THÉODORE DE BÈZE – Pasteur et défenseur de la foi (1519-1605)

THÉODORE DE BÈZE

Pasteur et défenseur de la foi (1519-1605)

Jean-Marc BERTHOUD*

Théodore de Bèze1, qui succéda à Jean Calvin en 1564 comme modérateur de la Compagnie des pasteurs de la Ville et de la République de Genève, naquit le 24 juin 1519 dans la petite ville bourguignonne de Vézelay, ancien haut lieu religieux de la chrétienté médiévale. Il mourut paisiblement le 13 octobre 1605 à l’âge de 86 ans. Pendant près de cinquante années – de 1558 à 1505 – Bèze fut au service de l’Eglise de Genève. Après la mort de l’Antistés de l’Eglise de Zurich, Heinrich Bullinger, en septembre 1575, Théodore de Bèze fut le chef incontesté de la cause réformée dans toute l’Europe. Son œuvre est immense et, comme nous le verrons, extrêmement variée: une correspondance prodigieuse dont la publication a aujourd’hui atteint, avec son vingt-sixième volume, l’année 15852; quelque 90 ouvrages, la plupart en latin et dont un certain nombre connurent des traductions en diverses langues; cinq éditions du Nouveau Testament (quatre du texte grec) avec traduction latine et notes textuelles et exégétiques allant de 1556 à 1598; la traduction (avec Clément Marot) du psautier en vers français; de la poésie latine et française; du théâtre; des recueils de sermons; des ouvrages de piété; et même, au soir de sa vie – il avait alors 76 ans – il mit la main à la composition des mélodies qui accompagnaient sa traduction versifiée d’un certain nombre de cantiques.

Il fut ainsi tour à tour, lui qui était un helléniste et latiniste hors pair, poète, dramaturge, satiriste, pamphlétaire, critique textuel, exégète, philosophe, juriste, théologien, prédicateur, mais avant tout pasteur, homme d’Eglise, un homme de Dieu à la piété profonde et rayonnante. Comme en témoigne si largement sa correspondance, il fut aussi homme d’Etat, diplomate et l’ordonnateur, sur la scène de toute l’Europe, de la cause réformée. Par sa correspondance immense, qui dépasse en ampleur celles déjà prodigieuses de Heinrich Bullinger et de Jean Calvin, il organisa, conforta, encouragea et ordonna la défense de la foi réformée sur tout le continent européen.

Cette grande figure chrétienne, bien oubliée aujourd’hui, a trop souvent été perçue, par les rares spécialistes qui s’en occupaient, à travers les lunettes déformantes d’une modernité résolument hostile à la vision chrétienne que manifestent tous les aspects de son œuvre immense. Selon ces interprètes, Bèze aurait été une figure rebutante par son austérité moralisatrice; un théologien essentiellement abstrait, coupé des réalités pastorales et sociales de ses contemporains; un poète au style dépourvu de charme, rude et médiocre; un critique textuel rendu incapable, par ses préventions théologiques, d’utiliser la richesse des manuscrits à sa disposition; un polémiste intraitable et sans pitié; le défenseur d’une théologie toute centrée sur la seule prédestination; en bref, le pire des théologiens scolastiques, aristotélicien rétrograde, ennemi de toute pensée moderne, traître à l’héritage biblique, si lumineusement humaniste, de son mentor Jean Calvin3.

Face à une œuvre d’une telle richesse, d’une telle variété, d’une telle ampleur, confronté à une vie si longue et si remplie, à la fois, de toute l’histoire de son siècle et constamment conduite par la recherche de la gloire de Dieu et du bien de son Eglise, j’ai bien souvent ressenti, d’une part, mon incapacité à cerner l’essentiel d’une telle vocation et, de l’autre, mon indignité à aborder une manifestation si éclatante de l’action divine dans l’histoire humaine. Mais ce qui m’a souvent réconforté dans ces recherches fut de constater que Théodore de Bèze fut lui-même animé de sentiments semblables. C’est par un extrait de son Testament rédigé en 1595, dix ans avant sa mort, que je voudrais ouvrir notre regard sur la vie et l’œuvre prodigieuse de ce grand pasteur et défenseur de la foi, Théodore de Bèze.

(…) il me serait impossible de réciter les grandes assistances que j’ai senties du Seigneur en toutes sortes de charges, non seulement, par trop pesantes, mais aussi par trop périlleuses [ses nombreux voyages en France (réd.)] jusques à ce que étant de retour en ce lieu [Genève] il m’a fait cette grâce jusques à présent de n’avoir été sans édification tant de bouche que par écrit, selon qu’il a plu à Dieu m’y conduire; mais hélas, faisant comparaison de son devoir avec ce peu d’effet, je baisse la tête devant Dieu lui demandant grâce et miséricorde.4

I. Vie de Théodore de Bèze

  1. Enfance et jeunesse

Comme nous venons de le dire, Dieudonné de Bèze – il grécisa son prénom en Théodore – naquit en 1519 dans la vieille cité de Vézelay. Il était issu d’une famille de la petite noblesse, son père, Pierre de Bèze (1485-1562), juriste et héritier d’une fortune liée au travail industriel des forges et à de nombreux bénéfices ecclésiastiques, était le bailli royal de sa ville natale. Théodore, le cadet des sept enfants d’un premier lit (la deuxième épouse de Pierre de Bèze lui donna encore six enfants), était d’une santé fragile bien que, par la suite, il ait joui d’une robustesse à toute épreuve. Son oncle, Nicolas (1469-1532), un ecclésiastique, se prit d’une telle affection pour le petit garçon qu’il obtint de ses parents de l’emmener à Paris pour y faire son éducation. C’est ainsi qu’à trois ans et demi le petit Théodore quitta le foyer paternel pour toujours. Lors du retour du voyage où elle accompagnait son fils, Marie de Bèze, sa mère, tomba de cheval et succomba à l’âge de trente-deux ans des conséquences de cette chute.

L’oncle Nicolas, cherchant à donner à son neveu, qui manifestait déjà des dons précoces remarquables, la meilleure éducation possible, le plaça en 1528, à l’âge de neuf ans, à Orléans, dans la famille du célèbre helléniste allemand Melchior Wolmar, qui avait déjà été le maître de Calvin à Paris. Théodore y resta jusqu’au départ de France de Wolmar, en 1535, à la suite de l’affaire des Placards. Non seulement Bèze acquit auprès de l’humaniste une connaissance extraordinaire des lettres grecques et latines mais, plus important encore, il y rencontra l’Evangile, car Wolmar était entièrement acquis aux doctrines luthériennes si répandues en France à cette époque. L’on comprend bien que Bèze voua toute sa vie une profonde reconnaissance envers cet homme qui fut pour lui l’instrument de Dieu pour « faire jaillir la Parole de Dieu, comme de la vraie source pour l’en abreuver, la connaissance de la religion véritable »5.

En 1535, Bèze (il avait seize ans) suivit les ordres de son père, qui souhaitait en faire un juriste, et débuta des études de droit à Orléans. C’est de cette époque que date un événement spirituel capital pour le jeune homme: la lecture d’un traité de Bullinger, De l’origine des erreurs dans la célébration du culte divin (1529). Dans une lettre adressée à Bullinger en 1550, Bèze lui écrivait: « Vous m’avez fait connaître la vraie piété, tirée de la Parole de Dieu, sa source la plus pure. »

Alain Dufour, qui cite ce texte, ajoute: « Bèze n’a jamais cessé d’appeler Bullinger son père, car c’est lui qui l’avait ‹engendré au Seigneur›, comme Paul pour Timothée ou Tite. »6

Mais ce qui est semé ne lève pas toujours rapidement, car le temps de la maturation spirituelle est souvent plus long que ce que l’on nous laisse souvent entendre. Les années 1535 à 1548 marquèrent pour Bèze une période d’éloignement de cette foi évangélique qu’il avait faite sienne7. Selon le désir de son père, Bèze, de 1535 à 1539 (c’est-à-dire de dix-sept à vingt ans), entreprit des études de droit à Orléans. Mais ce qui l’intéressait alors était la littérature, surtout la composition de poèmes latins dans l’imitation des Anciens. Il s’en est expliqué plus tard:

Car je confesse que, de mon naturel j’ai toujours pris plaisir à la poésie, et ne m’en ai puis encore repentir, mais bien ai-je regret d’avoir employé ce peu de grâces que Dieu m’a données en cet endroit, en chose desquelles la seule souvenance me fait maintenant rougir.8

En 1539, licence de droit en poche, Bèze monte à Paris où il doit lutter entre la volonté de son père, qui souhaite pour lui une carrière de juriste, et son goût pour une poésie esthétisante. Les bénéfices ecclésiastiques dont il jouit largement le mettent à l’abri du souci de trouver une carrière. Il entre dans des cercles de littérateurs qui gravitent autour de ce que l’on connaîtra plus tard sous le nom de La Pléiade. Mais sa vocation chrétienne n’est étouffée que pour un temps et n’attendra qu’une crise violente pour éclore de manière durable. Il est pour le moment retenu, d’une part, par son goût des lettres et, de l’autre, par les bénéfices ecclésiastiques dont il est l’héritier et auxquels il devrait renoncer en s’engageant ouvertement pour l’évangélisme.

En 1548, au moment même où il connaît un commencement de gloire littéraire avec la parution de son premier recueil de poésies latines, ses célèbres Poemata (dont Michel de Montaigne fut un admirateur), l’appel de Dieu longtemps étouffé fait irruption violente dans sa vie confortable. Voici comment Bèze décrivit plus tard sa situation aux abords de la trentaine:

Alors que je ne figurais pas comme le dernier parmi les hommes pieux de Paris, ni parmi les moins habiles dans les lettres, je fus tenté par les triples rets de Satan: les attraits de la volupté, ceux de la gloire littéraire, l’espoir enfin d’une belle carrière à laquelle m’invitaient des amis de la cour, et à quoi mon père et mon oncle ne cessaient de m’exhorter. C’est Dieu même qui m’a fait échapper à ces dangers.9

B) Conversion

C’est en 1546 que Théodore de Bèze épouse en secret une roturière – il est, lui, rappelons-le, noble – Catherine Denosse. En secret, car un mariage ouvert lui aurait fait perdre ses bénéfices ecclésiastiques et déchoir de son rang. C’est une intervention de Dieu lui-même qui rompt avec violence la trame de cette double vie. Dans une lettre du 12 mars 1560 adressée à Melchior Wolmar, Bèze explique ce qui s’est alors passé:

Pour des raisons que comportaient les circonstances, j’avais promis le mariage à une femme, environ quatre ans avant mon émigration volontaire, ce que j’ai dit ailleurs ouvertement. Elle était de condition inférieure, mais douée de tant de vertus que je n’ai jamais eu à me repentir de ce lien… Mes fiançailles furent si secrètes que seuls deux de mes amis [Laurent de Normandie et Jean Crespin] les connaissaient, partie afin de n’être en scandale à autrui, partie parce que je n’étais pas encore libéré du maudit argent que je retirais de mes bénéfices ecclésiastiques. Je lui fis cependant, lors de nos fiançailles, la promesse formelle de l’amener avec moi dans l’Eglise de Dieu et légaliser notre union dans le plus proche délai, au mépris de tous les obstacles; en attendant, je pris la résolution de ne recevoir aucun ordre ou dignité papistique, ce que j’observai fidèlement.

Mais pendant que je restais comme embourbé, les miens me poussant à choisir un état et mon oncle m’offrant le sien, de telle sorte que j’étais poussé d’un côté par ma conscience et ma promesse et retenu de l’autre par Satan et mes revenus encore grossis par la mort de mon frère.

Alors, Dieu vint me chercher par le moyen d’une grave maladie, qui me saisit au point que je ne pensais pas me remettre… Qu’arriva-t-il? Après d’interminables souffrances du corps et de l’âme, Dieu eut pitié de son serviteur fugitif et me consola de telle sorte que je ne doutais plus de son pardon. Au milieu de mille alarmes, je me détestais moi-même, j’implorai son secours, je renouvelai le vœu de le servir ouvertement dans sa vraie Eglise, bref je me donnai totalement à lui. Il advint ainsi que l’image de la mort, gravement présentée devant mon âme assoupie et comme ensevelie, éveilla l’aspiration à une vraie vie et que cette maladie fut le début de ma guérison… Dès que je pus quitter le lit, je rompis tous les liens qui jusqu’alors m’avaient enchaîné, réunis tous mes biens et quittai patrie, parents, amis pour suivre Christ et me retirai volontairement à Genève avec ma femme.10

Les fugitifs arrivèrent à Genève le 24 octobre 1548.

La fuite d’un personnage public d’une pareille importance ne pouvait être sans conséquence. Le 3 avril 1549, un acte du Parlement de Paris, signé par son président, Pierre Lizet, décréta la saisie de Bèze et la confiscation de tous ses biens. Le 6, les motifs de cette décision furent publiés: 1) Bèze avait opté pour l’hérésie luthérienne; 2) il avait vendu ses bénéfices; 3) il s’était exilé à Genève. Il y eut pire. Le 31 mars 1550, le Parlement de Paris par le truchement de son président, le même Lizet, prononça la confiscation de la totalité de ses biens et Bèze lui-même fut condamné à être « brûlé par figure à la place Maubert ». Il ne pouvait revenir en France qu’au risque de sa vie. Ce ne fut que le 1er avril 1564 que, par lettre de rémission, Charles IX levait sa condamnation à mort et la confiscation de ses biens.

C) Lausanne: les années de formation (1548-1558)11

Le 11 novembre 1548 – soit trois semaines après leur arrivée – Jean Calvin en personne bénissait publiquement le mariage secret de Théodore de Bèze et de Catherine Denosse. Mais il restait à trouver un emploi, à subvenir aux besoins du nouveau foyer. A Genève, Calvin n’avait rien à lui offrir. Rappelons que l’unique académie réformée de langue française se trouvait alors à Lausanne, dans un territoire sous domination bernoise. C’est en 1549 que Pierre Viret, qui avait reconnu les talents éminents et si variés de Bèze, chercha à le retenir comme professeur de grec dans son académie. Le 29 août 1549, il écrivait à Calvin:

En m’entretenant avec Bèze, j’ai voulu m’informer s’il serait disposé à consacrer ses forces à quelque fonction ecclésiastique, ou mieux encore à quelque enseignement littéraire. Sa réponse ne m’a pas enlevé tout espoir, pourvu que tu joignes tes exhortations aux nôtres; c’est ce que je te demande instamment. Car je ne doute pas qu’il ne puisse sous peu être employé ici d’une manière très utile. Il serait un grand lustre pour notre école, et un ouvrier de choix pour les tâches les plus importantes et les plus diverses. Je me rends compte combien l’assistance et le commerce d’hommes de ce mérite doit te réjouir; mais je sais que le bien de l’Eglise te tient encore plus à cœur.12

C’est ainsi que Bèze, ayant surmonté ses scrupules et sa modestie native, fut nommé le 6 novembre 1549 professeur de grec à l’Académie de Lausanne. C’est ainsi que, sous la tutelle de Pierre Viret et dans l’amitié croissante de Calvin, Théodore de Bèze connut, de 1549 à 1558, dix années de formation théologique, académique et ecclésiastique. La suite de sa carrière sera fortement marquée par ces années lausannoises.

Quels furent donc les travaux auxquels il s’attacha et qui exercèrent sur lui une influence si formatrice?

a) Bèze le poète

En premier lieu, ses dons de poète furent mis au service des Eglises. On raconte qu’un jour, déjà en 1549, Calvin passant voir Bèze le trouva absent mais découvrit, en revanche, sur sa table de travail l’ébauche d’une traduction en vers d’un psaume. Dieu mettait au service de son Eglise les dons de versificateur que Bèze avait si fortement développés dans sa jeunesse, mais dans une perspective profane de gloire personnelle. Clément Marot avait, entre 1540 et sa mort en 1544, bien traduit 49 psaumes, mais il en restait une centaine à mettre en vers français pour que les Eglises de la Réforme puissent, enfin, disposer d’un recueil de cantiques approprié à la vision calviniste du culte public. Dès le tout début de son séjour à Genève, Bèze avait très vivement ressenti la puissance bienfaisante du chant des psaumes. Dans le commentaire qu’il écrivit pour l’édition de 1579 du psautier, nous lisons ces paroles:

Lorsque j’entrai pour la première fois dans une assemblée chrétienne on chantait le psaume 91. Je me sentis à tel point fortifié par ce chant que dès lors il est resté gravé dans mon cœur, comme si j’entendais Dieu lui-même s’adressant directement à moi; et je puis attester devant Dieu que j’en ai reçu un admirable soulagement dans la maladie et la souffrance, non seulement lorsque je fus atteint de la peste trois ans plus tard, ou lorsque ce mal s’attaqua à ma famille, ce qui arriva à quatre reprises, mais encore dans d’autres graves épreuves.13

Bèze s’attela immédiatement à cette grande tâche. Mais, harcelé comme il le fut par d’innombrables autres travaux, ce ne fut qu’en 1562 que le recueil complet – le psautier huguenot – vit le jour. Réédité d’innombrables fois, tiré à plus de 100 000 exemplaires, ce fut sans conteste le plus grand succès de librairie du siècle. Il suscita des traductions en quelque 22 langues et fut pour deux siècles le livre de chant des Eglises réformées14.

b) Bèze le satiriste

Mais les années éducatives de Bèze à Lausanne ne se limitaient aucunement à cette redécouverte, en la langue française du XVIe siècle, des principes d’une poétique à la fois réaliste et surnaturelle car tenant compte à la fois des dimensions concrètes du monde sensible et des dimensions réelles du monde invisible, divin, providentiel, angélique et démoniaque. Ce sont ces aspects de la réalité qui furent progressivement évacués par l’esprit réducteur purement immanent de la Renaissance, en ceci avant-coureur de cette modernité qui, pour sa perte, a fait l’économie de toute réalité non mesurable. Nous avons évoqué les affinités de cette poétique biblique avec la poésie médiévale. Mais Bèze ne s’est aucunement contenté de pratiquer une poésie spirituelle et morale d’inspiration directement biblique. Il a, et cela est peu connu, renoué avec la poésie fantastique, grotesque, satirique et mordante des jongleurs du Moyen Age, du Roman de Renard, de François Villon, des rhétoriqueurs et de Rabelais lui-même. Comme Viret avant lui, et sans doute avec la collaboration joyeuse et espiègle de son collègue et maître vaudois, Bèze avait compris que la réfutation des erreurs de tout genre par le rire pouvait avoir des effets plus efficaces, plus puissants, que l’argumentation théologique la plus rigoureuse, la plus exacte, la plus sérieuse. Thomas Jemielty, dans son étude pionnière sur La satire chez les prophètes hébreux, montre comment le prophète biblique et le poète satirique sont des frères dans leur volonté commune de dénoncer et de ridiculiser le péché et l’erreur.

Une prémisse majeure de notre étude est que la prophétie et la satire sont de proches parents car leur démarche commune est principalement la dénonciation et le jugement. Le contenu fortement critique de l’œuvre des prophètes hébraïques est manifeste, même si, comme leurs confrères satiriques, ils décrivent parfois de manière explicite leur vision positive d’un ordre idéal. La prophétie et la satire sont donc toutes deux des formes littéraires où se manifeste l’expression artistique d’un discours critique. La définition classique du but de la satire – louer ou blâmer – s’applique également, de manière tout à fait cohérente, à la prophétie.

C’est ainsi que, dès 1549, Bèze publia une Brève et utile zoographie de Jean Chocleus. Jean Chocleus était un auteur catholique romain qui avait publié une réplique au satirique Traité des reliques de Calvin. Dans sa réponse d’une bouffonnerie énergique, Bèze en venait à suggérer au célèbre zoologue Gessner d’ajouter à son traité de zoologie une nouvelle espèce animale, la Chocleus, dont il décrivait dans le détail la physionomie grotesque.

Bèze reprit sa plume caustique trois ans plus tard dans son célèbre Passavant (pas savant!) dirigé contre Pierre Lizet qui, après avoir envoyé bon nombre d’évangéliques au bûcher, s’était fait abbé lors de sa retraite comme premier président du Parlement de Paris et avait profité de publier deux tomes, aussi massifs qu’indigestes, contre la doctrine des réformés. Dans l’esprit de Rabelais, en un latin macaronique (un pastiche grotesque et hilare du latin), Bèze s’en donna à cœur joie à tourner en total ridicule, tant la personne (qui s’y prêtait fort bien) que les arguments du juriste muté en abbé. Ce livre fit rire toute l’Europe qui lisait le latin, mais sous son côté bouffon, Bèze faisait passer une très sérieuse réflexion critique sur les erreurs de la religion romaine.

Voici comment le rire et la satire, attelée à une réfutation théologique critique (la prophétie), faisaient bon ménage dans la Réforme du XVIe siècle. Cette alliance de l’esprit prophétique et de la satire faisait sans doute plus pour dissiper les fumées de la superstition et de l’erreur que bien des tomes de théologie savante.

c) Le critique textuel du Nouveau Testament

Mais ses travaux à Lausanne ne se limitèrent pas, peu s’en faut, aux domaines de la reconstruction de la poésie, de l’art dramatique et de la satire sur des modèles bibliques. Ses dons exceptionnels de linguiste, surtout sa grande connaissance du grec, furent à la base de son enseignement à l’Académie de Lausanne. A deux reprises, il assuma la tâche de recteur. Très tôt, il mit au service de l’édification de l’Eglise de Dieu ses connaissances par des travaux d’édition, d’annotation, d’interprétation et de traduction du Nouveau Testament.

En octobre 1552, à la demande de l’imprimeur Robert Estienne, Bèze entreprit d’éditer le Nouveau Testament, de l’annoter et de traduire le texte grec en latin. Voici comme il soumettait ses annotations à Calvin:

Plus vous aurez fait de modifications à mes annotations, moins elles me déplairont. Veuillez exercer à ce propos envers un ami cette sévérité dont vous avez l’habitude d’user envers vos adversaires – à en croire leurs mensonges.15

Ce volume parut en 1556. Mais ce n’était que le début de ses labeurs sur le texte du Nouveau Testament. En 1565, Henri Estienne, le fils de Robert, publia l’édition critique établie par Bèze du texte grec du Nouveau Testament accompagné de sa traduction latine, de la Vulgate et de ses annotations textuelles, exégétiques et doctrinales. Cette édition connut trois nouvelles éditions, en 1582, 1589 et en 1598. Bèze y travailla en fait toute sa vie, améliorant le texte par la comparaison détaillée de tous les manuscrits à sa disposition, peaufinant constamment sa traduction et ses annotations latines.

d) La formation dogmatique

Venons-en maintenant aux ouvrages dogmatiques écrits par Bèze dans cette période formatrice à Lausanne. Son premier texte, au caractère à proprement parler théologique, fut sa fameuse Table de la prédestination, de 1555, réponse à une attaque de Jérôme Bolsec, qui avait traité Calvin de manichéen et prétendu que par sa doctrine de la prédestination, il aurait fait de Dieu l’auteur du mal.

Des érudits modernes, tels Bizer, Kickel, Bray, Holtrop, Kendall et Armstrong (suivant ici les enseignements de Moïse Amyrault, leur précurseur au XVIIe siècle), se basant sur l’étude superficielle de ce document, ont prétendu, à des degrés divers, déceler dans l’enseignement du successeur de Calvin une opposition fondamentale entre Bèze et son maître. Ils affirment ainsi:

1) que Bèze y démontre avoir adopté une théologie déductive, logique, rationaliste;

2) qu’il déplace le point de départ de la théologie réformée de la Bible à un point unique: le décret éternel de Dieu;

3) que Bèze aurait, dans son système théologique, placé la raison humaine au même niveau que la révélation biblique;

4) que Bèze fut l’initiateur de ce qu’ils appellent la « scolastique réformée », à leurs yeux une déviation radicale par rapport à l’enseignement de Calvin;

5) finalement, que toutes ces erreurs conduiraient à une théologie abstraite, desséchée, antipastorale et dépourvue de tout rapport avec les besoins spirituels profonds des chrétiens et l’édification d’une vraie piété ecclésiale.

Toute cette vision de la théologie, en réalité éminemment pastorale de Bèze, est rigoureusement erronée. Il s’agit d’une déformation caricaturale de sa véritable pensée. Il ne nous est évidemment pas possible de démontrer, dans ce contexte, de manière détaillée, le bien-fondé d’une pareille affirmation. Mais Richard Muller, grand spécialiste de l’histoire de la théologie de la Réforme et de l’orthodoxie réformée du XVIIe siècle, en a fait la démonstration irréfutable. Il a bel et bien réglé le compte à ces aberrations historiques et doctrinales dans un très bel article intitulé « L’utilisation et l’abus d’un document. La Tabula Praedestinatione, la controverse de Bolsec et les origines de l’orthodoxie réformée », publié en 199116.

En outre, deux études récentes, l’une de Jeffrey Mallinson, La foi, la raison et la révélation chez Théodore de Bèze, 1519-160517, publiée en 2003, et l’autre du baptiste Shawn Wright, Notre refuge souverain. La théologie pastorale de Théodore de Bèze18, publiée, elle, en 2004, démontrent de manière convaincante la réelle continuité (malgré quelques nuances) à la fois théologique (surtout Mallinson) et pastorale (surtout Wright) de la pensée chrétienne de Bèze avec celle de son maître Jean Calvin. C’est d’ailleurs un point sur lequel insiste Alain Dufour, le meilleur connaisseur francophone de Bèze à l’heure actuelle, qui, aujourd’hui, met la dernière main à une biographie nouvelle de notre réformateur.

Cet aspect pastoral de la théologie éminemment biblique de Bèze devient tout à fait évident à la lecture de son premier chef-d’œuvre doctrinal, qui, à l’instar de La seconde confession helvétique de Bullinger19, connut une renommée pleinement justifiée dans toutes les Eglises issues de la Réforme. Il s’agit, ici, de La confession de foi du chrétien 20 de 1556.

II. Théodore de Bèze à Genève (1558-1605)

Nous parvenons à la fin de cette période lausannoise, période de préparation très variée de Théodore de Bèze aux grandes responsabilités qui allaient bientôt venir à sa rencontre dans la ville de Genève. En août 1558, en plein conflit entre les pasteurs et les professeurs de la Classe de Lausanne avec les autorités ecclésiastiques et politiques de Berne sur la question litigieuse de la discipline ecclésiastique, conscient que plus rien de bon ne pouvait venir d’un prolongement du conflit, Bèze donna sa démission comme professeur à l’Académie de Lausanne et rejoignit Calvin à Genève. La plupart de ses collègues, dont son grand ami Pierre Viret, le rejoindraient quelques mois plus tard au début de 1559 lors du dénouement de la crise. C’est dans cette ville que se poursuivra tout le reste de sa carrière.

L’an 1559 vit la fondation de l’Académie de Genève, pépinière d’innombrables pasteurs qui ont apporté à travers toute l’Europe les enseignements de la doctrine réformée et la pratique de la discipline ecclésiastique de l’Eglise de Genève. Bèze en fut le premier recteur. 1560 voit Bèze à Nérac, dans le Royaume de Navarre, où il prêche la Parole de Dieu et commence à organiser la résistance ecclésiale et politique des huguenots à la persécution. En 1561, il préside – tout proscrit et condamné à mort qu’il est – la délégation réformée au Colloque de Poissy, où il prêche librement devant la cour21. 1562 le voit conseiller spirituel et politique du prince de Condé au début de la Première Guerre civile. Le 7 mars 1563, Bèze était de nouveau de retour à Genève après une vingtaine de mois passés en France. 1564 voit la mort de Calvin et Bèze lui succède à la tête de l’Eglise de Genève.

Les années qui suivent sont remplies d’innombrables activités: enseignement régulier à l’Académie; prédications fréquentes; équilibre constant à assurer entre les Conseils de la ville de Genève et la Compagnie des pasteurs; interventions constantes dans les affaires de l’Europe protestante, tout particulièrement celles d’un Royaume de France ravagé par les guerres de religion; immense correspondance; polémiques théologiques dans de nombreuses directions, tout particulièrement face aux attaques répétées, et toujours plus agressives, des luthériens ubiquitaires contre la doctrine réformée de la sainte cène; rédaction d’ouvrages d’histoire; travail constant pour perfectionner son édition grecque du Nouveau Testament et la traduction française de la fameuse Bible de Genève; et, enfin, de nombreux voyages, aux buts politiques et ecclésiastiques, en France, en Allemagne, et dans les cantons suisses.

En mars 1571, Bèze préside le Synode national des Eglise réformées de France à La Rochelle; puis, l’année suivante le voit à Nîmes, toujours au Synode national, tant les difficultés provoquées par des troublions, tels Jean Morély et Pierre de la Ramée, exigent sa présence. Puis fin août 1572 voit l’horreur, le désastre de la Saint-Barthélemy22. Partout, face à l’offensive violente de la Contre-Réforme, les protestants se trouvent sur la défensive. En 1574, Bèze publie son fameux Du droit des magistrats23, qui répond en partie aux théories du pape Pie V justifiant le tyrannicide lorsqu’il est dirigé contre des monarques protestants. Ce livre est un véritable traité de politique du point de vue réformé. Bèze, entre bien d’autres choses, y enseigne que, si la résistance individuelle armée du chrétien au pouvoir même tyrannique est interdite, par contre il est licite aux magistrats inférieurs de s’opposer, si nécessaire par les armes, aux tyrans qui cherchent à détruire les Eglises. 1575 voit la mort de Bullinger; depuis lors, Bèze assume à lui seul la charge si lourde de la direction spirituelle et politique des Eglises de la Réforme.

Constamment, il cherche à rapprocher les Eglises issues de la Réforme, dans un souci de concorde, dans la vérité et dans le respect mutuel, afin de créer un front uni avec les Eglises luthériennes d’Allemagne contre l’ennemi persécuteur commun: la prostituée romaine. Mais il se heurte constamment au refus obstiné des luthériens ubiquitaires qui résistent à ses ouvertures, le voyant de plus en plus comme l’hérétique à abattre, pire encore que l’adversaire romain! C’est en 1580, après une grave maladie, que Bèze renonce à être réélu chaque année comme modérateur de la Société des pasteurs de l’Eglise de Genève. C’est cette même année que Bèze fit paraître sa remarquable Histoire ecclésiastique des Eglises réformées de France24, écrite sans doute en collaboration avec certains de ses collègues, dont certainement son successeur éventuel, historien et poète comme lui, Simon Goulart.

1586 est marqué par un débat difficile avec les luthériens ubiquitaires à Montbéliard, débat qui porte d’abord sur les questions de la sainte cène et de la personne du Christ25. Bèze s’y montre un théologien d’envergure patristique de premier ordre – et même, par certains côtés, scolastique, tant son argumentation est précise et percutante – mais il se heurte comme toujours à la résistance farouche des luthériens qui veulent à tout prix, ceci en opposition aux formulations précises d’Ephèse et de Chalcédoine, voir le corps du Christ partout. C’est ici, comme l’a fort bien perçu Karl Barth, qu’il faut trouver une des racines du panthéisme de la pensée idéaliste allemande ultérieure.

III. La prédication de Théodore de Bèze

De 1586 à 1593, Genève subit le siège presque constant des comtes de Savoie, qui veulent absolument en finir avec cette ville rebelle et hérétique. La situation dans la ville devient si précaire que les autorités envisagent de fermer temporairement l’Académie. Bèze s’y oppose de toutes ses forces, obtenant gain de cause, mais au prix de se charger à lui seul (ceci à près de soixante-dix ans) de tout l’enseignement académique. Il rassemble tous ses traités théologiques en trois gros volumes, œuvre magistrale qui n’a jamais été dans son ensemble, ni rééditée, ni traduite en français ou en une quelconque autre langue. C’est à cette époque que Bèze publie des ouvrages bibliques: des cours sur le livre de Job, des prédications remarquables sur le Cantique des cantiques et, surtout, sur la crucifixion et sur la résurrection du Christ. C’est là que l’on voit le mieux la plénitude de la théologie biblique de Bèze: à la fois pastorale et dogmatique, polémique et apologétique, toujours soucieuse du bien des âmes et des Eglises. Il est incompréhensible que de tels textes, qui contiennent un enseignement homilétique qui peut aisément se comparer à celui des plus grands prédicateurs de l’histoire de l’Eglise, n’aient jamais été réédités.

Conclusion

Le dimanche 13 octobre 1605, dans sa quatre-vingt-septième année, à huit heures du matin, au son de la cloche qui appelait les fidèles au culte, après avoir rendu grâces à Dieu et s’être restauré d’un peu de pain et de vin, Théodore de Bèze, se sentant soudain las, se recoucha.

Et tout doucement, « sans aucune douleur et sans aucun hoquet », comme le dernier coup de cloche résonne, il rend son âme à Dieu.26

Le lendemain, le recteur de l’Académie affichait la convocation suivante sur les portes des auditoires:

Telle est l’arrivée au port pour les navigateurs, telle l’entrée dans une autre vie pour ceux dont la mort est précieuse aux yeux du Seigneur. La journée d’hier a vu s’éteindre une grande lumière de l’Eglise. Chargé d’années, noble et spectable Théodore de Bèze vient de s’acquitter de cette vie éphémère et misérable pour entrer paisiblement dans celle où l’on trouve le repos et la félicité éternelle. Aujourd’hui auront lieu ses obsèques. C’est pourquoi, illustres et généreux seigneurs, comtes, barons, nobles et étudiants de toute condition appartenant à cette Académie, au nom des pasteurs et professeurs, nous vous convoquons pour l’heure de midi, afin de prendre part au convoi funèbre et de rendre l’honneur suprême dû à cet homme éminent, à cette mort sainte. Son corps a été semé corruptible, ainsi que celui de tous ceux qui meurent en Christ, il ressuscitera incorruptible. Car ni la mort ni la vie ne nous peuvent priver des bienfaits de cet amour que Dieu témoigne à ceux qui sont à lui en notre Seigneur Jésus-Christ, lequel fait passer les siens de la mort à la vie.

Le décès a eu lieu le 13e jour d’octobre 160527.

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Une de ses dernières œuvres, et des plus méconnues, est le recueil de ses prières familières, ouvrage qui n’existe aujourd’hui que dans une traduction anglaise.

Notre conclusion viendra de sa 28e et dernière prière: « Pour celui qui sent l’approche de la mort. »

Car nous savons que si notre habitation terrestre de cette tente est détruite, nous avons un édifice qui vient de Dieu, savoir une maison éternelle dans les cieux, qui n’est point faite de main.

Le corps est semé en corruption, il ressuscitera incorruptible.

(2Co 5.1; 1Co 15.42)

Ô Seigneur mon Dieu et Père, très justement l’homme, ta créature, fut précipité dans la malédiction d’une mort éternelle lorsque, par le péché, il se détourna de toi qui est la vie. Car ta majesté ayant reçu une offense infinie devait justement exiger un châtiment sans fin qui, commençant dans cette vie même par de nombreuses misères, est perpétué en enfer, dont la porte est la mort. Ô Seigneur, la cause d’un si lamentable malheur est notre nature. Mais en toi se trouvent pitié et compassion. Ô Père miséricordieux, qui, selon ta bonté inexprimable, fait que cette mort temporelle – qu’aucun homme ne peut éviter et qui, pour les réprouvés, est l’entrée de l’enfer– change de nature pour les élus, devenant pour eux un passage joyeux vers ce bonheur qui est au ciel. Car Jésus-Christ, ton Fils éternel, a, pour nous acquérir ce bienfait, revêtu notre chair et a, par ce moyen, guéri la blessure du péché par sa justice. Par son offrande, il a satisfait notre dette, triomphant par sa résurrection de la mort, de Satan et de l’enfer pour le salut de ceux auxquels tu donnes de croire en ton nom.

Maintenant, mon Dieu, puisqu’il t’a plu dans ton grand amour d’accomplir ainsi le haut mystère de notre rédemption, je te supplie, accorde-moi d’en ressentir le fruit et l’efficacité, par la puissance de ton Esprit, mène jusqu’au dernier souffle de ma vie, que je puisse te rendre mon âme en paix. Car je suis baptisé dans le nom du Christ, je crois à son saint Evangile et suis nourri de son corps de son sang dans sa sainte Eglise.

Il est vrai, ô Seigneur, que le souvenir de mes péchés, dont ma conscience m’accuse, me trouble grandement, car l’obscurcissement de mon esprit m’a empêché de te connaître droitement et la corruption de mon cœur de t’adorer en esprit et en vérité, selon ta parole. J’ai ainsi négligé ce précieux trésor, la croix même de mon Rédempteur, et ma mollesse en a rendu la semence infructueuse pour mon âme, préférant bien souvent l’amour de moi-même et des vanités de ce monde à l’amour que je te dois, mon Créateur, et à mon prochain par amour pour toi.

Je ne me suis pas attaché à la croix de ton Fils de manière à joyeusement porter la mienne après lui, en renonçant à toutes mes convoitises. Je n’ai pas non plus appliqué tes châtiments à l’intègre amendement de ma vie. J’ai été faible dans la foi, lent dans l’espérance, froid en charité, impatient dans la tribulation et plus raide à retenir les offenses des hommes à mon égard que prompt à leur pardonner.

Que puis-je dire encore mon Dieu? Car bien d’autres péchés que je ne saurais exprimer, m’étant jusqu’à ce jour encore cachés par mes infirmités, submergent mon âme, si ce n’était pour la repentance que tu m’accordes et la confiance que j’ai en ta miséricorde par la justice de mon Sauveur Jésus-Christ que, dans ta bonté paternelle, il te plaît de faire mienne. Je ne vois que sources de désespoir.

Son sacrifice me donne paix avec toi. Son sang me purifie. Son obéissance m’absout. Dans ses tourments, mon âme trouve son repos. A cause de tous ces bienfaits, je ressens la promesse scellée dans mon cœur par ton Esprit qui me fait écrier: Abba, Père et m’assure qu’étant éclairé par toi, tu accorderas, par ta libre miséricorde, au nom de ton Fils et par amour pour Lui, la rémission de mes péchés et la vie éternelle.

Ainsi, par cette lumière céleste, je contemple avec les yeux de mon esprit le navire qui me transportera de la terre au ciel, ne me trouvant pas plus éloigné de la présence de mon Rédempteur que ne l’étaient ses disciples lorsque, ramant contre la tempête, il leur dit: « Ne craignez point. C’est moi. » Car de manière toute semblable, il vient à ma rencontre pour me dire: « Ne crains pas. Rassure-toi. Sois ferme. C’est moi, et non pas cette mort que tu redoutes peut-être, mais dont j’ai brisé l’aiguillon, que j’ai conduit en triomphe, dont j’ai rompu les barreaux et les liens jusqu’en enfer même, et qu’en conséquence, je te fais monter de la tombe au Palais de ma gloire. »

Ainsi, mon Dieu, fortifie par ta grâce et par l’espérance chrétienne, qui ne sera point confondue, couvert par le bouclier de la foi, que ne peuvent blesser les traits du diable, je peux d’un mouvement vigoureux passer en paix de cette prison de nature, avec ces dernières paroles: « Ô Seigneur, entre tes mains je remets mon esprit » et ce même Christ me disant comme au pauvre larron mourant: « Mon fils, réjouis-toi, car ce jour même tu seras avec moi dans le Paradis. »

1* J.-M. Berthoud est l’auteur de plusieurs livres, éditeur à L’Age d’Homme et directeur de la librairie La Proue, à Lausanne. Cet article reproduit la conférence donnée au Colloque biblique francophone, à Belley, en avril 2006.

Sur la vie de Théodore de Bèze: A. Dufour, Théodore de Bèze, Histoire littéraire de la France, L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, tome 42 (Paris: Diffusion de Boccard, 2002), 315-470. La biographie classique est celle de P.-F. Geisendorf, Théodore de Bèze (Genève: Alexandre Julien, 1967, 1949). Voyez aussi l’ouvrage ancien de H.M. Baird, Theodore Beza. The Counsellor of the French Reformation 1519-1605 (Elibron Classics, 2003, 1899). Pour la bibliographie des œuvres de Théodore de Bèze: F. Gardy (avec la collaboration d’A. Dufour), Bibliographie des œuvres théologiques, littéraires, historiques et juridiques de Théodore de Bèze (Genève: Droz, 1960).

Sur l’histoire de l’époque où se déroula cette longue vie: R.M. Kingdon, Geneva and the Coming of the Wars of Religion in France 1555-1563 (Genève: Droz, 1956); Geneva and the Consolidation of the French Protestant Movement 1564-1572 (Genève: Droz, 1967); S.M. Manetsch, Theodore Beza and the Quest for Peace in France, 1572-1598 (Leyden: Brill, 2000); Arlette Jouanna, La France du XVIe siècle 1483-1598 (Paris: PUF, 2002, 1996); D. Crouzet, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (Champ Vallon, 2005, 1990).

2 T. de Bèze, Correspondance, volumes 1-26 (1539-1585) (Genève: Droz, 1960-2004).

3 T. de Bèze, La vie de Jean Calvin (Châlon-sur-Saône: Europresse, 1993).

4 Geisendorf, op. cit., 427.

5 Ibid., 10.

6 Dufour, op. cit., 321.

7 Voyez l’excellent article d’H. Meylan, « La conversion de Bèze ou les longues hésitations d’un humaniste chrétien », dans: D’Erasme à Théodore de Bèze (Genève: Droz, 1976), 145-174.

8 Dufour, op. cit., 320; Geisendorf, op. cit., 19-20.

9 Dufour, op. cit., 322.

10 Geisendorf, op. cit., 26-27.

11 Sur les années lausannoises de Bèze, voyez le livre ancien mais toujours utile d’A. Bernus, Théodore de Bèze à Lausanne. Etude (Lausanne: Georges Bridel, 1900).

12 Geisendorf, op. cit., 37.

13 Geisendorf, op. cit., 55.

14 P. Pidoux, Le Psautier huguenot, tome I. Les mélodies, tome II. Documents et Bibliographie (Bâle: Baerenreiter, 1962); T. de Bèze, Psaumes mis en vers français (1551-1562), édités par Pierre Pidoux (Genève: Droz, 1984); C. Marot, Les Psaumes. Edition critique précédée d’une étude par S.J. Lenselink (Assen, 1969).

15 Geisendorf, op. cit., 69-70.

16 R. Muller, « The use and abuse of a document », in C.R. Trueman and R.S. Clark, Protestant Scholasticism. Essays in Reconstruction (Milton Keynes: Paternoster Press, 1999), 33-61.

17 J. Mallinson, Faith, Reason and Revelation in Theodore Beza (1519-1605) (Oxford University Press, 2003).

18 S.D. Wright, Our Sovereign Refuge. The Pastoral Theology of Theodore Beza (Milton Keynes: Paternoster Press, 2004).

19 H. Bullinger, La Seconde Confession helvétique (Aix-en-Provence, Kerygma, 2001).

20 T. de Bèze, « La Confession de foi du chrétien », La Revue réformée (1955), 23-24.

21 D. Nugent, Ecumenism in the Age of the Reformation: the Colloquy of Poissy (Cambridge: Harvard University Press, 1974); H. Klipffel, Le colloque de Poissy: étude sur la crise religieuse et politique de 1561, sans lieu ni date.

22 R.M. Kingdon, Myths about St Bartholomew’s Day Massacres 1572-1576 (Cambridge: Harvard University Press, 1988); J.-L. Bourgeon, L’assassinat de Coligny (Genève: Droz, 1992); Charles IX devant la Saint-Barthélemy (Genève: Droz, 1995).

23 T. de Bèze, Du droit des magistrats (Genève: Droz, 1970).

24 Histoire ecclésiastique des Eglises réformées au Royaume de France (Paris: Fischbacher, 1889, 3 volumes).

25 Voyez sur ce débat avec les luthériens sur la cène: J. Raitt, The Eucharistic Theology of Theodore Beza. Development of the Reformed Doctrine (Chambersburg: American Academy of Religion, 1972); The Colloquy of Montbéliard. Religion and Politics in the Sixteenth Century (Oxford University Press, 1993).

26 Geisendorf, op. cit., 425.

27 Borgeaud, op. cit., 313-314.

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