage la foi chrétienne. En effet, sous des apparences spirituelles, voire profondément bibliques, des pensées « humaines trop humaines » menacent constamment de nous faire privilégier un élément du message biblique et passer sous silence d’autres aspects plus centraux. La tentation nous guette, nous chrétiens, de nous attacher aux facettes de l’enseignement de l’Ecriture susceptibles d’améliorer nos circonstances immédiates ou de justifier nos positions personnelles, aux dépens ce qui est fondamental. C’est clairement ce que nous voyons dans les expressions politiques et militaires du judaïsme à l’époque de Jésus.

Dans une société comme celle où nous vivons aujourd’hui, où les idéologies tentent – parfois même à l’intérieur de l’Eglise – de marginaliser, voire de faire taire ce qui est au cœur de la foi chrétienne, il est bon que nous nous en souvenions.


* D. Cobb est professeur de Nouveau Testament à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

[1] Ce point est bien souligné par R.A. Horsley, « Jesus and the Politics of Roman Palestine », Journal for the Study of the Historical Jesus 8 (2010), 99-106, résumant et prolongeant plusieurs travaux antérieurs, et H.K. Bond, « Political Authorities. The Herods, Caiaphas, and Pontius Pilate », in Ch. Keith et L.W. Hurtado, Jesus Among Friends and Enemies. A Historical and Literary Introduction to Jesus in the Gospels, Grand Rapids, Baker Academic, 2011, 219.

[2] La remarque de R.A. Horsley, « Jesus and the Politics of Roman Palestine », 104, mérite d’être citée : « Les prêtres offraient des sacrifices en faveur de Rome et de César, tandis que les soldats romains montaient la garde aux portiques du Temple au moment de la Pâque, de peur que l’enthousiasme populaire ne déborde alors que le peuple célébrait la libération par rapport à un règne étranger en Egypte. »

[3] Cf., par exemple, H.K. Bond, « Political Authorities », 220-221.

[4] Cf. Flavius Josèphe, Antiquités juives (dans la suite AJ) 17.151 et Guerre des Juifs (GJ) 1.650.

[5] GJ 1.648.

[6] Notre traduction.

[7] GJ 1.651.

[8] GJ 1.654-655.

[9] Cf. R.A. Horsley, « Jesus and the Politics of Roman Palestine », 117-118.

[10] AJ 18.4.

[11] Il s’agit du mouvement zélote ; le terme de « philosophie » est un euphémisme ! Les trois autres sectes sont celles des pharisiens, des sadducéens et des esséniens.

[12] AJ 18.6-9. Nous reproduisons ici le texte de Julien Weill (Paris, Ernest Leroux, éditeur, 1900), avec quelques modifications mineures : http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/flavius_ant_judaiques_18/lecture/1.htm, consulté le 21 février 2013.

[13] On le sait, la Judée est devenue une province de l’empire en l’an 6 de notre ère, placée sous la direction de préfets romains. Comme le rappelle H.K. Bond, « Political Authorities », 224-225, « préfet » est un titre militaire, ce qui souligne que la fonction concernait d’abord le maintien de l’ordre dans le pays. Le terme témoigne de façon éloquente des tensions constantes dans la région à l’époque de Jésus.

[14] GJ 6.312. http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/flavius_guerre_juifs_06/lecture/35.htm, consulté le 22 février 2013.

[15] Cf. aussi col. XV,1-15 et passim. Il faut certainement compter avec une part de symbolisme dans ces textes, symbolisme qui relève d’ailleurs du genre apocalyptique. Cependant, au-delà de l’imagerie, on discerne bien l’attente vis-à-vis d’une participation réelle à la bataille que Dieu engagerait lorsqu’il viendrait apporter la libération aux fidèles. Josèphe relate par ailleurs qu’un essénien tenait le rang de général des rebelles dans la guerre contre les Romains et on peut supposer que cela ne représentait pas une exception à la règle ; cf. GJ 2.567 ; 3.11,19.

[16] Cf. l’article intéressant de C.A. Evans, « The Messiah in the Dead Sea Scrolls », Israel’s Messiah in the Bible and the Dead Sea Scrolls (dir. R.S. Hess et M.D. Carroll R.), Grand Rapids, Baker Academic, 2003, 85-101, qui donne une analyse équilibrée du messie dans les rouleaux de la mer Morte. Selon Evans, la présentation du messie royal dans les écrits propres à la communauté de Qumrân ne diffère pas de façon significative de celle que l’on trouve dans d’autres écrits juifs de la même période. Il écrit (ibid., 101) : « Si le messianisme de Qumrân n’a rien de particulièrement distinctif, cela n’implique pas pour autant qu’il était sans importance. Le rétablissement d’Israël et la justification de la communauté de l’alliance renouvelée qui en fait partie intégrante ne pourront avoir lieu avant qu’apparaisse ‹l’oint d’Israël›, celui que Dieu suscitera ou, dans les termes de Ps 2.7 […], celui que Dieu ‹engendrera› parmi son reste fidèle, les ‹pauvres›. L’apparition du ‹Prince oint de la congrégation› déclenchera les événements eschatologiques, qui comprendront la défaite de Rome, la purification et le rétablissement d’un culte agréé par Dieu à Jérusalem, ainsi que la guérison et la bénédiction pour les fidèles. »

[17] Ainsi, par exemple, R.H. Gundry, Matthew. A Commentary on His Handbook for a Mixed Church Under Persecution, Grand Rapids, Eerdmans, 19942, 67-69, D.A Hagner, Matthew 1-13, Dallas, Word, 91-93, C.S. Keener, A Commentary on the Gospel of Matthew, Grand Rapids, Eerdmans, 1999, 166, et A. Mello, Evangile selon Saint Mattieu. Commentaire midrashique et narratif, Paris, Cerf, 1999, 14-15.

[18] Significativement, les béatitudes chez Matthieu, comme la prédication dans la synagogue de Nazareth chez Luc, sont placées dans les deux cas au début du ministère public de Jésus. Cela reflète certainement une volonté de montrer, au niveau rédactionnel, que tout l’enseignement et toute l’action de Jésus s’insèrent dans le cadre du Serviteur qui vient proclamer la libération à son peuple.

[19] Cf. D.A Hagner, Matthew 1-13, 92 : « Ceux qui mènent le deuil […] peuvent maintenant se réjouir, malgré leurs circonstances difficiles, car leur salut commence à être une réalité. L’heure s’approche où ils seront consolés […] mais ils peuvent désormais se considérer comme heureux dans leur connaissance que le royaume est arrivé. Leur salut est imminent. »

[20] Le terme  au verset 5 peut avoir le sens soit de « terre », soit de « pays ».

[21] Hoti houtoi klêronomêsousin tên gên. L’allusion à Ps 37.11 est également manifeste.

[22] De même aussi D.A Hagner, Matthew 1-13, 94, C.S. Keener, A Commentary on the Gospel of Matthew, 167-168, et N.T. Wright, Jesus and the Victory of God, Minneapolis, Fortress Press, 1996, 288. Rappelons que dans les écrits juifs de l’époque, « les fils de Dieu » sont les membres du peuple que Dieu rachètera au moment du salut définitif. Un exemple particulièrement intéressant se trouve en Pss Sa 17.21-27, décrivant l’œuvre attendue du messie : « Regarde, Seigneur, et suscite-leur un roi, fils de David, au moment que tu sais, ô Dieu, pour qu’il règne sur Israël ton serviteur ! Et ceins-le de force pour qu’il brise les princes injustes, qu’il purifie Jérusalem des nations qui la foulent et la ruinent ! Qu’il chasse, par la sagesse et la justice, les pécheurs de l’héritage ! Qu’il écrase l’orgueil du pécheur comme vase de potier ! […] Qu’il extermine les nations impies d’une parole de sa bouche ! […] Alors il rassemblera un peuple saint qu’il conduira dans la justice, il jugera les tribus d’un peuple sanctifié par le Seigneur son Dieu. Il ne tolérera pas que l’iniquité demeure encore parmi eux, et l’homme familier du mal n’habitera plus avec eux. Il les connaîtra, car ils seront tous fils de leur Dieu. » Nous modifions légèrement la dernière ligne du texte ; le grec comporte un présent mais, vu le contexte, il s’agit certainement d’un contresens (le texte araméen qui a servi de base à la traduction grecque ne comporterait probablement pas de verbe ici).

[23] Cf. N.T. Wright, Jesus and the Victory of God, 289.

[24] C. Spicq, Lexique théologique du Nouveau Testament, Fribourg-Paris, Editions Universitaires de Fribourg-Cerf, 19912, 34. Spicq (ibid., 35) relève que « c’est l’autorité publique qui normalement contraint les particuliers ; mais beaucoup de ces réquisitions sont arbitraires ou illicites ; d’où les nombreuses revendications des particuliers qui se plaignent d’être opprimés, et les interventions des Souverains et des Préfets, qui se multiplient depuis le IIe siècle avant notre ère, pour interdire aux officiers royaux et aux soldats de faire des réquisitions dans leur intérêt personnel ». Selon W. Arndt, F.W. Danker et W. Bauer, A Greek-English Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature, Chicago, University of Chicago Press, 20003 (BDAG dans la suite), le terme se trouve aussi dans la littérature rabbinique.

[25] Ainsi C. Spicq, Lexique théologique, 36, et C.S. Keener, A Commentary on the Gospel of Matthew, 199-201.

[26] Le mot goï est d’ailleurs le terme hébreu pour « nation » et, par extension, quelqu’un d’entre les nations non juives.

[27] Cf. aussi Mt 6.7.

[28] Cf. Lv 25.35,39-46 ; Dt 15.12, 17.15, 25.3 ; Jos 24.3 ; Es 51.2 ; Mt 3.9 ; Lc 1.73 ; Jn 8.39, et ainsi de suite.

[29] Le dire de Mt 5.43-44 (« Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis ») peut également se comprendre dans ce sens. A. Mello, Evangile selon Saint Matthieu, 130, rappelle avec raison que « […] la Torah n’enseigne pas que l’amour de l’ami s’accompagne de la haine de l’ennemi, et la seconde partie de Mt 5.43 ne peut renvoyer à aucune citation biblique (ou rabbinique […]) ». Il pense, en revanche, avec d’autres commentateurs, à des textes comme IQS I.9, qui parle des membres de Qumrân qui doivent aimer « […] tous les fils de lumière, chacun selon son lot, dans le Conseil de Dieu, et afin qu’ils haïssent tous les fils de ténèbres, chacun selon sa faute, dans la Vengeance de Dieu ».

[30] Mt 5.46, 9.10-11, 10.3, 11.19, 18.17, 21.31-32 ; Mc 2.15-16 ; Lc 3.12, 5.27,29-30, 7.29,34, 15.1, 19.2-8.

[31] Cf., par exemple, T.E. Schmidt, « Jewish Taxation », Dictionary of New Testament Background (C.A. Evans et S.E. Porter dir.), Downers Grove-Leicester, InterVasity Press, 2000, 1165.

[32] Cf. à ce sujet Ch. Grappe, Le royaume de Dieu, avant, avec et après Jésus, Genève, Labor et Fides, 2001, 205-207.

[33] L’analyse de H.N. Ridderbos, The Coming of the Kingdom, Phillipsberg, Reformed & Presbyterian, 1962, 121-148, reste pertinente ici : face à l’attente des disciples vis-à-vis d’un établissement immédiat et éclatant du royaume, Jésus prévient que ce dernier vient sous des apparences faibles et de façon progressive. C’est au moment de la moisson – futur – que le jugement des impies aura lieu. C’est là, précisément, le mystère du royaume que toutes ces paraboles ont pour but de révéler (Mc 4.11).

[34] N.T. Wright, Jesus and the Victory of God, 451-454.

[35] L’évangile de Matthieu précise que c’est la mère de ces deux frères qui fait la demande. Dans les deux cas, l’idée est la même. Sur la place particulière de Jacques et Jean, ensemble avec Pierre, voir Mt 17.1 ; Mc 5.37, 9.2, 13.3, 14.33 ; Lc 8.51, 9.28.

[36] Bien relevé par C.A. Evans, Mark 8:27-16:20, Nashville, Thomas Nelson Publishers, 2001, 116-117, et J. Jeremias, Théologie du Nouveau Testament. La prédication de Jésus, Paris, Cerf, 1996, 128, n. 112. Cf. aussi R.T. France, The Gospel of Mark, Grand Rapids-Cambridge-Carlisle, Eerdmans-Pater Noster Press, 2002, 415-416.

[37] D’après le Grand Bailly, Paris, Hachette, 20004. Selon le BDAG, katakurieuô signifie « se rendre maître de, dominer, se soumettre [quelqu’un ou quelque chose] », puis « se prévaloir de son statut de maître, régner ». Il s’emploie dans un sens positif dans des passages comme Gn 1.28, 9.1 ; Ps 72.8 (LXX : 71.8), 110.2 (LXX : 109.2) ; Si 17.4 ; Jr 3.14. Katexousiazô, quant à lui, veut dire « exercer l’autorité sur [quelqu’un] », puis – éventuellement aussi – « tyranniser ». Le BDAG précise toutefois que ce dernier sens n’est pas certain. 

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