Portrait de Justin Martyr

Portrait de Justin Martyr

Sylvain J. G. SANCHEZ

A l’orée de cette étude, il nous paraît utile de définir la notion de Père de l’Eglise. Cette expression, plus célèbre qu’explicite, désigne le vaste ensemble littéraire qui s’est épanoui à partir du IIe siècle et qui succède, dans le temps, aux écrits du Nouveau Testament.

“Le terme de Père désignait à l’origine les chefs des Eglises, les évêques: c’est le sens qu’il a gardé pour le premier des évêques: celui de Rome, le pape.”1

Quelles conditions un écrivain doit-il remplir pour se voir attribuer ce noble terme? La réponse est difficile. Tous les auteurs chrétiens qui ont écrit sur des sujets religieux ne sont pas qualifiés de Pères. En principe, il faut que leur rattachement à la tradition primitive soit net et clair, que la sainteté de leur vie soit garante de celle de leur pensée… En fait, les critères ne sont pas aussi draconiens: c’est l’approbation générale de l’Eglise qui explique cette appellation souvent posthume. Leurs écrits sont scripturaires et pédagogiques, car ils visent à enseigner (ou, du moins, à informer) les païens et les chrétiens.

Les apologistes et Justin entrent dans le cadre de cette définition. Pour les situer dans la tradition patristique, voici une brève typologie. A l’instar de D. Rops, nous distinguons quatre générations dans l’élaboration de la pensée chrétienne2:

– Tout d’abord, au Ier siècle, les disciples immédiats de Jésus, les apôtres et Paul fixent les éléments du message de Christ sans viser à édifier une théologie ou une philosophie.

– Ensuite, la seconde génération, dans la première moitié du IIe siècle, est celle des Pères apostoliques, ainsi appelés parce que les plus anciens d’entre eux ont pu être en relation personnelle avec les derniers des apôtres. Ils ont un style simple, modeste, mais vibrant de foi. Peu spéculatifs, ils sont profondément spirituels.

– La troisième génération, dans la deuxième moitié du IIe siècle, correspond aux apologistes qui développent une pensée chrétienne plus “réflexive” en faisant de leur croyance la philosophie. Cette époque est une période d’effervescence intellectuelle, de passion des idées, et les chrétiens adaptent leur présentation du christianisme au milieu ambiant. Ils veulent démontrer que le christianisme est la vérité, car il correspond le mieux à la réalité.

– Enfin, la quatrième génération est celle des antihérétiques, incarnés par Irénée de Lyon, et de Tertullien.

Les raisons qui nous ont poussé à nous pencher sur Justin sont multiples: de tous les apologistes grecs, il est de beaucoup le mieux connu. Les autres ne sont plus que des noms (Quadratus, Miltiade, Apollinaire, Ariston, Méliton…) ou apparaissent très peu au travers de leurs œuvres (Athénagore, Théophile, Aristide…). Au contraire, Justin transparaît dans ses œuvres. C’est un des chrétiens du IIe siècle qui nous est le plus familier, car son apologétique est le travail le plus complet que nous a laissé cette époque. C’est un des premiers penseurs chrétiens à avoir essayé de réfléchir sur l’être et le devenir du christianisme en milieu intellectuel.

La rencontre en imagination avec Justin, sur les plages d’Ephèse, par un beau matin brumeux aux alentours de l’année 130, nous a rendu cet auteur attachant et sa compagnie attrayante. Nous aimerions vous le faire connaître succinctement3 Nous nous proposons de dégager, tout d’abord, son cheminement spirituel qui l’a conduit de la philosophie au christianisme, puis ses diverses manières de témoigner de ses convictions religieuses, enfin son attitude face au martyre et sa fin tragique.

I. Son itinéraire spirituel et sa conversion

Nous ne dérogerons pas à la présentation traditionnelle: ses origines, sa formation intellectuelle et sa rencontre avec le vieillard qui a bouleversé sa vie.

A) Ses origines

“Moi l’un d’eux, Justin, fils de Priscus, petit-fils de Baccheios, originaires de Flavia Néapolis, cité de Syrie Palestine…”4, c’est ainsi que se présente l’auteur au seuil de son Apologie. Justin est né au début du IIe siècle (vers 100) dans la partie du monde romain la plus fortement imprégnée de culture hellénistique. Pendant tout le IIe siècle, l’âge d’or des Antonins, l’Asie est le lieu d’élection de la culture grecque. Il y a partout, dans l’Orient romain, des écoles supérieures (philosophie, sophistique, médecine…).

Flavia Néapolis correspond à l’actuelle Naplouse. La ville de Justin a été détruite de fond en comble par Vespasien pendant la guerre juive, puis a été recréée comme colonie gréco-romaine par le même empereur en 70. La province de Judée a perdu son nom après la rébellion de 69 et s’appelait officiellement Syrie Palestine. On a établi, dans cette “ville nouvelle” (néa-polis), de préférence des étrangers. Les parents de Justin devaient être païens. Nous ne connaissons que les noms de son père, Priscus, un nom latin, et de son grand-père, Baccheios, un nom grec. Justin5 est aussi un nom latin dérivé de l’adjectif justus, juste; il est courant dans l’antiquité et on ne s’étonne pas qu’il apparaisse souvent dans l’anthroponymie ancienne.

Cet héritage gréco-romain et la fondation de Flavia Néapolis permettent de supposer que la famille de l’apologiste est venue d’Italie. Justin lui-même, fils de colon, nous apprend qu’il est païen, incirconcis; il n’est donc pas juif6 Cependant, il se revendique de la race des Samaritains7, mais il n’a pas une bonne connaissance de l’hébreu, comme le montrent les erreurs qu’il commet. G. Bardy écrit:

“Les rares informations qu’il possède sur la Samarie et les Samaritains montrent bien qu’il n’a jamais entretenu beaucoup de relations avec les gens du pays. Toutefois, il est difficile de croire que les idées juives et la morale juive aient pu être entièrement ignorées de lui-même dans son enfance et sa jeunesse.”8

Quand Justin cherche à se mettre en rapport avec Dieu, ce n’est pas un Dieu abstrait qu’il aspire à voir. C’est pourquoi il est difficile de croire qu’il a eu une éducation hellénique au sens strict du mot. Il est beaucoup plus probable que le monothéisme a fait, dès ses premières années, une impression assez profonde sur son âme. Néanmoins, si son enfance n’est pas nourrie dans la pure tradition hellène, sa formation intellectuelle l’est assurément.

B) Sa formation intellectuelle et sa conversion

Où ont eu lieu sa formation intellectuelle et sa conversion? L’absence de toute précision géographique chez nombre d’auteurs antiques (et Justin ne fait pas exception) montre qu’ils attachaient à ce genre de notation moins d’importance que nous. Ce n’est pas parce que Justin ne s’intéresse pas à ces précisions que nous n’avons pas le droit de soulever le problème9 L’intention de l’apologiste au début de son Dialogue est de reconstituer, devant son auditoire, son itinéraire spirituel pour expliquer sa philosophie et non un parcours géographique retraçant son odyssée dans le bassin méditerranéen.

Justin aurait fait ses études primaires et secondaires à Flavia Néapolis. Il serait passé par le trivium (grammaire, rhétorique, logique), puis par le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie)10. Ensuite ses parents l’auraient envoyé à Ephèse11, un des grands centres culturels de l’Asie, connu pour ses écoles de médecine ainsi que Cos, Pergame, Smyrne (pour la musique), pour qu’il y poursuive ses études supérieures de philosophie. Là toutes les différentes écoles étaient représentées: les stoïciens, péripatéticiens, pythagoriciens et platoniciens. Dans le Prologue du Dialogue12, Justin témoigne de sa foi au Juif Tryphon et il lui retrace son itinéraire dans sa recherche de Dieu. Il est passé par toutes ces écoles philosophiques13 pour trouver une réponse à ses questions existentielles mais en vain. Seuls, les platoniciens l’ont véritablement séduit, car il pensait atteindre Dieu à travers la méditation et les exercices spirituels de cette école. C’est à ce moment là qu’il rencontre le vieillard.

Wartelle, comme Archambault, rapporte que la conversion de Justin peut avoir eu lieu à Ephèse, où est placé le dialogue avec Tryphon, selon Eusèbe14. Justin se serait retiré dans un endroit sauvage, propice à la méditation, proche de la mer et non éloigné du port15. Fuyant les pas des hommes, il se retrouve sur la grève en toute tranquillité. Là, un vieillard attend le retour de parents qui sont partis à l’étranger et il a quelque inquiétude. Justin le suit à quelque distance et la conversation s’engage16.

Le vieillard conduit le dialogue de façon socratique, avec douceur. Justin ne semblant pas prêt à recevoir le Christ comme Sauveur, il ne lui annonce donc pas tout de suite la bonne nouvelle de l’Evangile. Pour l’amener à comprendre combien il a besoin d’écouter l’Evangile, le vieillard va lui faire prendre conscience que sa philosophie n’offre aucune réponse aux questions capitales de la vie. Il va donc progressivement lui enlever “son toit protecteur” pour lui faire perdre ses assurances. Ensuite, il annonce la grâce de Jésus que le Dialogue mentionne implicitement17. Le vieillard serait un peu pour Justin l’homme qui lui aurait enseigné les bases du christianisme et qui lui aurait permis de faire un pas décisif: celui de la conversion. Il aurait joué le rôle que Pantène (le premier maître connu de l’école d’Alexandrie) a rempli envers Clément d’Alexandrie et que Justin a accompli envers Tatien.

Le seul verset du Dialogue qui décrit sa conversion se trouve en Dial. 8:1. “Mais un feu subitement s’alluma dans mon âme; je fus pris d’amour pour les prophètes et pour ces hommes amis du Christ; et réfléchissant en moi-même à toutes ces paroles, je trouvai que cette philosophie était la seule sûre et profitable.”

Selon toute vraisemblance, cette conversion a eu lieu vers 130-13318. Plus tard, Justin avoue que le témoignage des martyrs a marqué durablement son esprit et a été à l’origine de sa conversion19.

Après sa conversion, Justin garde la mise du philosophe20, reconnaissable à “cet habit”21 (tode to schèma), manteau court, grossier et sombre, appelé souvent tribôn Nous pouvons nous le représenter sous les traits d’un évangéliste itinérant, tout préoccupé de discuter et d’enseigner, conservant l’ancien genre de vie professionnel et se présentant comme philosophe.

Après sa conversion Justin aurait continué à exercer la profession de philosophe22 en diffusant, non plus l’enseignement des platoniciens, mais celui des chrétiens, tout en étant rattaché à l’Eglise d’Ephèse bien connue par une lettre de Paul. Il s’est peut-être inspiré du témoignage de ces chrétiens pour dresser le tableau du service dominical que l’on trouve dans la première Apologie. C’est pendant son séjour à Ephèse vers 135 que Justin a avec Tryphon cet entretien qui dure deux jours et qui servira de base anecdotique dans son ouvrage de controverse.

II. L’expression de sa foi chrétienne

Comment Justin a-t-il exprimé sa foi? On peut résumer ainsi son apologétique: l’enseignement, l’évangélisation et ses écrits.

A) L’enseignement

En philosophe errant, Justin va se rendre à Rome et devenir un maître isolé enseignant la doctrine chrétienne sous sa propre responsabilité. Il s’y fixe en ouvrant une école de “philosophie chrétienne”23. Lors de son deuxième séjour dans la capitale, il s’établit près des thermes de Timothée “au-dessus d’un dénommé Martin”, c’est-à-dire sur le Viminal. Notons au passage que Justin ajoute: “Je ne connais pas d’autre lieu de réunion que celui-ci.”24 Est-ce à dire que, lors de son deuxième séjour, il ne connaissait pas d’assemblée chrétienne et ne se réunissait pas avec d’autres fidèles pour le service dominical?25 Ce silence peut aussi se vouloir complice et manifester son courage et son refus paisible de transiger pour sauver sa vie et de donner, ainsi, au préfet Rusticus le moindre renseignement de nature à compromettre d’autres personnes.

Ouvrir une école pour l’enseignement de la foi, comme le fait Justin, était une idée neuve. Il s’inspira sans doute grandement des écoles platonicienne et stoïcienne qu’il avait jadis fréquentées. Ses méthodes d’enseignement devaient être similaires: le commentaire des classiques de l’école était la Bible constituée par les écrits des prophètes (la Septante) et par les mémoires des apôtres (les Evangiles). L’enseignement avait un second aspect plus personnel et plus vivant; le professeur (ici, Justin) communiquait oralement à ses disciples le fruit de ses pensées et la révélation qu’il avait reçue de la sagesse de Dieu.

Les cours et les leçons ne se présentaient pas comme un cours suivi, une conférence magistrale exposant un système; il devait s’agir, comme chez les philosophes de l’époque, d’entretiens plus libres sur un ton familier, prenant occasion d’un texte qu’on venait de commenter, d’un incident de la vie quotidienne (une arrestation26), d’une question soulevée en passant, pour s’élever à des considérations doctrinales, en procédant par demandes et réponses.

“Le caractère personnel de l’éducation antique” que souligne Marrou27 se retrouve dans cette école comme dans l’enseignement des assemblées chrétiennes: “Enfin et peut-être surtout, il y avait des conversations personnelles entre maître et disciple en tête à tête ou en présence d’un troisième compagnon et ami.”28

Justin était philosophe et jouait le rôle de conseiller spirituel. Mais son école est différente des écoles supérieures de théologie par l’objet de son enseignement. A Alexandrie, Clément donne quelque temps plus tard à ses disciples une formation encyclopédique, une initiation à toutes les sciences profanes et sacrées. Origène reprend la méthode d’abord à Alexandrie, puis à Césarée. Avec lui, l’école deviendra une institution officielle soumise à l’autorité de l’Eglise; son but principal sera la formation de catéchumènes.

Il est peu vraisemblable que Justin ait donné une telle ampleur à son enseignement, d’autant que nul ne lui en avait donné le mandat. C’est sous sa propre responsabilité qu’il a parlé et écrit. Son propos était une démonstration et une défense de la vérité chrétienne. Il devait réfuter les thèses des hérétiques, faire de l’évangélisation auprès des auditeurs païens29 et dispenser aux chrétiens des exhortations en vue de la sanctification. G. Bardy écrit:

“Lorsqu’il a devant lui des païens, ce sont les arguments philosophiques qui tiennent la première place, et ce sont aussi les preuves juridiques et morales, mais il ne renonce pas à faire appel au témoignage des prophéties: les livres saints, abstraction faite de leur inspiration divine, annoncent bien des événements futurs et la réalisation de ces oracles est de nature à frapper les païens.”30

Justin, comme les maîtres chrétiens de son époque, s’adresse à des païens qu’il s’agit d’amener à la foi et de préparer au baptême. Leur enseignement philosophique n’est pas pour eux un but mais un moyen, car ils se proposent, avant tout, de préparer les hommes à la foi31.

Parmi les auditeurs se trouvaient des chrétiens déjà convertis comme Hiérax, Péon, Evelpistos qui annonce au préfet Rusticus: “J’écoutais avec plaisir les paroles de Justin, mais moi c’est de mes parents que j’ai reçu d’être chrétien.”32 Justin ne se contentait donc pas de conférences d’évangélisation à l’adresse des païens de bonne volonté; il devait donner aussi un enseignement approfondi et de degré supérieur. Son école avait sans doute une réelle influence et devait connaître une certaine notoriété car, comme le rappellent J. Lebreton et A. Puech, “Justin a exercé une action assez puissante pour s’imposer à un disciple aussi indépendant, aussi présomptueux que l’était Tatien”33.

B) L’évangélisation

L’œuvre de Justin comporte trois méthodes d’évangélisation: l’évangélisation publique, l’enseignement dans les maisons et l’évangélisation personnelle34.

i) Pour Justin, le lieu idéal pour propager le christianisme, c’est l’agora ou le portique des palestres. Son manteau de philosophe le faisait être abordé plus aisément et facilitait l’engagement d’une discussion. Cette manière de répandre l’Evangile est esquissée dans La seconde apologie où Crescens, un philosophe cynique, est aux prises avec l’apologiste.

Le dialogue avec Tryphon, à l’ombre du xyste, suggère le même type d’évangélisation publique, puisque le texte souligne que d’autres juifs se sont joints au débat pour entendre discourir les deux orateurs.

Justin adapte son message au niveau de compréhension de ses auditeurs, nous l’avons vu à plusieurs reprises, dans un souci de mieux communiquer sa foi. Il serait donc faux de croire que les apologistes (en tout cas, Justin) étaient des évangélistes de seconde zone. Le but de leur vie était d’amener des hommes de toute classe et de tout niveau intellectuel à la connaissance de la vérité sur Dieu, sur l’homme, sur l’univers, telle qu’elle est révélée dans la personne de Jésus-Christ.

ii) Le deuxième type d’évangélisation est l’enseignement dans les maisons. Nous avons déjà évoqué le genre d’école que Justin a mis en place à Rome au-dessus de l’appartement de Martin, près des thermes de Timiotinos, lieu public par excellence; cette école était bien placée. Justin n’innove pas vraiment en cela; Paul se livrait vraisemblablement à un même type d’activité dans l’école de Tyrannus à Ephèse pendant trois ans35. Cet enseignement à l’extérieur de l’Eglise est la preuve qu’il a été créé intentionnellement en vue de l’évangélisation36.

iii) Enfin, les discussions personnelles sont mentionnées par Justin au travers de sa rencontre avec le vieillard sur la grève. Justin est gagné à la suite du témoignage que ce chrétien lui a rendu de sa foi. Il fait de même avec Tatien par la suite Cette manière d’évangéliser, personnelle et directe, est caractéristique de l’effort de l’Eglise primitive.

L’appui sur les textes scripturaires est capital et les chrétiens émaillaient leurs conversations de versets appris par cœur, la diffusion de l’écrit étant, évidemment, plus restreinte qu’aujourd’hui. Le principal instrument de travail de Justin dans l’élaboration de son apologétique est la Bible. Pour démontrer la vérité de la religion chrétienne, l’essentiel de son argumentation repose sur l’Ecriture, dont l’autorité est fondée, à la fois, sur son inspiration divine et sur la réalisation des prophéties. “C’est ici ce qui a été dit par le prophète” constitue la vérité centrale sur laquelle Justin élabore toute sa démonstration concernant Jésus. En cela, Justin se fait l’écho de Pierre37 dans le type d’exégèse de l’accomplissement et il s’intègre dans la tradition judaïque.

“C’est un principe constant de l’exégèse rabbinique de l’Ancien Testament que ce que les prophètes prédisaient avait rapport “aux jours du Messie”, c’est-à-dire au temps espéré où Dieu, après de longs siècles d’attente, visiterait son peuple avec un jugement et une bénédiction portant ainsi à leur plénitude ses relations avec lui dans l’histoire.”38

Cette manière de procéder se retrouve aussi chez Paul39. Cependant, il est à noter que Justin a connu assez tard les Ecritures, ayant traversé toutes les écoles et pensé quelque temps que le platonisme donnerait satisfaction aux besoins de son âme ardente. Cela n’empêche pas son œuvre d’être remplie de citations bibliques empruntées aux différents livres40.

C) Les écrits

Enfin, Justin use de l’écriture pour exprimer sa foi et transmettre le message de l’Evangile41. Il a l’intention d’encourager le lecteur à faire le même acte de foi en Christ. Il dit lui-même avoir écrit la deuxième Apologie spécifiquement en vue de l’évangélisation42. C’est à Rome43 qu’il aurait écrit les Apologies44 vers 153-155. La seconde Apologie serait de peu postérieure à la première, selon Wartelle45. La première Apologie s’adresse à l’empereur Antonin à qui sont associés Marc-Aurèle et Lucius Verus. La deuxième est dirigée plus spécifiquement vers le Sénat de Rome. Justin veut expliquer aux autorités ce que sont réellement les chrétiens et démentir un certain nombre de pensées populaires erronées et souvent même irrationnelles. En revanche, le Dialogue avec Tryphon est postérieur aux Apologies, car Justin y mentionne ces dernières46.

Où le Dialogue a-t-il été écrit? Ayant écrit les Apologies à Rome vers 153-155 et mourant martyr vers 165 ad hoc, on en déduit que Justin aurait aussi écrit le Dialogue dans la capitale impériale. Mais, selon les Actes du martyre47, Justin y aurait fait deux séjours successifs. Dès lors, rien ne permet d’affirmer qu’il y a écrit réellement le Dialogue. Ce traité de controverse48 reprend, en le développant, l’entretien que Justin a eu à Ephèse avec le juif Tryphon. Il est vraisemblable que l’apologiste a utilisé les souvenirs, si ce ne sont pas les notes, qu’il avait gardés d’un entretien réel, pour présenter, sous la forme d’un dialogue écrit, la position de l’Eglise en face de la Synagogue.

Enfin, la recherche actuelle attribue à Justin le traité sur La résurrection. Dans ce traité, l’apologiste, après un exposé épistémologique sur raison et foi, aborde les objections des adversaires de la résurrection, puis les réfute en faisant une démonstration théologique.

III. Le témoignage et la persécution

Sa confession de foi publique a valu à Justin bien des soucis. Au-delà des attaques de son adversaire, il nous faut réfléchir sur l’aspect juridique de la persécution et sur la façon dont Justin a compris la notion de martyre. Il faut dire que l’ouverture de ces écoles a été possible car

“Les dernières années du règne d’Hadrien et de celui d’Antonin le Pieux furent pour l’Eglise des années d’une paix, précaire sans doute, mais à peu près complète. A la condition de ne pas commettre d’imprudences, Justin pouvait prêcher la foi au Seigneur Jésus. Mais il était nécessaire d’être sage car, légalement, la profession du christianisme était punie de mort.”49

Justin était si bien philosophe qu’il s’est heurté à l’hostilité, en quelque sorte professionnelle, de ses rivaux et, notamment, du prédicateur cynique Crescens. Il était normal que son enseignement influent rencontre des contradicteurs. Ce que Justin dénonce dans l’attitude de Crescens50, c’est qu’il calomnie sans connaissance de cause. Sur des rumeurs, il accuse sans avoir réfléchi sur la validité de ses propos; il fait preuve de passion plus que de raison. Ce qui est condamnable pour un philosophe! Justin l’attaque ainsi sur son propre terrain. La controverse les a opposés comme deux chefs d’école rivaux. En bon apologiste, Justin se défend et répond aux attaques du cynique. Les discours des deux philosophes, au cours de cette joute oratoire, ont été sténographiés et Justin offre d’en donner communication aux autorités51, et même de renouveler le débat devant elles.

Crescens ne s’est pas contenté d’être un rival et la discussion ne s’est pas limitée à une simple querelle d’école. Il n’est donc pas impossible que les intrigues de Crescens soient une cause du départ de Justin de Rome. Le second séjour de celui-ci a aussi été le dernier et il est vraisemblable que Crescens a joué un rôle non négligeable dans l’arrestation de Justin, qui est mort décapité vers 165.

Qu’en est-il de la persécution, a-t-elle un fondement légal?

Justin ne cesse de répéter dans ses Apologies que les croyants sont accusés sur leur titre même de chrétiens52, appelant l’empereur à un peu plus de probité en justice53 par le rappel du rescrit d’Hadrien. A. Puech écrit: “En ce qui concerne la revendication de la tolérance légale, les apologistes grecs n’ont pas apporté, dans leur argumentation, toute la précision juridique de l’esprit latin, telle qu’elle caractérise, par exemple, Tertullien.”54 S’il est vrai que Justin simplifie à outrance la procédure romaine suivie dans les procès contre les chrétiens en disant que “c’est le nom de chrétien seul qu’on punit, cette simplification ne fausse pas l’essentiel de la vérité”55.

On a vu, dans la répression du christianisme, une simple opération de police. Il n’y aurait donc pas de loi particulière, mais une simple application de lois anciennes contre les crimes de sacrilège et de lèse-majesté Malheureusement, cette thèse est difficilement soutenable, car les textes (les différents rescrits) parlent non de coercitio (pouvoir de police), mais de cognitio, “c’est-à-dire de la procédure très officielle réglant l’exercice de la justice”56.

Un autre point de vue justifie la répression57 On a supposé qu’il existait une loi formelle, proscrivant le christianisme et due à Néron: l’Institutum Neronianum58. Cette thèse, si elle est valable, peut être passée au crible et ne pas résister aux preuves accablantes. En effet, le mot Institutum employé par Tertullien ne signifie pas “loi”, mais usage ou coutume. D’autre part, les hésitations de Trajan et d’Hadrien montrent qu’il n’existe pas de loi précise et détaillée à ce sujet; seule une jurisprudence exprimée par des réponses à des consultations juridiques (les rescrits) condamne les chrétiens. Cette jurisprudence constitue une base suffisante pour justifier la cognitio.

“L’empereur ne répond pas à la question de Pline sur la cause de l’inculpation, le nom de chrétien seul, ou les crimes que ce nom implique. Ce silence est en lui-même une réponse, car il entraîne la condamnation de tout chrétien dénoncé et convaincu, sans avoir à prouver l’existence de crimes de droit commun.”59

Les procès et les enquêtes étaient mis en place à partir des dénonciations. Le recours à la procédure accusatoriale (la suite donnée à la plainte déposée par un particulier) est conforme à la tradition antique. Ce droit favorise les calomnies et les dénonciations. C’est pourquoi Trajan, puis Hadrien, ont veillé à ce que ces dénonciations ne deviennent pas des calomnies systématiques. Ces rescrits voulaient limiter et contenir l’agitation populaire antichrétienne. Justin voyait dans le texte d’Hadrien une mesure favorable aux chrétiens; ce qui est abusif. En fait, ce rescrit ne fait que préciser celui de Trajan, en donnant des garanties juridiques pour éviter le débordement des rumeurs et des passions. Les tribunaux romains voulaient sauver la vie de l’accusé et s’ils recouraient à la persuasion, à l’intimidation et aussi à la torture, c’est pour que l’accusé revienne à des dispositions plus humaines et plus raisonnables. Le dialogue pathétique opposant le préfet urbain Junius Rusticus et Justin ainsi que ses compagnons en est une bonne illustration.

En fait, un chrétien, sous les Antonins, pouvait fort bien vivre de longs jours sans être le moins du monde inquiété pour ses convictions. Il suffisait simplement d’une dénonciation en forme pour déclencher l’appareil judiciaire et l’application de la loi. Justin le souligne admirablement bien en montrant, en App. 1, 2, que cette femme récemment convertie a été dénoncée par son mari païen pour la mettre en accusation. Les calomnies ont multiplié les rumeurs et les actes de dénonciation impliquant l’arrestation, l’incarcération, la mise à la torture60. En bref, ces rescrits, constituant autant de décisions impériales circonstancielles, faisaient jurisprudence et rendaient inutiles un acte législatif plus solennel (lex rogata, senatus-consulte ou édit).

Justin a été victime de cet état de fait et Crescens en a bien profité. Mais comment fait-il face aux persécutions et quelle est sa conception du martyre?

Les apologistes n’écrivent pas pour faire cesser les persécutions, par le moyen de la conversion des accusateurs et des délateurs; ce n’est pas ce sens qu’il faut prêter à App. 15:2. Ils prient et travaillent dans le but que d’autres se tournent vers Jésus-Christ même si les persécutions et les souffrances doivent, comme moyen, tourner et servir au salut des délateurs. Le martyre n’est donc pas une assurance supplémentaire de gagner le ciel par le mérite des souffrances, mais un témoignage qui peut amener au salut les incroyants.

La conception de Justin sur la valeur du martyre est difficile à cerner. En App. 12, il s’étonne (sur le mode de l’ironie) de la curieuse inconséquence qui consiste à persécuter des chrétiens dont les normes morales sont irréprochables; mais dans un passage émouvant, il avoue aussi ne pas en être autrement troublé parce qu’il sait que Dieu a la situation en main.

Dans les persécutions, ce n’est pas aux martyrs qu’il arrive le plus grand dommage, mais aux bourreaux et aux délateurs, car ils sont condamnés par Dieu à la mort éternelle, s’ils ne se repentent pas61. Cependant, en Ap. 65:1, Justin écrit:

“(…) Nous récitons avec ferveur des prières communes (…) pour mériter par nos actions d’être reconnus pour de bons intendants et de bons gardiens des commandements, pour pouvoir être admis au salut éternel.”

N’oublions pas que ce verset se situe dans le contexte de la communauté chrétienne, lorsque le baptisé est présenté à l’assemblée et que les prières de celle-ci l’accompagnent. De ce fait, le mérite des œuvres n’est pas destiné aux non-croyants. Cependant, chez le croyant, Justin sous-entend que des actions accomplies après la conversion dépendent, non l’admission au salut éternel, mais les récompenses. Il est vrai qu’il est dit que “sans la sanctification nul ne verra le Seigneur”62, mais le salut éternel dépend de la justification par la foi et non des œuvres postbaptismales.

Nous reconnaissons que ce verset est difficile et que l’œuvre du martyre peut être interprétée comme venant parfaire le salut. Un passage des Actes des martyrs est aussi sujet à caution et vient confirmer cette thèse éventuelle. A une menace du préfet Rusticus, Justin a la répartie suivante:

“C’est notre souhait (…) d’être châtiés à cause de Notre Seigneur Jésus-Christ, car c’est cela qui deviendra pour nous salut et assurance au tribunal redoutable de notre Maître et Sauveur, auquel doit se présenter le monde entier.”63

Cependant, si ce passage existe (et il faut en tenir compte pour la compréhension générale de l’œuvre), il est largement minoritaire. Ailleurs, Justin explique que le martyre est rendu possible par la “puissance du Père ineffable” pour mépriser l’opinion et la crainte de la mort64. Le martyre est présenté comme une dette65, dont le croyant s’acquitte joyeusement, non par plaisir du supplice mais en souffrant comme Christ a souffert66.

Dans l’œuvre de Justin, il n’y a pas de soif de la mort comme chez Ignace. En App. 4, il réfute le suicide67 et affirme que le chrétien doit vivre de l’amour de Dieu au service d’autrui. Le plus urgent n’est pas de renoncer à sa vie, mais de renoncer à l’égoïsme, à la sécheresse de cœur… Cl. Rambaux avoue qu’une seule référence peut suggérer la soif de la mort:

“Mais nous ne voulons pas assurer notre vie par des mensonges, car nous désirons la vie éternelle et sans souillure; ce à quoi nous aspirons par-dessus tout, c’est à vivre avec Dieu le Père et créateur de l’univers: nous sommes empressés à nous avouer chrétiens, convaincus, dans la foi (…).”68

Le contexte implique qu’il s’agit de chrétiens déjà arrêtés. Dans les autres cas, conclut-il,

“L’apologiste affirme seulement que les chrétiens n’ont pas peur de mourir (cf. App. 57:2) pour leur foi et sont résolus à ne pas renier (ce qui est parfaitement conforme à la tradition biblique).”69

L’attitude de Tertullien et celle de Justin ne sont pas comparables. Tertullien prône l’interdiction de la fuite en temps de persécution; cette opinion s’intègre dans sa conception du salut comme conquête presque exclusivement personnelle. En revanche, Justin a essayé de fuir devant les attaques de Crescens; c’est ce qui expliquerait son exil et son second retour à Rome. Là, il a été arrêté et son interrogatoire devant le préfet Rusticus pourrait sembler confus pour un esprit moderne, car il dit: “Si j’endure ces supplices, j’espère recevoir ce que me promet la foi au Christ.”70 Cependant, cet extrait n’implique pas que son salut dépende du supplice, car l’expression “J’espère” (elpizô) en grec ne signifie pas un espoir incertain mais une certitude, une assurance solide et ferme71. D’ailleurs, cette interprétation est confirmée plus bas:

“Le préfet Rusticus demanda: “Ainsi donc, tu t’imagines, toi, que tu monteras au ciel pour y obtenir une telle rétribution?” – “Je ne me l’imagine pas, répondit Justin, mais je le sais et j’en ai l’entière certitude!”72

Nous prenons conscience que Justin, à l’instar des auteurs chrétiens du IIe siècle, met l’accent plutôt sur la récompense et la punition, et risque de faire envisager l’obéissance chrétienne en termes de mérite (relire App. 8). Il est vrai que sa pensée semble accorder à la vie éternelle une place plus centrale que ne le fait le Nouveau Testament. Mais Justin n’a pas totalement abandonné la perspective néotestamentaire et c’est très sincèrement qu’il aime Dieu. C’est cet amour qui est le sceau d’un témoignage et d’un service chrétiens authentiques.

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En réfléchissant sur la vie de cet apologiste, on se rend compte que ce philosophe a été la proie de maîtres qui revendiquaient le même titre. Il a été en butte aux attaques du cynique Crescens, interrogé froidement par le stoïcien Junius Rusticus (préfet de la Ville de 162 à 168) sous le règne de l’empereur-philosophe Marc-Aurèle. La solidarité philosophique faisait presque un devoir au préfet et à son impérial disciple de condamner l’adversaire de leur collègue (Crescens). Il est intéressant d’approfondir les rapports “amoureux” de ce chrétien avec la philosophie: il l’aima, mais elle finit par le tromper en l’éliminant.

Justin a été reconnu martyr très tôt dans la tradition des Pères de l’Eglise. Au XIXe siècle, sa fête a été étendue à l’Eglise universelle, par un décret de Léon XIII (en 1882). L’Eglise latine, depuis la réforme liturgique de 1971, a fixé la date du 1er juin pour fêter saint Justin.

Au terme de cette étude, je vous convie à la rencontre de Justin73 en abordant, à votre tour, le littoral éphésien où vous pourrez, peut-être, rencontrer, comme lui, un vieillard témoignant de sa foi. Ces pages étaient comme une invitation à franchir la vaste mer et à faire la connaissance de chrétiens d’autres temps. Aussi ne convient-il pas de se reposer au port: Cras ingens iterabimus aequor.


1 D. Rops, L’Eglise des apôtres et des martyrs (Paris: Desclée de Brouwer, 1971), 326-329.

2 L’abbé Wartelle classe les apologistes dans la deuxième génération des Pères de l’Eglise au IIe siècle. La première étant constituée par les Pères apostoliques qui se situent dans le premier tiers du IIe siècle. Cf. “Sur le vocabulaire du sacré chez les Pères apologistes grecs”, Revue des études grecques 102 (1989), 40-57. Concernant le genre littéraire de l’apologétique chrétienne, cf. J.-Cl. Fredouille, “De l’apologie de Socrate aux apologies de Justin”, Hommage à R. Braun, t. II Autour de Tertullien (Nice, 1990), 1-22; id., “L’apologétique chrétienne antique: naissance d’un genre littéraire”, Revue des études augustiniennes 38 (1992), 219-234; cf. notre étude, Justin, apologiste chrétien (Paris: Gabalda, 2000), 110-140.

3 Nous avons préféré, plutôt qu’un plan chronologique qui a formé initialement la trame de l’allocution, adopter une présentation thématique. A. Hamman a risqué une reconstitution chronologique de la vie du martyr à partir des hypothèses de son collègue franciscain B. Bagatti: A. Hamman, “Essai de chronologie de la vie et des œuvres de Justin”, Augustinum 19 (1979), 319-331. En outre, nous adoptons les sigles suivants concernant les écrits de Justin: Ap. (première, grande Apologie), App. (Appendix ou deuxième, petite Apologie), Dial. (Dialogue avec Tryphon).

4 Ap. 1:1.

5 Ne pas confondre notre apologiste avec les empereurs Justin, avec Justin le Gnostique (IIIe siècle) ou encore avec l’historien latin connu sous le même nom (M. Junianus Justinus), auteur d’une Histoire universelle en 44 livres qui est, en fait, un résumé des Histoires philippiques de Trogué-Pompée.

6 Dial. 28:2.

7 Dial. 120:6.

8 G. Bardy, Dictionnaire de théologie catholique, col. 228. Cf. aussi A. Puech, Les apologistes grecs (Paris: Hachette, 1912), 47-48.

9 La question peut être préexistante aux sources. Ce n’est pas parce que les sources ne donnent pas de réponse ou ne posent pas le problème qu’il en perd pour autant son statut chez l’historien du XXe siècle. Quelqu’un a dit: “Je ne fais pas l’histoire que je veux, mais je fais l’histoire que je peux.” Cette soumission continuelle aux données immédiates empêche de dégager d’autres questionnements. Cette latitude à ne pas dépasser les données présentes dans les sources exhibe le manque de recul par rapport à l’objet d’étude. On a ainsi le nez sur la pyramide au lieu d’avoir la distance nécessaire pour l’apprécier, voir les lacunes et pouvoir être à même de mieux juger! Cela ne veut pas dire que nous faisons violence aux données: nous nous soumettons à elles mais non de façon inconditionnelle sans voir leurs limites et sans exhiber les questions auxquelles elles ne répondent pas. Pour tous ces problèmes de datation, de localisation des sources justiniennes, se reporter à nos articles présentant une introduction critique du Dialogue de Tryphon: “La tradition du texte du Dial.”, Revista Agustiniana 127, 42 (2001); “Les problèmes historiques du Dial.”, Revista Agustiniana 128, 42 (2001).

10 H. Chadwick, “El diálogo entre los apologistas cristianos y la filosofia: el caso de san Justino Mártir” in D. Ramos-Lissón, El Diálogo fe-cultura en la antigüedad cristiana (Pampelune: Eunate, 1996), 49. Cf. aussi H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (Paris: Seuil, coll. Points Histoire, 71981, 11948), 2 volumes.

11 La ville d’Ephèse paraît mieux en situation qu’une cité de Palestine comme Naplouse pour accueillir “un des principaux platoniciens” (Dial. 2:6). Mais Bardy ne partage pas cet avis: “C’est à Naplouse qu’il a reçu sa formation philosophique, le maître qu’il y a rencontré ne devait briller ni par sa science ni par son extraordinaire vertu.” G. Bardy, “Saint Justin et la philosophie stoïcienne”, Recherches de science religieuse, 14 (1924), 33. Lenain de Tillemont écrit: “Puisque Justin étudiait la philosophie de Platon dans sa propre ville (c’est-à-dire à Naplouse), on a tout lieu de croire qu’il fut converti dans la Palestine.” (Mémoires, t. II, 1694, 387)

12 Dial. 2.

13 Sur les influences des diverses écoles philosophiques, cf. notre étude, Justin, apologiste chrétien (Paris: Gabalda, 2000), 163-180; sur le platonisme, cf. Ch. Nahm, “The Debate on the Platonism of Justin Martyr”, The Second Century 9 (1992), 129-151; G. Girgenti, Giustino Martire: il primo cristiano platonico (Milan: Vita e Pensiero, 1995).

14 Eusèbe de Césarée, Hist. Eccl. IV, 18. L’indication d’Eusèbe fait connaître que le xyste (xustos: galerie couverte du gymnase), où le dialogue va se dérouler, est celui d’Ephèse. Cependant Archambault écrit dans son introduction: “L’existence d’un xyste, le voisinage de la mer, tout cela convient bien à Ephèse et non pas, il faut le reconnaître, à Corinthe ni à Naplouse; mais il est bien clair aussi que ce sont là des désignations insuffisantes.” G. Archambault, Justin, Dialogue avec Tryphon, texte grec et trad. française (Paris: Hemmer & P. Lejay, 1909), LXVIII, LXIX. Cf. aussi Dial. 9:3 et la note. Mais l’indication d’Eusèbe est loin d’être déterminante, et on a proposé de situer la conversion de Justin à Flavia Néapolis, à Corinthe ou à Alexandrie.

15 Cf. A. Wartelle, Saint Justin, Apologies (Paris: Etudes Augustiniennes, 1987) 18-19, note 9. J. Turmel a pensé avant A. Wartelle qu’Ephèse était la meilleure hypothèse. Ecoutons-le: “Puech, pp. 48-49, pense que le récit de Justin, bien que “stylisé”, “contient pourtant une grande part de vérité”. C’est, je crois, l’interprétation la plus plausible. L’auteur est moins heureux dans la note de la page 51 où il regarde la mer Morte comme le lieu possible de l’entretien. La plage où Justin se promenait confinait à la ville qui lui servait de séjour; or, il n’y avait pas de ville sur le bord de la mer Morte. Flavia Néapolis était à douze lieues de là. Et puis, le vieillard était venu là pour assister au débarquement de parents partis à l’étranger. Or, on ne voyageait pas sur la mer Morte (…) Dans quelle ville a eu lieu son éducation soit philosophique, soit chrétienne? D’aucuns ont cru que Justin avait rencontré le philosophe platonicien à Flavia Néapolis. Autant dire que l’on rencontre des professeurs de philosophie kantiste ou spencérienne dans les gros bourgs de France. Autrefois, comme aujourd’hui, les philosophes, au moins ceux pour lesquels la philosophie était un gagne-pain ou un apostolat, ne se fixaient que dans les grands centres, parce que là seulement ils pouvaient espérer trouver des disciples. Justement, au début de son entretien avec le juif Tryphon (2:6), Justin, qui habite alors à Ephèse (Eusèbe 4, 18, 6), dit qu’il fit la connaissance de son platonicien “dans notre ville”. C’est donc à Ephèse que son initiation à la philosophie a eu lieu. Et c’est aussi sur la plage d’Ephèse que Justin se promenait quand se présenta à lui le vieillard venu là pour assister au débarquement des personnes de sa famille dont il attendait le retour.” (Histoire des dogmes, 1932, 56 [cf. introduction].)

16 Dial. 3-8

17 Dial. 8:1.

18 Pour plus de renseignement sur sa conversion, cf. le chapitre “Le problème de la conversion de Justin martyr”, de notre étude, Justin, apologiste chrétien, op. cit., 68-109, et éléments bibliographiques, 265-266.

19 App. 12:1.

20 Cf. notre étude, Justin, apologiste chrétien, op. cit., 140-157.

21 Dial. 1:2.

22 Il ne semble pas qu’il ait été prêtre en dépit d’une conjecture de Lenain de Tillemont, Mémoires, t. II, 1694, 355s.

23 Nous faisons remarquer, par cette expression entre guillemets, que Justin et les apologistes, à la différence des catéchètes, ne sont pas mandatés par la hiérarchie; ce sont des laïcs qui enseignent sous leur propre responsabilité; ce sont des philosophes chrétiens, non des docteurs de l’Eglise. Cela ne veut pas dire que Justin en ignore l’existence et le rôle; il en rappelle les fonctions liturgiques et le service cultuel dans son Apologie. Mais il n’a jamais eu affaire à la hiérarchie. Celle-ci est, en tout cas, étrangère à sa conversion comme à son martyre.

24 Actes 3:3.

25 Pour l’étude des lieux de réunion chrétienne au IIe siècle, cf. notre étude “Le culte chrétien dans les maisons privées durant les premiers temps de l’Eglise”, Revista Augustiniana 123, 40 (1999), 1009-1062.

26 App. 1, 2.

27 H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation, t. I, 310, 311ss.

28 Ibid.

29 Justin précise dans Actes 3:3: “Et si quelqu’un voulait venir me voir, je lui communiquais les paroles de vérité (…).” Il est possible que, ayant un rôle assez en vue et une école située près des Thermes publics, Justin devait recevoir des auditeurs païens, curieux, en recherche ou hostiles. Sur la catéchèse justinienne, cf. G. A. Nocilli, La catechesi battesimale ed eucaristica di San Giustino Martire (Bologne, 1990).

30 G. Bardy, “Les écoles romaines au second siècle”, Revue d’histoire ecclésiastique 28 (1932), 509.

31 G. Bardy, ibid., 531-532. Sur la notion d’enseignement, cf. D. Van Den Eynde, Les normes de l’enseignement chrétien dans la littérature patristique des trois premiers siècles (Gembloux-Paris, 1933); U. Neymeyr, Die christlichen Lehrer im zweiten Jahrhundert: ihre Lehrtätigen, ihr Selbstverständnis und ihre Geschichte (Leyde: E. J. Brill, 1989); B. Pouderon & J. Doré (éd.), Les Pères apologistes et la culture grecque (Paris: Beauchesne, 1998); Ph. Bobichon, “Les enseignements juif, païen, hérétique et chrétien dans l’œuvre de Justin martyr”, Revue des études augustiniennes 45 (1999), 233-259.

32 Actes 4:7.

33 A. Fliche & V. Martin, Histoire de l’Eglise (Paris: Bloud & Gay, 1934), t. I, 432.

34 Voir à ce sujet l’étude complète de M. Green, L’évangélisation dans l’Eglise primitive (Saint-Légier: Emmaüs, 1981), 233-284.

35 Ac 19:1-22.

36 M. Green rapporte, op cit., 246, que Justin instruisait dans la foi, mais que lui-même subvenait à ses besoins en enseignant la philosophie comme il l’avait fait avant sa conversion. Rien ne permet d’affirmer une telle thèse d’après les textes que nous possédons. Cependant, cette conjecture, si elle demeure de l’ordre de l’hypothèse, est vraisemblable.

37 Cf. Ac 2:16.

38 C. H. Dodd, La prédication apostolique (trad. fr. G. Passelecq, Ed. Universitaires, 1964), 22, cité par M. Green, op. cit., 88, note 16.

39 Ac 26:23.

40 Nous renvoyons, à titre indicatif, à l’index scripturaire dressé par A. Wartelle, Justin’ Apologies (Paris: Etudes Augustiniennes, 1987), 321-323. Pour plus de renseignement sur Justin et la Bible, cf. M. Hengel, “Die Septuaginta als von de Christen beansprunchte Schriften sammlung bei Justin und den Vätern vor Origenes” in J. G. Dun, Jews ans Christians. The Parting of the Ways A.D. 70 to 135 (Tubingue: WUNT 66, 1992), 39-84; A. D Koch, “Die Überlieferung und Verwendung der Septuaginta im ersten nachchristlichen Jahrhundert. Aspekte der neueren Septua gintaforschung und deren Bedeutung für die neutestamentliche Exegese” in H. Lichtenberg, Begegnungen zwischen Christentum und Judetum in Antike und Mittelalter (Göttingen, 1993), 215-244; notre étude, Justin, apologiste chrétien, op. cit., 157-163; Guy Fau, “Justin et les évangiles”, Cahiers du cercle Ernest Renan 91, 23, (1975).

41 A. Hamman, Œuvres complètes de Justin (Paris: J.-P. Migne, 1994).

42 Cf. App. 15:2.

43 Avant les Apologies, Justin a composé Un livre contre toutes les hérésies (Suntagma) qui ne nous est jamais parvenu. P. Pringent, Justin et l’Ancien Testament [l’argumentation scripturaire du traité de Justin contre toutes les hérésies comme source principale du Dialogue avec Tryphon et de la première Apologie] (Paris: Gabalda, 1964), a essayé de reconstituer ce traité à partir des fragments qui auraient servi à composer le Dialogue avec Tryphon.

44 Cf. A. Wartelle, Saint Justin, Apologies (Paris: Etudes Augustiniennes, 1987); Ch. Munier, Saint Justin, Apologie pour les chrétiens (Fribourg: Paradosis 39, 1995).

45 La datation des Apologies a donné lieu à d’interminables discussions que nous n’avons pas jugé utile de rapporter ici.

46 Cf. Dial., 120:6.

47 Actes 3:36. Cf. A. Wartelle, Saint Justin, Apologies, op. cit., 226-233.

48 G. Archambeault, Justin, Dialogue avec Tryphon. Texte grec et trad. française (Paris: Hemmer & P. Lejay, 1909), 2 vol.; M. Marcovich, Iustini Martyris dialogus cum Tryphone (Berlin/New York: Patristische Texte und Studien, n. 47, Walter de Gruyter, 1997); Ph. Bobichon prépare pour Paradosis à Fribourg une édition critique avec une traduction française à partir de sa thèse doctorale soutenue à la fin de 1999 à Caen; enfin, Sources chrétiennes préparent le même travail avec une équipe franco-espagnole. Pour les études sur le Dialogue avec Tryphon, se reporter au travail récent de A. Rudolph, “Denn wir sind jenes Volk” – Die neue Gottesverehrung in Justins Dialog mit dem Juden Tryphon in historisch-theologischer Sicht (Bonn: Hereditas 15, Borengässer, 1999).

49 D. Bardy, Dictionnaire de théologie catholique, col. 2229.

50 Cf. App. 3:1-4.

51 Cf. App. 3:6.

52 Cf. App. 4:5-9.

53 Cf. Ap. 68.

54 A. Puech, Histoire de la littérature grecque chrétienne, t. II (Paris: Les Belles Lettres, 1928), 228.

55 Ibid. 229.

56 Pour plus de détails, voir, sur ce fondement juridique des persécutions, Cl. Lepelley, L’Empire romain et le christianisme (Paris: Flammarion, 1969), 28-40, 108-111.

57 Nous l’avons rencontré, en particulier, dans le premier volume de L’Histoire de l’Eglise publié sous la direction de Fliche et Martin (L’Eglise primitive par J. Lebreton et J. Zeiller, op. cit., 292-297).

58 Tertullien parle de l’Institutum Neronianum (cf. Ad nationes I, 7; Apologeticum V, 3) dont la clause fondamentale serait: non licet esse christianos, il n’est pas permis aux chrétiens d’exister. Cette loi aurait perduré sous les règnes suivants et aurait ainsi survécu à la damnatio memoriae de Néron.

59 Cl. Lepelley, op. cit., 30.

60 Cf. App. 12:4; Dial. 110:4.

61 Cf. App. 45:6; 49:6; App. 14:1.

62 He 12:14.

63 Actes 5:6; la traduction du Corpus Apologetarum de Otto (1879) ne change pas le sens du texte: “Tout notre désir est de souffrir pour Notre Seigneur Jésus-Christ et d’être sauvés. Ce sera notre salut et notre assurance au tribunal redoutable et universel de notre Maître et Sauveur.” (III, 2, 262-275)

64 App. 10:8.

65 App. 11:1.

66 1 P 2:21; 4:1; Jn 15:20.

67 Notons que cette négation du suicide va à l’encontre de certains représentants du stoïcisme: Marc-Aurèle semble prôner le suicide (Pensées X, 8 et 32). Epictète, quant à lui, affirme que l’homme est toujours libre de quitter la vie (Entretiens II, 16, 32-38).

68 Ap. 8:2.

69 Cl. Rambaux, Tertullien face aux morales chrétiennes des trois premiers siècles (Paris: Les Belles Lettres, 1979), 375, note 80.

70 Actes 5:2.

71 Cf C. Spicq, Lexique théologique du Nouveau Testament (Paris: Cerf, 1991), 497-511; “La certitude de l’espérance est celle de l’amour immuable et efficace de Dieu.”

72 Actes 5:3

73 Pour comprendre les influences culturelles qui ont marqué la personnalité de Justin et pour mieux cerner les rapports de culture et croyances, de raison et foi, cf. M. Figura, “Der göttliche Logos und die menschliche Vernunft beim Philosophen und Märtyrer Justin”, Intern. Kath. Zeitschrift Communio 22 (1993), 486-493; et notre article “Justin Martyr, un homme de son temps”, Sacris Erudiri, 2001.

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