L’UNION AVEC CHRIST
Au cœur de la doctrine chrétienne selon Jean Calvin[1]
Paul WELLS*
Abraham Kuyper a donné un avertissement à ceux qui abordent ce sujet : « Bien que Calvin ait été le plus rigoureux des réformateurs, cependant pas un d’entre eux n’a présenté, comme il l’a fait, cet unio mystica, cette union spirituelle avec Christ, si inlassablement, si tendrement et avec un tel feu saint[2]. » Aucune description de la pensée de Calvin ne surpassera le brio du maestro !
A la complexité des éléments constitutifs de l’œuvre de Calvin et, particulièrement, la façon dont ce sujet est relié à la cène, s’ajoutent deux autres difficultés connexes en lien avec le débat théologique actuel. D’un côté, les discussions au sujet de la structure de l’Institution chrétienne, suivant les propositions de l’historien Richard Muller[3], ont eu tendance à faire de l’union avec Christ un thème central de toute la théologie du réformateur. D’un autre côté, par voie de conséquence, l’union est considérée comme la force irrésistible qui est derrière la double grâce de la justification et de la sanctification, et derrière les aspects objectifs et subjectifs de la foi, soulevant de nouvelles questions sur le caractère juridique de la justification dans la pensée du réformateur[4].
Un danger consisterait à se limiter, pour alimenter le débat, à dialoguer avec ce que d’autres disent dans des publications récentes. Calvin devient prétexte à des joutes académiques. Nous essaierons d’éviter cet écueil en examinant, après quelques remarques d’introduction, trois textes bibliques spécifiques.
I. Centre et mouvement de la théologie de Calvin
Les remarques qui suivent n’ont pas la prétention d’apporter une nouvelle contribution au débat concernant le centre de la théologie de Calvin ou d’entrer en discussion avec ce que d’autres disent à ce sujet. Elles cherchent simplement à présenter un modèle, utile à mes yeux, pour comprendre la relation de trois éléments connexes dans la pensée du réformateur. Alors que l’idée de « centre » sous-entend quelque chose de statique, la pensée de Calvin implique un mouvement analogue au développement de l’histoire de la rédemption.
Cette union avec Christ constitue vraiment le point central de la théologie de Calvin dans son ensemble, et il en est ainsi parce qu’elle est la résultante de deux tensions dialectiques qui la précèdent et qui la contextualisent. A son tour, elle suscite deux situations dialectiques qui sont les fruits de l’union centrale avec Christ. De la situation originelle à la résolution finale, il y a un mouvement dans l’histoire qui implique Dieu et l’homme, comme le schéma suivant le montre :
Dans l’œuvre de Calvin se trouve une dialectique fondamentale entre Créateur et créature, qui structure l’ensemble. Comme François Wendel l’affirme,
Calvin place toute sa théologie sous le signe de ce qui a été l’un des principes essentiels de la Réforme : la transcendance absolue de Dieu et son altérité totale par rapport à l’homme. Il n’y a de théologie chrétienne et conforme à l’Ecriture que dans la mesure où est respectée la distance infinie qui sépare Dieu de sa créature et où l’on abandonne toute confusion, tout « mélange » qui tenterait d’effacer la distinction radicale entre le divin et l’humain. Il faut, avant tout, que Dieu et l’homme reprennent leur place véritable. C’est l’idée profonde qui domine tout l’exposé théologique de Calvin et qui était sous-jacente à la plupart de ses controverses[5].
En dehors de toute considération sur la nature déchue de l’homme, il existe un espace irréductible qui constitue une barrière insurmontable à toute contiguïté imaginée entre Dieu et l’homme[6]. L’homme est totalement subordonné à Dieu et la théologie ne peut jamais oublier la réalité de cette situation[7]. La création, l’alliance, la rédemption et l’eschatologie, avec leurs ordres spécifiques, expriment la différence entre Dieu et tout en dehors de lui, et institutionnalisent la prééminence de Dieu. C’est dans la distance entre le Dieu transcendant dans son altérité et ses créatures que la médiation est présentée comme une condition sine qua non pour établir le contact entre eux.
Cette dialectique fondamentale fournit le contexte à une nécessaire médiation et à Christ comme Médiateur, non seulement dans l’incarnation, mais aussi dans une perspective plus large[8]. La médiation implique aussi une dialectique fondamentale. La position et l’acte de médiation assumés par Christ impliquent cette dialectique dans la personne de Christ elle-même. La médiation trouve son expression dans l’incarnation et, en particulier, dans le fait que le Médiateur est non seulement vrai homme, mais aussi vrai Dieu, selon l’ancien motif théologique chalcédonien. Dans la personne de Christ, il n’y a aucun « mélange » des natures divine et humaine, mais une distinction. Les deux natures existent en une seule personne et, cependant, sans aucune fusion du divin et de l’humain[9]. Cette seconde dialectique de la nature divine et humaine est résolue en la personne unique de Christ et son œuvre. Le chapitre xii est central dans le livre II de l’Institution chrétienne, qui lui-même introduit le livre III.
L’humanité de Christ nous rapproche de Dieu, nous révèle son amour et sa compassion, et nous donne un gage concret de salut. Comme Calvin le dit :
Ayant pour arrhes le fait que le Fils unique[10] de Dieu a pris corps de notre corps et a été fait chair de notre chair et os de nos os, nous avons une ferme assurance que nous sommes enfants de Dieu, son Père. En effet, il n’a pas dédaigné de prendre ce qui nous était propre pour être un avec nous et nous unir à lui en ce qui lui était propre et, par ce moyen, de devenir en même temps Fils de Dieu et fils d’homme avec nous. D’où cette sainte fraternité qu’il évoque en disant : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jean 20.17) Voilà comment nous sommes assurés de l’héritage céleste : le Fils unique de Dieu, à qui l’héritage de l’univers appartient, nous a adoptés pour ses frères et, par conséquent, nous sommes ses cohéritiers (Romains 8.17)[11].
Ainsi, nous avons ici, en troisième lieu, à travers la sainte fraternité, le fondement de notre union avec Christ, ancrée solidement sur sa médiation. Nous pourrions dire que Christ s’est uni lui-même à nous pour nous unir à lui ; l’union avec Christ est le fruit de la médiation. Christ, comme Calvin l’exprime, n’a pas reçu des dons et des grâces de Dieu pour lui-même, mais pour nous :
Il est clair que tant que nous ne sommes pas à Christ, tout ce qu’il a fait ou souffert pour le salut des hommes est dépourvu de sens et d’utilité pour nous. Pour que nous bénéficiions des biens dont le Père l’a comblé, il faut que nous soyons à lui et qu’il habite en nous. C’est pourquoi Jésus-Christ est nommé notre Chef et le premier-né de nombreux frères (Romains 8.29). Il est également indiqué, ailleurs, que nous avons été greffés sur lui et que nous avons « revêtu Christ » (11.17 ; Galates 3.27). Cependant, rien de ce qu’il possède n’est nôtre, comme nous l’avons dit, tant que nous ne sommes pas un avec lui.
Nous voyons que tous, sans exception, n’entrent pas dans cette communion avec Jésus-Christ, qui est offerte par l’Evangile et que nous obtenons par la foi ; aussi la raison nous pousse-t-elle à regarder plus haut vers le Saint-Esprit, dont la puissance et l’action secrète nous permettent de jouir de la présence de Christ et de tous ses biens[12].
L’union avec Christ est donc la seule voie par laquelle les croyants peuvent recevoir la bonté qui découle de Christ. Il est évident, dans ce contexte, que le Christ en question est le Christ vivant, et que c’est par la foi que nous obtenons ses bénédictions, par le travail secret de l’Esprit. L’union avec Christ est donc une vivante relation de foi et de confiance qui prend sa source en Christ et se fortifie par le travail de l’Esprit Saint. Plus loin dans le livre III, réfutant la notion d’Andreas Osiander sur la grâce essentielle, Calvin explique :
Afin qu’Osiander ne trouble pas les gens simples par ses raisonnements tordus, je confesse que nous sommes privés de ce bien incomparable de la justice jusqu’à ce que Jésus-Christ soit fait nôtre. Je considère donc d’une importance capitale : l’union que nous avons avec notre chef, sa présence dans nos cœurs par la foi, l’union sacrée[13] dont nous jouissons avec lui, afin qu’étant nôtre, il nous accorde les biens qu’il possède en abondance de façon parfaite. Je ne pense donc pas que nous devions contempler Jésus-Christ de loin comme s’il était hors de nous afin que sa justice nous soit conférée ; nous sommes, en effet, revêtus de lui et greffés sur son corps, parce qu’il a daigné nous faire un avec lui[14]. Ce dont nous devons nous glorifier, c’est d’être associés à sa justice[15].
Parce que nous sommes faits un avec Christ et que nous sommes unis à lui, il s’accumule alors en notre faveur la double grâce exprimée dans une relation triangulaire :
union avec Christ > justification > sanctification.
Le fait d’être participant de Christ a la préséance sur les grâces de la justification et de la sanctification qui émanent de lui. D’où le passage classique[16] :
Nous recevons et possédons, par la foi, Jésus-Christ tel que la bonté de Dieu nous le présente. En communion avec lui, nous recevons une double grâce[17] :
Voici la première grâce : nous sommes réconciliés avec Dieu par la justice de Christ et nous avons au ciel non un Juge, mais un Père bien disposé.
La seconde : nous sommes sanctifiés par son Esprit pour vivre une vie de sainteté et de justice. En ce qui concerne la régénération, qui fait partie de la seconde grâce, j’en ai déjà dit ce qui me paraissait utile[18].
La structure est simple : d’abord, la participation en Christ, puis la conséquence de l’union, la réconciliation avec Dieu qui n’est plus un juge, une formulation rapide exprimant la justification, puis la sanctification par la présence de l’Esprit en nous. Ici, fondée sur l’union avec Christ, nous trouvons une réalité dans la vie du croyant qui reproduit l’image de la médiation avec les aspects divin et humain de la personne unique de Christ. Dans la double grâce, la justification représente l’aspect divin (légal) de la grâce, selon lequel Dieu n’est plus un juge, mais un Père, grâce extérieure à nous et pour nous. La sanctification, la transformation intérieure, qui est le fruit de la grâce en nous, renouvelle notre nature humaine. Comme dans l’union des natures divine et humaine dans le seul Jésus-Christ, Christ n’est pas déchiré ou divisé quand nous lui sommes unis[19], mais nous recevons la grâce du Christ entier, en justification et sainteté de vie. Cela se réalise par le travail de l’Esprit Saint et par l’instrumentalité de la foi[20].
La justification et la sanctification font le pendant de ce que Christ accomplit par la médiation de l’incarnation, par le moyen d’une action comparable mise en œuvre par l’Esprit Saint. L’Esprit Saint est le lien qui nous unit à Christ efficacement. François Wendel commente :
Calvin insiste tellement sur cette action du Saint-Esprit qu’on est en droit de se demander, si le Saint-Esprit ne prend pas, à ses yeux, une place analogue, dans nos rapports avec le Christ, à celle que le Christ lui-même occupe dans nos rapports avec le Père. En maints passages, en effet, le Saint-Esprit joue le rôle de médiateur obligé entre Christ et l’homme, tout comme le Christ est médiateur entre Dieu et l’homme. Et de même que Jésus-Christ est l’instrument nécessaire de la rédemption, de même l’Esprit Saint est l’instrument non moins nécessaire, au moyen duquel cette rédemption nous parvient par la justification et par la régénération[21].
Dans l’application du salut, la double grâce a une structure précise. Elle montre que, par le travail de l’Esprit Saint, la foi unit à Christ par la justification et la sanctification comme deux aspects distincts mais complémentaires de l’union avec Christ.
La dialectique homme-Dieu qui se déplace de la distinction Créateur-créature, par la médiation de l’incarnation, vers l’union avec Christ dans l’accomplissement de la rédemption, progresse plus avant, partant de l’union avec Christ et allant jusqu’au centre de l’application de la rédemption. Elle atteint son objectif dans l’achèvement de la rédemption quand Dieu sera « tout en tous ». Christ, à ce stade futur, livrera « le royaume à Dieu le Père » (1Co 15.24, 28). Dans un sens, la dialectique est dépassée, comme l’est aussi la médiation, quand les « fidèles dans lesquels Dieu a dès maintenant commencé son royaume, et le parfera alors, et de telle sorte qu’ils lui seront entièrement unis[22] ». Si la royauté du Fils n’a ni commencement ni fin, au terme de son œuvre rédemptrice, Christ « remettra au Père son titre de puissance et sa couronne de gloire et tout ce qui lui a été donné en sa fonction de Médiateur ‘afin que Dieu soit tout en tous’ (1 Co 15.28). Pourquoi une telle puissance lui a-t-elle été donnée sinon pour que le Père gouverne par sa main ? C’est en ce sens qu’il est dit que Jésus-Christ est assis à la droite du Père : cela est pour un temps jusqu’à ce que nous voyions face à face sa divinité[23]. » C’est un des aspects les plus elliptiques de l’enseignement de Calvin. Malgré sa légendaire capacité à mettre en garde et ses appels à la prudence, ce point énigmatique dans sa pensée sert à indiquer que le mouvement commencé lors de la création atteindra un jour sa destination finale.
L’union avec Christ est un thème central pour Calvin, parce que Christ est central et indépassable. Cette union concerne le Christ vivant ressuscité, elle est intime et physique aussi bien que spirituelle, elle implique une action de la part du Père et de l’Esprit et que Christ soit la source d’une vie nouvelle par la foi en l’Evangile, une foi qui a une expression diverse dans la double grâce[24].
II. L’appropriation du langage biblique par Calvin
L’union avec Christ est présentée, dans un bouquet riche et varié de métaphores, dans le Nouveau Testament. « Ce que l’Ecriture sainte nous dit de cette union mystique va bien au-delà de l’accord moral par la volonté et la bonne disposition, dit Herman Bavinck. Il déclare expressément que Christ vit et demeure dans les croyants et que ceux-ci existent en lui. Ensemble, ils sont unis comme le sarment et le cep, comme la tête et les membres, le mari et la femme, la pierre angulaire et l’édifice[25]. »
Cette relation complexe est décrite par une variété de métaphores. Puisqu’il est pratiquement impossible d’être exhaustif, une sélection s’impose et nous avons choisi trois métaphores que Calvin affectionne : la participation, l’adoption et la greffe. On peut considérer que la participation implique bien les deux autres et ainsi qu’elle est peut-être fondamentale[26]. Elle exprime la communion (koinonia) au corps de Christ. L’adoption est un acte de Dieu qui a son origine dans la participation à Christ et à ses bienfaits, tandis que la greffe décrit l’union vivante avec Christ et la source de vie nouvelle qui est en lui.
Le choix de textes où Calvin utilise ces expressions est difficile à faire à cause du nombre de ses écrits, de ses commentaires bibliques et de ses sermons. Cependant, deux œuvres se détachent : les commentaires sur Romains et sur Jean. Calvin a sans doute travaillé simultanément à la deuxième édition de son Institution (1539) et sur l’épître aux Romains, son premier commentaire (1540). Le commentaire de Jean vient plus tard et sa préface est dédiée, en 1553, aux administrateurs du Conseil de Genève. Dans son argumentation, Calvin déclare que Jean est la clé qui ouvre la compréhension des autres évangiles parce qu’on y trouve un portrait vivant de la puissance de Christ. Là, dit Calvin, nous trouvons Christ comme garant de la miséricorde paternelle de Dieu envers nous et dans son office de médiateur.
Calvin commente la participation à Christ en Romains 6.1-11, l’adoption en Romains 8. 13-17 et la greffe en Jean 15.1-11. Nous ne nous référerons pas, dans ces textes, à la méthode exégétique de Calvin ou à son explication du texte dans son entier ; nous nous limiterons aux aspects touchant à l’union avec Christ.
III. Greffés sur Christ : Jean 15. 1-11[27]
Nous sommes greffés sur le vrai cep (v.1). « Nous sommes stériles et secs par nature, si étant entés en Christ, nous ne puisons et ne tirons pas de lui une nouvelle vigueur provenant d’ailleurs que de nous. » Notre sève vitale, qui est vie et force, vient de Christ seul[28]. La nature de l’homme est stérile et dénuée de bien « parce que nul ne tient de la nature de la vigne, jusqu’à ce qu’il soit enté en Christ ; mais ceci est seulement donné aux élus par une grâce spéciale ». Commentant le verset 5, « sans moi vous ne pouvez rien faire », Calvin enlève l’« objection sophiste » selon laquelle, si nous ne pouvons rien faire sans Christ, nous pouvons faire quelque chose de méritoire avec lui, lorsqu’il dit lapidairement que « sans moi » signifie « sauf par moi ». Il continue en affirmant que, naturellement, nous ne sommes rien et que « nous commençons à devenir des sarments quand nous sommes unis à lui et tirons notre force de lui ».
Calvin souligne donc que la vie spirituelle peut seulement venir de Christ en union avec lui et que cette vie commence par une greffe. En conséquence, la vie nouvelle en Christ signifie qu’une fois greffés sur lui, nous dépendons de lui pour ce qui concerne la vitalité. Le principe est que notre vie est désormais en lui, à cause de lui. Autrement dit, être uni à Christ est la vie à cause de ce qu’il est par sa puissance vivifiante.
L’interprétation que donne Calvin du « vrai cep » est saisissante. Il opte pour la traduction « vignoble » car « Christ se compare au champ où la vigne est plantée et nous aux ceps » ; ceux qui sont en lui sont les sarments plantés dans la vigne qu’est Christ. Dans cette perspective, Christ est le vrai champ de vigne par contraste avec l’Israël dégénéré[29]. Par conséquent, ceux qui sont plantés en lui sont le nouvel Israël, bien que Calvin ne le dise pas explicitement. Christ s’adresse principalement à ses apôtres, qui ont été choisis, et que le monde haïra comme le Maître, mais qui sont ses « amis » puisqu’ils ont été appelés pour faire connaître toutes les choses que Christ a entendues du Père (v.15). Cela signifie, selon Calvin, que dans sa sagesse incompréhensible, Dieu a limité sa révélation aux choses qui concernent la personne et l’office du Médiateur qui se place entre Dieu et nous « pour nous donner de main en main les choses qu’il a puisées et reçues du secret sanctuaire de Dieu[30] ». Rien d’important pour le salut n’est omis de l’œuvre de Christ. Le caractère unique de la fonction médiatrice de Christ selon la révélation suppose que ses disciples doivent rester enracinés en lui, dans sa vérité et dans son amour pour accomplir leur tâche. Nous pouvons extrapoler que l’Eglise est apostolique si elle reste enracinée dans la vérité, comme les apôtres ont été exhortés à le faire.
Christ se présente alors, selon Calvin, comme le vrai champ dans lequel nous devons rester enracinés comme des ceps, afin de tirer de lui notre énergie vitale. Tous les autres champs sont stériles. Christ applique cette comparaison, dit Calvin, à trois choses :
- Nous n’avons aucun pouvoir de faire le bien en dehors de lui.
- Etant enracinés en lui, nous sommes taillés et émondés par le Père.
- Les sarments stériles sont brûlés.
Suit le résumé qu’en fait Calvin :
Le premier auteur de toutes sortes de bien, c’est le Père qui nous plante de sa main ; et le commencement de vie est en Christ, depuis que nous commençons à prendre racine en lui. Quand il s’appelle le vrai cep, c’est comme s’il disait : ‘Je suis vraiment le cep ; les hommes se travaillent donc en vain à chercher vigueur ailleurs, d’autant qu’il ne viendra point de bon fruit d’ailleurs que des ceps qui seront produits de moi’[31].
La fonction médiatrice de Christ est mise en évidence de façon frappante, puisque les sarments sont en Christ à cause du Père, le vigneron, qui les a plantés là. Le fruit vient de la vie en Christ, si le Père fait la plantation et l’émondage. Sur « il émonde tout sarment qui porte du fruit », Calvin comment :
Les fidèles ont besoin d’être assidûment cultivés, s’ils ne veulent pas devenir bâtards ; et qu’ils ne pourront produire aucun bien, si Dieu ne met souvent la main en eux. Car il ne suffira point que nous ayons été une fois faits participants de l’adoption, si notre bon Dieu ne continue le cours de sa grâce en nous[32].
Comment l’émondage est-il accompli ? « Vous êtes déjà purs » signifie, selon Calvin, que les disciples avaient déjà expérimenté l’émondage quand ils ont été greffés sur Christ. Ils avaient déjà été nettoyés et émondés par sa parole, par son enseignement. La vérité (la doctrine) de l’Evangile ressemble au sécateur du vigneron qui enlève ce qui est inutile. Calvin, étant Calvin, ne peut pas éviter de dire ici que la parole provenant de la bouche de l’homme n’a pas grande efficacité, mais « en tant que le Christ a touché le cœur et y besogne par son Esprit, la voix est l’organe ou ‘instrument de la purification[33] ».
Etre enraciné attaché au cep est de la plus haute importance. A la question « quelqu’un peut-il se trouver dans la vigne s’il ne produit pas de fruit ? », Calvin répond que ceux qui sont supposés faire partie de l’Eglise par une confession externe peuvent être dans ce cas, d’où l’exhortation : « Demeurez en lui. » Persévérer dans la grâce par la parole est absolument nécessaire. Christ promet que tous ceux qui sont enracinés en lui seront des sarments portant du fruit et que « l’Esprit sera toujours efficace en eux ». Les élus ne se dessécheront jamais parce que la vitalité coulant de Christ subsistera en eux. Même s’il y a « plusieurs hypocrites, qui selon l’apparence extérieure fleurissent et verdoient pour quelque temps, et qui ensuite, quand il faut rendre le fruit, montrent tout le contraire de ce que le Seigneur attend et requiert des siens[34] ». Ainsi des sarments stériles, non émondés, sont jugés par la parole, et sont écartés de Christ par ce jugement[35]. Calvin ne fait aucun commentaire sur « des hommes seront rassemblés et jetés dans le feu » (v. 6).
Christ demeure en nous par la sève vitale de l’Esprit qui permet à ses paroles de porter du fruit dans ses sarments. Ainsi l’amour de Dieu coule dans les sarments tant qu’ils « demeurent dans son amour ». L’amour de Dieu dont il est question n’est pas l’amour mystérieux imminent, mais l’amour de Dieu pour nous en Christ. Commentant le verset 9, Calvin dit :
Jésus-Christ atteste qu’il est aimé de son Père, en tant qu’il est le Chef de l’Eglise ; comme de fait cela nous est plus que nécessaire ; car celui qui sans le Médiateur cherche comment il est aimé de Dieu s’entortille en un labyrinthe, auquel il ne trouvera ni entrée ni issue. Pour cette raison, il nous faut dresser les yeux sur Jésus-Christ, auquel nous trouverons le témoignage et gage de l’amour de Dieu tout évident ; car l’amour de Dieu a été pleinement répandu sur lui, afin que de lui il découlât sur ses membres… Ainsi donc, nous pouvons contempler en lui comme en un miroir l’amour et la bonté paternelle de Dieu envers nous tous ; car il n’est point aimé à part, ni pour son profit particulier, mais afin de nous joindre au Père avec lui.
Paradoxalement, l’amour de Dieu pour le Fils est accompli par le Fils manifestant son amour par son sacrifice (v. 13). « Dieu pouvait bien nous racheter en disant seulement un mot, ou par sa simple volonté », dit Calvin, mais pour notre bien « en n’épargnant pas son propre et unique Fils » il nous donne à « entendre en la personne de celui-ci quel soin il a de notre salut[36] ». Si nos cœurs ne sont pas touchés par la douceur inestimable de l’amour divin, ils doivent être plus durs que la pierre !
Voici le sens de « demeurez dans mon amour » (v. 9), qui n’est pas, selon Calvin, un sentiment d’amour pour Dieu ou pour autrui, mais la jouissance continuelle de cet amour avec lequel Christ a jadis aimé. Il implique de prendre garde à ne pas négliger notre enracinement. Si nous sommes faibles, nous devons tenir compte de l’exhortation de Christ à persévérer dans l’amour qu’il a montré, en le priant de nous affermir dans son amour. La prière exprime la foi, le moyen de persévérer pour garder les commandements de Christ. Elle unit l’amour immérité de Christ envers nous avec une bonne conscience et une nouveauté de vie. L’effet de l’amour de Christ se montre en ce que les croyants répondent à leur appel conduits par l’Esprit d’adoption accordé par pure grâce[37].
Pour encourager la foi et la persévérance dans l’obéissance aux commandements, Calvin ajoute qu’aussi bien que l’amour de Christ, notre Seigneur lui-même nous donne un modèle à imiter. Calvin paraphrase ce que Christ nous dit :
‘En moi, dit Christ, reluit et est au vif représentée la similitude des choses que je requiers de vous ; car vous voyez bien comment je suis vraiment adonné à rendre une parfaite obéissance à mon Père, et comme je persévère en cette vocation Lui aussi de son côté m’a aimé, non point pour un moment, ou quelque peu de temps, mais il continue perpétuellement son amour envers moi.’ Or cette conformité entre le Chef et les membres doit être incessamment devant nos yeux, non seulement afin que les fidèles s’étudient à se former à l’exemple du Christ, mais afin qu’ils aient bonne confiance d’être tous les jours réformés par son Esprit de bien en mieux, pour cheminer en nouveauté de vie jusqu’à la fin.[38].
Surgissent ainsi la paix et la joie, que « possèdent tous ceux qui ont été justifiés par la foi ». Calvin présente la justification, à ce moment-là, en rapport avec les commandements, parce que l’obéissance concerne la justice gratuitement imputée grâce au pardon et c’est pourquoi les œuvres, qui méritent d’être rejetées parce qu’imparfaites et impies, sont rendues acceptables pour Dieu. Ainsi le désir de vivre une vie sainte n’exclut pas ce que Calvin appelle « le principal article de doctrine », le pardon gratuit de la justification, mais il est fondé sur celui-ci.
L’exposé de Calvin est un tour de force. Il est simple et direct, mais profond, reliant les principaux aspects et les bénéfices de l’union avec Christ. La structure entière ne peut pas être considérée comme mystique, mais est caractérisée par la centralité du Médiateur. Le pardon gratuit de la grâce et la sainteté sont indissociables de la foi qui persévère, reçue par l’écoute de la parole, rendue efficace par l’Esprit d’adoption qui nous convainc de l’amour de Dieu en Christ. Des sarments de vigne féconds sont plantés en Christ et reçoivent la sève de leur racine. Entre les sarments et le vigneron se trouve le troisième élément, le vignoble.
Imaginer que des êtres humains pourraient avoir une relation avec Dieu est aussi illusoire que d’imaginer des sarments plantés dans les airs.
IV. Union avec Christ et participation : Romains 6.1-11
Calvin joue cartes sur table dès les premières lignes de son commentaire sur Romains 6. Demeurer en Christ, comme en Jean 15, signifie Christ en totalité, non pas un Christ divisé. Il est impossible de nous imaginer « la justice gratuite donnée sans nouveauté de vie[39] ». En termes systémiques, la justification et la sanctification sont liées ensemble et sont toutes deux tributaires de l’union avec Christ.
Calvin utilise le mot participation[40] ou ses dérivés au moins huit fois dans cette section:
- Christ nous purifie par son sang et nous rend Dieu propice par l’expiation en nous faisant participants de son Esprit (v. 2).
- Quand nous devenons bénéficiaires de la grâce de Christ, immédiatement l’efficacité de sa mort se manifeste (v. 3).
- La mort de Christ détruit la dépravation de la chair et la résurrection effectue la restauration d’une nature meilleure ; par le baptême, nous sommes admis à participer à cette grâce (v. 4).
- La greffe, une union secrète, nous fait participants non moins de la vie que de la mort de Christ (v. 5).
- Nous ne pouvons pas être mis à mort autrement qu’en participant à sa mort (v. 6).
- Les chrétiens doivent montrer la réalité de leur participation à la mort de Christ (v. 7).
- Porter sa croix est suivi de la participation à la vie éternelle (v. 7).
- Nous ne pouvons être participants de Christ qu’en nouveauté de vie, puisqu’il vit une vie incorruptible (v. 8).
Toutes ces références ont trait d’une manière ou d’une autre à la mort et à la résurrection de Christ et à notre identification avec lui dans ces actes. Dans la mesure où il « a été livré pour nos offenses et ressuscité pour notre justification » (Rm 4.25), la participation à Christ, qui inclut la nouveauté de vie par rapport au péché et à la mort, ne peut pas exister sans la double grâce de la justification et de la sanctification exprimant cette union. Nous sommes unis avec Christ dans sa mort et dans sa résurrection.
De la même manière que sont disposées la sanctification et la justification dans la structure de l’Institution III, où il traite de la nouveauté de vie avant la justification, Calvin s’intéresse ici à « la folie outrageante » de l’idée que cette pure grâce de la justification pourrait favoriser le péché. « En aucun cas ! » C’est le contraire qui est vrai, déclare Calvin : « Nous sommes morts au péché par la grâce de Christ ; il est donc faux de dire qu’elle donne vigueur au péché qu’elle abolit[41]. » Ainsi, la mort de Christ, qui purifie par son sang, et la propitiation de Dieu, qui rend effective la réconciliation, ne sont jamais présentes sans le don de la régénération qui nous fait participants de l’Esprit. La médecine qui éradique la maladie ne la nourrit pas. Nous ne pouvons donc pas continuer à vivre dans le péché, étant morts au péché, « le péché » étant pris par Calvin non dans le sens de culpabilité du péché, mais dans celui de son pouvoir. Nous sommes faits participants de la justice de Christ, adoptés par pure grâce ; nous ne pouvons donc plus marcher dans le péché. L’invitation à la sainteté est enracinée dans la justification et l’adoption.
L’union avec Christ n’est pas possible sans la destruction du péché. Une telle affirmation a été trop souvent oubliée par le mouvement évangélique, avant tout dans ses variétés perfectionnistes. Ce qui doit être principalement considéré dans le baptême n’est pas simplement le lavement et la purification, dit Calvin, mais la « mise à mort du vieil homme » et quand nous devenons un avec Christ « l’efficacité de sa mort se manifeste[42] ». L’effet du baptême est que nous pouvons être un avec lui : étant mort à nous-mêmes, nous devenons de nouvelles créatures. La vérité du baptême est ratifiée par la foi, par laquelle les croyants revêtent Christ (cf. Ga 3.27). Et la puissance de Dieu est révélée dans tous les fruits de la résurrection de Christ. C’est ainsi qu’on passe de la participation à la mort à la participation à la vie : le vieil homme est détruit par la mort de Christ et sa résurrection apporte la justice et fait de nous de nouvelles créatures. Il y a un lien indissoluble : la mort de Christ est efficace pour détruire et anéantir la dépravation de notre chair et sa résurrection l’est pour faire éclore une nature nouvelle et meilleure.
Dans les versets suivants, la terminologie « greffe » ou « plantation » est utilisée[43]. Comme dans son interprétation de Jean 15, Calvin déclare que ce n’est pas par une similitude exemplaire qu’il décrit l’union secrète de son Esprit, par lequel sa puissance se déverse en nous de sorte que nous participons à la vie de Christ. C’est une mort semblable à celle de Christ parce que notre mort à la vie présente signifie un renouvellement spirituel. Que nous soyons « greffés » n’indique pas que quelque chose est exigé de nous, mais que nous tirons un bénéfice de Christ à cause de « la greffe opérée par la main de Dieu ». Non seulement nous sommes nourris par Christ, mais bien plus « nous passons de notre nature à sa nature » et « l’efficacité de sa résurrection renouvelle en nous une nature spirituelle ». Ainsi nous sommes délivrés, parce que crucifiés, de l’esclavage du péché.
Les versets 7 à 11 sont une application des conséquences de la mort avec Christ. La mort détruit toutes les actions de notre vie passée, nous en libère et nous en absout (justifie du péché). La participation à la mort de Christ met fin au péché et l’œuvre de Dieu déjà commencée progresse quotidiennement et acquiert peu à peu son caractère définitif dans une participation commune avec Christ dans la vie éternelle. La mort intervient une fois pour toutes, mais la vie avec Christ est permanente par la participation à sa vie incorruptible. Calvin résume ainsi : « Christ, qui maintenant vivifie ses fidèles par son Esprit ou fait découler sa vie en eux par une puissance secrète, en ressuscitant a été exempté de la domination de la mort, afin d’en exempter aussi tous les siens[44]. » Il y a donc un parallélisme entre ce qui est arrivé à Christ et ce qui nous arrive. Le commentaire de Calvin du verset 10 sert à montrer que Christ s’est fait rançon pour le péché et est mort une fois pour toutes afin d’obtenir la rédemption éternelle au moyen de l’expiation du péché par son sang. De même qu’il nous réconcilie avec le Père par son sang, il nous régénère en même temps par la puissance de son Esprit[45].
La conclusion des commentaires de Calvin est pastorale, comme l’indique le ton du verset 11 :
Le sens de ces mots est celui-ci : « Pensez que voilà comment il est en vous : comme Christ est mort une fois pour la destruction du péché, ainsi vous êtes morts une fois, afin que vous cessiez dorénavant de pécher ; il vous faut même tous les jours poursuivre en cette mortification qui a été commencée une fois en vous, jusqu’à ce que le péché soit tout à fait et entièrement éteint. Comme Christ est ressuscité à une vie incorruptible, ainsi par la grâce de Dieu vous êtes nés derechef, afin que vous poursuiviez toute votre vie en sainteté et justice, du moment que cette puissance du Saint-Esprit, par laquelle vous avez été renouvelés, est éternelle et aura vigueur à jamais[46]. »
Calvin n’est pas un exégète moderne et son interprétation de l’union avec Christ comme participation en Christ n’a pas la finesse de l’interprétation historico-rédemptrice einmalig, bien qu’Herman Ridderbos ait suivi Calvin dans l’utilisation du langage de la participation : « Le baptême nous incorpore dans, nous fait participer à la mort de Christ à Golgotha et à la résurrection dans le jardin[47]. » Le souci de Calvin est biblique ; en humaniste, il a aussi un œil sur la tradition patristique[48]. La participation à Christ, pour Calvin, signifie l’union en termes de possession des avantages procurés par Christ dans son œuvre de rédemption. En ce sens, elle est plus proche de l’interprétation de Ridderbos que des approches mystiques ou des idées de déification. Loin d’être paisible et mesurée, elle a un ton de lutte et de combat qui caractérise les chapitres 6-11 de l’Institution, livre III.
Comme nous l’avons vu, la participation à Christ implique que soit réalisée la double grâce dans la vie du croyant. On ne peut pas être en Christ à moins de participer à la justice et à la sainteté qui est la conséquence de la mort au péché et de la vie pour la justice. Ainsi ce qui est arrivé en Christ devient vrai, à la fois, dans le croyant et hors de lui parce que, par la participation, cela se reflète dans son expérience. Les expressions, nous passons de « notre nature à sa nature » et « l’efficacité de sa résurrection renouvelle en nous une nature spirituelle » décrivent très bien la participation. Ici, nous avons, semble-t-il, une « triangulation » impliquant l’union, la justification et la sanctification[49]. Comme Calvin le dit magistralement dans III, 16, 1 :
En effet, d’où vient que nous soyons justifiés par la foi ? C’est que, par elle, nous saisissons la justice du Christ, qui nous réconcilie avec Dieu. Or, nous ne pouvons saisir cette justice sans avoir aussi la sanctification… Christ ne justifie personne sans le sanctifier en même temps. Ces bienfaits sont joints par un lien permanent. Quand Christ nous illumine de sa sagesse, il nous rachète ; quand il nous rachète, il nous justifie ; quand il nous justifie, il nous sanctifie. Comme il n’est question, maintenant, que de justice et de sanctification, arrêtons-nous sur ces deux grâces. Bien qu’il faille les distinguer, elles sont inséparablement liées en Christ. Voulons-nous recevoir la justice en Christ ? Il nous faut, d’abord, posséder Christ. Or, nous ne pouvons le posséder sans être participants de sa sanctification puisqu’il ne peut pas être coupé en morceaux. Puisqu’il en est ainsi, le Seigneur Jésus ne donne jamais à quelqu’un la jouissance de ses biens sans se donner lui-même ; il les accorde avec largesse tous deux ensemble, jamais l’un sans l’autre. On voit donc combien cette formulation est vraie : nous ne sommes pas justifiés sans les œuvres, bien que ce ne soit pas par les œuvres, puisque la sanctification n’est pas moins contenue dans la participation de Christ, dans laquelle réside notre justice.
V. Union avec Christ et adoption : Romains 8.13-17
L’union avec Christ est la plus étroite des relations impliquant une greffe sur son corps et une participation à une vie commune dans laquelle Christ demeure en nous :
Connaissons l’unité que nous avons en notre Seigneur Jésus-Christ : c’est à savoir qu’il veut avoir une vie commune avec nous, et que ce qu’il a soit nôtre ; voire qu’il veut habiter en nous, non point par imagination, mais par effet ; non point par une façon terrestre, mais spirituelle ; et quoi qu’il en soit, qu’il besogne tellement par la vertu de son saint Esprit, que nous sommes unis à lui plus que ne sont les membres d’un corps[50].
L’intimité dans l’union avec Christ implique aussi de partager la relation filiale de Christ. Il y a donc un lien entre l’union avec Christ et l’adoption. En fait, si l’union avec Christ est inconcevable sans greffe et participation à la vie de Christ, de même l’adoption est une fiction juridique sans participation au corps de Christ. Par nature, nous ne sommes pas des membres de la famille de Dieu, mais des enfants de colère. En Christ, le Fils, nous sommes adoptés dans la famille pour devenir les fils de Dieu. L’adoption est proche de la justification et montre, de la même façon que l’union avec Christ, qu’elle est juridique aussi bien que vitale. De même que pour la justification, Dieu, le Juge, nous disculpe à cause de Christ, de même dans l’adoption, nous sommes les fils du Père à cause du Fils.
Romains 8 pourrait être considéré comme une série d’épreuves de vérité révélant la présence de la vie nouvelle en Christ qui caractérise les croyants. La conscience d’être fils est l’une d’elles qui est développée dans ces versets. Comme nous l’avons déjà vu, la participation en Christ est doublement manifeste dans la justification et la sanctification ; de même il n’existe aucune relation filiale sans la double grâce. Commentant Romains 8.13, Calvin déclare :
Il n’y a jamais de confiance en Dieu, sans qu’en même temps l’amour de la justice ne soit avec… Il est vrai que nous sommes justifiés en Christ par la seule miséricorde de Dieu ; mais l’autre point aussi est également véritable et certain, à savoir que tous ceux qui sont justifiés, sont appelés par le Seigneur à vivre comme le requiert la sainte vocation de Dieu. Que les fidèles apprennent d’embrasser Christ non seulement à justice mais aussi à sanctification afin qu’ils ne le divisent et ne le déchirent point par leur demi-foi, comme de fait il nous a été donné à ces deux fins[51].
Comment alors cette confiance est-elle obtenue ? Par la conduite de l’Esprit qui fait de nous des fils : seuls, ceux qui sont conduits par l’Esprit sont enfants de Dieu, parce que c’est la marque grâce à laquelle Dieu reconnaît les siens…, les enfants de Dieu qui sont conduits par son Esprit sont héritiers de la vie éternelle… et doivent se sentir assurés de la vie éternelle. Calvin appelle cela une dispensation spéciale de l’Esprit et déclare que, par la sanctification, « le Seigneur ne confirme que ses élus, quand il les prend au nombre de ses enfants, les mettant à part du reste des hommes » (v. 14).
Nous trouvons, dans le commentaire de ces versets, un ordre implicite du salut, qui soutient l’exhortation à vivre dans la sainteté. L’élection implique la relation filiale et la séparation ; la justification et la sanctification sont unies dans l’appel à vivre en Christ. L’union avec Christ est diversement exprimée dans les différents aspects de l’ordo salutis.
L’assurance de la foi, à cet égard, a un rapport avec le travail spécial de l’Esprit qui nous fait comprendre la compassion paternelle de Dieu en pardonnant nos infirmités et nos péchés invétérés : notre confiance est, sur ce point, rendue certaine par l’Esprit d’adoption qui ne pouvait pas susciter en nous la confiance dans la prière sans sceller en nous le pardon gratuit que Dieu nous a accordé. « Contrairement à l’esprit d’esclavage provenant de la loi, c’est l’esprit d’adoption par l’évangile et le fruit inestimable de son œuvre que le Fils de Dieu nous a apporté au travers de celui-ci. » (V. 15) Comment en bénéficions-nous ? « Christ, le pédagogue céleste, s’adresse non seulement aux croyants par des paroles, mais il les enseigne aussi intérieurement et efficacement par son Esprit. »
Si, sous la loi, les fidèles « étaient illuminés par le même Esprit de foi et avaient l’espérance de la vie éternelle que l’Esprit a scellée au plus profond de leurs cœurs », sous l’Evangile, l’Esprit est plus largement et abondamment versé sous le règne de Christ. Ainsi, maintenant, par l’Evangile, « l’Esprit d’adoption est versé plus largement et abondamment en nous par le règne de Christ ». Et par cet Esprit, nous appelons Dieu, Père. De nouveau, si le fidèle sous la loi appelait Dieu, Père, dit Calvin, ce n’était pas avec une si grande confiance parce que le voile les tenait à distance du Saint des saints. Mais maintenant, « depuis que l’entrée nous a été ouverte par le sang du Christ, nous pouvons pleinement et librement nous réjouir d’être des enfants de Dieu[52] ». « Dieu pardonne notre péché et nous traite avec bonté comme un Père envers ses enfants. »
Passer de l’adoption à la relation filiale, tel est le travail spécial de l’Esprit, « de l’Esprit lui-même », comme le verset 14 l’affirme. Calvin appelle l’Esprit notre « guide et pédagogue », parachevant le travail de Christ, « le céleste » pédagogue. Notre esprit est incapable d’avoir la moindre assurance en ce qui concerne la relation filiale, mais l’Esprit « verse dans nos cœurs une telle confiance que nous nous risquons à appeler Dieu notre Père » et « témoigne à notre cœur de respecter l’amour paternel de Dieu ». Sans cette assurance, dit Calvin, il n’y a aucun vrai appel à Dieu dans la prière. La vraie foi est attestée par la supplication, et l’exercice de la prière manifeste la réalité de la foi et la confiance dans les promesses de Dieu.
Dans le verset suivant (17), l’adoption comme enfant par Dieu, travail spécial de l’Esprit, se révèle être fondée sur Christ. Le salut consiste à avoir Dieu pour Père et à être adopté comme ses enfants, mais cela implique un héritage détenu en commun avec le Fils à cause du co-héritage :
Dieu nous a adoptés pour ses enfants, il nous a en même temps destiné l’héritage… un héritage céleste, incorruptible et éternel, et tel qu’il a été manifesté en Christ… auquel nous participons avec le Fils unique de Dieu[53]…
L’aspect actuel, vital et pratique de l’union avec Christ est finement exposé quand Calvin commente que nous sommes « cohéritiers avec Christ si nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui » :
Nous sommes cohéritiers avec Christ, pourvu que nous le suivions pour prendre possession de l’héritage, par le même chemin qu’il a tenu… L’héritage de Dieu est nôtre, parce que par sa grâce il nous a adoptés pour ses enfants. Et afin que nous n’en soyons en doute, la possession en a déjà été mise entre les mains du Christ, de qui nous avons été faits consorts et comme compagnons. Or Christ en a pris possession par la croix… Il faut aussi que nous y entrions par le même moyen[54].
Cela n’ouvre pas la porte au salut par les œuvres. Dans l’Institution, Calvin dit : « Comment donc nous exempterions-nous de la condition à laquelle notre Chef s’est soumis, depuis qu’il s’y est soumis pour nous, afin de nous donner l’exemple de sa patience ?[55] » Ainsi, ici aussi, dans son commentaire de Jean 15 et de Romains 6, Calvin évoque la manière par laquelle Dieu nous dispense le salut, et non sa cause. Le salut en Christ est par pure grâce, non par les œuvres ; le chemin de la croix montre comment Dieu dirige son peuple. Plus loin, dans les versets 26-27, Calvin parle de la manière dont l’Esprit agit avec nous : s’il arrivait que nous trouvions notre croix trop lourde à porter, l’Esprit « prenant sur soi la pesanteur du fardeau dont notre infirmité se trouve chargée, non seulement nous aide et baille secours mais nous soulage et décharge ni plus ni moins que s’il portait le fardeau avec nous[56] ».
Pour conclure, l’Esprit Saint est le lien qui nous unit au Fils. L’adoption fait des croyants les fils du Père dans le Fils. Si, par cet acte, ils deviennent cohéritiers avec le Fils, on observe, cependant, un ordre. C’est à cause de la rédemption accomplie par le Fils que l’Esprit d’adoption est reçu. L’expérience vivante de l’assurance de la foi, la confiance et la prière soutenue par le témoignage de l’Esprit, nous font un avec Christ dans son héritage. Cet héritage est acquis par son sang, qui paie le prix de la rançon pour les péchés. La sanctification et le travail d’assistance de l’Esprit nous unissent à Christ sur qui sont fondées la justification et la sanctification.
Conclusion
Pour Calvin, l’union avec Christ est le cœur de l’Evangile. L’incarnation de Christ est le point central de l’accomplissement de l’œuvre du Dieu trinitaire dans ses actes de salut, et l’union avec Christ en est le centre opérationnel. Le Père est l’auteur de la vie, de l’élection, il est celui qui justifie et qui adopte en nous imputant la justice de Christ.
En Christ, nous trouvons la fontaine de vie, le médiateur à qui nous sommes unis dans sa mort et sa résurrection, d’où jaillit la vie nouvelle. L’Esprit scelle la parole de vérité dans nos cœurs, rend témoignage de Christ et est le principe permanent de la communion avec Christ. Jour après jour, l’Esprit accompagne et obtient pour nous, par sa médiation, la grâce de Dieu en Christ.
L’union avec Christ est également centrale, comme nous l’avons vu, parce qu’elle s’articule harmonieusement avec la double grâce découlant de l’œuvre de Christ, la justification et la sanctification. Les deux grâces rendent réels les bénéfices potentiels de Christ dans la vie des croyants. Nous ne possédons rien jusqu’à ce que nous soyons « greffés en » Christ, jusqu’à ce que nous « revêtions Christ » et soyons faits « un seul corps » avec lui, devenant les fils du Père par le travail secret de l’Esprit. Ainsi nous en venons à apprécier Christ et tous ses bénéfices[57]. Aucun des bénéfices de l’ordo salutis n’est possible en dehors de l’union avec Christ.
L’union avec Christ est spirituelle et mystique, puisque Calvin l’articule en termes de participation, de greffe et d’adoption. Cependant, cela reste éloigné du mysticisme ou de la déification que l’on trouve dans d’autres traditions, parce que Christ seul est le médiateur entre Dieu et l’homme, et c’est seulement par sa médiation que l’union est interprétée. « Une telle union est possible parce que Christ a pris notre nature humaine, la remplissant de sa vertu. L’union avec Christ dans son humanité est historique, morale et personnelle, mais pas essentielle. Nous ne sommes pas absorbés en Christ, ni unis à lui d’une façon telle que nos personnalités humaines sont annulées, même dans une faible mesure[58]. »
Finalement, nous sommes unis à Christ, non juste comme d’esprit à Esprit, mais aussi, mystérieusement, dans un sens matériel. Comme la fontaine de vie, le Christ ressuscité est la source de notre vie corporelle présente dans la chair. Pour Calvin, comme nos corps sont animés par nos âmes, ainsi Christ vivant devient le principe de notre vie, nos corps sont « les membres de Christ[59] ».
L’union avec Christ est alors une réalité forgée par l’Esprit par lequel, nous, sur la terre, sommes unis au Christ vivant, ressuscité et éternel, dans le ciel. Telle sera la perspective dominante de la théologie sacramentelle de Calvin, développée dans le livre IV l’Institution, qui ne déborde pas le cadre de cette étude, mais que le temps ne nous a pas permis de développer :
C’est l’échange admirable que[60], dans sa bonté infinie, il a voulu faire avec nous :
- en recevant notre pauvreté, il nous a transféré ses richesses ;
- en prenant notre faiblesse sur lui, il nous a fortifiés par sa puissance ;
- en assumant notre mortalité, il fait nôtre son immortalité ;
- en recevant le fardeau de nos iniquités, qui nous opprimait, il nous a donné sa justice pour être notre justice ;
- en descendant sur terre, il nous a ouvert le chemin du ciel ;
- en se faisant fils d’homme, il a fait de nous des enfants de Dieu[61].
* P. Wells est professeur de théologie systématique et doyen de la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.
[1] Traduction de l’anglais, par les soins de Philippe Kaminski, d’un texte publié dans Calvin. Theologian and Reformer, éds., Joel R. Beeke et Garry J. Williams, Grand Rapids, Reformation Heritage Books, 2010, 65-88. Ce texte est celui d’une conférence qui a été donnée, en septembre 2009, au London Theological Seminary et, en février 2010, au Carrefour de la Faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence.
[2] Abraham Kuyper, The Work of the Holy Spirit, New York, Funk and Wagnalls, 1900, 324-5.
[3] Richard A. Muller, The Unaccomodated Calvin, Oxford, University Press, 2000, 137-9.
[4] Richard B. Gaffin’s, « Justification and Union with Christ », in A Theological Guide to Calvin’s Institutes. David W. Hall and Peter A. Lillback, éds., Phillipsburg, NJ, P&R, 2008, chap. 11. Mark A. Garcia, Life in Christ. Union with Christ and Twofold Grace in Calvin’s Theology, Milton Keynes, Paternoster, 2008, 21ss.
[5] F. Wendel, Calvin. Sources et évolution de sa pensée religieuse, Paris, PUF, 1950.
[6] A. Ganoczy, Calvin, théologien de l’Eglise et du ministère, Paris, Editions du Cerf, 1964, 75.
[7] Cf. P. Gisel, Le Christ de Calvin, Paris, Desclée, 1990.
[8] Sur la notion de médiation chez Calvin, voir H. Schroten, Christus, de Middelaar bij Calvijn, Utrecht: P. den Boer, 1948, et mon article « The Work of Christ », in For A New Reformation : Celebrating the Life and Teaching of John Calvin (Crossway), éds., Derek W.H. Thomas and John W. Tweeddale, à paraître.
[9] Calvin argumente que les deux natures de Christ sont présentes dans la médiation. Cf. S. Edmondson, Calvin’s Christology, Cambridge, University Press, 2004, chap. 1.
[10] Calvin utilise l’expression « Fils naturel de Dieu » (en latin, naturalis Dei filius). Cf. Catéchisme de Heidelberg, q. 33.
[11] J. Calvin, Institution de la Religien chrétienne (IRC), II, xii, 2, nouvelle traduction par Marie de Védrines et Paul Wells, Cléon d’Andran/Aix-en-Provence, Excelsis/Kerygma, 2009.
[12] IRC, III, i, 1. Cf. Comm, Jean 15.1.
[13] Dans le latin, Calvin utilise souvent l’expression mystica unio ; la version française met « union sacrée ». Cf., IRC, III, ii, 24 ; IV, xvii, 8-12.
[14] Cf. Comm., Romains 6.5.
[15] IRC, III, xi, 10.
[16] IRC, III, xi, 1. Cf. Gaffin, « Justification », 268-9.
[17] Cette affirmation de la double grâce de justification et de sanctification est capitale dans la sotériologie de Calvin. Elle se retrouve dans la liturgie du baptême : « Ainsi nous recevons double grâce de notre Dieu au baptême. » Formes des prières ecclésiastiques, CR, V, 187.
[18] Calvin signale la discussion dans IRC, III, iii, 6-20.
[19] Comm., Romains 6.1. Ce chapitre, selon Calvin, s’élève contre ceux qui « déchirent Christ et le divisent de soi-même, ceux qui imaginent que la justice gratuite nous soit donnée par lui sans nouveauté de vie ».
[20] Cf. J. Todd Billings, Calvin, Participation, and the Gift, Oxford, University Press, 2008, 106-108. Gaffin, « Justification », 253-6.
[21] Wendel, Calvin, 180.
[22] Comm., 1 Corinthiens 15.28. Calvin dit : « Le Seigneur Dieu gouvernant alors le ciel et la terre par lui-même, et sans aucun médiateur, sera tout en cet endroit, et conséquemment non seulement en toutes personnes, mais aussi en toutes créatures. » (Ital. nôtres)
[23] IRC, II, xiv, 3. Cette fin a déjà commencé sous le règne de Christ, dit Calvin dans son commentaire, Comm., 1 Corinthiens 15.24.
[24] Cf. C. Adjemian, « L’union en Christ chez Calvin », in L’actualité de Jean Calvin, collectif, Lausanne, L’Age d’Homme, 2008, 177-200.
[25] H. Bavinck, Reformed Dogmatics, IV, Grand Rapids, Baker, 2008, 251.
[26] Billings, Calvin, chap. 3.
[27] J. Calvin, Comm. Jean, Aix-en-Provence, Ed. Kerygma, 1978, 413-419.
[28] IRC, III, vi, 3. Voir aussi les commentaires sur Rm 5.6, 7.4, 13.14.
[29] Calvin se réfère à Es 5.1ss, Jr 2.21, Ez 15.1ss.
[30] Comm., Jean 15.15.
[31] Comm., Jean 15.1.
[32] Comm., Jean 15.2. Voir ce que Calvin écrit sur la souffrance dans la vie chrétienne in IRC, III, vi-xi.
[33] Comm., Jean 15.3.
[34] Comm., Jean 15.6.
[35] Cf. Comm., Romains 11.16-24.
[36] Comm., Jean 15.13.
[37] Comm., Jean 15.9.
[38] Comm., Jean 15.10.
[39] Comm., Romains 6.1.
[40] « Participation » est utilisé comme synonyme de communication (communion), société, union, similitude avec, ou en commun avec Christ. Participation est plus que la communion, car c’est plus intime. Le langage de la participation a aussi une portée sacramentelle. Cf. Marijn De Kroon, The Honour of God and Human Salvation. Calvin’s Theology According to his Institutes, Edinburgh, T&T Clark, 2001, 19-20.
[41] Comm., Romains 6.2.
[42] Comm., Romains 6.4.
[43] Comm., Romains 6.5-8.
[44] Comm., Romains 6.9.
[45] Calvin commente ce passage dans l’Institution, IV, xv, 5-6, quand il parle des trois consolations du baptême, la troisième étant l’attestation de notre union avec le Christ.
[46] Comm., Romains 6.11.
[47] H. Ridderbos, Paul. An Outline of his Theology, Grand Rapids, Eerdmans, 1973, 403-5.
[48] Comme Billings le montre, Calvin, 14ss. Voir aussi D.E. Tamburello, Union with Christ : John Calvin and the Mysticism of St Bernard, Louisville, KY, Westminster/John Knox, 1994, chap. 1; A.N.S. Lane, John Calvin : Student of the Church Fathers, Edinburgh, T&T Clark, 1999, chap. 1, 2, 5.
[49] Gaffin, « Justification », 268-9.
[50] « 9e Sermon de la Passion », Opp., 46, 953, cité par Wendel, Calvin, 177.
[51] Comm., Romains 8.13.
[52] Comm., Romains 8.15.
[53] Comm., Romains 8.17. Cf. IRC, III, 8.
[54] Ibid.
[55] IRC, III, viii, 1.
[56] Comm., Romains 8.26.
[57] IRC, III, I, 1.
[58] J. Beeke, « Appropriating Salvation », in A Theological Guide to Calvin’s Institutes, D.W. Hall and P.A. Lillback, éds., 272.
[59] Comm., 1 Corinthiens 6.18-20. Cf. IRC, IV, xvii, 8-9.
[60] L’expression mirifica commutatio suit la description de la justification faite par Luther dans son Traité sur la liberté chrétienne (1520).
[61] IRC, IV xvii, 2.