Protestantisme et liberté de conscience
Georgina DUFOIX*
C’est la première fois que je viens à la Faculté de théologie réformée d’Aix-en-Provence et cela me fait grand plaisir. J’en entends parler depuis longtemps, de tout ce qu’elle fait, des hommes et des femmes qu’elle a formés, mais je n’avais jamais eu l’occasion de voir comment était cette Faculté. Voilà qui est fait et j’en suis très heureuse.
Je remercie également de la confiance qui m’a été faite en me demandant de parler sur ce sujet. Quand cette demande m’a été adressée, il y a presque un an, j’ai dit «oui» tout de suite, ce qui est une réaction très rare chez moi. Afin de sauvegarder ma vie familiale et aussi mes autres activités très intenses, je ne parle pas beaucoup à l’extérieur. Pourquoi ai-je accepté d’être là ce soir? D’une part, parce que j’avais envie de mieux connaître la Faculté et, d’autre part, parce que le sujet m’était totalement inconnu. J’y ai vu une bonne occasion de le travailler.
J’ai vécu des moments où j’ai pensé: «Je n’ai rien à dire.» Et à d’autres: «J’ai trop à dire.» Cette demande a été pour moi l’occasion d’un voyage dont je suis très reconnaissante.
J’ai voyagé à travers la pensée d’hommes et de femmes qui ont aimé Dieu et que je ne connaissais que de nom: saint Augustin, que je n’avais lu que très peu; cette lecture m’a beaucoup appris, notamment qui était Pélage. Je ne suis pas une théologienne mais une politique qui a été saisie par la foi et qui ne s’intéresse plus qu’à cela. Je connaissais, certes, l’existence du semi-pélagianisme sans bien savoir ce qu’il signifiait. J’ai aussi rencontré Arminius que je ne connaissais pas vraiment tout en n’ignorant pas son existence. Qu’avait-il exprimé? Je me suis inquiétée d’avoir récupéré un certain nombre de ses idées dont je me suis nettoyée. J’ai surtout découvert la pensée de Luther. Pour moi, la calviniste cévenole, la lecture de la pensée de Luther a été un grand moment de ma vie spirituelle. J’ai été étonnée que cet homme que j’avais transformé en géant de la foi, géant de l’histoire, soit un homme si proche, si vrai, si réel. Les textes de lui que j’ai lus m’ont profondément surprise en raison du courage qu’il a eu à l’époque où il a vécu, de la clarté et de la force de sa pensée. C’est avec reconnaissance que j’ai lu tout cela.
Merci aussi au professeur Berthoud qui m’a fait connaître un ouvrage1 que, sans lui, je n’aurais jamais ouvert, celui de Francis Schaeffer. Il a suscité en moi une saine colère, car il m’a permis de découvrir tous les blocages que j’avais dans mes pensées, tous les schémas que j’avais conservés de mon éducation fortement humaniste. F. Schaeffer m’a fortement secouée. La préface de ce livre est magnifique. J’ai connu ce qui s’appelle la délivrance dans ses pensées à travers les livres de Schaeffer.
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«Protestantisme et liberté de conscience», tel est le sujet que j’ai à traiter ce soir. Je souhaite qu’un temps soit réservé aux questions, celles qui viennent de votre cœur, pas des questions intellectuelles. J’aime beaucoup les questions qui me sont posées par la Bible dans la vie quotidienne.
Pourquoi est-ce que je viens vous parler aujourd’hui? Parce que je suis «une politique». Cela correspond tout à fait à la définition de la politique qui a été donnée cet après-midi. Comment fait-on pour que des êtres humains tellement différents arrivent à vivre ensemble? Comment est-ce possible? Qu’est-ce qui les rassemble ou les sépare? Cela a toujours été ma question, depuis ma naissance.
Il se trouve que je suis arrivée en politique et j’ai cru que c’était exactement ce qu’il me fallait, ce que je voulais, et j’ai vécu un temps passionnant avec la compréhension des mécanismes politiques et politiciens, la compréhension du fonctionnement d’un pays, d’une administration, de la manière d’interagir de gens entièrement différents. Je ne regrette pas ce temps, mais je préfère le temps d’aujourd’hui.
Comment le temps d’aujourd’hui est-il différent? Il l’est parce que le Seigneur est venu dans ma vie lorsque j’étais «en politique». Il est venu dans mon bureau, il s’est révélé à moi par son amour. Ma vie a changé et je me suis mise en marche avec de grands moments et des moments difficiles. Cette aventure-là, c’est l’aventure de ma vie beaucoup plus que l’aventure du gouvernement, sans commune mesure!
Je reste néanmoins passionnée par la France, par la vie politique. J’ai un grand projet, dans ce domaine-là, dont j’espère vous parler tout à l’heure. En tant qu’hommes et femmes qui avons la joie d’être élèves de Jésus-Christ, nous avons un rôle à jouer dans un pays.
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Protestants, mon mari et moi le sommes à cent pour cent. Pour diverses raisons, je viens de passer quelques mois avec mes ancêtres. Depuis 1492, semble-t-il – donc avant Luther -, j’avais déjà des ancêtres qui se préoccupaient de savoir comment réagir face au problème des indulgences et comment exercer la liberté de conscience. Cela fait donc un bail! De fil en aiguille, on en arrive aux protestants cévenols que nous sommes. Dans une partie de nos familles de Cévenols et de familles apparentées, on trouve des hommes et des femmes qui ont vécu les grandeurs et les très grandes souffrances du protestantisme français.
J’ai retrouvé très récemment ceux qui sont morts aux galères. J’ai essayé de m’approcher d’eux en tant que personne et ne peux pas en parler sans émotion. Pensez à ce que ces gens, leurs familles, ont vécu… Je me suis intéressée particulièrement à la femme de l’un d’entre eux, Honoré Turge, qui est allée aux galères de 1756 à 1762. Il faut voir comment sa famille a été traitée pour avoir commis la seule faute d’avoir été prise dans une assemblée du Désert le 1er janvier 1756, comment ses biens ont été confisqués, comment elle est mise au ban de la société et comment «le gars» vit et rame sur sa galère… Quand vous voyez les faits de façon concrète et précise, vous mesurez la beauté, la grandeur, la chance que nous avons de vivre dans un pays où nous pouvons exercer notre foi.
Je pense très sincèrement que si nous vivons aujourd’hui dans un pays où nous pouvons exercer la foi chrétienne et d’autres fois, nous le devons au sacrifice de ces personnes. Je ne dis pas cela de façon mélodramatique. Je crois que c’est à ces hommes et ces femmes que nous devons notre liberté. «Protestantisme et liberté de conscience», cela commence à l’Edit de Nantes.
L’Edit de Nantes est, en effet, le premier édit signé par l’autorité française, le roi Henri IV, qui donne l’autorisation à un citoyen français de changer de religion. C’est la première fois que cela est possible. En outre, c’est la première fois qu’il est possible de ne pas avoir la religion du roi. Juridiquement, ce sont deux choses différentes. Autrement dit, l’Edit de Nantes donnait aux Français, pas seulement aux protestants, la possibilité de changer de religion. Quand on considère les problèmes d’aujourd’hui, avec le problème musulman, avec les pays musulmans, avec l’interrogation que nous avons de savoir si nous pouvons ou non laisser le culte musulman s’installer en France, quand on voit que, dans la quasi-totalité des pays musulmans, aujourd’hui, notre culte n’est pas autorisé, on se dit que tout ceci méritait une évolution… les hommes et les femmes de l’époque ont fait ce qu’ils ont fait! L’Edit de Nantes est, donc, le premier acte d’Etat de la liberté de conscience en France. Si, aujourd’hui, on peut parler, on le doit à ces petits commencements qui, certes, ont été terribles – tant de gens ont souffert… – mais on le leur doit. Je crois que l’on peut laisser monter en nous un sentiment, assez rare chez les Français, qui est la reconnaissance. Si on le fait, on leur rend hommage.
En 1685, le roi Louis XIV supprime cette possibilité. Et c’est alors, après la révocation de l’Edit de Nantes, que mes grands-pères ont été pris. A partir de 1700. Comme Victor Hugo le fait dire au bourreau dans Les Misérables: «Il te suffit de dire ‹j’abjure› et je ne tuerai pas ton enfant.» Quand on est maman, une maman – selon Victor Hugo qui en rajoute sans doute un peu – en train d’allaiter son enfant, s’entendre dire cela… On peut mesurer la puissance que le Saint-Esprit a donnée à ces gens-là. Sans le Saint-Esprit, faire face à une telle situation n’est pas possible. Ne serait-ce qu’au niveau émotif primaire, c’est impossible. Aussi est-on obligé de se dire que l’Esprit de Dieu a agi. Et merci à ces gens-là!
On arrive à la Révolution, à 1787, l’Edit de tolérance. Sur quelle pensée est basé ce concept de tolérance? Il l’est sur celle que je suis grand, que vous êtes petits et que je vous accepte… Comment trouve-t-on cela très bien? «Tolérance» est un mot sur lequel, en tant que Français et que protestant, il faut réfléchir. Il faut réfléchir au fait que ce mot, connoté favorablement, nous détourne du respect du prochain, de l’amour du prochain. Il nous fait nous attacher à une doctrine et pas à une personne. Ce que le Seigneur Dieu nous dit, c’est: «Aimez votre prochain même si celui-ci n’est pas du même avis que vous.» Il vous dit: «Respectez», «Aimez»; il ne dit pas «Tolérez». Je suis heureuse, dans une Faculté où tant de grandes consciences sont en train de se préparer, de pouvoir dire: «Faites attention au mot ‹tolérer›, non pas au concept qui est derrière s’il est d’ouvrir son cœur et sa tête à ceux qui n’ont pas la même idée que vous, mais s’il signifie, ce qui est très dangereux, ‘je suis grand et, parce que je suis généreux, je vous ouvre une petite porte’.» Je ferme la parenthèse au sujet de 1787.
En 1789, en août, il y a la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, comme président de l’Assemblée constituante, un homme, Rabaut Saint-Etienne, un Nîmois – dont le père, Paul Rabaut Saint-Etienne, est un des pasteurs importants du Désert – fait voter l’article 10 de la Déclaration: «Nul ne peut être inquiété pour ses idées, même religieuses.» Cette dernière mention est surprenante. Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne est pasteur et il sait très bien ce qu’il fait. Il fallait préciser «même religieuses», car cela n’allait pas de soi. Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne qui fait voter cela est Girondin et se fait «descendre» politiquement par les Montagnards, qui le condamnent à mort en 1794. Cet homme, qui a fait voter qu’il était possible d’avoir des opinions religieuses différentes, est exécuté à cause de ses opinions politiques. Pourquoi? Parce qu’il n’a pas voulu voter la mort du roi.
Vous, en particulier les jeunes, je veux attirer votre attention sur le fait que l’intolérance politique est parfois plus cruelle que l’intolérance spirituelle, dont pourtant on a tellement parlé. Rabaut Saint-Etienne est mort pour avoir refusé de voter la mort du roi. Il a été réhabilité par la suite… Il est important de voir combien l’intolérance politique peut être cruelle, radicale.
Ensuite, en avançant dans le temps, on est toujours protestant. Rabaut Saint-Etienne, qui est protestant, est aussi franc-maçon. Au XIXe siècle, comme le montrent les événements, dans cette lignée de gens, les protestants sont francs-maçons. Pourquoi est-ce que je vous parle des francs-maçons? Parce que je crois que je comprends ces protestants qui ont été tellement persécutés, qui se sont sentis tellement en difficulté qu’ils ont eu besoin de se rassembler. A leur place, j’aurais peut-être fait la même chose. Néanmoins l’appel qu’ils ont fait n’était pas un appel à Jésus-Christ… Ainsi, petit à petit, la foi s’est perdue. Pourquoi? Parce que l’humanisme s’est installé. Il est impressionnant de voir que, dans ces lignées de gens, qui sont mes ancêtres (il y en a beaucoup d’autres que les miens!), des hommes et des femmes courageux, qui avaient hérité du courage de leurs pères, qui ont péri sous la Terreur… sont rentrés petit à petit dans l’Église et vont perdre la foi.
C’est une leçon de l’histoire que je n’oublie pas, parce que j’en suis comptable devant Dieu et devant les hommes. Je suis la résultante de tout cela. Mes parents me l’ont léguée et, avec mes enfants, nous provenons de ce mouvement de protestants qui ont poussé la liberté de conscience si loin qu’ils en ont perdu la foi.
La liberté de conscience, cette volonté presque métabolique de la liberté, est tellement forte qu’elle semble être dans mes gènes. Elle est progressivement devenue religieuse, mais sans foi. On a perdu peu à peu la foi au Christ vivant et cela de génération en génération. Cette histoire est la mienne et celle de plusieurs d’entre vous. A part demander pardon à Dieu, on n’a pas grand-chose à faire. Il faut aimer ces gens parce qu’honorer leur mémoire (honore ton père et ta mère) est important, mais pas forcément ce qu’ils ont fait.
Liberté de conscience: cent pour cent oui. Mais attention! Si la liberté de conscience s’exerce sans foi et qu’elle disparaisse, comme c’est le cas aujourd’hui, chez des individus comme vous et moi, individualistes – car l’air du temps l’est -, attention! La liberté de penser pour laquelle je suis sans aucune réserve peut conduire à des impasses: à un individualisme excessif et à une arrogance démesurée, parce que «moi», «moi», «moi». Finalement, si on pousse cela, on en arrive à l’égoïsme et à l’égotisme. C’est ce que j’ai fait, du moins en ce qui concerne l’humanisme. Or, si l’humanisme s’installe et se marie avec une liberté de pensée métabolique, on en arrive à se croire «Dieu». C’est tout simple. L’air du temps peut nous conduire là. Si l’homme est «Dieu», Dieu n’est plus Dieu. Si ma vie est mon «Dieu», je n’ai pas besoin de Dieu. Et Dieu, petit à petit, de génération en génération, disparaît de ma vision du monde.
C’est ce qui m’est arrivé. J’étais profondément athée. Donc un cœur vide et c’est dans ce cœur vide que l’Eternel Dieu, dans sa grâce – et seulement dans sa grâce – a décidé de venir. Pourquoi? J’espère qu’un jour je le verrai face à face pour le lui demander. Je ne sais pas pourquoi, mais je dis «merci», car de quelqu’un de mort, il a fait quelqu’un de vivant. C’est aussi simple que cela et c’est l’histoire de toutes les conversions.
Je vois d’où je viens et, grâce à votre demande de parler de «protestantisme et liberté de conscience», j’ai encore mieux vu d’où je venais. L’athée, l’humaniste que j’étais… et pourtant ses ancêtres se sont battus et ont payé cher leur attitude.
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Le Seigneur est venu dans ma vie et tout a basculé, car plus rien ne ressemblait à ce qui était auparavant. Si on m’avait demandé: «Te sens-tu libre?», j’aurais répondu: «Oui, profondément.» «Et ta conscience?» «Je suis protestante, je suis seule en face de ma conscience.» Je ne peux pas ne pas évoquer le souvenir de mon cousin, Gaston Defferre (il était ministre de l’Intérieur et sensiblement plus âgé que moi) qui, un jour au Conseil des ministres, comme le président Mitterrand terminait un débat ainsi: «Arrêtez de penser que c’est la faute des autres…», a dit: «Monsieur le Président, je suis protestant et je sais que le seul responsable de ma vie, c’est ma conscience, n’est-ce pas Georgina?» J’ai répondu « Oui, oui», mais je n’étais pas à l’aise dans un tel cadre. Cela signifiait qu’à la différence de nos amis et frères catholiques qui, il y a vingt ans, donnaient le prêtre comme référence, les protestants avaient leur conscience. G. Defferre était comme cela et moi aussi.
Quand le Seigneur est venu dans ma vie, j’ai compris que ma conscience était loin de ce que la Bible disait, des références que le Seigneur mettait dans mon cœur. Au fond, j’avais ma liberté de conscience à condition que la conscience soit ce que je croyais bien. Je m’arrangeais avec cela et j’«autojustifiais» pas mal de choses. Je n’ai certes pas accompli des énormités… je n’étais pas du tout parfaite, alors que je me croyais quelqu’un de bien. Quand le Seigneur est venu dans ma vie, la référence n’a plus été la même. Je ne me référais plus à mes propres idées sur moi-même, j’avais une autre référence. C’est très dur. Le sentiment du péché… un mot que je n’avais jamais employé, que je n’avais aucune envie d’employer, que je pensais être un mot «fini», d’un autre temps… et qui m’a rattrapé. J’ai vu alors la multitude des attitudes intérieures, des mots, des décisions que je prenais en me référant à ce que je croyais juste et qui n’était que ma propre référence. En d’autres termes, j’étais la mesure de moi-même et, du coup, j’étais très bien! Quand la mesure est devenue le Père, l’Autre et sa Parole, j’étais nulle, zéro, moche, sale… C’est une période dure que plusieurs d’entre vous avez sans doute vécue également.
A ce moment-là, en 1988, j’étais au pouvoir; c’était donc très déstabilisant. Je me croyais quelqu’un de bien et je découvre que je suis tout autre… cela a eu l’immense avantage de me faire comprendre très vite ce que signifiait la repentance. Pour moi, la parpaillote, pour laquelle il n’y avait pas de confession, pas de repentance – c’était un mot d’un autre siècle – j’ai été obligée d’aller sur le chemin de la repentance, sinon je ne tenais pas. Je n’en avais pas envie, mais je ne pouvais pas faire autrement. J’ai mesuré à quel point j’étais loin de la référence biblique, à quel point j’étais loin de la présence «émerveillante» du Seigneur. J’ai réalisé que la liberté de conscience, c’était peut-être une liberté, mais que la conscience n’était pas très brillante.
Et puis, j’ai été obligée de me rendre compte que la liberté n’était pas non plus très brillante. A quarante-cinq ans, je me pensais un être libre, avec six années de gouvernement derrière moi, j’avais quatre enfants, j’avais une vie assez importante sur le plan professionnel… je me pensais libre, vraiment libre. Quand le Seigneur est venu dans ma vie et que j’ai essayé de faire ce que je croyais juste, je n’y suis pas arrivé. J’étais incapable de faire ce que le Seigneur me montrait comme étant juste. Cela se produisait à l’occasion de choses toutes petites. L’Esprit de Dieu a été bon avec moi; il a commencé par de toutes petites choses. Voici un exemple: comme protestante, j’avais appris qu’il ne fallait jamais mentir, je ne mentais pas. Quand le Seigneur m’a dit que l’Esprit de Vérité, le Saint-Esprit de Dieu, c’était sérieux, je me pensais sans reproche à cet égard… et, dans les cinq minutes qui ont suivi, j’ai menti trois fois pour des choses insignifiantes que j’«autojustifiais». Les mensonges les pires étaient ceux que je faisais pour faire plaisir aux autres.
Ma personnalité était sans doute régénérée depuis peu de temps, mais ma volonté ne l’était pas encore. J’ai vécu tout cela concrètement au pouvoir, là où tout s’accélère. Vous savez, gérer la France, ce n’est pas plus compliqué que gérer ce que Dieu vous donne à gérer, c’est simplement plus grand. Ce sont des décisions à prendre pour une collectivité. Il s’agit d’opérer des arbitrages entre des intérêts différents, entre des gens différents. C’est une extrapolation du métier d’une maman de quatre enfants! Je n’exagère pas. C’est d’ailleurs un peu la même chose dans une entreprise, et ailleurs encore. Des arbitrages, toujours des arbitrages… Les problèmes d’aujourd’hui sont les mêmes avec la dette. Que va-t-on être obligé de sacrifier pour payer la dette? C’est un problème de nature familiale… avec pas mal de zéros en plus!
Liberté de conscience, oui! Quand le Seigneur a ouvert mes yeux intérieurs, je me suis aperçue que ma conscience était beaucoup moins précise que je ne pensais et que ma liberté n’était guère mieux que nulle. Choc! La joie, la paix et l’amour de Dieu étaient tellement grands à ce moment-là (ils le sont toujours!), mais c’était tellement nouveau, extraordinaire que j’étais déstabilisée, mais pas perdue.
Arrive alors un épisode de ma vie, dramatique mais extrêmement fructueux, l’épisode de l’accusation sur le sang contaminé. En 1992, j’ai été accusée d’avoir volontairement – ainsi que Laurent Fabius et Edmond Hervé – fait en sorte que le virus du sida ait pu se propager dans les hôpitaux français. Curieux… parce que nous n’avions pas pensé à cela mais, plutôt, que nous avions fait plus que notre devoir. Quelles accusations? De 1992 à 1999, tous les jours ou toutes les semaines, on était accusé d’être des empoisonneurs dans des conditions horribles, en montrant des enfants qui souffraient et en disant: «C’est de leur faute!» Bien des gens ont, en effet, souffert et j’en suis toujours navrée chaque jour encore, mais nous accuser n’était pas juste. J’ai prononcé une phrase qui a été énormément reprise, beaucoup moquée et critiquée: «De ce drame, je me sens responsable, mais pas coupable.» Cela a été un tollé général. Ce que je voulais dire, c’était le contraire de me défiler. Je voulais dire que, chez moi, il n’y avait pas eu de fautes (je couvrais mon administration, les médecins…, ce qui était assez énorme!).
Pour moi, la responsabilité était le corollaire de la liberté de conscience, dont je vous ai parlé, presque métabolique. Cette liberté de conscience avait comme corollaire la responsabilité; pour moi, dire que j’étais responsable, cela voulait dire que je voulais bien répondre de, répondre à, que je sentais que c’était la grandeur de ce métier: répondre de…, répondre à…, mais que, néanmoins, il n’y avait pas eu de faute. La suite des événements m’a donné raison, car pas une seule personne n’a été accusée sur ce dossier, pas un seul médecin, pas un seul administratif, même Garetta (au second procès), parce qu’il n’y avait pas de raison d’accuser. Il y a eu un drame atroce, abominable, qui est l’introduction du virus du sida dans les hôpitaux français comme dans ceux des autres pays dits développés. Si on avait compris ce que c’était, si on avait vraiment tiré la sonnette d’alarme, tout le monde arrêtait immédiatement les transfusions. Cela n’a pas été fait, non pas parce qu’on voulait «gagner des sous», comme on l’a insinué, parce qu’on était des aveugles, parce que les médecins voulaient tuer leurs malades… mais tout simplement parce qu’ils ne savaient pas ce qu’ils avaient entre les mains. Ils pensaient, à cette époque-là, qu’être séropositif, c’était être protégé de la maladie. Tel était l’état de la connaissance en 1985, l’année où se sont passés les événements dont j’ai été accusée en 1992.
Donc, accusations majeures à partir de 1992 et jusqu’en 1999. J’ai été accusée de trois choses et l’Eternel est venu dans ma vie en 1988. Trois procès. Un procès comme empoisonneurs avec Laurent Fabius et Edmond Hervé, qui s’est conclu en 1999 par «pas de faute commise» (en lisant le texte, on comprend presque que le travail était correct, après sept ans d’accusation!). Ensuite, j’ai été accusée au sujet du financement de ma campagne électorale, sur des problèmes d’argent: non-lieu aussi, mais accusation pendant plusieurs mois. Enfin, j’ai été accusée d’être dans une secte, parce que la cassette de mon témoignage était passée et que les médias l’avait publiée le jour du procès. Les trois procès, qui sont menés en même temps, sont gagnés. Pendant cette période, j’ai été pressée par le monde extérieur, une pression très forte. Etre accusée d’être malhonnête quand on est parpaillote des Cévennes, ce n’est pas commode, d’autant qu’il y a toujours des gens pour dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu… Tant que la preuve n’est pas faite que vous avez été honnête – ce qui prend du temps – j’ai été malheureuse d’être l’objet d’une telle accusation. Etre accusée d’être dans une secte m’a plutôt fait sourire. C’était pénible sans doute… procès contre Antenne 2. J’ai gagné ce procès en invoquant la liberté de conscience. Même si j’avais été dans une secte, ce qui n’était pas le cas, je ne permettrais pas de me laisser accuser sur la liberté de penser ou sur la liberté de croire. J’ai défendu cela et j’ai gagné en appel. Cela m’a fait très plaisir.
Pressée par les événements, par le monde extérieur, fortement, la grâce de Dieu a abondé, permettant à mon mari de sortir d’une maladie dite incurable et à ma famille et à mes enfants de vivre debout pendant tout ce temps-là. La présence de Christ peut vous permettre de vivre debout et même dans la paix et dans la joie, alors qu’autour de vous la tempête est partout. Vous connaissez le cantique : «Chaque jour à chaque heure, ô j’ai besoin de toi… viens Jésus et demeure en moi» et «Quand l’ennemi fait rage…» Là, j’ai vraiment vu l’ennemi faire rage et être dans la paix et dans la joie parce que le Seigneur était là.
Cela, pour vous expliquer que, petit à petit, ma liberté, notre sujet d’aujourd’hui, était directement liée à ma capacité de regarder à Christ. Concrètement, en ouvrant la télé à 20 heures, vous voyez un truc avec des gosses qui meurent, des gens qui hurlent… vous vous demandez comment les gens vont vous regarder demain. Si vous regardez à Christ, la paix est profonde, la liberté est totale, la joie est là. Si vous regardez aux hommes, il en va tout autrement. C’était tellement dur que, par la grâce de Dieu, j’ai été obligée d’aller au Seigneur et là j’ai trouvé la liberté, la vraie liberté, celle qui vient quand on met en application: «Ma grâce te suffit.» J’ai entendu cette phrase comme surlignée dans mon esprit, et j’avais envie de dire: «Mais non, cela tombe de partout!» et, si j’arrivais à me blottir sous cette parole, tout allait bien, la paix et la joie étaient là.
Il a fallu que cela «tape» très fort pour que je me soumette. J’étais là où j’étais, c’est-à-dire une personne libre qui se pensait autonome. Il a fallu que les événements soient très forts pour que je puisse me blottir sous les paroles de Dieu. Et je me suis aperçue, en essayant de les mettre en application, que j’étais très bien et que la vraie liberté était là. Liberté à l’égard de ce que les gens pensaient de moi, liberté à l’égard de l’opinion publique, liberté sur tous les plans: les médias… dans tous les domaines. La plus grande des libertés, c’est celle que le Seigneur m’a donnée après la parution d’un article, écrit par une femme, paru dans Le Monde, un article du soir sur des personnalités: c’était atroce, perfide et son contenu faux pour un tiers. J’avais fait confiance à cette journaliste qui avait terminé son texte en se moquant de notre dernier fils, âgé de quatorze ans à l’époque, qui lui avait apporté à boire lorsqu’elle était venue à la maison. C’était trop, excessif… La parole de Dieu qui m’est venue est: «Tu aimeras tes ennemis.» Cela ne s’est pas fait en un instant, car je me suis énervée contre cette femme pendant plusieurs jours. C’était tellement dur… j’avais perdu la paix que le Seigneur donne. Je me suis enfermée dans une chambre en la haïssant et j’en suis sortie, le soir, en l’aimant: cela, c’est la grâce de Dieu, c’est la liberté! J’étais, enfin, libre par rapport à elle. J’étais enchaînée dans ma colère, et je suis sortie en l’aimant. J’ai brûlé l’article et je n’ai pas envie de revenir dessus. Mais j’aime son auteur et cela, c’est la plus grande grâce, liberté que Dieu m’ait donnée. Je sais qu’il est possible d’aimer ses ennemis. Cette liberté est fabuleuse: c’est l’amour, pas l’amour romantique, sentimental, mais l’amour agapè, l’amour qui bannit la peur… c’est la vraie liberté. Certes, je n’y arrive pas tout le temps, mais je sais que cela est possible. Autant que faire se peut, je me glisse dans cette parole biblique et, là, j’ai vraiment la liberté. Pour moi, la liberté, c’est l’amour.
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Mon projet politique
Voici ce que je fais en ce moment. Lorsque je suis entrée dans ces milieux nouveaux de personnes qui avaient fait la même expérience que moi, dans toutes les Églises, dans l’Église romaine, dans des milieux charismatiques ou non charismatiques, mais qui tous vivaient une présence vivante de Jésus-Christ, j’ai eu l’impression que c’était un monde que, en France, je n’avais pas repéré avant, c’était un monde totalement nouveau. Quand on vit dans le monde politique, on a l’impression de rencontrer quantité de gens différents, mais ceux-là, je ne les avais jamais vus. J’ai compris pourquoi.
Ces personnes ne connaissaient pas les politiques; la plupart d’entre elles ignoraient le nom de leur député et à peine celui de leur maire. Elles étaient toujours très critiques envers les politiques. Pour elles, ils étaient «le monde», alors qu’elles étaient sorties «du monde». Dans un premier temps, j’ai regardé cela avec surprise et, ensuite, avec peine. C’était dommage. Car, parmi ces politiques, il y a des gens admirables qui s’intéressent aux autres avant de s’intéresser à eux-mêmes, qui ont un courage que tout le monde n’a pas, avec, pour certains d’entre eux, des qualités sociales ou humaines exceptionnelles. Cela m’a fait de la peine de les voir autant critiqués dans les milieux ecclésiaux. Que faire?
Un jour, je suis tombée sur 1Timothée 2.1-2:
«J’exhorte donc, en tout premier lieu, à faire des requêtes, prières, intercessions, actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui occupent une position supérieure, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et dignité.»
Qu’est-ce que cela veut dire? Paul dit à Timothée: prie pour les gens élevés en autorité. Il ne dit pas: critique ou cherche le meilleur des meilleurs, mais prie. Il ne dit pas: prie pour leur programme, mais prie pour les gens, pour les hommes et les femmes. Ton job est de prier pour tous les hommes et pour ceux qui sont élevés en autorité. Pour quoi? Pour que vous viviez une vie paisible.
On ne vit pas une vie paisible et on dit: «C’est la faute aux politiques.» Permettez-moi de penser que c’est certainement la responsabilité des croyants et de ceux qui aiment Jésus-Christ de prier pour ceux qui sont élevés en autorité. Pas pour leur programme ni pour leur personne. J’ai été une de ces personnes. Je sais combien c’est un métier difficile au niveau des pressions qui sont exercées sur les émotions et les esprits. Des malédictions, on en reçoit énormément, des critiques, des malédictions d’une nature spirituelle peu pure.
Je crois que notre responsabilité en tant que citoyens français est de voter, mais, en tant que croyants, elle est de prier pour ceux qui sont élevés en autorité. Et si on ne vit pas une vie paisible dans laquelle on ne peut pas exercer notre piété, il ne faut s’en prendre qu’à nous-mêmes.
Ce que je vous propose, c’est de vous engager dans la prière pour les autorités, nommément. De toute façon, votre devoir est que le prochain président – quel ou quelle il ou elle soit – soit couvert par votre prière.
A qui Paul donne-t-il cette responsabilité? Pas aux administrateurs, pas aux gestionnaires, pas à l’armée, mais à ceux qui prient pour les autorités. Quand on mesure à quel point on en a été loin, on est impressionné. Je ne prie pas tellement pour les autorités… peut-être une fois tous les quinze jours… je n’y pense pas tellement. Ne soyons pas étonnés que cela ne marche pas. Vous le verrez, plus vous allez prier, plus l’atmosphère de notre pays va changer. Pourquoi? Parce que c’est écrit, Paul l’a dit à Timothée et il savait ce qu’il disait.
Je me suis engagée sur cette voie de la prière pour les autorités. J’ai la vision et la conviction que le jour où le peuple qui aime Jésus-Christ se lèvera et priera pour les autorités, l’atmosphère de ce pays changera dans la mesure où toutes les malédictions qui sont sur ces personnes ne seront pas enlevées, mais parce que ces personnes seront protégées. Le Seigneur est là et il a besoin de notre prière. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme cela. Les théologiens ont sûrement de bonnes explications, mais je n’ai toujours pas compris pourquoi Dieu en avait besoin. C’est un fait. Donc, allons-y!
Pour qui vais-je proposer aux chrétiens de voter aux élections présidentielles de 2007? Je n’en sais rien. J’ai donc été conduite à poser le problème autrement et à dire: il y a actuellement des hommes et des femmes qui vont nous proposer d’être élevés en autorité, dont on discerne les ambitions, mais qui sont des hommes et des femmes qui ont le courage de venir devant nous, de sortir de leur train-train quotidien pour nous dire: «J’accepterai votre vote.» Il est de notre devoir de prier pour eux. Je vous propose de prier pour tous les candidats, pas seulement pour ceux qui vous plaisent, pour celui ou celle pour qui vous allez voter, mais pour toutes les personnes qui sortent de leur confort et qui acceptent une candidature à la présidence de la République.
Le 19 mars, on saura qui sont les présidentiables. Je prie pour eux depuis quelques semaines et mon cœur a changé à leur égard, même si cela n’a pas été facile de prier pour certains d’entre eux. J’ai demandé au Seigneur de m’aider et, quand ils passent à la télé, je ne suis pas plus d’accord avec leur programme, mais leur personne je la vois.
Si cela a changé mon regard, cela peut changer le vôtre. Priez pour tous ceux qui sont en position de devoir gouverner la France. On changera l’atmosphère du pays. Vous voterez pour celui que vous jugerez le meilleur, mais vous aurez prié pour tous. Et celui ou celle qui sera élu(e), il ne faudra pas l’abandonner. Continuez à le ou la soutenir. La pression spirituelle est lourde. Ensuite, il y aura les élections législatives. Il faut aussi prier.
Mon rêve est qu’il y ait une armée de gens qui prient ainsi dans notre pays.
1* Transcription de la conférence publique faite, le 2 mars 2007, par Mme Georgina Dufoix, ancien membre du gouvernement français, ancienne présidente de la Croix-Rouge française, membre actuel de Inter Peace International (association siégeant à Genève et qui œuvre pour la réconciliation dans les pays après la guerre).
F. Schaeffer, La braise et les cendres (Aix-en-Provence/Cléon d’Andran: Kerygma/Excelsis, 2003).